{"id":194401,"date":"2023-08-15T12:40:56","date_gmt":"2023-08-15T10:40:56","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=194401"},"modified":"2023-08-17T14:35:28","modified_gmt":"2023-08-17T12:35:28","slug":"10-points-sur-la-situation-en-afghanistan-deux-ans-apres-la-prise-du-pouvoir-des-talibans","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/08\/15\/10-points-sur-la-situation-en-afghanistan-deux-ans-apres-la-prise-du-pouvoir-des-talibans\/","title":{"rendered":"10 points sur la situation en Afghanistan, deux ans apr\u00e8s la prise du pouvoir des Talibans"},"content":{"rendered":"\n
\u00ab On ne peut pas penser que les Talibans sont sur une autre plan\u00e8te, ou oublier qu\u2019ils vivent \u00e0 la m\u00eame \u00e9poque que nous. \u00bb (Rada Akbar<\/a>)<\/em><\/p>\n\n\n\n 15 ao\u00fbt 2021. Il y a deux ans, le monde basculait. Depuis, de nouveaux bouleversements ont fait passer au second plan les cons\u00e9quences du retrait am\u00e9ricain d\u2019Afghanistan et de la prise de Kaboul par les Talibans. Dans notre nouvelle s\u00e9rie d\u2019\u00e9t\u00e9<\/a>, nous avons d\u00e9cid\u00e9 de donner \u00e0 la parole \u00e0 des voix afghanes pour nous aider \u00e0 prendre la mesure de ce qui est en train de se jouer l\u00e0-bas, en particulier pour les femmes, oppress\u00e9es par le r\u00e9gime.<\/em><\/p>\n\n\n\n Suivez cette nouvelle s\u00e9rie en vous abonnant \u00e0 la revue<\/em><\/a>.<\/em><\/p>\n\n\n\n La priorit\u00e9 de l\u2019\u00c9mirat islamique d\u2019Afghanistan semble \u00eatre la disparition des femmes de l\u2019espace public et la suppression syst\u00e9matique de leurs droits les plus \u00e9l\u00e9mentaires. Nous retra\u00e7ons ci-dessous les \u00e9tapes de l\u2019oppression qu\u2019elles subissent et qui s\u2019\u00e9tend progressivement \u00e0 toutes les sph\u00e8res de leur existence.<\/p>\n\n\n\n La priorit\u00e9 de l\u2019\u00c9mirat islamique d\u2019Afghanistan semble \u00eatre la disparition des femmes de l\u2019espace public et la suppression syst\u00e9matique de leurs droits les plus \u00e9l\u00e9mentaires.<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Cette situation rappelle le pr\u00e9c\u00e9dent r\u00e9gime des Talibans (1996-2001) et\u00a0 consiste \u00e0 revenir sur tous les acquis de la R\u00e9publique afghane. S\u2019il subsistait pendant la premi\u00e8re ann\u00e9e du r\u00e8gne des Talibans un maigre espoir que la pression internationale et les \u00e9volutions de la soci\u00e9t\u00e9 afghane au cours des deux d\u00e9cennies de R\u00e9publique permettraient aux femmes afghanes de pr\u00e9server quelques \u00eelots de libert\u00e9, il a \u00e9t\u00e9 balay\u00e9 progressivement par un r\u00e9gime enti\u00e8rement d\u00e9di\u00e9 \u00e0 opprimer la moiti\u00e9 de sa population.\u00a0<\/p>\n\n\n\n L\u2019oppression des femmes va de pair avec un durcissement g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 du r\u00e9gime taliban depuis sa prise du pouvoir, ou du moins d\u2019une officialisation de plus en plus assum\u00e9e de sa radicalit\u00e9. <\/p>\n\n\n\n La violence du r\u00e9gime se manifeste d\u2019abord par le nombre d\u2019ex\u00e9cutions extrajudiciaires, au moins 237 selon la Mission d\u2019assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) entre le 15 ao\u00fbt 2021, date de l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir des talibans, et le 15 juin 2022.<\/p>\n\n\n\n La violence du r\u00e9gime se manifeste d\u2019abord par le nombre d\u2019ex\u00e9cutions extrajudiciaires.<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Par ailleurs, le 13 novembre 2022, le chef de l’\u00c9mirat islamique d\u2019Afghanistan, le mollah Akhundzada a fait savoir par l’interm\u00e9diaire du porte-parole du gouvernement, Zabihullah Mujahid, que les juges devaient d\u00e9sormais appliquer de fa\u00e7on stricte la charia<\/em>, ce qui implique notamment des ch\u00e2timents corporels et des ex\u00e9cutions publiques pour un certain nombre de peines. Jusqu\u2019ici, l\u2019application de la charia<\/em> \u00e9tait plut\u00f4t le fait d\u2019initiatives individuelles et locales, mais n\u2019\u00e9tait pas d\u00e9fendue officiellement par le gouvernement pour l\u2019ensemble du territoire et de la population afghane. <\/p>\n\n\n\n Dans la continuit\u00e9 de ces d\u00e9clarations, le 7 d\u00e9cembre 2022 a eu lieu la premi\u00e8re ex\u00e9cution publique d\u2019un homme reconnu coupable de meurtre, dans la province de Farah, devant des centaines de spectateurs. Le m\u00eame mois, le m\u00e9dia Radio Free Europe-Radio Liberty a \u00e9t\u00e9 censur\u00e9 par le gouvernement taliban alors que la radio s’\u00e9tait sp\u00e9cialis\u00e9e dans les programmes \u00e9ducatifs pour les jeunes filles d\u00e9sormais exclues de l\u2019\u00e9ducation secondaire. <\/p>\n\n\n\n Avant l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir des Talibans, le budget de l\u2019\u00c9tat afghan, d\u2019un montant de 9 milliards de dollars, reposait \u00e0 75 % environ sur l\u2019aide internationale, tr\u00e8s majoritairement am\u00e9ricaine. Cette aide repr\u00e9sentait \u00e9galement 40 % du PIB du pays. Sans cette aide, le premier budget de l\u2019\u00c9tat taliban, de janvier 2022 \u00e9tait estim\u00e9 \u00e0 450 millions de dollars, qui provient tr\u00e8s principalement des droits de douane et des taxes qu\u2019ils ont collect\u00e9es depuis leur arriv\u00e9e au pouvoir. <\/p>\n\n\n\n Par ailleurs, le r\u00e9gime fait face \u00e0 une crise de liquidit\u00e9s, li\u00e9e aux sanctions financi\u00e8res am\u00e9ricaines, et notamment au gel d\u2019environ 10 milliards de dollars de la banque centrale afghane. Le gouvernement taliban tente de compenser la disparition de l\u2019aide internationale et l\u2019effet des sanctions en t\u00e2chant d\u2019augmenter les exportations, notamment de charbon, dont l\u2019exportation est pass\u00e9e de 1,2 \u00e0 1,8 milliards entre 2019 et 2022.<\/p>\n\n\n\n Le r\u00e9gime fait face \u00e0 une crise de liquidit\u00e9s, li\u00e9e aux sanctions financi\u00e8res am\u00e9ricaines, et notamment au gel d\u2019environ 10 milliards de dollars de la banque centrale afghane.<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il existe un d\u00e9bat tendu entre ceux qui ne souhaitent pas renforcer le r\u00e9gime des Talibans, et ceux qui appellent \u00e0 apporter de l\u2019aide aux populations malgr\u00e9 le gouvernement taliban. Le 11 f\u00e9vrier 2022 par exemple, les Nations unies avaient annonc\u00e9 qu\u2019elles avaient besoin, dans l\u2019imm\u00e9diat, de 5 milliards de dollars, sans quoi le pays \u00ab n\u2019aurait pas d\u2019avenir \u00bb, mais cet appel n\u2019a \u00e9t\u00e9 que tr\u00e8s difficilement, et partiellement couvert. Plus r\u00e9cemment, Jean-Fran\u00e7ois Riffaud, directeur g\u00e9n\u00e9ral d\u2019Action contre la faim, appelait \u00e0 acheminer l\u2019aide humanitaire en Afghanistan en d\u00e9pit du gouvernement taliban, et \u00e0 distinguer la population qui souffre du r\u00e9gime qui l\u2019opprime. <\/p>\n\n\n\n Le pays est \u00e9galement confront\u00e9 \u00e0 des catastrophes naturelles majeures et r\u00e9guli\u00e8res, dont les cons\u00e9quences sont amplifi\u00e9es par la crise g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e dans laquelle il se trouve. Ainsi, en juin 2022, un s\u00e9isme dans la province de la Paktika, \u00e0 la fronti\u00e8re avec le Pakistan a fait plus de 1000 morts et plus de 1500 bless\u00e9s. Le pays subit \u00e9galement des crues r\u00e9guli\u00e8rement comme celle fin juillet 2023, qui a tu\u00e9 26 personnes et fait dispara\u00eetre une quarantaine d\u2019autres dans le district de Jalrez de la province de Wardak, dans le centre du pays, <\/p>\n\n\n\n Enfin et surtout, la moiti\u00e9 de la population afghane, estim\u00e9e \u00e0 38 millions d\u2019habitants, est confront\u00e9e \u00e0 une ins\u00e9curit\u00e9 alimentaire aigu\u00eb et trois millions d\u2019enfants sont menac\u00e9s de malnutrition. La pauvret\u00e9 g\u00e9n\u00e9rale de la population est \u00e9galement accrue par l\u2019important nombre de d\u00e9plac\u00e9s au sein m\u00eame du pays, environ 3,2 millions de personnes au 31 d\u00e9cembre 2022, d\u2019apr\u00e8s le Haut Commissariat aux R\u00e9fugi\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n La moiti\u00e9 de la population afghane, estim\u00e9e \u00e0 38 millions d\u2019habitants, est confront\u00e9e \u00e0 une ins\u00e9curit\u00e9 alimentaire aigu\u00eb et trois millions d\u2019enfants sont menac\u00e9s de malnutrition.<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Cette fragilit\u00e9 \u00e9conomique et humanitaire du pays s\u2019\u00e9tend \u00e9galement au domaine culturel, puisque l\u2019\u00c9mirat islamique n\u2019est plus capable de prot\u00e9ger son patrimoine apr\u00e8s le d\u00e9part des \u00e9lites afghanes et internationales \u2014 arch\u00e9ologues, architectes et g\u00e9ologues \u2014 notamment sur les sites de Begram, l\u2019Alexandrie du Caucase, au nord-est de Kaboul, de l\u2019ancienne Bactres (Balkh aujourd\u2019hui), d\u2019Herat avec ses vestiges timourides, du minaret de Jam, et de la grande mine de cuivre de Mes Aynak, bord\u00e9e de temples bouddhistes. Outre tous ces sites d\u00e9j\u00e0 connus et aujourd\u2019hui menac\u00e9s, se trouvent aussi tous les autres sites qui n’ont pas encore \u00e9t\u00e9 d\u00e9couverts et qui pourraient \u00eatre irr\u00e9m\u00e9diablement endommag\u00e9s \u00e0 l\u2019occasion de catastrophes naturelles (s\u00e9ismes, inondation), fr\u00e9quentes en Afghanistan, ou de d\u00e9veloppements urbains non contr\u00f4l\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n Le dirigeant de l’\u00c9mirat islamique d\u2019Afghanistan est l\u2019\u00e9mir Habaitullah Akhundzada, qui vit \u00e0 Kandahar. Il ne se montre jamais en public, ne quitte jamais la r\u00e9gion, n\u2019est jamais all\u00e9 \u00e0 Kaboul depuis ao\u00fbt 2021, et \u00e9vite tout contact avec des gouvernements \u00e9trangers ou des organisations internationales. Le mollah Akhunzada, qui \u00e9tait le conseiller du Mollah Omar pour les questions religieuses jusqu\u2019\u00e0 la mort de ce dernier en 2013, a \u00e9t\u00e9 par la suite le n\u00b02 du mollah Akhtar Mansour, avant de prendre la t\u00eate du mouvement des Talibans en mai 2016, \u00e0 la mort du mollah Mansour. <\/p>\n\n\n\n Il semble qu\u2019il y ait un conflit entre le camp d\u2019Haibatullah Akhundzada, auquel appartiennent le chef de la Cour supr\u00eame, Abdelhakim Haqqani, et le premier ministre, le Mohammad Hassan Akhund ; et le camp de Sirajuddin Haqqani, ministre de l\u2019int\u00e9rieur, et du mollah Yaqoub, fils du mollah Omar, et ministre de la d\u00e9fense du gouvernement. Sirajuddin Haqqani est \u00e9galement \u00e0 la t\u00eate du r\u00e9seau Haqqani, cr\u00e9\u00e9 par son p\u00e8re, Djal\u00e2louddine Haqqani, et  consid\u00e9r\u00e9 comme proche des services de renseignement pakistanais. <\/p>\n\n\n\n Sch\u00e9matiquement, le camp du premier serait hostile \u00e0 tout compromis, tandis que le second serait davantage pr\u00eat \u00e0 discuter avec les puissances \u00e9trang\u00e8res pour assurer la stabilit\u00e9 du pays et du r\u00e9gime. Ainsi, Sirajuddin Haqqani, lors d\u2019une c\u00e9r\u00e9monie en f\u00e9vrier 2023 \u00e0 Khost, dans le Sud-Est du pays, disait que l’\u00c9mirat islamique souhaitait \u00ab une interaction sinc\u00e8re avec le monde et construire une voie juste et l\u00e9gitime \u00bb, critiquant ainsi \u00e0 demi-mots la strat\u00e9gie de la coupure radicale avec le monde ext\u00e9rieur.<\/p>\n\n\n\n Plus pr\u00e9cis\u00e9ment, un conflit aurait \u00e9clat\u00e9 autour de la cr\u00e9ation en janvier d\u2019un Conseil national de s\u00e9curit\u00e9 qui pourrait \u00eatre dirig\u00e9 par un fid\u00e8le de l\u2019\u00e9mir, Ibrahim Sadr, ce qui reviendrait \u00e0 \u00f4ter le monopole des questions s\u00e9curitaires aux ministres de l\u2019int\u00e9rieur et de la d\u00e9fense. <\/p>\n\n\n\n N\u00e9anmoins, David Martinon nous rappelait dans un long entretien \u00e0 propos de l\u2019Afghanistan<\/a> qu\u2019il ne faut pas surinterpr\u00e9ter les divergences entre diff\u00e9rents courants politiques au sein des Talibans : \u00ab les Talibans mod\u00e9r\u00e9s n\u2019existent pas \u00bb. De m\u00eame, les recherches d\u2019Adam Baczko conduisent \u00e0 nuancer fortement l\u2019existence de divisions clairement identifiables au sein d\u2019un r\u00e9gime taliban<\/a> dont la coh\u00e9rence id\u00e9ologique repose sur quarante ann\u00e9es de lutte arm\u00e9e et sur une formation commune dans les \u00e9coles religieuses d\u00e9obandies du nord du Pakistan.<\/p>\n\n\n\n Il ne faut pas surinterpr\u00e9ter les divergences entre diff\u00e9rents courants politiques au sein des Talibans<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Par ailleurs, quand bien m\u00eame le r\u00e9gime serait fragilis\u00e9 par la crise dans laquelle se trouve le pays et par des divergences tactiques entre ses principaux cadres, il n\u2019existe aucun mouvement organis\u00e9 en Afghanistan aujourd\u2019hui, \u00e0 l\u2019exception de l\u2019\u00c9tat islamique du Khorassan, qui conteste ou menace le pouvoir taliban.<\/p>\n\n\n\n Suivez cette nouvelle s\u00e9rie en vous abonnant \u00e0 la revue<\/em><\/a>.<\/em><\/p>\n\n\n\n L\u2019immense majorit\u00e9 des r\u00e9fugi\u00e9s afghans se trouve dans les pays voisins. Il y a en effet 5,2 millions d\u2019Afghans r\u00e9fugi\u00e9s ou demandeurs d\u2019asile dans des pays voisins fin 2022, dont 1,6 millions qui ont quitt\u00e9 l\u2019Afghanistan depuis la prise de Kaboul par les Talibans. <\/p>\n\n\n\n Parmi ces 1,6 millions, un million se trouve en Iran, o\u00f9 vivent 3,4 millions de r\u00e9fugi\u00e9s afghans et arrivent chaque jour entre 3000 et 5000 nouveaux, et 600 000 au Pakistan. On compte aussi quelques milliers de r\u00e9fugi\u00e9s afghans au Tadjikistan et en Ouzb\u00e9kistan. <\/p>\n\n\n\n En Europe, on a assist\u00e9 \u00e0 une augmentation des demandes d\u2019asile en septembre 2021 (14000, contre 6500 en juillet), mais le nombre total de demandeurs d\u2019asile en 2021 (pr\u00e8s de 100000) reste inf\u00e9rieur aux ann\u00e9es 2015 et 2016 (entre 170 et 180000). <\/p>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019inverse du gouvernement taliban de Mollah Omar entre 1996 et 2001, ce gouvernement taliban n\u2019h\u00e9berge ni ne prot\u00e8ge officiellement pas d\u2019organisations terroristes structur\u00e9es. C\u2019est d\u2019ailleurs un des leitmotiv<\/em> du discours officiel taliban. Lors de la c\u00e9l\u00e9bration de la premi\u00e8re ann\u00e9e de prise du pouvoir des Talibans, Ami Khan Muttaqi, Ministre par int\u00e9rim des Affaires \u00e9trang\u00e8res, avait ainsi d\u00e9clar\u00e9 : \u00ab La stabilit\u00e9 dans notre pays est b\u00e9n\u00e9fique pour le monde entier \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Ce discours est n\u00e9anmoins \u00e0 prendre avec pr\u00e9caution. Les \u00c9tats-Unis ont en effet poursuivi la lutte antiterroriste apr\u00e8s leur d\u00e9part d\u2019Afghanistan en tuant avec un drone Ayman Al-Zawahiri, le n\u00b01 d\u2019Al-Qa\u00efda, \u00e0 Kaboul, le 31 juillet 2022, qui est consid\u00e9r\u00e9 par l\u2019administration am\u00e9ricaine comme l\u2019un des architectes non seulement du 11 septembre, mais aussi d\u2019autres attentats majeurs perp\u00e9tr\u00e9s par Al-Qa\u00efda, contre l\u2019USS Cole en 2000 et contre les ambassades am\u00e9ricaines en Tanzanie et au Kenya en 1998. <\/p>\n\n\n\n Par ailleurs, apr\u00e8s un an de calme relatif, les Talibans ne semblent plus parvenir plus \u00e0 assurer la s\u00e9curit\u00e9 qu\u2019ils promettaient pourtant, comme en t\u00e9moigne les nombreuses attaques terroristes perp\u00e9tr\u00e9es par l\u2019\u00c9tat islamique du Khorasan, qui s\u00e9vit en Afghanistan et qui s\u2019oppose aux Talibans dont ils partagent pourtant une partie de l\u2019id\u00e9ologie : mi-septembre 2022 \u00e0 H\u00e9rat (17 morts), le 30 septembre \u00e0 Kaboul (35 morts), en janvier 2023 \u00e0 Kaboul (10 morts, 53 bless\u00e9s), le 27 mars \u00e0 Kaboul \u00e0 nouveau (6 morts), et enfin le 08 juin (11 morts) lors d\u2019un attentat organis\u00e9 lors de fun\u00e9railles d\u2019un gouverneur assassin\u00e9 deux jours plus t\u00f4t, dans la province de Badakhshan. Les dirigeants talibans sont r\u00e9guli\u00e8rement la cible d\u2019assassinats organis\u00e9s par l\u2019\u00c9tat islamique, \u00e0 l\u2019instar de Mohammad Dawood Muzammil, le gouverneur taliban de la province afghane de Balkh, tu\u00e9 dans une explosion ce 9 mars 2023.<\/p>\n\n\n\n Les dirigeants talibans sont r\u00e9guli\u00e8rement la cible d\u2019assassinats organis\u00e9s par l\u2019\u00c9tat islamique.<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans ce contexte, quand bien m\u00eame les Talibans ne soutiendraient pas directement d\u2019organisations terroristes \u2014 ce qui reste \u00e0 prouver dans la dur\u00e9e \u2014 il semble probable que l\u2019\u00c9tat afghan, fragilis\u00e9 par les crises, finisse par laisser prosp\u00e9rer un nouvel \u00c9tat islamique sur son territoire, qui pourrait alimenter le terrorisme djihadiste \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale. <\/p>\n\n\n\n L\u2019Afghanistan est l\u2019un des centres les plus importants de la production et de l\u2019exportation d\u2019opium et d\u2019h\u00e9ro\u00efne. Pour ne donner qu\u2019un chiffre, en 2020, l\u2019ONU estimait que 85 % de l\u2019opium mondial provenait de Kaboul.<\/p>\n\n\n\n Alors que les Talibans ont annonc\u00e9 l\u2019interdiction de la culture du pavot en avril 2022, la superficie de zone de culture du pavot a augment\u00e9, d\u2019apr\u00e8s un rapport de l\u2019ONUDC paru en novembre 2022, de 32 % entre 2021 et 2022. Sa culture repr\u00e9sente, d’apr\u00e8s ce rapport, 1,4 milliards de dollars en 2022 (contre 430 millions en 2021), c’est-\u00e0 -dire aux alentours de 10 % du PIB afghan. L\u2019annonce de l\u2019interdiction a en effet fait grimper le cours de l\u2019opium \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale mais n\u2019a pas conduit \u00e0 une r\u00e9duction de la production. <\/p>\n\n\n\n Les Talibans se souviennent peut-\u00eatre des cons\u00e9quences de la fatwa du Mollah Omar, qui avait interdit de fa\u00e7on tr\u00e8s stricte la culture du pavot en 2000, ce qui avait conduit \u00e0 un effondrement de la production, \u00e0 une d\u00e9sorganisation de l\u2019\u00e9conomie rurale,  qui avait selon certains analystes, facilit\u00e9 l\u2019intervention am\u00e9ricaine de 2001.<\/p>\n\n\n\n L\u2019Afghanistan est l\u2019un des centres les plus importants de la production et de l\u2019exportation d\u2019opium et d\u2019h\u00e9ro\u00efne.<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Si l\u2019invasion sovi\u00e9tique de l\u2019Afghanistan en 1979 avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9crite par Zbigniew Brzezinski comme \u00ab le Vietnam de l\u2019URSS \u00bb, le d\u00e9part des troupes am\u00e9ricaines en ao\u00fbt 2021 et les images des Afghans qui chutent des avions en train d\u2019abandonner la population civile aux Talibans, semble la derni\u00e8re manifestation d\u2019une s\u00e9rie d\u2019\u00e9checs des interventions ext\u00e9rieures des \u00c9tats-Unis au XXI\u00e8me si\u00e8cle, et de la \u00ab guerre contre le terrorisme \u00bb lanc\u00e9e par Georges W. Bush en r\u00e9action au 11 septembre.<\/p>\n\n\n\n Le 6 avril 2023, la Maison Blanche a publi\u00e9 une synth\u00e8se publique d\u2019une douzaine de pages visant \u00e0 r\u00e9sumer deux rapports confidentiels adress\u00e9s au Congr\u00e8s visant \u00e0 tirer un bilan du retrait de l\u2019arm\u00e9e am\u00e9ricaine. Si cette synth\u00e8se cherche surtout \u00e0 rejeter la faute sur l’administration Trump, elle omet selon Piotr Smolar deux r\u00e9alit\u00e9s indiscutables : l\u2019absence de v\u00e9ritable consultation avec les alli\u00e9s occidentaux pr\u00e9sents en Afghanistan<\/a>, qui ont pourtant d\u00fb g\u00e9rer dans la catastrophe le rapatriement de leurs ressortissants, et la faillite des services de renseignement am\u00e9ricains qui n\u2019ont dans aucun sc\u00e9nario envisag\u00e9 que l’arm\u00e9e afghane serait aussi rapidement balay\u00e9e par les forces des Talibans. <\/p>\n\n\n\n Il faut probablement s\u2019attendre \u00e0 voir, comme apr\u00e8s la guerre du Vietnam et l\u2019invasion de l’Irak, une population de v\u00e9t\u00e9rans de ces guerres fragilis\u00e9s psychologiquement par la violence qu\u2019ils ont v\u00e9cu et par l\u2019apparente absurdit\u00e9 d\u2019une mission qui s\u2019est achev\u00e9e pour laisser place \u00e0 un nouveau chaos. C\u2019\u00e9tait le sujet du film de Laurent B\u00e9cue-Renard Of Men and War<\/em> \u00e0 propos des v\u00e9t\u00e9rans de la guerre d\u2019Irak qui tentent de se reconstruire malgr\u00e9 leurs multiples syndromes post-traumatiques. Un film fran\u00e7ais a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 r\u00e9alis\u00e9 \u00e0 ce sujet, Sentinelle Sud<\/em>, de Mathieu G\u00e9rault, qui explore le silence des p\u00e8res soldats revenus d\u2019Afghanistan et la frustration des fils qui en d\u00e9coule. <\/p>\n\n\n\n Comme l\u2019a montr\u00e9 Patrick Azurmendi dans nos colonnes<\/a>, l\u2019arriv\u00e9e au pouvoir et la consolidation du r\u00e9gime taliban montre les \u00e9checs des efforts de statebuilding <\/em>et de nationbuilding <\/em>de l\u2019intervention occidentale dans le pays entre 2001 et 2021, malgr\u00e9 un bilan financier extr\u00eamement \u00e9lev\u00e9 : 825 milliards de dollars de d\u00e9penses militaires, dont 85 milliards pour l\u2019\u00e9quipement et la formation de l\u2019arm\u00e9e afghane, 144 milliards de dollars consacr\u00e9s \u00e0 la reconstruction du pays et pr\u00e8s de 300 milliards de dollars de provisions sur les pensions d\u2019invalidit\u00e9 et les soins \u00e0 apporter aux seuls bless\u00e9s de guerre am\u00e9ricains. Sur le plan humain, le bilan est \u00e9galement tr\u00e8s lourd : 7 500 morts du c\u00f4t\u00e9 de la Coalition (si l\u2019on prend en compte les contractants priv\u00e9s) et pr\u00e8s de 200 000 Afghans tu\u00e9s (civils, militaires et combattants talibans confondus). <\/p>\n\n\n\n Or malgr\u00e9 toutes ces d\u00e9penses et tous ces efforts, lors du d\u00e9part des troupes occidentales d\u2019Afghanistan, des donn\u00e9es montraient les limites de l\u2019effort de d\u00e9veloppement soutenu par la communaut\u00e9 internationale : l\u2019Afghanistan \u00e9tait alors l\u2019avant-dernier pays en terme d\u2019Indice de d\u00e9veloppement humain d\u2019Asie apr\u00e8s le Y\u00e9men, le taux de pauvret\u00e9 \u00e9tait de 55 %, le taux de natalit\u00e9 le plus fort d\u2019Asie, l\u2019\u00e9ducation secondaire des femmes limit\u00e9e \u00e0 15 % de la population.<\/p>\n\n\n\n L’\u00c9tat afghan a failli dans le domaine de la justice, notamment sur la question des litiges entre propri\u00e9taires fonciers, ce qui a pouss\u00e9 de nombreux paysans \u00e0 faire appel \u00e0 la justice parall\u00e8le des Talibans pour trancher des diff\u00e9rends.<\/p>PIerre Ramond<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L’\u00c9tat afghan a failli dans le domaine de la justice, notamment sur la question des litiges entre propri\u00e9taires fonciers, ce qui a pouss\u00e9 de nombreux paysans \u00e0 faire appel \u00e0 la justice parall\u00e8le des Talibans pour trancher des diff\u00e9rends. Par ailleurs, la R\u00e9publique afghane a \u00e9t\u00e9 touch\u00e9e d\u00e8s sa mise en place par une corruption g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e qui pourrait provenir de la diplomatie transactionnelle des \u00c9tats-Unis lors de leur intervention de 2001, susceptible d\u2019acheter avec des capacit\u00e9s financi\u00e8res massives le soutien de chefs de guerre locaux.<\/p>\n\n\n\n Les chercheurs Mats Berdal et Astri Suhrke tentent d\u2019\u00e9lucider, \u00e0 partir d\u2019une \u00e9tude fouill\u00e9e sur le r\u00f4le de la Norv\u00e8ge en Afghanistan, les raisons des \u00e9checs de l\u2019op\u00e9ration internationale. Selon eux, la raison principale de l\u2019\u00e9chec occidental est l\u2019h\u00e9sitation jamais vraiment tranch\u00e9e entre deux objectifs : d\u2019une part d\u00e9manteler Al-Qa\u00efda ; d\u2019autre part, \u00e0 partir de 2003, contribuer \u00e0 la constitution d\u2019un \u00ab gouvernement afghan autonome, mod\u00e9r\u00e9 et d\u00e9mocratique capable d\u2019exercer son autorit\u00e9 et d\u2019administrer l\u2019ensemble du territoire de l’Afghanistan \u00bb. \u00c0 cette incertitude structurelle sur les buts de l\u2019op\u00e9ration en Afghanistan s\u2019ajoutent selon eux plusieurs erreurs tactiques : l\u2019alliance avec les chefs de guerre locaux incontr\u00f4lables ; la doctrine de la \u00ab contre-insurrection \u00bb ; l\u2019absence de prise en compte du nationalisme pachtoune. <\/p>\n\n\n\n La fin de la deuxi\u00e8me ann\u00e9e de gouvernement taliban en Afghanistan co\u00efncide presque avec le coup d\u2019Etat au Niger du 26 juillet 2023 qui a renvers\u00e9 le pr\u00e9sident \u00e9lu Mohamed Bazoum, et dont nous suivons les cons\u00e9quences encore tr\u00e8s incertaines sur le Grand Continent<\/em><\/a>. <\/p>\n\n\n\n Si ces deux coups d\u2019\u00c9tat sont diff\u00e9rents pour de nombreuses raisons, nous semblons assister dans les deux situations \u00e0 la fin d\u2019un certain type d\u2019op\u00e9rations men\u00e9es par les pays occidentaux. Dans les deux cas, il s\u2019agit d\u2019op\u00e9rations visant \u00e0 la fois \u00e0 lutter contre une menace terroriste, \u00e0 prot\u00e9ger la population civile, et \u00e0 renforcer l\u2019\u00c9tat \u00e0 l\u2019occasion de l\u2019intervention. Dans les deux cas, l\u2019effort de construction de l\u2019\u00c9tat r\u00e9v\u00e8le ses limites d\u2019un seul coup, et l\u2019\u00c9tat que l\u2019on esp\u00e9rait avoir solidifi\u00e9 s\u2019effondre comme un ch\u00e2teau de cartes pour \u00eatre remplac\u00e9, dans un cas par un gouvernement th\u00e9ocratique, dans l\u2019autre par une junte militaire. <\/p>\n\n\n\n1 \u2014 Comment l\u2019oppression des femmes afghanes se renforce-t-elle de jour en jour ? <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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2 \u2014 \u00c0 quel point le r\u00e9gime est-il autoritaire vis-\u00e0-vis de la population en g\u00e9n\u00e9ral et quelle est la doctrine politique g\u00e9n\u00e9rale des talibans ? <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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4 \u2014 Quels sont les \u00e9quilibres internes au pouvoir taliban ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
5 \u2014 O\u00f9 sont les r\u00e9fugi\u00e9s afghans qui ont fui le pays depuis ao\u00fbt 2021 ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
6 \u2014 Est-ce que la prise du pouvoir par les Talibans accro\u00eet le risque de menace terroriste au niveau mondial ? Les Talibans parviennent-ils \u00e0 lutter contre le terrorisme sur leur sol ? <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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\r\n        <\/picture>\r\n                \n                    7 \u2014 Quelles ont \u00e9t\u00e9 les cons\u00e9quences de la prise du pouvoir des Talibans sur l\u2019exportation de drogue \u00e0 l\u2019\u00e9chelle internationale ? <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
8 \u2014 Deux ans apr\u00e8s, quel jugement porter sur le retrait des troupes am\u00e9ricaines du pays ? <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
9 \u2014 Comment expliquer les \u00e9checs de la construction de l\u2019Etat afghan entre 2001 et 2021 ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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\r\n        <\/picture>\r\n                \n                    10 \u2014 Peut-on \u00e9tablir des parall\u00e8les entre la situation en Afghanistan il y a deux ans et <\/strong>la situation au Niger aujourd\u2019hui<\/strong><\/a> ? <\/strong><\/h2>\n\n\n\n