{"id":193037,"date":"2023-08-04T10:19:24","date_gmt":"2023-08-04T08:19:24","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=193037"},"modified":"2023-08-04T10:19:27","modified_gmt":"2023-08-04T08:19:27","slug":"la-doctrine-oppenheimer","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/08\/04\/la-doctrine-oppenheimer\/","title":{"rendered":"La doctrine Oppenheimer"},"content":{"rendered":"\n
En juillet 1957, plusieurs scientifiques du monde entier se r\u00e9unissent, sous la direction de Bertrand Russel, dans la ville canadienne de Pugwash, pour mettre en garde contre la possibilit\u00e9 r\u00e9elle d’une \u00ab catastrophe insupportable \u00bb engendr\u00e9e par une guerre nucl\u00e9aire<\/a>. Le physicien J. Robert Oppenheimer n’assiste pas \u00e0 la conf\u00e9rence, lui qui a \u00e9galement refus\u00e9 de signer le manifeste Russell-Einstein de 1955 \u2014\u00a0\u2019est un \u00e9pisode de plus dans la relation complexe qu\u2019il entretient avec le scientifique d’origine allemande, analys\u00e9e dans le prochain \u00e9pisode de cette s\u00e9rie d\u2019\u00e9t\u00e9, \u00e0 para\u00eetre demain.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, pr\u00e8s d’un mois plus t\u00f4t, du 23 au 27 mai, Oppenheimer participait \u00e0 une conf\u00e9rence d\u2019une toute autre nature, organis\u00e9e par le Centre d\u2019\u00e9tudes internationales du MIT. Point de contact crucial entre le monde universitaire et l\u2019administration de la Guerre froide, le Centre est un v\u00e9ritable moteur de la technocratie de guerre. Sociologues, scientifiques, historiens et \u00e9conomistes y \u00e9laborent des nouvelles fa\u00e7ons de penser le pouvoir am\u00e9ricain en s\u2019interrogeant sur quel type de modernit\u00e9 les \u00c9tats-Unis seraient pr\u00eats \u00e0 proposer, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur et \u00e0 l\u2019\u00e9tranger, dans un monde o\u00f9 la supr\u00e9matie militaire ne serait plus suffisante. Nombre de chercheurs et d\u2019analystes brillants y formul\u00e8rent des th\u00e9ories extr\u00eamement influentes, qui furent accueillies avec enthousiasme par le d\u00e9partement d\u2019\u00c9tat et la Maison Blanche, notamment pendant l\u2019administration Kennedy.<\/p>\n\n\n\n Aux c\u00f4t\u00e9s de Walter Rostow, p\u00e8re de la th\u00e9orie de la modernisation et mod\u00e8le parfait du savant mobilis\u00e9 et attentivement \u00e9cout\u00e9, Oppenheimer prend la parole. Si le contexte du discours t\u00e9moigne clairement de la profonde et persistante int\u00e9gration du physicien dans l’appareil de s\u00e9curit\u00e9 am\u00e9ricain, malgr\u00e9 les accusations port\u00e9es contre lui quelques ann\u00e9es plus t\u00f4t, le texte d\u00e9montre pourtant sa tentative persistante de d\u00e9passer le cadre \u00e9troit de la Guerre froide et de la politique de puissance, pour atteindre des th\u00e8mes plus vastes et enqu\u00eater sur \u00ab les signes d’une crise culturelle assez profonde \u00bb. La confrontation avec l\u2019Union Sovi\u00e9tique, sur le plan militaire et scientifique, offre donc \u00e0 Oppenheimer la possibilit\u00e9 de pr\u00e9senter son \u00ab inward look<\/em> \u00bb \u2014 titre qu\u2019il donne \u00e0 la version publi\u00e9e du discours pour Foreign Affairs <\/em>\u2014 et de questionner des piliers de la soci\u00e9t\u00e9 et de la culture am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n Tout au long de sa d\u00e9monstration, il examine les lignes de fractures qui traversent une d\u00e9mocratie prosp\u00e8re arriv\u00e9e au comble de sa puissance : le probl\u00e8me de l\u2019\u00e9ducation ; la \u00ab vision chancelante de l\u2019avenir \u00bb ; et la difficult\u00e9 \u00ab \u00e0 formuler des politiques \u00bb. Pour r\u00e9pondre \u00e0 ces questions, Oppenheimer lance un appel vibrant aux autorit\u00e9s, aux citoyens am\u00e9ricains et \u00e0 ses coll\u00e8gues : \u00ab Ce dont nous avons besoin, c’est d’une vigueur et d’une discipline intellectuelles beaucoup plus grandes, d’une ouverture d’esprit plus commune et plus r\u00e9pandue, et d’une sorte d’infatigabilit\u00e9, qui n’est pas incompatible avec la fatigue, mais qui est incompatible avec la capitulation \u00bb.<\/p>\n\n\n\n La vigueur intellectuelle que Oppenheimer demande \u00e0 son pays est celle dont il fait preuve lui-m\u00eame dans ce texte inspir\u00e9. Il se livre ainsi \u00e0 des analyses philosophiques de la pens\u00e9e occidentale, \u00e0 des comparaisons historiques entre l’Am\u00e9rique des ann\u00e9es 1950 et les civilisations du pass\u00e9, de l’Inde classique \u00e0 l’Angleterre victorienne ; il examine l’anthropologie am\u00e9ricaine de la fronti\u00e8re, son sens particulier de l’individualisme et du pragmatisme, ses avantages et ses limites dans un monde en mutation. Par l’ampleur de son analyse, Oppenheimer rappelle \u00e9galement que la Guerre froide est bien r\u00e9elle et, et qu\u2019elle est partout, mais aussi qu’elle ne peut \u00eatre le seul filtre de compr\u00e9hension du monde pour l’\u00e9lite am\u00e9ricaine.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Le \u00ab probl\u00e8me cognitif \u00bb est \u00e0 la fois plus profond et plus \u00e9tendu : il touche aux fondements de la soci\u00e9t\u00e9 am\u00e9ricaine mais il concerne aussi des peuples pour lesquels la guerre froide n’est qu’une toile de fond alors qu\u2019ils ont engag\u00e9 un grand effort \u00ab de parvenir \u00e0 l’\u00e9ducation, \u00e0 l’apprentissage, \u00e0 la technologie et \u00e0 une nouvelle richesse \u00bb. Pour que les \u00c9tats-Unis conservent \u00e0 la fois leur mod\u00e8le d\u00e9mocratique \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur et leur pr\u00e9\u00e9minence dans un monde qui \u00e9volue, Oppenheimer exhorte \u00e0 prendre au s\u00e9rieux l\u2019organisation du savoir et de la connaissance dans nos soci\u00e9t\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Le conflit avec le pouvoir communiste jette de temps \u00e0 autre une lumi\u00e8re crue sur notre propre soci\u00e9t\u00e9. Alors que ce conflit se poursuit et que son obstination, sa port\u00e9e et son caract\u00e8re mortel deviennent de plus en plus manifestes, nous commen\u00e7ons \u00e0 voir appara\u00eetre dans la soci\u00e9t\u00e9 am\u00e9ricaine des traits dont nous \u00e9tions \u00e0 peine conscients et qui, dans ce contexte, apparaissent comme de graves d\u00e9ficiences. Le premier qui s’impose est peut-\u00eatre notre incapacit\u00e9 \u00e0 rendre compte de nos objectifs, de nos intentions et de nos espoirs nationaux d’une mani\u00e8re qui soit \u00e0 la fois honn\u00eate et inspirante. Il y a longtemps que personne n’a parl\u00e9, au nom de ce pays, de notre avenir ou de l’avenir du monde d’une mani\u00e8re qui sugg\u00e8re une int\u00e9grit\u00e9 totale, une certaine jeunesse d’esprit et une touche de vraisemblance.<\/p>\n\n\n\n Deux autres traits nationaux ont r\u00e9cemment suscit\u00e9 de vives inqui\u00e9tudes. Comme le conflit avec le pouvoir communiste se d\u00e9roule parall\u00e8lement \u00e0 une acc\u00e9l\u00e9ration extr\u00eame de la r\u00e9volution technologique, et en particulier parce que ces derni\u00e8res ann\u00e9es ont marqu\u00e9 la pleine maturit\u00e9 des aspects militaires de l’\u00e8re atomique, l’attention du public a \u00e9t\u00e9 attir\u00e9e sur l’efficacit\u00e9 relative du syst\u00e8me sovi\u00e9tique et du n\u00f4tre en mati\u00e8re de formation et de recrutement de scientifiques et de techniciens. Cette comparaison a r\u00e9v\u00e9l\u00e9 que, dans un domaine o\u00f9 nous \u00e9tions autrefois meilleurs que les Russes, nous pourrions bient\u00f4t devenir inf\u00e9rieurs \u00e0 eux. Le syst\u00e8me sovi\u00e9tique, en combinant de rares et remarquables incitations au succ\u00e8s dans la science et la technologie avec une recherche massive de talents et avec des standards rigoureux et \u00e9lev\u00e9s dans l’\u00e9ducation initiale, semble sur le point d’attirer vers le travail scientifique une fraction plus importante de sa population que nous ne le ferons.<\/p>\n\n\n\n Le syst\u00e8me sovi\u00e9tique, en combinant de rares et remarquables incitations au succ\u00e8s dans la science et la technologie avec une recherche massive de talents et avec des standards rigoureux et \u00e9lev\u00e9s dans l’\u00e9ducation initiale, semble sur le point d’attirer vers le travail scientifique une fraction plus importante de sa population que nous ne le ferons.<\/p>J. Robert Oppenheimer<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Lorsque nous avons appris cela, il \u00e9tait naturel de s’int\u00e9resser \u00e0 ses causes. Certaines d’entre elles r\u00e9sident dans l’estime relativement faible accord\u00e9e \u00e0 l’apprentissage dans ce pays et, surtout, dans notre indiff\u00e9rence \u00e0 l’\u00e9gard de la profession d’enseignant, en particulier de l’enseignement dans les \u00e9coles, une estime faible qui est \u00e0 la fois manifeste et caus\u00e9e par le fait que nous payons tr\u00e8s mal nos enseignants et pas beaucoup nos scientifiques. La vie p\u00e9nible des pays sovi\u00e9tiques fait qu’il est facile de transformer le prestige en luxe et en privil\u00e8ges. Nous ne voulons pas qu’il en soit ainsi ici. Pourtant, en y r\u00e9fl\u00e9chissant de plus pr\u00e8s, nous avons constat\u00e9 que, dans nos propres \u00e9coles, le niveau d’enseignement est beaucoup moins \u00e9lev\u00e9 pour les langues, les math\u00e9matiques et les sciences que dans leurs \u00e9quivalents sovi\u00e9tiques. Nous avons appris que beaucoup de nos enseignants ne sont pas vraiment vers\u00e9s dans les mati\u00e8res qu’ils sont charg\u00e9s d’enseigner et que, dans de nombreux cas, leur manque de connaissances se double d’un manque d’affection ou d’int\u00e9r\u00eat. En bref, nous nous sommes heurt\u00e9s \u00e0 un probl\u00e8me d’une extr\u00eame gravit\u00e9 pour la vie de notre peuple en nous mesurant \u00e0 un antagoniste lointain et d\u00e9test\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Il semble que le m\u00eame ph\u00e9nom\u00e8ne se produise dans un tout autre domaine. Il s’agit de la capacit\u00e9 de notre gouvernement \u2014 en fait, de la capacit\u00e9 de nos institutions et de notre peuple, par l’interm\u00e9diaire de notre gouvernement \u2014 \u00e0 d\u00e9terminer la politique nationale dans les domaines li\u00e9s aux affaires \u00e9trang\u00e8res et \u00e0 la strat\u00e9gie, militaire et politique. Pour citer Walter W. Rostow dans un discours prononc\u00e9 au Naval War College \u00e0 la fin de l’ann\u00e9e 1956 :<\/p>\n\n\n\n \u00ab Je ne crois pas qu’en tant que nation, nous ayons encore cr\u00e9\u00e9 une politique militaire et une politique \u00e9trang\u00e8re civile con\u00e7ues pour atteindre [nos objectifs] et pour exploiter les possibilit\u00e9s de changement social et politique favorables \u00e0 nos int\u00e9r\u00eats au sein du bloc communiste. [\u2026] Historiquement, les \u00c9tats-Unis n’ont consacr\u00e9 leur \u00e9nergie \u00e0 la r\u00e9solution de probl\u00e8mes militaires et de politique \u00e9trang\u00e8re que lorsqu’ils \u00e9taient confront\u00e9s \u00e0 des dangers concrets et \u00e9vidents \u00bb.<\/em><\/p>\n\n\n\n Ou encore, Henry Kissinger<\/a>, qui a \u00e9crit dans le num\u00e9ro d’avril 1957 de Foreign Affairs<\/em> :<\/p>\n\n\n\n \u00ab En \u00e9tablissant un mod\u00e8le de r\u00e9ponse avant les situations de crise, la doctrine strat\u00e9gique permet \u00e0 une puissance d’agir avec raison face aux d\u00e9fis. En l’absence d’une telle doctrine, une puissance sera constamment surprise par les \u00e9v\u00e9nements. Une doctrine strat\u00e9gique ad\u00e9quate est donc l’exigence fondamentale de la s\u00e9curit\u00e9 am\u00e9ricaine \u00bb.<\/em><\/p>\n\n\n\n Il est aujourd’hui largement reconnu que, malgr\u00e9 l’organisation du pouvoir ex\u00e9cutif pour traiter pr\u00e9cis\u00e9ment des probl\u00e8mes \u00e0 long terme, de la politique \u00e9trang\u00e8re et de la strat\u00e9gie militaire, malgr\u00e9 le r\u00f4le assign\u00e9 aux chefs d’\u00e9tat-major interarm\u00e9es, au Conseil de s\u00e9curit\u00e9 nationale et \u00e0 l’\u00e9quipe de planification de la politique du D\u00e9partement d’\u00c9tat, malgr\u00e9 la disponibilit\u00e9 pour ces organisations du talent technique et intellectuel de l’ensemble de ce pays et, dans une mesure plus limit\u00e9e, de l’ensemble du monde libre \u2014 malgr\u00e9 tout cela, les \u00c9tats-Unis n’ont pas d\u00e9velopp\u00e9 une compr\u00e9hension de leurs objectifs, de leurs int\u00e9r\u00eats, de leurs alternatives et de leurs plans pour l’avenir qui soit \u00e0 la hauteur de la gravit\u00e9 des probl\u00e8mes auxquels le pays est confront\u00e9. L’impression g\u00e9n\u00e9rale est que nous \u00e9voluons d’\u00e9tonnement en surprise, et de surprise en \u00e9tonnement, jamais suffisamment avertis ou pr\u00e9venus, et que nous choisissons le plus souvent entre des maux, alors que la pr\u00e9voyance et la planification auraient pu nous offrir des alternatives plus heureuses. Pourquoi cet \u00e9tat de choses devrait-il exister dans un pays o\u00f9 abondent les richesses et les loisirs, qui se consacre \u00e0 l’\u00e9ducation, o\u00f9 une plus grande partie de la population est impliqu\u00e9e dans l’\u00e9ducation que dans n’importe quel autre pays \u00e0 n’importe quelle \u00e9poque, o\u00f9 il y a plus de coll\u00e8ges, d’universit\u00e9s, d’instituts et de centres qu’on ne veut en compter, et \u00e0 une \u00e9poque o\u00f9 un pouvoir sans pr\u00e9c\u00e9dent dans les mains d’un \u00c9tat d\u00e9termin\u00e9 et hostile nous menace plus gravement que jamais depuis les premiers jours de la R\u00e9publique ?<\/p>\n\n\n\n Les \u00c9tats-Unis n’ont pas d\u00e9velopp\u00e9 une compr\u00e9hension de leurs objectifs, de leurs int\u00e9r\u00eats, de leurs alternatives et de leurs plans pour l’avenir qui soit \u00e0 la hauteur de la gravit\u00e9 des probl\u00e8mes auxquels le pays est confront\u00e9.<\/p>J. Robert Oppenheimer<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il y a, bien s\u00fbr, d’autres traits nationaux dont nous ne pouvons pas \u00eatre fiers et sur lesquels ni l’\u00e8re atomique ni le conflit avec le communisme n’ont mis l’accent. Nous pouvons penser, par exemple, \u00e0 notre grande imprudence avec les ressources de notre pays ; nous pouvons penser \u00e0 la raret\u00e9 des occasions o\u00f9 un souci pour la beaut\u00e9 et l’harmonie publique aurait rendu l’environnement physique dans lequel nous vivons confortable pour l’esprit \u2014 un confort que la beaut\u00e9 de notre terre et notre grande richesse pourraient bien rendre possible.<\/p>\n\n\n\n En effet, tous les traits sur lesquels nous nous jugeons s\u00e9v\u00e8rement auraient pu \u00eatre dessin\u00e9s par des historiens nous comparant aux cultures pass\u00e9es, ou par des observateurs de la sc\u00e8ne actuelle nous comparant aux contemporaines. Nous aurions alors pu constater qu’aucun peuple n’a jamais r\u00e9solu le probl\u00e8me de l’\u00e9ducation que nous nous sommes pos\u00e9, et qu’aucun gouvernement, dans un monde o\u00f9 peu de gouvernements r\u00e9ussissent tr\u00e8s longtemps tout court, n’a jamais r\u00e9ussi \u00e0 r\u00e9soudre un probl\u00e8me de l’ampleur et de la difficult\u00e9 de celui auquel nous sommes confront\u00e9s. En effet, nous pourrions reconna\u00eetre les traits de faiblesse de notre soci\u00e9t\u00e9 en termes de norme ou d’id\u00e9al, et en entendre parler par le philosophe ou le proph\u00e8te. Je crois, en fait, que ces voies sont les plus constructives, parce que je crois, comme cela appara\u00eetra plus clairement dans ce qui suit, que les traits qui nous d\u00e9rangent sont les signes d’une crise culturelle assez profonde, irr\u00e9ductible et sans pr\u00e9c\u00e9dent, et qu’ils finiront par c\u00e9der, non pas \u00e0 une th\u00e9rapie symptomatique, mais \u00e0 des changements dans notre vie, des changements dans ce que nous croyons, dans ce que nous faisons et dans ce que nous valorisons.<\/p>\n\n\n\n En effet, les probl\u00e8mes de notre pays et de notre \u00e9poque n’ont pratiquement jamais \u00e9t\u00e9 pos\u00e9s sous leur forme actuelle au cours de l’histoire et n’ont certainement jamais \u00e9t\u00e9 r\u00e9solus. Si notre adversaire semble les avoir r\u00e9solus mieux que nous, il peut \u00eatre sain que nous en prenions acte ; mais il ne peut gu\u00e8re \u00eatre sain que nous adoptions ses moyens. Il sait ce qu’il veut, parce qu’il a une th\u00e9orie fort simple du sens de la vie humaine et de la place qu’il y occupe. Fort de cette confiance, il dispose d’un gouvernement pr\u00eat \u00e0 prendre, au prix d’\u00e9normes d\u00e9penses humaines, toutes les mesures n\u00e9cessaires pour aboutir \u00e0 ses buts. Que sa th\u00e9orie n’ait qu’une faible teinte de v\u00e9rit\u00e9, fragmentaire et largement obsol\u00e8te, qu’elle exclue la plus grande partie de la v\u00e9rit\u00e9, et la plus profonde, devrait nous conforter dans l’id\u00e9e qu’il ne r\u00e9ussira pas. Que son \u00e9chec puisse toutefois \u00eatre accompagn\u00e9 d’une participation humaine vaste, sinon universelle, et d’une d\u00e9vastation et d’une horreur sans pareilles, devrait temp\u00e9rer notre plaisir \u00e0 cette perspective et nous ramener \u00e0 la solution de nos probl\u00e8mes selon nos propres termes, \u00e0 notre mani\u00e8re, en notre temps.<\/p>\n\n\n\n Pour les traits de faiblesse de notre soci\u00e9t\u00e9, nous pouvons voir des motifs \u00e0 la fois multiples, intelligibles et ironiques. Je pense que les trois faiblesses \u2014 dans notre \u00e9ducation, dans notre vision chancelante de l’avenir et dans nos difficult\u00e9s \u00e0 formuler des politiques \u2014 ont des points communs ; mais elles ne sont pas les m\u00eames, et les suivre toutes n’est pas l’objectif de ce document. Il est certain que l’\u00e9galitarisme et la tol\u00e9rance de la diversit\u00e9 qui nous est traditionnellement ch\u00e8re, diversit\u00e9 qui porte pr\u00e9cis\u00e9ment sur les questions les plus fondamentales de la nature et du destin de l’homme, de son salut et de sa foi, certainement ces qualit\u00e9s, longtemps consid\u00e9r\u00e9es comme des vertus, ont beaucoup \u00e0 voir avec nos difficult\u00e9s dans le domaine de l’\u00e9ducation o\u00f9 elles d\u00e9finissent, pour ainsi dire, le probl\u00e8me insoluble ; elles ont beaucoup \u00e0 voir avec les difficult\u00e9s de la proph\u00e9tie et de la politique, qui reposent traditionnellement sur le consensus, pr\u00e9cis\u00e9ment dans les domaines o\u00f9 nous sommes attach\u00e9s \u00e0 la divergence. La bonne fortune du pays, en termes g\u00e9n\u00e9raux et au fil des si\u00e8cles, et l’optimisme et la confiance qui en d\u00e9coulent, ont quelque chose \u00e0 voir avec nos probl\u00e8mes. Nous ne changerions peut-\u00eatre rien, mais nous devons prendre en compte ces probl\u00e8mes lorsque nous nous comparons \u00e0 Ath\u00e8nes, \u00e0 l’Angleterre \u00e9lisab\u00e9thaine ou victorienne ou \u00e0 la France du dix-septi\u00e8me si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n La bonne fortune du pays, en termes g\u00e9n\u00e9raux et au fil des si\u00e8cles, et l’optimisme et la confiance qui en d\u00e9coulent, ont quelque chose \u00e0 voir avec nos probl\u00e8mes.<\/p>J. Robert Oppenheimer<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Nos faiblesses, bien s\u00fbr, ont une pointe d’ironie. C’est notre confiance dans l’\u00e9ducation, notre d\u00e9termination \u00e0 la rendre accessible \u00e0 tous, notre conviction qu’elle permettra \u00e0 l’homme de trouver la dignit\u00e9 et la libert\u00e9, qui ont jou\u00e9 un si grand r\u00f4le dans la r\u00e9duction de notre syst\u00e8me \u00e9ducatif \u00e0 la parodie \u00e0 moiti\u00e9 vide qu’il est aujourd’hui. Lorsque, pour la premi\u00e8re fois depuis des ann\u00e9es de paix formelle, nous avons consacr\u00e9 des efforts, des \u00e9tudes, des pens\u00e9es et des ressources \u00e0 la recherche de la s\u00e9curit\u00e9 militaire, nous avons engendr\u00e9 l’ins\u00e9curit\u00e9 la plus effrayante que l’homme ait jamais connue dans ce que nous savons de son histoire.<\/p>\n\n\n Les clefs d’un monde cass\u00e9.<\/p>\n Du centre du globe \u00e0 ses fronti\u00e8res les plus lointaines, la guerre est l\u00e0. L\u2019invasion de l\u2019Ukraine par la Russie de Poutine nous a frapp\u00e9s, mais comprendre cet affrontement crucial n’est pas assez.<\/p>\n Notre \u00e8re est travers\u00e9e par un ph\u00e9nom\u00e8ne occulte et structurant, nous proposons de l\u2019appeler : guerre \u00e9tendue.<\/p>\n\t\t\t\t\t\t<\/div>\n\t\t\t\t\t\n\t\t\t\t\t\t\t\t\t\t\tI<\/h2>\n\n\n\n