{"id":197093,"date":"2023-09-06T11:30:00","date_gmt":"2023-09-06T09:30:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=197093"},"modified":"2023-09-06T17:44:06","modified_gmt":"2023-09-06T15:44:06","slug":"niger-le-temps-long-dun-putsch-une-conversation-avec-salim-mokaddem-conseiller-du-president-bazoum","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/09\/06\/niger-le-temps-long-dun-putsch-une-conversation-avec-salim-mokaddem-conseiller-du-president-bazoum\/","title":{"rendered":"Niger : le temps long d’un putsch, une conversation avec Salim Mokaddem, conseiller du pr\u00e9sident Bazoum"},"content":{"rendered":"\n
Dans la lign\u00e9e de la m\u00e9thode de l\u2019\u00c9cole des Annales, je voudrais commencer par prendre en compte le contexte et la situation objective avant d’aller directement dans la lecture imm\u00e9diate, et donc n\u00e9cessairement tronqu\u00e9e, des \u00e9v\u00e9nements particuliers qui se sont pass\u00e9s au Niger le 26 juillet 2023. Car lorsqu\u2019on raconte un fait, l\u2019on se place d\u2019embl\u00e9e dans une narration, une fiction, une repr\u00e9sentation, qui peut donner une interpr\u00e9tation partielle, partiale, incompl\u00e8te, ou pire produire un effet de sens qui occulte la v\u00e9rit\u00e9 du fait. Pour \u00e9viter ce biais cognitif, il faut corr\u00e9ler les faits \u00e0 d’autres grands \u00e9v\u00e9nements, \u00e0 une autre chronologie, \u00e0 une autre territorialit\u00e9 s\u00e9mantique que celle d\u2019un narratif isol\u00e9, pour pouvoir comprendre ce qu’est le Niger, ce qu’il \u00e9tait devenu, avant le putsch du 26 juillet 2023, et saisir la logique de l\u2019\u00e9v\u00e9nement pour le qualifier ensuite dans ce moment de son histoire. Dans un second temps seulement, nous pourrons alors nous interroger sur son devenir et son avenir.<\/p>\n\n\n\n
Le Niger est un pays de plus de 25 millions d’habitants, qui s\u2019\u00e9tend sur 1 300 000 kilom\u00e8tres carr\u00e9s. C’est un pays enclav\u00e9, semi-d\u00e9sertique avec une bande fertile mais extr\u00eamement fragile du fait du r\u00e9chauffement climatique et du stress hydrique le long de la fronti\u00e8re du Nig\u00e9ria. Le taux de f\u00e9condit\u00e9 est de sept enfants par femme, ce qui nous donne une croissance d\u00e9mographique d\u2019environ 3,5 % par an. 50 % de la population a moins de quinze ans et le PIB par habitant est d’environ deux dollars. Si 80 % de la population est rurale, il y a des densit\u00e9s urbaines tr\u00e8s fortes, notamment \u00e0 Niamey, Zinder, Agadez, Konni, Doutchi, mais aussi \u00e0 Agui\u00e9, Tanout, Maradi, Myrriah, Matam\u00e9, et dans les toutes les autres capitales r\u00e9gionales\u2026 Le Niger est bord\u00e9 par le Tchad, la Centrafrique, le Nigeria, la zone des trois fronti\u00e8res, le B\u00e9nin, le Burkina Faso, le Mali et l’Alg\u00e9rie avec laquelle le Niger partage plus de 1000 kilom\u00e8tres de fronti\u00e8res. D\u2019o\u00f9 le r\u00f4le important qu\u2019elle joue dans les n\u00e9gociations actuelles, les exemples libyens et syriens \u00e9tant tout \u00e0 fait \u00e9difiants pour la politique alg\u00e9rienne, outre la question \u00e9pineuse de l\u2019immigration subsaharienne. Le Niger fait partie d’une aire \u00e9conomique ayant une unit\u00e9 \u00e9conomique et mon\u00e9taire (UEMOA), et de la Communaut\u00e9 \u00e9conomique des \u00c9tats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui joue un r\u00f4le important notamment dans les actuelles sanctions \u00e9conomiques, techniques, financi\u00e8res et peut-\u00eatre militaires, \u00e0 l\u2019encontre de la junte nig\u00e9rienne. La CEDEAO vient d\u2019ailleurs d\u2019exclure le Niger de son board.<\/p>\n\n\n\n
Un \u00e9l\u00e9ment essentiel passe souvent sous les radars : le taux d’analphab\u00e9tisme consid\u00e9rable au Niger. C\u2019est une donn\u00e9e tr\u00e8s importante pour comprendre la mani\u00e8re dont les populations re\u00e7oivent les \u00e9v\u00e9nements. Je ne parle jamais d\u2019\u00ab \u00e9lite \u00bb politique parce que c’est un terme dangereux, ambigu, polys\u00e9mique, mais, disons que les personnes alphab\u00e9tis\u00e9es et dipl\u00f4m\u00e9es \u2014 \u00e0 l\u2019\u00e9poque coloniale, on les indexait comme \u00e9tant \u00ab \u00e9volu\u00e9es \u00bb, ce qui en dit long sur l\u2019ethnocentrisme occidental \u2014 vivent des relations n\u00e9potistes avec, sociologiquement, les populations des r\u00e9gions dont elles sont issues \u2014 qu’on a coutume d’appeler \u00ab ethnies \u00bb. Le terme d\u2019ethnie, qui est maladroit, vient de l’anthropologie des ann\u00e9es 1950, de L\u00e9vy-Bruhl, reprise par les disciples de Mauss et Durkheim, et il est historiquement marqu\u00e9 du sceau d’une science coloniale, d\u2019une \u00ab biblioth\u00e8que coloniale \u00bb, comme disent certains quand ils veulent faire savant, qui avait tendance \u00e0 d\u00e9couper les populations selon des naturalit\u00e9s ou des essences qui seraient celles du Peuhl, de l\u2019Haoussa, du Songha\u00ef, du Kanouri, etc. Or au Niger, il n’y a jamais vraiment eu de conflits ethniques \u2014 confondus avec les conflits de fonctions surd\u00e9termin\u00e9s par des cultures identitaires \u2014 du fait des particularit\u00e9s des mariages crois\u00e9s et des cousinages \u00e0 plaisanterie dont je vous \u00e9pargne ici les logiques de composition extr\u00eamement complexes. Les cousinages \u00e0 plaisanterie permettent de convertir des conflits guerriers en moqueries plus ou moins sardoniques qui subliment les pol\u00e9miques et les rapports de force entre chefferies, villages, familles, etc.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Je serai tr\u00e8s nominaliste : le putsch au Niger n\u2019est pas un coup d\u2019\u00c9tat. <\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les conflits ethniques, quand ils sont l\u00e0, masquent souvent d\u2019autres causes moins \u00ab essentialistes \u00bb. Il y a en effet des conflits territoriaux entre nomades et agriculteurs, concernant la r\u00e9partition de l’eau, la r\u00e9partition des p\u00e2turages, des chemins de passages, mais tout aussi bien du budget de l’\u00c9tat, de la distribution des biens, comme l’installation territoriale des infrastructures, la construction des routes ou d\u2019\u00e9coles, les communaut\u00e9s administratives locales\u2026 La question de la distribution des biens publics dans la R\u00e9publique nig\u00e9rienne \u00e9tait souvent \u00e0 l’origine des r\u00e9bellions des irr\u00e9dentismes Touaregs dans les ann\u00e9es 1990. Car les populations nomades, pastorales, vivent souvent en zone d\u00e9sertique, zone complexe, surd\u00e9termin\u00e9e par l\u2019Organisation commune des r\u00e9gions sahariennes (OCRS), mise en place par de Gaulle au sortir de la deuxi\u00e8me Guerre mondiale, et structur\u00e9e encore actuellement par des codes juridiques, des codes territoriaux de d\u00e9placement des populations et des cheptels qui suivent, selon les moussons, selon la saison des pluies, les p\u00e2turages. Aussi, les nomades, n\u00e9cessairement, avaient-ils des accords traditionnels avec les \u00e9leveurs s\u00e9dentaires puisque les p\u00e2turages leurs donnaient de ce fait des engrais naturels. Mais de plus en plus, les cultures irrigu\u00e9es, les plantations, l\u2019emportent sur les passages des nomades et de leurs troupeaux camelins, bovins, ovins, caprins.<\/p>\n\n\n\n De ce point de vue, \u00e9conomique, social et culturel, au sens fort du terme, il y a donc des facteurs de peuplement historique, des facteurs g\u00e9ographiques et des facteurs politiques \u00e0 prendre en compte de fa\u00e7on tr\u00e8s d\u00e9taill\u00e9e si l\u2019on veut comprendre les r\u00e9alit\u00e9s de la vie concr\u00e8te, quotidienne, des populations sah\u00e9liennes. Celles-ci viennent d’une certaine mani\u00e8re exprimer tous ceux-l\u00e0 d’une fa\u00e7on ou d’une autre, plus ou moins coh\u00e9rente, plus ou moins conflictuelle : des d\u00e9terminations rationnelles qui expliquent les conflits entre nomades et agriculteurs, entre les membres organiques de la soci\u00e9t\u00e9 civile. <\/p>\n\n\n\n Je serai ici tr\u00e8s nominaliste : le putsch au Niger n\u2019est pas un coup d\u2019\u00c9tat. <\/p>\n\n\n\n Il n\u2019y a aucun programme politique, aucune id\u00e9ologie r\u00e9clam\u00e9e, pas de d\u00e9finition constitutionnelle revendiqu\u00e9e, aucune revendication politique sur les terres, la sant\u00e9, la production, l\u2019\u00e9ducation, la s\u00e9curit\u00e9, l\u2019urbanisme, etc. Pour l\u2019instant, \u00e0 l\u2019heure o\u00f9 nous parlons, il n\u2019y a qu\u2019un Pr\u00e9sident s\u00e9questr\u00e9, avec sa famille, par sa Garde pr\u00e9sidentielle, cens\u00e9e le prot\u00e9ger de toute agression. La situation est celle-ci : nous sommes dans une suspension de constitutionnalit\u00e9, dans un emp\u00eachement de la continuit\u00e9 r\u00e9publicaine, du fait d\u2019une prise de pouvoir par les forces de d\u00e9fense et de s\u00e9curit\u00e9 mobilis\u00e9es par la Garde pr\u00e9sidentielle. Aussi sommes-nous dans l’anomie. C\u2019est d\u2019ailleurs ce que disent les chancelleries d\u2019un commun accord, m\u00eame si elles n\u2019ont pas les m\u00eames politiques de r\u00e9solution de la situation.<\/p>\n\n\n\n [Abonnez-vous pour lire nos br\u00e8ves et vous tenir inform\u00e9s, en temps r\u00e9el, par des nouvelles analyses, cartes et graphiques in\u00e9dits chaque jour<\/a>.<\/em>]<\/strong><\/p>\n\n\n\n Au Niger, il y a eu cinq coups d’\u00c9tat auparavant dans un environnement o\u00f9 la Guin\u00e9e-Bissau, le Burkina-Faso et le Mali ont aussi produit des coups d’\u00c9tat \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition en 2020, 2021 et 2022<\/a>. <\/p>\n\n\n\n Mais il ne faudrait pas ici tomber dans le pi\u00e8ge de la facilit\u00e9 des mots. Chaque r\u00e9alit\u00e9 \u2014 la r\u00e9alit\u00e9 malienne, la r\u00e9alit\u00e9 burkinab\u00e9e \u2014 est diff\u00e9rente. C\u2019est pour cette raison qu\u2019il est tr\u00e8s difficile de suivre l’\u00e9v\u00e9nement et de vouloir en donner tout de suite toute la v\u00e9rit\u00e9. Cela nous pose au fond la question de savoir si l\u2019on peut avoir un regard m\u00e9talinguistique ou \u00e9pist\u00e9mique sur l\u2019\u00e9v\u00e9nement qu\u2019on regarde et si l\u2019on peut parler en pr\u00e9tendant se placer \u00e0 hauteur de la fameuse neutralit\u00e9 axiologique du sociologue Max Weber.<\/p>\n\n\n\n Ce pr\u00e9ambule pos\u00e9, il faut tout de m\u00eame dire une chose : cet \u00e9v\u00e9nement est anticonstitutionnel et il participe d\u2019une prise de pouvoir anti-d\u00e9mocratique. Il s\u2019agit \u00e0 l\u2019origine d\u2019une contestation de d\u00e9part en retraite d\u2019un g\u00e9n\u00e9ral, et du contr\u00f4le des fonds demand\u00e9s par le G\u00e9n\u00e9ral Tiani qui semblaient d\u00e9mesur\u00e9s et infond\u00e9s aux yeux du Pr\u00e9sident l\u00e9gitime Mohamed Bazoum<\/a>. Les \u00c9tats-Unis n\u2019ont d\u2019ailleurs pas qualifi\u00e9 l\u2019\u00e9v\u00e9nement de \u00ab coup d\u2019\u00c9tat \u00bb au risque de devoir d\u00e9m\u00e9nager leurs bases et de cesser toute coop\u00e9ration avec un pays ainsi qualifi\u00e9 d\u2019anti-d\u00e9mocratique. On voit la sophistique d\u2019une telle d\u00e9marche.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Car il y a d\u2019abord une s\u00e9questration par la Garde Pr\u00e9sidentielle, toujours en cours, d\u2019un Pr\u00e9sident, de son \u00e9pouse, de leur fils \u2014 Pr\u00e9sident l\u00e9gitime car d\u00e9mocratiquement \u00e9lu \u2014 pour des requ\u00eates concernant des raisons professionnelles. L\u2019int\u00e9grit\u00e9 physique du Pr\u00e9sident est menac\u00e9e du fait de demandes statutaires non satisfaites, entre autres ; une bronca corporatiste s\u2019est transform\u00e9e en prise de pouvoir par une junte.<\/p>\n\n\n\n L\u2019int\u00e9grit\u00e9 physique du Pr\u00e9sident est menac\u00e9e du fait de demandes statutaires non satisfaites, entre autres ; une bronca corporatiste s\u2019est transform\u00e9e en prise de pouvoir par une junte.<\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il y a ensuite une s\u00e9rie d\u2019\u00e9l\u00e9ments troublants dans la suite des n\u00e9gociations pour la lib\u00e9ration de l\u2019otage et du retour \u00e0 l\u2019ordre constitutionnel : la non r\u00e9ception de la sous-secr\u00e9taire d’\u00c9tat am\u00e9ricaine, la non r\u00e9ception de la d\u00e9l\u00e9gation de la CEDEAO et de son Pr\u00e9sident, le report de l’ultimatum lanc\u00e9 par celle-ci\u2026 On a l’impression que personne ne veut nommer, que personne ne veut qualifier ce qui est en train de se passer \u2014 soit par crainte, soit par prudence, soit par ignorance ou soit aussi parce qu\u2019il y a un risque de contamination m\u00e9diatique ou d\u2019affolement des r\u00e9seaux sociaux. Cet \u00e9v\u00e9nement pourrait en effet \u00eatre ali\u00e9n\u00e9 ou repris par des tiers dans d’autres discours. Il existe un risque qu\u2019il \u00e9chappe aux producteurs m\u00eames de l’action et \u00e0 ceux qui subissent cette action. Il y a une suspension du temps politique ; d\u2019o\u00f9 l\u2019acc\u00e9l\u00e9ration de la mise en place de fa\u00e7on formelle d\u2019un Gouvernement provisoire, avec un Premier ministre, Lamine Zeine, zind\u00e9rois venu du Tchad par un avion priv\u00e9, non officiel, affr\u00e9t\u00e9 par l\u2019actuel Pr\u00e9sident du Tchad\u2026<\/p>\n\n\n\n \u00c0 la nouvelle r\u00e9alit\u00e9 qu\u2019institue cet \u00e9v\u00e9nement dans le paysage nig\u00e9rien et sah\u00e9lien : le risque de confiscation ontologique de la r\u00e9alit\u00e9 politique par la forme technologique que leur donnent les m\u00e9dias du fait qu\u2019ils ont aujourd’hui, dans leur mani\u00e8re de pr\u00e9senter la facticit\u00e9 politique, une herm\u00e9neutique convenue de ce qui s\u2019est pass\u00e9 et de ce qui se passe. Car les faits sont t\u00eatus : on ne peut pas transformer la force en droit si on ne fabrique pas un mythe de l\u00e9gitimation de la violence originaire. Les militaires ont fait un coup d\u2019\u00c9tat contre un Pr\u00e9sident d\u00e9mocratiquement \u00e9lu : la politique s\u00e9curitaire dont ils avaient la charge est de leur fait, et l\u2019\u00e9tat des finances du Niger vient aussi des budgets faramineux et des scandales d\u2019\u00c9tat au sein du minist\u00e8re de la D\u00e9fense. <\/p>\n\n\n\n C’est tout \u00e0 fait cela. Il faut avoir un nominalisme de principe si on veut avoir un r\u00e9alisme de compr\u00e9hension. Et ce nominalisme de principe consiste \u00e0 essayer de d\u00e9m\u00ealer des fils entrelac\u00e9s de fa\u00e7on tr\u00e8s complexe pour les raisons que j\u2019ai \u00e9voqu\u00e9es. Mais il y a par ailleurs d\u2019autres param\u00e8tres que je n\u2019ai pas mentionn\u00e9s : les param\u00e8tres religieux, terroristes, sociologiques, \u00e9conomiques, socio-historiques, politiques, et ceux li\u00e9s \u00e0 la richesse et \u00e0 la pauvret\u00e9 des Nations…<\/p>\n\n\n\n Nous vivons une situation absolument in\u00e9dite. Cela semble difficile \u00e0 croire puisque des coups d’\u00c9tats se sont aussi produits au Burkina, au Mali, et ce 30 ao\u00fbt au Gabon \u2014 pour des raisons constitutionnelles li\u00e9es au troisi\u00e8me mandat voulu par le fils d\u2019Omar Bongo, Ali \u2014 ; mais, au Niger, l’intrication des acteurs et les d\u00e9cisions s’internationalisent tr\u00e8s rapidement et on voit le risque de collapse juridico-institutionnel persister si la situation ne se normalise pas rapidement. Le temps de crise permet de lire l\u2019\u00e9v\u00e9nement en fonction des requ\u00eates et des int\u00e9r\u00eats des acteurs locaux et supranationaux (CEDEAO, UA, UE, USA, Alg\u00e9rie, France). Comment rendre licite, l\u00e9gal, l\u00e9gitime, une prise de pouvoir illicite par s\u00e9questration et qui demeure, malgr\u00e9 toutes les circonlocutions verbales, bas\u00e9e sur la n\u00e9gation de la Constitution\u00a0en vigueur ?<\/p>\n\n\n\n Au Niger, l’intrication des acteurs et les d\u00e9cisions s’internationalisent tr\u00e8s rapidement et on voit le risque de collapse juridico-institutionnel persister si la situation ne se normalise pas rapidement.<\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Une Troisi\u00e8me Guerre mondiale \u2014 informationnelle, esth\u00e9tique, sonore et iconique \u2014 est en train de s’inscrire sur le territoire africain, dont l\u2019affolement g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 se manifestant dans les impuissances officielles est un sympt\u00f4me. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit, presqu\u2019un mois et demi avant le coup d\u2019\u00c9tat, sur cette troisi\u00e8me guerre mondiale et la guerre informationnelle qu\u2019elle induit en s\u2019appuyant sur la communication et la formation de la doxa par des faits de propagande nouveaux \u2014 fermes \u00e0 trolls au Mali, fabrication de fake news. Ce qui aurait \u00e9t\u00e9 caract\u00e9ris\u00e9 auparavant comme une op\u00e9ration de s\u00e9questration effectu\u00e9e par les responsables de la Garde Pr\u00e9sidentielle se retournant contre la personne qu’elle est cens\u00e9e prot\u00e9ger, est aujourd\u2019hui pris tr\u00e8s au s\u00e9rieux : la rapide internationalisation du conflit en conflit r\u00e9gional, voir international, et l\u2019immixtion de la guerre OTAN-Russie en Afrique. Le Pr\u00e9sident Bazoum est brave et courageux. Il ne peut pas signer une lettre de d\u00e9mission parce qu\u2019il s\u2019est engag\u00e9 devant un peuple souverain, et devant Dieu, \u00e0 faire respecter la volont\u00e9 du peuple, la Constitution, l\u2019\u00c9tat de droit et les souverainet\u00e9s l\u00e9gitimes d\u00e9sign\u00e9es par le vote et l\u2019installation des grands corps de l\u2019\u00c9tat. Je peux vous assurer qu\u2019il ne signera pas sa d\u00e9mission car il a le sens historique de ses responsabilit\u00e9s et, patriote convaincu, il veut l\u2019essor du Niger et non pas la r\u00e9gression \u00e9conomique et politique qu\u2019occasionne cette s\u00e9questration. Son parcours est condens\u00e9 dans ce refus qui cristallise un parcours et un style \u00e9thique de vie politique.\u00a0<\/p>\n\n\n\n \u00c0 partir du cas du Niger, on ne peut plus parler, par exemple, de Soft Power<\/em> et de Hard Power <\/em>au sens classique des expressions politistes <\/em>parce que le Soft Power<\/em> n’est d\u00e9sormais plus un Soft Power<\/em> qui vise \u00e0 appuyer ou \u00e0 affaiblir des positions de confrontations strat\u00e9giques. La guerre informationnelle n\u2019est pas celle d\u2019une propagande, d\u2019une campagne id\u00e9ologique, ou d\u2019une fabrication de l\u2019opinion publique. Nous sommes loin de la th\u00e9orie classique, cristallis\u00e9e par exemple dans le livre de Bernays, Propaganda<\/em>, paru en 1939, ou bien expos\u00e9e dans la th\u00e9orie de l’h\u00e9g\u00e9monie de Gramsci. Selon cette formule, par les id\u00e9es, les langages, les mots et les images choisies, on agit sur la psych\u00e8<\/em> des masses en transformant la conscience individuelle ; on croit ainsi pouvoir transformer la praxis<\/em>, les actes des individus dans le champ social, en modifiant la fa\u00e7on dont ils interpr\u00e8tent leur \u00eatre-au-monde. Dans les th\u00e9ories du Soft Power<\/em>, de mani\u00e8re id\u00e9aliste, on pense ainsi que c’est la conscience qui va d\u00e9terminer et transformer l’action des sujets, des classes sociales, des acteurs socio-professionnels, alors que dans les th\u00e9ories oppos\u00e9es \u2014 qui d\u00e9coulent du Hard Power <\/em>\u2014, on penserait plut\u00f4t que c’est la praxis<\/em> qui produit la forme et la logique de la conscience de leur action. Ce probl\u00e8me philosophique et militaire tr\u00e8s important, irr\u00e9solu, est aujourd\u2019hui au c\u0153ur de la question philosophique de la guerre informationnelle. Les fermes \u00e0 trolls sont aussi dangereuses que les drones arm\u00e9s du fait qu\u2019elles mobilisent tout de suite, au Niger, et ailleurs, des actions populistes, des mouvements de masses mis en branle dans l’animation d\u2019un nationalisme douteux, presque fasciste, cachant mal l\u2019instrumentalisation de la mis\u00e8re et la cr\u00e9ation d\u2019un bouc-\u00e9missaire de circonstance, en l\u2019occurrence le Pr\u00e9sident Bazoum, puis, le Parti auquel il appartient, enfin la France, afin de justifier la demande exorbitante de ran\u00e7on des militaires : trois ans de gouvernance du Niger sans mandat \u00e9lectif et sans l\u00e9gitimit\u00e9 autre que l\u2019auto proclamation de soi par soi.<\/p>\n\n\n\n Une Troisi\u00e8me Guerre mondiale \u2014 informationnelle, esth\u00e9tique, sonore et iconique \u2014 est en train de s’inscrire sur le territoire africain, dont l\u2019affolement g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 se manifestant dans les impuissances officielles est un sympt\u00f4me.<\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La population du Niger est aux trois quarts constitu\u00e9e de personnes analphab\u00e8tes et illettr\u00e9es mais elle a un acc\u00e8s continu et quotidien aux r\u00e9seaux sociaux, \u00e0 Internet, \u00e0 des sources sonores et iconiques num\u00e9ris\u00e9es construites sur le mode du storytelling<\/em>. Il y a une narrativit\u00e9 esth\u00e9tique qui travestit les faits du Monde pour des populations dont le seul acc\u00e8s cognitif est oral. Au Niger, comme dans toute la r\u00e9gion sah\u00e9lienne, ceux qui lisent, qui font du croisement critique d’informations ou qui parlent plusieurs langues (non vernaculaires), sont tr\u00e8s rares. Pour la majorit\u00e9 de la population, la parole, seule, compte vraiment. Ainsi que l\u2019origine du locuteur, sa fonction sociale, son \u00e2ge, son sexe, sa respectabilit\u00e9, et le lieu de la production des discours qualifie la v\u00e9racit\u00e9 du propos. Il y a une doxa savante qui fait l\u2019opinion publique, au m\u00eame titre qu\u2019en Europe, mais dans les formes sp\u00e9cifiques de la r\u00e9ception des images et du son propres aux soci\u00e9t\u00e9s saharo-sah\u00e9liennes.<\/p>\n\n\n\n Il existe par exemple au Niger une tradition tr\u00e8s importante qu’on appelle fada<\/em> <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La fada, c\u2019est une r\u00e9union de jeunes qui discutent sur des th\u00e8mes choisis ; les fadas sont des groupes de jeunes, entre quinze, dix-huit, trente ans et plus, qui discutent r\u00e9guli\u00e8rement autour de th\u00e8mes vari\u00e9s en buvant du th\u00e9, de fa\u00e7on plus ou moins formelle, dans un lieu ritualis\u00e9 qui devient une sorte de club ferm\u00e9 ou non o\u00f9 se produisent des \u00e9changes discursifs selon des th\u00e9matiques et des modalit\u00e9s d\u00e9termin\u00e9es par la logique de composition et la qualit\u00e9 des membres de la fada<\/em>. Chaque fada<\/em> porte un nom diff\u00e9rent, associ\u00e9 au sujet de conversation dominant. On a pu caricaturer p\u00e9jorativement cette tradition purement africaine en la qualifiant rapidement, de fa\u00e7on \u00ab ethnologique \u00bb et p\u00e9jorative de \u00ab palabre \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire en induisant, pour mieux la disqualifier, l\u2019id\u00e9e que c\u2019est un lieu o\u00f9 on parle pour ne rien dire, o\u00f9 on refait oisivement et vainement le monde, o\u00f9 on discute et o\u00f9 il ne se passe rien. Mais au Niger, la fada ne consiste pas simplement \u00e0 refaire<\/em> le monde. C\u2019est une sorte d\u2019agora d\u00e9mocratique au sein de laquelle la parole est l\u00e9gitim\u00e9e par une certaine forme d’auto-validation. Cette logique productrice de r\u00e9el qu\u2019est la fada est conduite et organis\u00e9e selon un processus de r\u00e9f\u00e9rentialit\u00e9 appuy\u00e9e, subtile, continue. Ainsi, les fadas sont productrices de ce qu’on pourrait appeler une doxa savante orale<\/em>. C’est une chose que nous comprenons difficilement en Occident. La comparaison que je prends souvent est celle du jazz, une musique dont le mode de production et la logique de composition pourraient nous permettre de mieux saisir l\u2019esprit de la fada. Le jazz est en effet une musique populaire savante<\/em>. J\u2019ai \u00e9crit sur cela \u00e0 propos des savoirs populaires non \u00e9crits et savants et de la musique non \u00e9crite pourtant fortement cod\u00e9e comme l\u2019est le Malouf au Maghreb ou le jazz aux \u00c9tats-Unis. En effet, au Niger, les fadas constituent des d\u00e9bats populaires, savants, instruits, dans l\u2019ordre de la parole, mais non index\u00e9s sur l’\u00e9crit comme r\u00e9f\u00e9rence et garant de la v\u00e9rit\u00e9 des propos. C\u2019est m\u00eame l\u2019inverse : l\u2019\u00e9crit n\u2019a de sens que parce que quelqu\u2019un parle, qu\u2019il porte et incarne sa parole, selon son importance, son r\u00f4le social, son statut, sa caste, sa fonction, sa moralit\u00e9, son influence sociale, sa popularit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Au Niger, les fadas constituent des d\u00e9bats populaires, savants, instruits, dans l\u2019ordre de la parole, mais non index\u00e9s sur l’\u00e9crit comme r\u00e9f\u00e9rence et garant de la v\u00e9rit\u00e9 des propos.<\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au fond des villages, quand on re\u00e7oit des images sur Internet, sur Tiktok, sur Instagram, ou sur toute autre application ou r\u00e9seau social disponible, les seuls \u00e9l\u00e9ments de r\u00e9f\u00e9rence sont la vue, le son et l’oral. C’est tr\u00e8s important. On d\u00e9crypte alors tout de fa\u00e7on visuelle, phonique et orale, parce qu’il n’y a pas d’autres modes d’acc\u00e8s au r\u00e9el que l’ic\u00f4ne, le son et le r\u00e9cit mis en forme, souvent dans une petite histoire narrative, une capsule de sons et de sens intriqu\u00e9s dans une courte s\u00e9quence vid\u00e9o.<\/p>\n\n\n\n Il y a \u00e9galement autre chose sur laquelle je dois insister. Lorsque l\u2019on analyse le contenu des vid\u00e9os ou des \u00ab r\u00e9els \u00bb diffus\u00e9s, on remarque que les orateurs r\u00e9p\u00e8tent plusieurs fois les choses, les pond\u00e8rent par le rituel de la scansion \u00e0 la fa\u00e7on d\u2019un mantra ou d\u2019un rituel religieux. La r\u00e9p\u00e9tition vaut valeur de v\u00e9rit\u00e9 parce que plus c’est dit, plus c’est amplifi\u00e9, plus c\u2019est diffus\u00e9, r\u00e9p\u00e9t\u00e9, plus c’est vrai. Au Niger, nous sommes dans une \u00e9pist\u00e9m\u00e8<\/em> o\u00f9 celui qui parle donne la teneur de v\u00e9rit\u00e9 de la chose. Il y a des \u00ab ma\u00eetres de v\u00e9rit\u00e9 \u00bb selon l\u2019expression de Marcel Detienne. Par le v\u00e9hicule de l’ampliation, de la r\u00e9citation pl\u00e9onasm\u00e9e<\/em> et de la r\u00e9p\u00e9tition, l’effet de v\u00e9rit\u00e9 de la parole est renforc\u00e9. La parole r\u00e9p\u00e9t\u00e9e prend force de v\u00e9rit\u00e9 du fait de son ampliation. En outre, dans la fada, l’effet collectif produit un effet de subjectivation du collectif<\/em> : r\u00e9p\u00e9ter la chose, c’est ainsi s’assurer de la v\u00e9rit\u00e9 de la chose, un peu \u00e0 la mani\u00e8re d\u2019un mantra qui aura pour fonction d\u2019agir et de transformer ontologiquement le monde du fait d\u2019une liturgie de la r\u00e9p\u00e9tition garantissant la v\u00e9racit\u00e9 de la chose du fait de cette scansion it\u00e9rative. Vous comprenez alors, in fine<\/em>, que cette institution discursive orale n’est pas simplement rh\u00e9torique mais qu\u2019elle produit de facto<\/em> des effets socio-politiques al\u00e9thurgiques et des performatifs sociaux tr\u00e8s importants dans le quotidien et dans le v\u00e9cu des populations.<\/p>\n\n\n\n La mise en sc\u00e8ne symbolique est tr\u00e8s importante.\u00a0 Au Niger, l’apparition verbale a presque une fonction proph\u00e9tique : celle de faire advenir la r\u00e9alit\u00e9. D’o\u00f9 la mise en sc\u00e8ne de l’adresse \u00e0 la Nation, du communiqu\u00e9 solennis\u00e9, du collectif ritualis\u00e9 et de l\u2019uniforme comme v\u00eatement de l\u2019urgence esth\u00e9tis\u00e9e par l\u2019habit de combat qui induit un effet de s\u00e9rieux et d\u2019anonymat de la personne. Il faudrait aussi analyser les lieux de l\u2019\u00e9nonciation : le stade de football, surtout si c\u2019est le stade embl\u00e9matique et historique de la m\u00e9moire collective, devient la m\u00e9taphore agora\u00efque de la place du village et du rassemblement solennel mythique ou arch\u00e9typique dans le fonds culturel rural et urbain sah\u00e9lien. Il faut substituer \u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 d\u00e9mocratique escamot\u00e9e une autre r\u00e9alit\u00e9 dictatoriale impos\u00e9e de fa\u00e7on ill\u00e9gitime et donc passer d’un r\u00e9gime discursif institutionnel, r\u00e9publicain, fond\u00e9 juridiquement, \u00e0 un autre r\u00e9gime discursif faisant accepter la violence et la force comme manifestation d\u2019une n\u00e9cessit\u00e9 outrepassant le droit formel et le contrat social. Il faut donc modifier et structurer l\u2019espace phonique, iconique, discursif par une mise en sc\u00e8ne des faits de violence qui les fasse appara\u00eetre autres qu\u2019ils ne sont en instituant un autre rapport au logos, une autre narration du monde, une autre mythologie du r\u00e9el, une h\u00e9t\u00e9ro-histoire du politique et de la Nation, une autre \u00e9conomie du sens et des signes. Il y a alors comme une sociurgie<\/em> ou une transformation du sens des choses v\u00e9cues par l\u2019incantation politique martel\u00e9e dans le rituel d\u2019une mise en sc\u00e8ne d\u2019un soutien populaire artificiellement reproduit. Il s\u2019agit de faire accroire \u00e0 un r\u00e9f\u00e9rendum populaire spontan\u00e9 en amassant des jeunes d\u00e9soeuvr\u00e9s dans un stade et de filmer le rassemblement afin de mimer la naissance d\u2019une Nation dans la ferveur et le pl\u00e9biscite produit par le lieu, le nombre, les slogans, la ritualisation du triomphe comme s\u2019il y avait eu une gloire de conqu\u00eate sur un ennemi et un danger qu\u2019on cr\u00e9e pour la circonstance. <\/p>\n\n\n\n Cela, les Occidentaux ne le per\u00e7oivent pas comme tel car ces perceptions sociales et cette ph\u00e9nom\u00e9nologie sociurgique de l\u2019ordinaire par l\u2019extraordinaire de la nouvelle mise en sc\u00e8ne ne rel\u00e8vent pas d\u2019un contrat \u00e9crit ou d\u2019une didactique civique mais d\u2019une culture sp\u00e9cifique de la doxa de la clameur, de l\u2019exhibition publique, de la mise en sc\u00e8ne calqu\u00e9e sur des sc\u00e8nes de possession propre \u00e0 la culture de l\u2019animisme tr\u00e8s forte \u00e0 Niamey. Il y a m\u00eame eu des sacrifices de poules et de coqs dans le stade Seyni Kountch\u00e9 (du nom d\u2019un officier putschiste qui a renvers\u00e9 en 1974 le r\u00e9gime d\u00e9mocratique d\u2019Hamani Diori) afin que les esprits, les Zimas, soient favorables aux militaires. En fait, cette destruction cr\u00e9atrice du droit pour faire valider l\u2019\u00e9v\u00e9nement comme licite, pour parler comme Schumpeter, n\u2019est pas si nouvelle que cela, mais il faut faire comme si il y avait une naissance d\u2019une Nation, d\u2019une histoire, comme si il y avait une coupure du monde en deux : l\u2019avant est impur et le maintenant devient pur et consacr\u00e9, au sens originel du terme, par les parades, les habits militaires, la musique radiodiffus\u00e9e, la solennit\u00e9 des propos et les d\u00e9clamations ritualis\u00e9es dans des s\u00e9ries num\u00e9riques de communiqu\u00e9s en rafale visant \u00e0 faire croire qu\u2019il y a d\u00e9sormais un autre monde, une autre axiomatique, une autre Loi, qui r\u00e9genterait d\u00e9sormais le r\u00e9el. Ce nouveau monde na\u00eetrait de fa\u00e7on magique, imm\u00e9diatement, dans la volont\u00e9 affirm\u00e9e, affich\u00e9e de mani\u00e8re tapageuse, de faire du neuf, de purifier la Cit\u00e9, de refaire une nouvelle histoire du Monde et de changer la face du Monde et de restaurer l\u2019Ordre apr\u00e8s le charivari qui a \u00e9t\u00e9 provoqu\u00e9 par ceux-l\u00e0 m\u00eames qui se pr\u00e9tendent les sauveurs de la Cit\u00e9\u2026<\/p>\n\n\n\n Le stade de football, surtout si c\u2019est le stade embl\u00e9matique et historique de la m\u00e9moire collective, devient la m\u00e9taphore agora\u00efque de la place du village et du rassemblement solennel mythique ou arch\u00e9typique dans le fonds culturel rural et urbain sah\u00e9lien.<\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La censure politique, ici et l\u00e0, aujourd’hui ne consiste plus \u00e0 faire taire les gens mais bien plut\u00f4t \u00e0 occuper le terrain, \u00e0 faire parler des gens qui n’ont souvent rien \u00e0 dire pour faire du bruit, comme on dit commun\u00e9ment \u2014 cr\u00e9er un buzz m\u00e9diatique. L\u2019infob\u00e9sit\u00e9 n’est pas un accroissement ou un cumul, une saturation, d’informations ; c’est du vide occup\u00e9 de fa\u00e7on bavarde par des personnes qui r\u00e9p\u00e8tent les m\u00eames choses ou, mieux, qui n\u2019ont rien \u00e0 dire, mais, du fait du bavardage incessant, occupent le terrain perceptif ou le monde empirique ph\u00e9nom\u00e9nal en captant l\u2019\u00e9nergie cognitive et les codes en usage pour transformer les mots et les choses dans une rh\u00e9torique volontariste du nouveau, en usant d\u2019un lexique sp\u00e9cifique parlant de la morale d\u2019un nouveau monde, d\u2019une Renaissance du politique et d\u2019une refondation de la Cit\u00e9. Et ce vertige d\u2019accaparement de l\u2019attention provoque alors une perte de rep\u00e8res cognitifs, m\u00e9moriels, esth\u00e9tiques et politiques. <\/p>\n\n\n\n Dans la zone sah\u00e9lienne, la communication d’\u00c9tat ou la communication m\u00e9diatique proc\u00e8de comme une excroissance diff\u00e9rentielle des fadas. En r\u00e8gle g\u00e9n\u00e9rale, l’image compte plus que le texte \u2014 mais pas pour les m\u00eames raisons qu’en France. En France, c\u2019est souvent pour des raisons qu\u2019on pourrait dire de facilit\u00e9, ou de didactique simplificatrice. Au Sahel, c’est parce que le mode cognitif d’appr\u00e9hension du monde rel\u00e8ve d\u2019un dispositif de la parole tout \u00e0 fait singulier. Il faut<\/em> parler ; il faut<\/em> voir. L\u2019\u00e9conomie de l\u2019exp\u00e9rience passe par ces d\u00e9fil\u00e9s visuels et auditifs, cette logique de la fada, qui innerve la vie sociale et lui conf\u00e8re de fait une coh\u00e9sion sp\u00e9cifique. <\/p>\n\n\n\n Une anecdote racont\u00e9e par un ethnopsychiatre parisien, ayant v\u00e9cu au B\u00e9nin, permet de bien saisir cela. Un patient malien va voir ce m\u00e9decin. Le m\u00e9decin se pr\u00e9sente : \u00ab Bonjour, je suis docteur en psychopathologie, docteur en psychiatrie. Je suis directeur d’un centre d’\u00e9tudes, j’ai fait ceci, cela je parle telle ou telle langue, etc. \u00bb. Le Malien l\u2019\u00e9coute puis lui dit : \u00ab Monsieur, nous sommes tous des hommes de bonne volont\u00e9 \u00bb. Par-l\u00e0, il veut lui dire, humblement : \u00ab Je suis capable de vous voir tel que vous \u00eates, de vous \u00e9couter ici et maintenant, de dialoguer avec vous, et de me faire mon jugement d\u2019apr\u00e8s cela, donc de savoir qui vous \u00eates exactement, ce que vous valez \u00e9thiquement, humainement. Ne vous justifiez pas par vos dipl\u00f4mes, votre CV, car je ne vous juge pas d\u2019apr\u00e8s vos apparences, mais d\u2019apr\u00e8s la fa\u00e7on avec laquelle vous allez me recevoir, me parler, et, \u00e9ventuellement, me soigner \u00bb. Le rapport \u00e0 l\u2019autre par la parole et la vision est extr\u00eamement important, et il est toujours corr\u00e9l\u00e9 \u00e0 la parole. Le rapport \u00e0 l’herm\u00e9neutique de l’image n’est donc pas le m\u00eame ici et l\u00e0 \u2014 et il est fondamental de le comprendre si l\u2019on veut saisir la sp\u00e9cificit\u00e9 de ce qui se joue tr\u00e8s concr\u00e8tement en ce moment \u00e0 Niamey et au Niger.<\/p>\n\n\n\n Michel Foucault nous a appris qu’en Occident le pouvoir est li\u00e9 au savoir mais que le pouvoir se cache souvent sous le chef de la v\u00e9rit\u00e9, du savoir, des connaissances formalis\u00e9es, pour mieux se faire accepter. En Afrique subsaharienne, le pouvoir, pour exister, doit contin\u00fbment se montrer, s\u2019affirmer, se mettre en sc\u00e8ne, s\u2019objectiver, se ritualiser par la monstration, l\u2019hyst\u00e9risation de son \u00eatre-au-monde. La mise en sc\u00e8ne bruyante, exub\u00e9rante, vaut validation de l\u2019autorit\u00e9 ; la monstration est d\u00e9monstration. Les acteurs de ce qui s’est pass\u00e9 le 26 juillet 2023 sont oblig\u00e9s de se montrer et les gens les regardent, les \u00e9coutent quand ils parlent car ils d\u00e9cryptent alors ce qu\u2019ils voient, entendent, et interpr\u00e8tent les dits<\/em> et les vus<\/em> en fonction de cat\u00e9gories tr\u00e8s pr\u00e9cises que je ne peux pas d\u00e9velopper ici pour des raisons de temps. Les pouvoirs ill\u00e9gitimes voulant se faire accepter par les masses ont une obligation de convaincre tout l\u2019espace de la soci\u00e9t\u00e9 par le recours \u00e0 une logique de l’exhibition permanente. Nous avons aussi v\u00e9cu cela, diff\u00e9remment, en Europe, aux \u00e9poques fasciste et nazie ou \u00e0 l\u2019\u00e8re sovi\u00e9tique. Aujourd\u2019hui, de mani\u00e8re prosa\u00efque, cela se v\u00e9rifie dans le fait que les m\u00e9dias dits mainstream<\/em> sont astreints \u00e0 se liqu\u00e9fier en permanence pour \u00eatre pr\u00e9sents partout et tout le temps. Les grands totalitarismes et les logiques de propagande ont ainsi souvent utilis\u00e9 les m\u00e9dias pour affermir leur mainmise holistique et ils ont mis en sc\u00e8ne leur \u00ab v\u00e9rit\u00e9 \u00bb pour en faire une doxa et une doctrine affaiblissant les innovations linguistiques et les processus de modulation sociale n\u00e9cessaire \u00e0 l\u2019usage du jugement critique.<\/p>\n\n\n\n En Afrique subsaharienne, le pouvoir, pour exister, doit contin\u00fbment se montrer, s\u2019affirmer, se mettre en sc\u00e8ne, s\u2019objectiver, se ritualiser par la monstration, l\u2019hyst\u00e9risation de son \u00eatre-au-monde.<\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ce n\u2019est qu\u2019une fois ce contexte pos\u00e9 qu\u2019on peut s\u2019int\u00e9resser au contenu du discours prof\u00e9r\u00e9 et r\u00e9p\u00e9t\u00e9. L\u2019\u00e9conomie du Niger est essentiellement soutenue par la vente de mati\u00e8res premi\u00e8res (uranium, or, p\u00e9trole, charbon, etc.), par des aides budg\u00e9taires de la Banque mondiale, de l’Union europ\u00e9enne, des \u00c9tats Unis, de la France par l’interm\u00e9diaire de l’Agence fran\u00e7aise de d\u00e9veloppement, de bailleurs de fonds publics, priv\u00e9s. Au total, ces aides repr\u00e9sentent 60 % du budget national. <\/p>\n\n\n\n Or l’\u00c9tat est lui-m\u00eame vecteur de productions \u00e9conomiques. Ce n\u2019est pas simplement un \u00c9tat r\u00e9gulateur, c’est un \u00c9tat-providence, au sens fort du terme. En recrutant des fonctionnaires, il alimente une structure \u00e9conomique r\u00e9ticulaire : le syst\u00e8me de la fonction publique est un multiplicateur de richesse pour les populations dans une soci\u00e9t\u00e9 de redistribution oblig\u00e9e. Nous ne sommes pas au Sahel, au Niger, dans des paradigmes de vie sociopolitique gouvern\u00e9e par ce que C. B. Macpherson appelle l’individualisme possessif mais bien plut\u00f4t dans des structures collectives de r\u00e9partition communautaire parce que la structure sociale est conditionn\u00e9e par la structure familiale de production et de consommation. Un fonctionnaire fait vivre sa famille nucl\u00e9aire et la famille de sa famille. <\/p>\n\n\n\n L’\u00c9tat au Niger a \u00e9galement une arm\u00e9e et des forces de s\u00e9curit\u00e9 et de d\u00e9fense<\/a> qui portent avec elles une mission r\u00e9publicaine souveraine : prot\u00e9ger les populations, en maillant le territoire. Si l’\u00c9tat est d\u00e9stabilis\u00e9 \u2014 comme c\u2019est le cas ces jours-ci \u2014 c’est donc toute la soci\u00e9t\u00e9 qui est d\u00e9stabilis\u00e9e, ins\u00e9curis\u00e9e. Vous voyez donc que les effets des transformations des gouvernances impactent alors tr\u00e8s directement la vie des populations.<\/p>\n\n\n\n Si l’\u00c9tat est d\u00e9stabilis\u00e9 \u2014 comme c\u2019est le cas ces jours-ci \u2014 c’est donc toute la soci\u00e9t\u00e9 qui est d\u00e9stabilis\u00e9e, ins\u00e9curis\u00e9e.<\/p>Salim Mokaddem<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La CEDEAO prend ces mesures qui sont contradictoirement impopulaires parce qu’elle sait tr\u00e8s bien que le Niger est sous perfusion : dans un mois ou deux, qui va payer les salaires et les arri\u00e9r\u00e9s des dettes souveraines ? Quel pays sortira du bois pour cela ? Qui va payer les bourses des \u00e9tudiants ? Comment se fera la rentr\u00e9e scolaire ? Le Niger est en proie \u00e0 une inflation sp\u00e9culative des mati\u00e8res premi\u00e8res de base de 30 % (mil, ma\u00efs, riz, sucre, farine, etc.). La sp\u00e9culation va encore s’accro\u00eetre et les difficult\u00e9s socio\u00e9conomiques grandir.\u00a0 Les camions de vivres et de produits frais, entre autres, sont d\u00e9j\u00e0 bloqu\u00e9s aux fronti\u00e8res du B\u00e9nin, notamment, parce que les fronti\u00e8res a\u00e9riennes et terrestres sont ferm\u00e9es. Les produits frais n’arrivent plus. Il va y avoir des disettes. Le cours de la dette va se d\u00e9multiplier. \u00c0 moyen terme, c’est tout le syst\u00e8me \u00e9conomique et social du Niger qui sera impact\u00e9. Tous les corps interm\u00e9diaires, les commer\u00e7ants notamment, seront directement affect\u00e9s par ce blocage des biens et des services. Qui sera tenu responsable de cela ? On voit en quoi la guerre informationnelle joue \u00e0 plein d\u00e9sormais pour donner la s\u00e9mantique du narratif soci\u00e9tal.\u00a0<\/p>\n\n\n\n On note d\u00e9j\u00e0 une mont\u00e9e de la d\u00e9linquance et de la criminalit\u00e9 dans les zones rurales qui ont pourtant besoin d\u2019un renforcement de la pr\u00e9sence s\u00e9curitaire, militaire, polici\u00e8re afin d\u2019\u00eatre inhib\u00e9e. Toutes ces forces-l\u00e0 sont mobilis\u00e9es par la junte et elles ne pourront plus prot\u00e9ger les fronti\u00e8res. Or au Mali, 40 % du territoire est d\u00e9j\u00e0 occup\u00e9 par ce qu’on va appeler des groupes terroristes. Dans ces conditions, comment le Mali pourrait-il prot\u00e9ger le Niger s’il n’est pas capable de prot\u00e9ger ses propres fronti\u00e8res et ses populations ? Comment ces pays, le Burkina Faso, le Mali, vont-ils obtenir les moyens mat\u00e9riels infrastructurels et militaro-pratiques pour d\u00e9fendre leur propre population ? Si les \u00c9tats sont s\u00e9par\u00e9s par des fronti\u00e8res, les groupes djihadistes, eux, ne le sont pas. Ils sont transfrontaliers. Tout retrait des forces militaires provoque m\u00e9caniquement un amoindrissement de l\u2019\u00c9tat. Des attaques se sont produites sur des arm\u00e9es r\u00e9guli\u00e8res depuis l\u2019\u00e9v\u00e9nement du 26 juillet 2023. Acled a renseign\u00e9 le fait que depuis ce coup d\u2019Etat, il y a eu en proportion plus de crimes sur les civils et les militaires que durant la Pr\u00e9sidence en exercice. Un Etat n\u2019est pas une case \u00e0 habiter mais une structure complexe \u00e0 faire vivre et \u00e0 g\u00e9rer de fa\u00e7on technique, savante, complexe. <\/p>\n\n\n\n Tout \u00e0 fait : il y a eu 30 % de plus d’agressions des populations civiles par rapport \u00e0 la situation d\u2019avant putsch. Le Pr\u00e9sident Bazoum \u00e9tait parvenu \u00e0 s\u00e9curiser les fronti\u00e8res. Il a form\u00e9 une arm\u00e9e de 50 000 hommes alors qu’avant ils n’\u00e9taient que 15 000. Les militaires savent bien que Bazoum a beaucoup fait pour revaloriser les statuts des forces de D\u00e9fense et de S\u00e9curit\u00e9, les arm\u00e9es et les logistiques s\u00e9curitaires. D\u2019ailleurs, jusqu\u2019\u00e0 peu, personne ne reprochait rien \u00e0 Bazoum : il a, \u00e0 mi-mandat, un actif qui est constat\u00e9 par les bailleurs de fonds, les populations, et les chancelleries. <\/p>\n\n\n\nSur cette r\u00e9alit\u00e9 plurielle et composite, comment survient l\u2019\u00e9v\u00e9nement du 26 juillet 2023 ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Qu\u2019y a-t-il de fondamentalement nouveau dans cette situation ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\u00c0 quoi pensez-vous pr\u00e9cis\u00e9ment lorsque vous mentionnez ce risque ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Est-ce ainsi que vous comprendriez l\u2019attentisme de certains de vos alli\u00e9s \u2014 comme la diplomatie am\u00e9ricaine \u2014 qui ont surtout mis l\u2019accent sur la demande de lib\u00e9ration du Pr\u00e9sident Bazoum sans parler de coup d\u2019\u00c9tat ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quelle \u00e8re ouvre alors selon vous cet \u00e9v\u00e9nement ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Pourquoi parler de \u00ab Troisi\u00e8me Guerre mondiale \u00bb ? Pouvez-vous revenir sur les attributs que vous lui pr\u00eatez ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Et le cas nig\u00e9rien serait un poste d\u2019observation privil\u00e9gi\u00e9e ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Les r\u00e9seaux sociaux sont aussi un espace de construction de l\u2019opinion : comment cela se mat\u00e9rialise-t-il dans la r\u00e9alit\u00e9 nig\u00e9rienne ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Comment les putschistes utilisent-ils ce contexte de structuration des imaginaires politiques et des pratiques sociales au Niger ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n Concr\u00e8tement, comme cela s\u2019incarne-t-il ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
La question commence d\u2019ailleurs \u00e0 se poser tr\u00e8s urgemment alors que la CEDEAO a pris des sanctions.<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Une donn\u00e9e assez int\u00e9ressante est a \u00e9t\u00e9 mise en avant par l\u2019<\/strong>Armed Conflict Location & Event Data Project<\/em><\/strong> (ACLED) <\/strong>sur le fait que, <\/strong>depuis le putsch au Mali, la junte militaire et le groupe Wagner y ont tu\u00e9 plus de civils que les djihadistes<\/strong><\/a>. On assisterait en quelque sorte \u00e0 un renversement de la violence politique que vous d\u00e9crivez dans cette perspective de l’effondrement de l’\u00c9tat ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n