{"id":199609,"date":"2023-09-24T13:00:00","date_gmt":"2023-09-24T11:00:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=199609"},"modified":"2023-09-25T07:45:06","modified_gmt":"2023-09-25T05:45:06","slug":"leglise-et-la-migration-face-au-choix-prophetique-dune-europe-multiethnique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/09\/24\/leglise-et-la-migration-face-au-choix-prophetique-dune-europe-multiethnique\/","title":{"rendered":"L\u2019\u00c9glise et la migration : face au choix proph\u00e9tique d’une Europe multiethnique"},"content":{"rendered":"\n
\u00ab L’immigration est une chance historique pour l’avenir de l’Europe, une chance pour le meilleur ou pour le pire, selon la mani\u00e8re dont nous la gouvernons. J’invite \u00e0 prendre cette r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 c\u0153ur, non pas comme un fardeau \u00e0 porter, mais comme un grand appel de la Providence \u00e0 une nouvelle fa\u00e7on de vivre. \u00bb Ces paroles, prononc\u00e9es par le cardinal Martini au d\u00e9but des ann\u00e9es 1990 <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, font \u00e9cho \u00e0 celles du pape Fran\u00e7ois \u00e0 Marseille<\/a> \u2014 elles structurent en effet une doctrine fortement inspir\u00e9e de l’\u00c9vangile et en particulier du passage \u00ab J’\u00e9tais un \u00e9tranger et vous m’avez accueilli \u00bb (Matthieu 25, 31-46) <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Au-del\u00e0 de l’ir\u00e9nisme et d’une vision purement court-termiste, le d\u00e9fi migratoire doit \u00eatre compris, selon Carlo Maria Martini, comme un \u00ab signe des temps \u00bb. Un moment dense, universel et r\u00e9p\u00e9t\u00e9 qui peut r\u00e9v\u00e9ler, selon l’enseignement du Concile Vatican II, \u00ab la direction vers laquelle l’humanit\u00e9 est consciemment orient\u00e9e \u00bb <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il doit donc animer les communaut\u00e9s chr\u00e9tiennes confront\u00e9es \u00e0 un \u00ab choix proph\u00e9tique \u00bb que l’on trouve dans l’\u00c9vangile : \u00ab Tu aimeras ton prochain comme toi-m\u00eame<\/em>. Il n’y a pas d’autre commandement plus important que celui-l\u00e0 \u00bb (Marc 12, 29-31) \u2014 tout en posant une question g\u00e9opolitique de d\u00e9veloppement.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est l’une des contradictions les plus importantes sur la sc\u00e8ne politique continentale. Si les r\u00e9f\u00e9rences au christianisme, \u00e0 ses valeurs et \u00e0 ses racines sont aujourd’hui une constante de la droite radicale europ\u00e9enne, l’\u00c9glise semble en m\u00eame temps s’opposer dans ses \u0153uvres et souvent aussi dans ses d\u00e9clarations \u00e0 cette \u00ab souverainet\u00e9 f\u00e9tichiste \u00bb qui mobilise des symboles, des imaginaires et des pratiques pour construire une identit\u00e9 europ\u00e9enne r\u00e9active. L’id\u00e9e d’une \u00ab Europe blanche et chr\u00e9tienne \u00bb d\u00e9fendue par Viktor Orban et une partie croissante de l’extr\u00eame droite n\u00e9o-nationaliste, se r\u00e9v\u00e8le ainsi lors de la crise de l’accueil selon un clivage entre \u00ab leaders pro-immigration ou leaders anti-immigration \u00bb. Selon les chiffres d’Eurostat, en 2015, l’ann\u00e9e la plus intense de la crise, la Hongrie a accept\u00e9 un total de seulement 545 demandes d’asile contre plus de 177 135 demandes. <\/p>\n\n\n\n Nous traduisons pour la premi\u00e8re fois en fran\u00e7ais ce texte qui, de mani\u00e8re \u00e9nigmatique et paradoxale, exprime peut-\u00eatre une r\u00e9ponse \u00e0 la contradiction d’une \u00c9glise qui refuse de restreindre son identit\u00e9 : \u00ab C’est la grande opportunit\u00e9 historique et salvatrice qui se pr\u00e9sente \u00e0 nous. Et je vous exprime ma profonde gratitude, \u00e0 vous qui nous aidez \u00e0 ne pas manquer cette occasion, \u00e0 ne pas laisser passer en vain cette heure de l’histoire, \u00e0 ne pas \u00eatre une fois de plus inconscients et paresseux face \u00e0 une sollicitation semblable \u00e0 celle de l’homme bless\u00e9 sur la route (cf. Luc 10, 30-37), \u00e0 laquelle tout le monde n’a pas r\u00e9pondu. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Je remercie chaleureusement toutes les personnes pr\u00e9sentes et en particulier les organisateurs de cette 9\u00e8me journ\u00e9e de solidarit\u00e9. Comme \u00c9glise locale, nous demandons \u00e0 \u00eatre aid\u00e9s pour nous positionner de mani\u00e8re ad\u00e9quate face au ph\u00e9nom\u00e8ne imposant et extraordinaire de la nouvelle immigration du tiers-monde dans nos r\u00e9gions ; nous demandons une aide intelligente, scientifique, \u00e9valuative pour pouvoir op\u00e9rer. Et beaucoup de ceux qui sont pr\u00e9sents sont des op\u00e9rateurs qui paient personnellement le pondus diei<\/em>, le labeur quotidien de s’engager dans cette r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Le discours de Martini a \u00e9t\u00e9 prononc\u00e9 lors d’une conf\u00e9rence dioc\u00e9saine convoqu\u00e9e pour la 9\u00e8me journ\u00e9e de solidarit\u00e9 (Milan, San Fedele, 13 janvier 1990). Le texte a ensuite \u00e9t\u00e9 publi\u00e9 dans la Rivista diocesana milanese<\/em>, LXXXI (1990), 1, pp. 110-114, et peut \u00eatre trouv\u00e9 dans Carlo Maria Martini, Comunicare nella Chiesa e nella societ\u00e0. Lettere, discorsi e interventi<\/em>, 1990, Bologne (1991), pp. 47-52.<\/p>\n\n\n\n Je voudrais simplement souligner l’importance du th\u00e8me de la conf\u00e9rence : \u00ab Pour une soci\u00e9t\u00e9 accueillante vers une Europe multiethnique \u00bb. Au fil des ann\u00e9es, je me suis exprim\u00e9 \u00e0 de nombreuses reprises sur ce sujet. Si j’ai souhait\u00e9 m’exprimer aussi souvent \u00e0 cet \u00e9gard, c’est parce que je suis convaincu de sa pertinence croissante pour notre coexistence en Europe.<\/p>\n\n\n\n Carlo Maria Martini s’est en effet exprim\u00e9 \u00e0 plusieurs reprises sur ce sujet, qui a fini par devenir l’un des axes structurants de son action : comme il le rappelle lui-m\u00eame, en 1989, lors d’une rencontre organis\u00e9e par la Communaut\u00e9 de Sant’Egidio <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> ; en avril, \u00e0 l’Universit\u00e9 catholique de Milan <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span> ; en ao\u00fbt, lors d’une conversation \u00e0 Francfort, ville jumel\u00e9e Milan ; d\u00e9but d\u00e9cembre, \u00e0 l’occasion du discours de Saint Ambroise, avec Monseigneur Bello et Monseigneur Riboldi, \u00e9v\u00eaques du sud de l’Italie <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> ; et \u00e0 la mi-d\u00e9cembre, lors d’une conf\u00e9rence organis\u00e9e \u00e0 Rome par la Conf\u00e9rence \u00e9piscopale italienne <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Personne ne peut savoir exactement ce qui se passera \u00e0 l’avenir, mais il est probable que la pr\u00e9sence de ressortissants du tiers monde sur le vieux continent nous confrontera \u00e0 des d\u00e9fis in\u00e9vitables.<\/p>\n\n\n\n Il faut donc trouver la juste attitude face \u00e0 ce ph\u00e9nom\u00e8ne ; \u00e0 mon avis, il s’agit d’y voir une grande opportunit\u00e9 \u00e9thique et civile. En tant que chr\u00e9tien, je dirais m\u00eame une grande opportunit\u00e9 historique et salvatrice. Donc, comme on l’a dit, une possibilit\u00e9 de saut qualitatif dans la coexistence europ\u00e9enne, un formidable appel \u00e9thique \u00e0 un renouvellement de notre mentalit\u00e9, de notre fa\u00e7on d’\u00eatre ; une invitation \u00e0 inverser le cours de notre d\u00e9cadence dans le consum\u00e9risme et dans la satisfaction facile de ce que nous poss\u00e9dons.<\/p>\n\n\n\n Il y a une alternative, il est vrai, \u00e0 cette attitude. Ce serait de subir le ph\u00e9nom\u00e8ne. Ne pouvant l’arr\u00eater, on le subit, on le limite, on le freine ou, au mieux, on l’ignore. Mais cette alternative n’est pas constructive et ne ferait qu’engendrer ghettos et violences. Nous n’avons donc qu’un seul choix, un choix proph\u00e9tique : prendre cette r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 c\u0153ur, non pas comme un fardeau suppl\u00e9mentaire que nous devons supporter, mais comme un grand appel de la Providence \u00e0 une nouvelle fa\u00e7on de vivre. C’est certainement un stimulant extraordinaire que le myst\u00e8re de l’histoire, guid\u00e9 par Dieu, nous a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 pour les derniers temps du deuxi\u00e8me mill\u00e9naire. Il nous appartient de l’accueillir comme il se doit.<\/p>\n\n\n\n Dans la foi catholique, la \u00ab providence \u00bb est un concept th\u00e9ologique qui renvoie \u00e0 la croyance selon laquelle Dieu gouverne et guide l’univers avec sagesse et amour. En d’autres termes, la providence repr\u00e9sente la croyance que Dieu a un plan divin pour la cr\u00e9ation et qu’il intervient dans l’histoire et dans la vie des gens pour le bien ultime. <\/p>\n\n\n\n Le \u00ab choix proph\u00e9tique \u00bb, dans la perspective catholique, fait r\u00e9f\u00e9rence aux d\u00e9cisions ou aux actions prises par des individus qui sont inspir\u00e9s par un appel ou une vision divine. Dans la tradition biblique, un proph\u00e8te est une personne choisie par Dieu pour recevoir des messages divins et les transmettre \u00e0 la communaut\u00e9. Ces choix proph\u00e9tiques sont consid\u00e9r\u00e9s comme des instruments par lesquels Dieu guide son peuple et r\u00e9v\u00e8le son plan. <\/p>\n\n\n\n Selon l’archev\u00eaque, il s’agit donc d’interpr\u00e9ter le \u00ab signe des temps \u00bb comme une occasion de manifester son adh\u00e9sion \u00e0 l’\u00c9vangile.<\/p>\n\n\n\n Bien entendu \u2014 et c’est aussi la raison pour laquelle cette conf\u00e9rence est c\u00e9l\u00e9br\u00e9e \u2014 une lecture proph\u00e9tique du ph\u00e9nom\u00e8ne dans la perspective d’une future Europe multiethnique ne dispense pas de la t\u00e2che ardue de s’y attaquer avec d\u00e9termination, avec des id\u00e9es claires, avec des mesures pr\u00e9cises.<\/p>\n\n\n\n Il ne suffit pas de lancer une grande id\u00e9e, il faut la traduire en formes concr\u00e8tes d’accueil. La soci\u00e9t\u00e9 civile et la soci\u00e9t\u00e9 politique sont ici interpell\u00e9es, et elles semblent commencer \u2014 Dieu merci \u2014 \u00e0 r\u00e9pondre, alors qu’\u00e0 l’\u00e9poque de mes premi\u00e8res interventions, elles ne ressentaient pas encore l’urgence.<\/p>\n\n\n\n Nous sommes donc tr\u00e8s int\u00e9ress\u00e9s par ce qui se passe ces jours-ci et par ce qui se passera dans les mois \u00e0 venir ; nous suivons avec inqui\u00e9tude la l\u00e9gislation qui vient d’\u00eatre promulgu\u00e9e et les \u00e9tapes difficiles de sa mise en \u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Le d\u00e9cret-loi n\u00b0 416 du 30 d\u00e9cembre 1989 (transform\u00e9 en loi au mois de f\u00e9vrier suivant), dit loi Martelli, du nom du vice-pr\u00e9sident socialiste du Conseil des ministres de la R\u00e9publique italienne, a \u00e9t\u00e9 l’une des premi\u00e8res interventions organiques sur le probl\u00e8me. La loi \u2014 qui a transform\u00e9 le d\u00e9cret-loi n\u00b0 416 du 30 d\u00e9cembre 1989 \u2014 est n\u00e9e de la n\u00e9cessit\u00e9 de se confronter \u00e0 une situation nouvelle, dans une Italie qui \u00e9tait soudainement devenue en quinze ans une terre d’immigration apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 historiquement d\u00e9finie par l’\u00e9migration.<\/p>\n\n\n\n La loi a \u00e9t\u00e9 promulgu\u00e9e dans le but de r\u00e9glementer organiquement l’immigration, de red\u00e9finir le statut de r\u00e9fugi\u00e9, d’introduire la programmation des flux en provenance de l’\u00e9tranger, de pr\u00e9ciser les proc\u00e9dures d’entr\u00e9e et de rejet \u00e0 la fronti\u00e8re et de s\u00e9jour en Italie. Elle contient l’importante abolition de la r\u00e9serve g\u00e9ographique de la Convention de Gen\u00e8ve de 1951, qui limitait le statut de r\u00e9fugi\u00e9 aux seuls Europ\u00e9ens. Elle comprenait 13 dispositions traitant de mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale de la question, abrog\u00e9es par la suite par la loi Turco-Napolitano de 1998, elle-m\u00eame remplac\u00e9e par la loi Bossi-Fini, plus restrictive, adopt\u00e9e en 2002 par deux hommes politiques d’extr\u00eame-droite.<\/p>\n\n\n\n Nous nous sentons proches de toutes les forces de l’ordre et des institutions impliqu\u00e9es dans cet \u00e9norme effort ; en particulier, des employ\u00e9s des bureaux \u00e9trangers de la pr\u00e9fecture de police, sur lesquels p\u00e8se une masse de travail \u00e0 laquelle nous sommes convaincus qu’ils pourront faire face avec patience et efficacit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n En ce qui concerne les communaut\u00e9s chr\u00e9tiennes, certains devoirs fondamentaux sont apparus d\u00e8s le d\u00e9but et deviendront de plus en plus clairs. Tout d’abord, le devoir d’assistance imm\u00e9diate \u00e0 ceux qui sont souvent dans le besoin ; je peux t\u00e9moigner que des efforts sont faits, m\u00eame dans des situations d’urgence et d’effort tr\u00e8s difficiles. Les communaut\u00e9s, les paroisses, les b\u00e9n\u00e9voles, Caritas, les associations, les groupes, font beaucoup.<\/p>\n\n\n\n Je veux mentionner les Libanais accueillis dans les pays limitrophes de la Suisse, la derni\u00e8re urgence de ces derniers jours, qui a d\u00e9clench\u00e9 la g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 des paroisses ; j’en ai visit\u00e9 une r\u00e9cemment, dans la r\u00e9gion de la vall\u00e9e du Ceresio, qui accueille quinze Libanais dans son oratoire. Il n’est pas facile d’organiser un tel accueil du jour au lendemain, avec peu de choses et dans des conditions m\u00e9t\u00e9orologiques d\u00e9favorables.<\/p>\n\n\n\n Au cours du mois de septembre 1989, de nombreux d\u00e9plac\u00e9s de la guerre civile libanaise ont demand\u00e9 l’asile en Suisse, mais ont \u00e9t\u00e9 refoul\u00e9s aux fronti\u00e8res. Ils ont alors trouv\u00e9 refuge dans diverses communaut\u00e9s de la r\u00e9gion lombarde, le long de la fronti\u00e8re entre les deux pays, o\u00f9 ils ont \u00e9tabli diverses formes de r\u00e9sidence temporaire ou permanente. Ce flux migratoire et les dynamiques d’accueil qui en d\u00e9coulent en Lombardie constituent un sujet d’int\u00e9r\u00eat et de complexit\u00e9 consid\u00e9rable pour la communaut\u00e9 de l’archev\u00eaque de Milan.<\/p>\n\n\n\n Mais au-del\u00e0 de la question tr\u00e8s s\u00e9rieuse de l’assistance, il ne faut pas oublier, \u00e0 plus long terme, la question de l’\u00e9ducation, c’est-\u00e0-dire l’ouverture des esprits et des c\u0153urs \u00e0 ceux qui viennent de loin. La demande d’assistance deviendra, avec le temps, moins urgente, tandis que le probl\u00e8me de l’int\u00e9gration des esprits et des c\u0153urs demeurera. Ce deuxi\u00e8me engagement est tr\u00e8s difficile. Il faut une immense patience et un grand amour pour comprendre que ceux qui sont hors de leur patrie ont souvent un comportement impr\u00e9visible, \u00e0 la fois parce qu’on ne les conna\u00eet pas et parce que leur \u00e9motivit\u00e9 peut \u00eatre mise \u00e0 rude \u00e9preuve ; ceux qui sont hors de leur patrie apportent avec eux les d\u00e9fauts propres \u00e0 la cr\u00e9ature humaine, et les saints ne sont pas les seuls \u00e0 \u00e9migrer. D’o\u00f9 la n\u00e9cessit\u00e9 d’un suppl\u00e9ment d’\u00e2me.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est un engagement qui sera long, qui durera vingt ou trente ans, mais qui comporte des \u00e9tapes que nous devons reconna\u00eetre. Parmi celles-ci, il en est une qui devrait commencer d\u00e8s l’\u00e9cole primaire : la connaissance des cultures d’origine. En r\u00e9alit\u00e9, l’histoire que nous \u00e9tudions \u00e0 l’\u00e9cole est tr\u00e8s europ\u00e9enne et ne comprend presque rien sur les autres pays. Or nous avons besoin de conna\u00eetre les traditions ethniques et religieuses des pays du tiers-monde ; sur l\u2019Islam, nous avons des id\u00e9es vagues, des caricatures, alors que le sujet devrait \u00eatre approfondi. En tant qu’\u00e9v\u00eaques europ\u00e9ens, nous d\u00e9veloppons un programme approfondi de connaissance de l’Islam, pr\u00e9par\u00e9 par des experts, \u00e9galement pour les pr\u00eatres, qui doivent \u00eatre les premiers \u00e0 conna\u00eetre plus clairement la multiplicit\u00e9, la richesse, la diversit\u00e9 des traditions religieuses, ethniques, sociales, matrimoniales qui se retrouvent sous le nom g\u00e9n\u00e9rique d’Islam. Tout cela prend du temps et nous ne sommes pas encore pr\u00eats aujourd’hui.<\/p>\n\n\n\n En s\u00e9parant \u00ab assistance \u00bb et \u00ab int\u00e9gration \u00bb, l’archev\u00eaque se projette dans un horizon temporel plus long, d\u00e9passant une vision purement court-termiste de l’immigration ; Martini plaide ici pour l’importance de l’\u00e9cole comme instrument de coexistence et d’int\u00e9gration \u2014 l’objectif ultime, sans toutefois attendre l’assimilation imm\u00e9diate des nouveaux arrivants. En effet, il n’appelle pas les migrants \u00e0 adopter les conventions du pays d’arriv\u00e9e, mais demande avant tout un effort de compr\u00e9hension et d’apprentissage de la part de l’h\u00f4te. <\/p>\n\n\n\n Il est remarquable qu’il insiste sur l’Islam, une religion qu’il faut comprendre et pour laquelle, comme il l’admet lui-m\u00eame, l’\u00c9glise n’est pas encore \u00e9quip\u00e9e. Dans un discours complexe de 1990, Noi e l’Islam<\/em> (L’Islam et nous<\/em>), Martini revient sur le sujet, rejetant \u00e0 la fois \u00ab l’insouciance \u00bb, prodrome de l’intol\u00e9rance, et le \u00ab z\u00e8le mal inform\u00e9 \u00bb de ceux qui mettent toutes les confessions sur un pied d’\u00e9galit\u00e9 en niant leurs sp\u00e9cificit\u00e9s. Entre ces deux ignorances, Martini conseille \u00e0 la communaut\u00e9 chr\u00e9tienne \u00ab la position correcte \u00bb, ou plut\u00f4t \u00ab l’effort s\u00e9rieux de connaissance \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Enfin, il faut des initiatives de plus en plus riches en socialisation. On ne socialise pas tout seul ; tout seul, on cr\u00e9e des ghettos, des groupes ferm\u00e9s, alors qu’il faut plut\u00f4t \u00e9tudier les initiatives qui d\u00e9cloisonnent, qui rassemblent. \u00c0 Milan, nous en avons eu de magnifiques : je me souviens, entre autres, des championnats sportifs entre les diff\u00e9rents groupes ethniques pr\u00e9sents dans notre ville (le Mundialito<\/em>), qui rassemblent des jeunes de toutes origines, cultures et langues.<\/p>\n\n\n\n Ma conclusion serait un pr\u00e9lude au travail que vous ferez ce matin. Qu’attendons-nous des experts, en tant que communaut\u00e9 chr\u00e9tienne ?<\/p>\n\n\n\n Il est urgent de comprendre le changement de la situation juridique de nos jours, suite au r\u00e9cent d\u00e9cret. Nous devrions \u00eatre en mesure d’en saisir la signification et le suivi : quelles seront, le cas \u00e9ch\u00e9ant, les mesures ult\u00e9rieures, comment \u00e9valuer ce fait dans son ensemble, quelles sont les cons\u00e9quences pour l’avenir imm\u00e9diat ?<\/p>\n\n\n\n Incomp\u00e9tent sur le sujet, je pense toutefois, par exemple, que pour certains de ces \u00e9trangers, les besoins les plus imm\u00e9diats (pain et travail) diminueront peut-\u00eatre, mais que d’autres besoins existentiels aujourd’hui r\u00e9prim\u00e9s augmenteront et deviendront plus \u00e9vidents, tels que l’int\u00e9gration culturelle et linguistique, l’int\u00e9gration sociale et civile, la famille et l’affection.<\/p>\n\n\n\n Mais je m’interroge encore : le ph\u00e9nom\u00e8ne de la clandestinit\u00e9 dispara\u00eetra-t-il compl\u00e8tement ? Peut-\u00eatre pas, et c’est pourquoi nous devons comprendre ce que nous devons faire, quelle attitude nous devons adopter en tant que soci\u00e9t\u00e9 civile et en tant que communaut\u00e9 chr\u00e9tienne. L’Italie est une fronti\u00e8re et nous devons \u00eatre r\u00e9alistes en affirmant que nous devrons toujours faire face \u00e0 ces probl\u00e8mes, s’il est vrai qu’il existe toute une masse de personnes, qualifi\u00e9es, capables de travailler, d\u00e9sireuses d’am\u00e9liorer leur condition.<\/p>\n\n\n\n Il est alors \u00e9vident que l’\u00e9migration ne peut \u00eatre la seule solution \u00e0 la pauvret\u00e9 d’un pays, que cette question rel\u00e8ve alors de l’\u00e9conomie internationale ; nous ne pouvons pas penser assurer de mani\u00e8re ad\u00e9quate le d\u00e9veloppement d’un pays en acceptant de larges segments d’\u00e9migration. La communaut\u00e9 internationale est appel\u00e9e \u00e0 veiller \u00e0 ce que personne ne soit contraint d’\u00e9migrer si ce n’est de son plein gr\u00e9, si ce n’est pour des raisons nobles et s\u00e9rieuses, et non par contrainte politique ou \u00e9conomique. Si nous ne nous ouvrons pas \u00e0 cette immensit\u00e9 d’horizons, nous serons toujours occup\u00e9s \u00e0 courir apr\u00e8s des solutions sectorielles.<\/p>\n\n\n\n Nous demandons aux experts de nous apprendre \u00e0 lire et \u00e0 traiter le ph\u00e9nom\u00e8ne plus large de l’int\u00e9gration raciale en Europe. Quelles sont les conditions minimales d’int\u00e9gration qui doivent \u00eatre exig\u00e9es ou encourag\u00e9es chez ceux qui sont accept\u00e9s ? M\u00eame ceux qui sont accept\u00e9s doivent faire un voyage, parce que l\u2019int\u00e9gration ne va pas de soi, il y a certaines fermetures int\u00e9rieures, culturelles ou sociales ou traditionnelles, qui ne cadrent pas bien avec cette vision du citoyen et de la libert\u00e9 de la personne qui est la base commune de la coexistence en Europe. Tant qu’il n’y a pas beaucoup de monde, on n’y pense pas, mais lorsque le nombre augmente, les diff\u00e9rentes mani\u00e8res d’\u00eatre se confrontent et peuvent s’opposer fortement.<\/p>\n\n\n\n Nous devons donc \u00e9tablir les conditions minimales d’int\u00e9gration et les moyens de la garantir par un travail \u00e9ducatif aupr\u00e8s de tous ceux qui viennent en grand nombre pour faire partie de notre famille et de notre maison commune. Nous devons \u00e9tablir les r\u00e8gles minimales de la maison que chacun doit respecter en en faisant partie. Sinon, nous n’aurons pas de maison, mais le chaos. Il s’agit \u00e9galement d’un travail d’\u00e9l\u00e9vation morale et civile. La question est difficile, mais il serait injuste et malhonn\u00eate de ne pas l’examiner.<\/p>\n\n\n\n Le probl\u00e8me remonte \u00e0 sa racine fondamentale, pour moi qui parle en tant que repr\u00e9sentant d’une communaut\u00e9 chr\u00e9tienne. Comment promouvoir dans nos communaut\u00e9s une v\u00e9ritable culture de l’accueil, qui sache affronter courageusement, jour apr\u00e8s jour, ce coude \u00e0 coude qui peut cr\u00e9er soit l’exasp\u00e9ration et la distance, soit l’appel \u00e0 une conversion plus profonde, \u00e0 un vrai voisinage, \u00e0 une vraie solidarit\u00e9 ?<\/p>\n\n\n\n Telle est la grande opportunit\u00e9 historique et salvatrice qui s’offre \u00e0 nous. Et je vous remercie de tout c\u0153ur, vous qui nous aidez \u00e0 ne pas la manquer, \u00e0 ne pas laisser passer en vain cette heure de l’histoire, \u00e0 ne pas \u00eatre une fois de plus inconscients et paresseux face \u00e0 une sollicitation semblable \u00e0 celle de l’homme bless\u00e9 sur la route (Luc 10, 30-37), \u00e0 laquelle tout le monde n’a pas r\u00e9pondu.<\/p>\n\n\n\n Il nous appartient de nous rapprocher vraiment les uns des autres, plus encore en cette circonstance.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Carlo Maria Martini (1927-2012), j\u00e9suite italien, th\u00e9ologien \u00e9rudit, cardinal et archev\u00eaque de Milan est parmi les principaux inspirateurs de la doctrine d\u00e9fendue par le pape Fran\u00e7ois \u00e0 Marseille : \u00ab L’immigration est une opportunit\u00e9 historique pour l’avenir de l’Europe… un grand appel de la Providence pour un nouveau mode de vie \u00bb. Nous traduisons pour la premi\u00e8re fois en fran\u00e7ais cette vision catholique qui s’oppose radicalement \u00e0 la vision d\u2019Orban d’une \u00ab Europe blanche et chr\u00e9tienne \u00bb.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":199610,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-speeches.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[2157],"tags":[],"geo":[543],"class_list":["post-199609","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-religion","staff-gilles-gressani","geo-mediterranee"],"acf":[],"yoast_head":"\nUn choix d’intelligence proph\u00e9tique<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Les devoirs des communaut\u00e9s chr\u00e9tiennes<\/strong> <\/strong><\/strong> <\/strong><\/strong><\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Conclusion<\/strong> <\/strong><\/strong> <\/strong><\/strong><\/strong><\/h2>\n\n\n\n