{"id":192043,"date":"2023-07-24T16:48:42","date_gmt":"2023-07-24T14:48:42","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=192043"},"modified":"2023-07-25T10:03:49","modified_gmt":"2023-07-25T08:03:49","slug":"la-gauche-espagnole-freine-la-vague-reactionnaire","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/07\/24\/la-gauche-espagnole-freine-la-vague-reactionnaire\/","title":{"rendered":"La gauche espagnole freine la vague r\u00e9actionnaire"},"content":{"rendered":"\n
La br\u00e8ve campagne \u00e9lectorale pour les \u00e9lections espagnoles, qui furent anticip\u00e9es apr\u00e8s la s\u00e9v\u00e8re d\u00e9faite du bloc progressiste lors des derni\u00e8res \u00e9lections locales, a \u00e9t\u00e9 marqu\u00e9e par une certitude g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e : le Parti populaire (PP) allait remporter les \u00e9lections. Comme le disait un spot \u00e9lectoral du PP, en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 Verano azul<\/em> (l\u2019\u00e9t\u00e9 azur), une s\u00e9rie t\u00e9l\u00e9vis\u00e9e populaire des ann\u00e9es 1980, l’\u00e9t\u00e9 allait \u00eatre bleu pour la droite.<\/p>\n\n\n\n La question \u00e9tait de savoir de quelle ampleur serait leur victoire. Dans le meilleur des cas, il fallait obtenir plus de 150 d\u00e9put\u00e9s et tenter d’obtenir les abstentions n\u00e9cessaires pour former un gouvernement seul en invoquant le fait d\u2019\u00eatre le premier parti ; dans le pire des cas, il faudrait s’allier \u00e0 l’extr\u00eame droite de Vox. Ce sentiment a \u00e9t\u00e9 renforc\u00e9 apr\u00e8s le d\u00e9bat du 10 juillet, o\u00f9 le candidat conservateur Alberto N\u00fa\u00f1ez Feij\u00f3o s’est montr\u00e9 ultra-offensif face \u00e0 un Pedro S\u00e1nchez \u00e9tonnamment h\u00e9sitant et sur la d\u00e9fensive. Apr\u00e8s ce face-\u00e0-face, l’euphorie r\u00e9gnait dans les rangs du PP. La Moncloa, le si\u00e8ge du gouvernement, semblait \u00e0 port\u00e9e de main, la vague semblait inarr\u00eatable, il suffisait de savoir la prendre.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Mais aucun de ces sc\u00e9narios ne s’est d\u00e9roul\u00e9 dimanche soir. C’est pourquoi, bien qu’il ait obtenu plus de voix et plus de d\u00e9put\u00e9s, lorsque N\u00fa\u00f1ez Feij\u00f3o est apparu devant le si\u00e8ge du parti dans la rue G\u00e9nova, sa joie factice peinait \u00e0 couvrir la d\u00e9ception, et la tension ambiante : m\u00eame en ajoutant les ultras de Vox, le PP n’a pas r\u00e9ussi \u00e0 atteindre le nombre magique de 176 d\u00e9put\u00e9s. <\/p>\n\n\n\n Si, entre 2019 et 2023, le PP est pass\u00e9 de 89 \u00e0 136 si\u00e8ges, cette croissance s’est faite en grande partie au d\u00e9triment de Vox, et surtout de Ciudadanos, qui a disparu. Le bloc de droite et d’extr\u00eame droite n’a plus aucune chance de trouver d’autres alli\u00e9s o\u00f9 que ce soit. C’est pourquoi, devant les militants et les dirigeants du parti, N\u00fa\u00f1ez Feij\u00f3o leur a demand\u00e9 de le \u00ab laisser gouverner \u00bb puisqu\u2019il \u00e9tait arriv\u00e9 en t\u00eate, comme si l’Espagne \u00e9tait un r\u00e9gime pr\u00e9sidentiel. Mais l’Espagne est une monarchie constitutionnelle avec un r\u00e9gime parlementaire<\/a>, ce qui signifie que celui qui obtient la majorit\u00e9 au Congr\u00e8s des d\u00e9put\u00e9s gouverne, pas celui qui, individuellement, a r\u00e9uni le plus de voix. <\/p>\n\n\n\n Ainsi, alors que le PP a gagn\u00e9 en perdant, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a perdu en gagnant, en obtenant 122 d\u00e9put\u00e9s. La droite n’ayant pas de majorit\u00e9, S\u00e1nchez pourrait \u00eatre en mesure de reconstituer un gouvernement progressiste avec le parti Sumar de Yolanda D\u00edaz, s’il parvient \u00e0 se sortir d’une partie d’\u00e9checs compliqu\u00e9e, qui se joue \u00e0 la fois sur le plan id\u00e9ologique et partisan : la cl\u00e9 d’un nouveau gouvernement socialiste est entre les mains des ind\u00e9pendantistes catalans, qui ont d\u00e9j\u00e0 annonc\u00e9 qu’ils feraient payer tr\u00e8s cher leur \u00e9ventuel soutien ou leur abstention. Si personne n’obtient la majorit\u00e9 absolue au premier tour de l’investiture, une majorit\u00e9 relative au second tour suffirait : autrement dit, il faudra simplement r\u00e9unir plus de oui que de non. Dans le cas contraire, il y aura de nouvelles \u00e9lections. <\/p>\n\n\n\n Les r\u00e9sultats s’expliquent en partie par la semaine pr\u00e9c\u00e9dant les \u00e9lections, au cours de laquelle les socialistes ont fait un retour en force, gr\u00e2ce \u00e0 la mobilisation de l\u2019\u00e9lectorat progressiste contre un \u00e9ventuel gouvernement de droite et d’extr\u00eame-droite. Les socialistes et Sumar ont cherch\u00e9 \u00e0 pr\u00e9senter Feij\u00f3o comme un menteur qui, lors du d\u00e9bat avec S\u00e1nchez, n’aurait pas h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 recourir \u00e0 des demi-v\u00e9rit\u00e9s, des mensonges et des accusations infond\u00e9es. Le candidat conservateur a tr\u00e9buch\u00e9 dans plusieurs interviews et a refus\u00e9 de participer au d\u00e9bat \u00e0 quatre, o\u00f9 la gauche s’est alors adress\u00e9e \u00e0 Santiago Abascal de Vox comme s’il \u00e9tait un repr\u00e9sentant de Feij\u00f3o. Vers la fin de la campagne, une vieille photo a ressurgi dans laquelle on voit l\u2019ancien pr\u00e9sident de la Galice posant sur un bateau avec un trafiquant de drogue. La r\u00e9ponse de M. Feij\u00f3o, qui a expliqu\u00e9 qu’\u00e0 l’\u00e9poque, il n’y avait pas de Google pour savoir qui \u00e9tait Marcial Dorado, a fait oublier les effets positifs du d\u00e9bat du 10 juillet. Dans le m\u00eame temps, Yolanda D\u00edaz, elle-m\u00eame galicienne, a r\u00e9ussi \u00e0 attaquer Feij\u00f3o plus efficacement que le PSOE lui-m\u00eame.<\/p>\n\n\n\n Alors que le PP a gagn\u00e9 en perdant, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a perdu en gagnant, en obtenant 122 d\u00e9put\u00e9s.<\/p>Pablo Stefanoni<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La strat\u00e9gie radicale de S\u00e1nchez a fonctionn\u00e9 : en avan\u00e7ant les \u00e9lections, la campagne \u00e9lectorale a co\u00efncid\u00e9 avec la formation des gouvernements r\u00e9gionaux issus des \u00e9lections du 28 mai. Tant dans les mairies que dans les communaut\u00e9s autonomes (Valence, Bal\u00e9ares, Estr\u00e9madure), le PP a pactis\u00e9 avec Vox pour obtenir des majorit\u00e9s<\/a>. Et cela a eu un co\u00fbt : Vox a vot\u00e9 contre la loi contre la violence sexiste ; il cherche \u00e0 retirer les drapeaux LGBT des municipalit\u00e9s ; il a mis en place des banni\u00e8res de campagne appelant \u00e0 jeter les drapeaux catalans et LGBT ; et il a \u00e9t\u00e9 accus\u00e9 de censure culturelle. Le parti d\u2019extr\u00eame droite a par exemple refus\u00e9, pour de soi-disant raisons budg\u00e9taires, qu’une pi\u00e8ce adapt\u00e9e d\u2019Orlando <\/em>de Virgina Woolf soit jou\u00e9e \u00e0 Valdemorillo, une municipalit\u00e9 de 15 000 habitants dans la Communaut\u00e9 de Madrid.<\/p>\n\n\n\n Le PSOE a bas\u00e9 sa campagne sur la pr\u00e9vention de l’arriv\u00e9e au pouvoir du \u00ab bloc involutif \u00bb \u2014 autrement dit, le bloc de la r\u00e9gression \u2014 PP-VOX, et Feij\u00f3o a d\u00fb r\u00e9pondre dans chaque interview \u00e0 la question de savoir s’il r\u00e9p\u00e9terait \u00e0 l\u2019\u00e9chelle nationale les alliances locales avec l’extr\u00eame droite. Bien que le leader populaire ait tent\u00e9 \u00e0 maintes reprises d\u2019esquiver la r\u00e9ponse, les math\u00e9matiques \u00e9lectorales ne laissaient aucun doute : le seul alli\u00e9 possible du PP \u00e9tait Vox. <\/p>\n\n\n\n Le r\u00f4le de l’ancien pr\u00e9sident Jos\u00e9 Luis Rodr\u00edguez Zapatero a \u00e9galement \u00e9t\u00e9 important dans la campagne socialiste. Il a d\u00e9fendu le bloc progressiste et attaqu\u00e9 le bloc conservateur avec une telle \u00e9nergie et une telle pr\u00e9cision rh\u00e9torique que de nombreuses personnes de gauche ont mis de c\u00f4t\u00e9 le fait que le mouvement des indignados<\/em> avait essentiellement \u00e9t\u00e9 tourn\u00e9 contre lui pour en faire une r\u00e9f\u00e9rence dans les d\u00e9bats actuels. <\/p>\n\n\n\n Pour \u00e9viter une fuite des voix vers l’extr\u00eame droite, le PP a radicalis\u00e9 son discours et Feij\u00f3o a abandonn\u00e9 son image de pr\u00e9sident mod\u00e9r\u00e9 de la communaut\u00e9 de Galice. Sa campagne agressive appelait \u00e0 \u00ab l’abrogation du Sanchismo \u00bb, qu’il d\u00e9non\u00e7ait comme un courant bolivarien, parfaitement \u00e9tranger \u00e0 la tradition mod\u00e9r\u00e9e du PSOE. Dans le m\u00eame temps, elle a accus\u00e9 S\u00e1nchez de gouverner avec les \u00ab ennemis de l’Espagne \u00bb \u2014 en raison des pactes du PSOE avec Esquerra Republicana de Catalunya et Bildu, des gr\u00e2ces accord\u00e9es aux dirigeants du proc\u00e8s ind\u00e9pendantiste catalan et de l’abrogation du d\u00e9lit de s\u00e9dition. Et, de mani\u00e8re opportuniste, il a profit\u00e9 de l’\u00e9chec de la loi \u00ab seul un oui est un oui \u00bb, promue par le minist\u00e8re de l’\u00e9galit\u00e9, aux mains de Podemos, qui, en modifiant les peines maximales et minimales, a permis la lib\u00e9ration anticip\u00e9e de certains d\u00e9linquants sexuels condamn\u00e9s. Bien que la loi ait \u00e9t\u00e9 \u00ab corrig\u00e9e \u00bb, avec le vote du PSOE et du PP et le rejet de Podemos, Feij\u00f3o n\u2019a cess\u00e9 d\u2019accuser S\u00e1nchez de permettre la lib\u00e9ration \u00ab massive \u00bb de violeurs tout en pr\u00e9tendant d\u00e9fendre les femmes. Le PP, abandonnant toute mod\u00e9ration, a fini par traiter S\u00e1nchez comme une sorte de squatter de la Moncloa, un gouvernement ill\u00e9gitime.<\/p>\n\n\n\n Le slogan \u00ab [S\u00e1nchez] Que te vote Txapote<\/em> \u00bb, en r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 un leader de l’ETA condamn\u00e9 pour divers crimes, a cherch\u00e9, avec beaucoup de succ\u00e8s, \u00e0 installer une rh\u00e9torique trollesque qui pr\u00e9sentait S\u00e1nchez comme un ami des ennemis de l’Espagne. Malgr\u00e9 les protestations de plusieurs victimes de l’ETA face \u00e0 cette utilisation frivole et inconsid\u00e9r\u00e9e de l’histoire, \u00ab Que te vote Txapote \u00bb a \u00e9t\u00e9 chant\u00e9 dans les rassemblements du PP et m\u00eame dans les f\u00eates o\u00f9 se pressaient les partisans les plus en vue du PP. Entre-temps, le PSOE a cherch\u00e9 \u00e0 int\u00e9grer le d\u00e9bat \u00e9conomique et social dans la campagne : lutte contre l’inflation ; r\u00e9forme du travail promue par la deuxi\u00e8me vice-pr\u00e9sidente et ministre du Travail Yolanda D\u00edaz<\/a> ; aide lors de la pand\u00e9mie ; baisse du tarif de l’\u00e9lectricit\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 \u00ab l’exception ib\u00e9rique \u00bb\u2026<\/p>\n\n\n\n Pour \u00e9viter une fuite des voix vers l’extr\u00eame droite, le PP a radicalis\u00e9 son discours et Feij\u00f3o a abandonn\u00e9 son image de pr\u00e9sident mod\u00e9r\u00e9 de la communaut\u00e9 de Galice. <\/p>Pablo Stefanoni<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Mais les r\u00e9sultats s’expliquent aussi par la g\u00e9opolitique de cet \u00c9tat, en pratique plurinational, qu’est l’Espagne. La campagne furieusement anti-identitaire en Catalogne et au Pays Basque a affaibli \u00e0 l’extr\u00eame le vote du PP dans les deux communaut\u00e9s, tandis que le vote du PSOE a augment\u00e9. En Catalogne, les socialistes, apr\u00e8s leur politique de pardon et d’apaisement des tensions sur la question de l’ind\u00e9pendance, ont remport\u00e9 la victoire le 23 juillet. Ils sont \u00e9galement arriv\u00e9s en t\u00eate au Pays basque.<\/p>\n\n\n\nQue s’est-il pass\u00e9 ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n