{"id":192373,"date":"2023-07-28T14:59:26","date_gmt":"2023-07-28T12:59:26","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=192373"},"modified":"2023-07-28T16:45:01","modified_gmt":"2023-07-28T14:45:01","slug":"le-facteur-puigdemont-dans-lequation-sanchez-une-conversation-avec-josu-de-miguel-barcena","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/07\/28\/le-facteur-puigdemont-dans-lequation-sanchez-une-conversation-avec-josu-de-miguel-barcena\/","title":{"rendered":"Le facteur Puigdemont dans l\u2019\u00e9quation S\u00e1nchez, une conversation avec Josu de Miguel B\u00e1rcena"},"content":{"rendered":"\n
\u00c0 mon avis, il ne peut y avoir de d\u00e9bat sur la l\u00e9gitimit\u00e9 dans l\u2019\u00c9tat de droit. Depuis Weber, Ferrero et Loewenstein, il est clair que le principe de l\u00e9gitimit\u00e9 repose sur l’\u00c9tat de droit et la d\u00e9mocratie. En Espagne, aucun parti ou acteur politique, quels que soient ses exc\u00e8s verbaux, ne croit sinc\u00e8rement que les gouvernements nationaux ou r\u00e9gionaux sont ill\u00e9gitimes sur la base des r\u00e9sultats \u00e9lectoraux.<\/p>\n\n\n\n
Ce que les pactes avec les nationalismes basque et catalan peuvent produire, cependant, c’est une fissure profonde dans le sujet politique espagnol : le vrai probl\u00e8me est que les groupes ouvertement ind\u00e9pendantistes, qui ont historiquement utilis\u00e9 la violence ou qui ont en pratique rejet\u00e9 les r\u00e8gles du jeu d\u00e9mocratique, sont maintenant ceux qui d\u00e9cident qui gouverne. Ceux sont aussi eux qui orienteront le contenu des principales lois en Espagne. L’\u00e9lectorat de gauche semble pr\u00eat \u00e0 accepter une Espagne plurielle dont la formule est, selon moi, peu convaincante : il faudrait accepter que l’on puisse \u00eatre espagnol de plusieurs fa\u00e7ons, mais basque ou catalan d’une seule mani\u00e8re. Au contraire, \u00e0 droite, il y a un sentiment croissant que le nationalisme p\u00e9riph\u00e9rique a \u00e9t\u00e9 un lourd fardeau pendant plus de 20 ans : les ann\u00e9es 2000 ont \u00e9t\u00e9 marqu\u00e9es par les projets d’Ibarretxe au Pays Basque ; les ann\u00e9es 2010 par l’insurrection institutionnelle catalane. Il est manifeste que l’Espagne a un probl\u00e8me territorial tr\u00e8s s\u00e9rieux parce que l’\u00c9tat autonome n’est pas d\u00e9fini en termes constitutionnels et parce que certains nationalismes p\u00e9riph\u00e9riques ne sont plus majoritairement autonomistes, mais conf\u00e9d\u00e9raux et s\u00e9paratistes. En ce sens, les n\u00e9gociations avec Puigdemont ne sont qu’un jalon de plus dans un voyage sans retour et qui semble ne pas avoir de fin.<\/p>\n\n\n\n Il est clair que l’Espagne a un probl\u00e8me territorial tr\u00e8s s\u00e9rieux parce que l’\u00c9tat autonome n’est pas d\u00e9fini en termes constitutionnels.<\/p><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Prenons les choses \u00e9tape par \u00e9tape. La Constitution interdit express\u00e9ment la gr\u00e2ce g\u00e9n\u00e9rale (art. 62). Or la gr\u00e2ce agit sur la peine et l’amnistie sur le d\u00e9lit. De ce point de vue, certains juristes soutiennent qu’en l’absence d’interdiction expresse, des lois d’amnistie seraient possibles.<\/p>\n\n\n\n Je ne pense pas que cette interpr\u00e9tation soit farfelue, bien entendu. En ce qui concerne le r\u00e9f\u00e9rendum, les positions sont \u00e0 la fois tr\u00e8s divergentes et enflamm\u00e9es. En g\u00e9n\u00e9ral, la doctrine rappelle que la Constitution ne permet pas un r\u00e9f\u00e9rendum d’autod\u00e9termination partielle \u2014 Catalogne, Pays basque \u2014 car cela porterait atteinte \u00e0 l’unit\u00e9 du sujet souverain, la nation espagnole. Une telle op\u00e9ration n\u00e9cessiterait, au minimum, une r\u00e9forme profonde de la Constitution, voire une nouvelle Constitution conf\u00e9d\u00e9rale qui permettrait aux territoires de quitter l’Espagne. Pour contourner ces conditions, une voie m\u00e9diane est propos\u00e9e : une consultation simple et non d\u00e9cisive qui permettrait d’exprimer l’opinion des citoyens de Catalogne et du Pays basque. S’agissant d’une consultation sur<\/em> la souverainet\u00e9 et non de<\/em> souverainet\u00e9, il semble qu’il n’y ait pas d’obstacles constitutionnels, au-del\u00e0 des obstacles purement juridictionnels. La jurisprudence actuelle de la Cour constitutionnelle indique qu’il n’y a pas de place pour des consultations de quelque nature que ce soit sur des questions qui ont \u00e9t\u00e9 r\u00e9solues par le pouvoir constituant : dans ce cas, c’est donc le pouvoir politique qui devrait prendre les r\u00eanes. Mais il faut noter qu’il s’agit d’un avis jurisprudentiel \u2014 une interpr\u00e9tation consolid\u00e9e, certes, mais une interpr\u00e9tation \u00e9troitement li\u00e9e \u00e0 la composition id\u00e9ologique de la Cour elle-m\u00eame. En d’autres termes, \u00e9tant donn\u00e9 sa composition actuelle, qui est ouvertement progressiste, cette position pourrait \u00e9voluer.<\/p>\n\n\n\n La jurisprudence actuelle de la Cour constitutionnelle indique qu’il n’y a pas de place pour des consultations de quelque nature que ce soit sur des questions qui ont \u00e9t\u00e9 r\u00e9solues par le pouvoir constituant : dans ce cas, c’est le pouvoir r\u00e9formateur qui doit prendre les r\u00eanes. <\/p><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L’Espagne a un mod\u00e8le parlementaire tr\u00e8s pr\u00e9sidentialiste. C’est ainsi qu’il est con\u00e7u par la Constitution. Par ailleurs, comme le souligne Manuel Arag\u00f3n, la figure du pr\u00e9sident du gouvernement s’est \u00e9norm\u00e9ment d\u00e9velopp\u00e9e avec l’\u00e9volution du syst\u00e8me politique, au point de devenir, dans une large mesure, le c\u0153ur de notre vie publique. Il y a eu une v\u00e9ritable mutation constitutionnelle. Je ne pense pas que le d\u00e9bat territorial ait transform\u00e9 le pouvoir et l’influence de l’ex\u00e9cutif : ce sont les crises successives \u2014 terrorisme, \u00e9conomie, pand\u00e9mies \u2014 qui ont impos\u00e9 une l\u00e9gislation d’exception \u2014 des r\u00e8glements ex\u00e9cutifs ayant valeur de loi \u2014 pour faire face \u00e0 des situations impr\u00e9visibles. Je pense que c’est une tendance mondiale. Cependant, le Parlement devrait avoir un r\u00f4le non pas tant de r\u00e9glementation que de d\u00e9bat et de discussion : mettre en \u00e9vidence les principaux probl\u00e8mes du pays et essayer de trouver un consensus pour les r\u00e9gler.<\/p>\n\n\n\n Le probl\u00e8me le plus dramatique de l’Espagne est territorial. La Constitution est con\u00e7ue pour permettre aux nationalistes basques et catalans de pratiquer un autonomisme propre et singulier, tant qu’il est aussi fond\u00e9 sur la loyaut\u00e9 constitutionnelle. Or depuis 2000, nombre de ces acteurs politiques sont devenus ouvertement s\u00e9paratistes et conf\u00e9d\u00e9ralistes. C’est la raison pour laquelle la loyaut\u00e9 constitutionnelle s’est effondr\u00e9e. Voil\u00e0 pourquoi il faut sans cesse fournir des avantages financiers et juridictionnels aux nationalistes p\u00e9riph\u00e9riques pour qu’ils soutiennent le gouvernement central et lui apportent la stabilit\u00e9. Une grande partie de l’opinion publique a l’impression de subir un v\u00e9ritable chantage politique : cela rend le syst\u00e8me constitutionnel asym\u00e9trique dans la pratique.<\/p>\n\n\n\n Une grande partie de l’opinion publique a l’impression de subir un v\u00e9ritable chantage politique : cela rend le syst\u00e8me constitutionnel asym\u00e9trique dans la pratique.<\/p>Josu de Miguel B\u00e1rcena<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Je suis cependant conscient qu’une r\u00e9forme constitutionnelle n\u00e9cessiterait un tr\u00e8s large consensus, d’autant qu’elle n’aurait plus de v\u00e9ritable int\u00e9r\u00eat pour les nationalistes. Au fond, ils ne veulent pas quitter l’Espagne. Leur id\u00e9e, en r\u00e9alit\u00e9, est similaire \u00e0 celle du Parti nationaliste basque (PNV) : b\u00e9n\u00e9ficier d’un \u00c9tat pour un prix modique et y vivre sans jamais ressentir les contraintes de la Constitution. Ils veulent pouvoir mener des politiques culturelles, linguistiques et id\u00e9ologiques anti-pluralistes sans jamais accepter les limites qu\u2019imposent l’\u00c9tat de droit et de la d\u00e9mocratie. C\u2019est de facto<\/em> une sorte de conf\u00e9d\u00e9ralisme aux traits communautaristes. Ruiz Soroa faisait remarquer qu’il n’y avait plus gu\u00e8re de diff\u00e9rence entre faire s\u00e9cession sous conditions, ou rester en Espagne dans des conditions juridiques \u00e9gales. Je crois que, malheureusement, c’est l’opinion qui se d\u00e9veloppera dans la soci\u00e9t\u00e9 espagnole si nous persistons \u00e0 soutenir un syst\u00e8me politique rendu toujours plus ingouvernable par la question nationale. <\/p>\n\n\n\n Ne nous leurrons pas : les mouvements ind\u00e9pendantistes catalans et basques jouissent d’une grande sympathie dans les milieux universitaires et les m\u00e9dias \u00e9trangers. C’est la cons\u00e9quence d’une carence flagrante de neutralit\u00e9 ou de s\u00e9rieux m\u00e9thodologique sur cette question. L’autod\u00e9termination suscite beaucoup de sympathie si l’on est capable de se pr\u00e9senter comme colonis\u00e9 par un \u00c9tat r\u00e9pressif : rappelons-nous que m\u00eame un \u00c9tat esclavagiste comme la Conf\u00e9d\u00e9ration am\u00e9ricaine a b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 du soutien des lib\u00e9raux et des progressistes europ\u00e9ens pendant la guerre de S\u00e9cession. Allen Buchanan, qui est pourtant un excellent professeur, est all\u00e9 jusqu’\u00e0 \u00e9crire un prologue \u00e0 son livre en espagnol dans lequel il soulignait que la faible qualit\u00e9 de l’autonomie en Espagne pouvait justifier la s\u00e9cession. Buchanan a d\u00e9truit tout son prestige acad\u00e9mique en avalant sans r\u00e9serve les couleuvres du nationalisme catalan. Il n’y a rien \u00e0 faire sur cette question : la dimension \u00e9motionnelle est ind\u00e9passable. Ce que Puigdemont dit ou fait n’a aucune importance. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, le PP et Vox, qui s’identifient au franquisme ou \u00e0 l’autoritarisme illib\u00e9ral d’Orb\u00e1n ou de Trump, inqui\u00e8tent beaucoup plus en dehors d\u2019Espagne.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Une question constitutionnelle pourrait peut-\u00eatre entraver les n\u00e9gociations entre Pedro S\u00e1nchez et les ind\u00e9pendantistes. Au-del\u00e0 de l\u2019alliance de gouvernement, elle soul\u00e8ve des probl\u00e8mes plus profonds et plus structurants pour le Royaume d\u2019Espagne. Pour le constitutionnaliste Josu de Miguel B\u00e1rcena, qui a d\u00e9j\u00e0 pris parti publiquement contre l\u2019ind\u00e9pendance de la Catalogne, ils demeureront un facteur de tensions tant que la question ne sera pas tranch\u00e9e politiquement. <\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":192375,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[3522],"tags":[],"geo":[543],"class_list":["post-192373","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-elections-espagnoles","staff-gerardo-munoz","geo-mediterranee"],"acf":[],"yoast_head":"\nLa formation de Puigdemont a fait savoir qu\u2019elle parviendrait \u00e0 un accord avec le PSOE si ce dernier acceptait l\u2019amnistie pour le r\u00e9f\u00e9rendum de 2017 et l\u2019autod\u00e9termination. S\u00e1nchez pourrait-il aller jusque l\u00e0 ou est-ce impossible dans la mesure o\u00f9 ces concessions entreraient en conflit avec l’ordre constitutionnel ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Comment analysez-vous la dimension institutionnelle du pouvoir ex\u00e9cutif face \u00e0 la fragmentation croissante du pouvoir territorial espagnol ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Dans un r\u00e9cent article paru dans El Mundo<\/em>, vous parliez d’une \u00e9ventuelle r\u00e9forme constitutionnelle qui favoriserait une refonte f\u00e9d\u00e9raliste du syst\u00e8me d\u00e9mocratique. Selon vous, celle-ci susceptible de mettre un terme au marchandage \u00e9lectoral auquel se livrent continuellement les nationalismes p\u00e9riph\u00e9riques . Mais ne faudrait-il pas pour cela un large consensus national ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
On parle beaucoup au niveau international de Vox et bien moins du \u00ab parti-mouvement \u00bb ind\u00e9pendantiste catalan de Puigdemont. Comment l\u2019expliquez-vous ? <\/strong><\/h3>\n\n\n\n