{"id":182436,"date":"2023-04-15T16:30:19","date_gmt":"2023-04-15T14:30:19","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=182436"},"modified":"2023-04-17T18:26:22","modified_gmt":"2023-04-17T16:26:22","slug":"organiser-la-violence-le-pouvoir-des-groupes-dautodefense-au-mexique","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/04\/15\/organiser-la-violence-le-pouvoir-des-groupes-dautodefense-au-mexique\/","title":{"rendered":"Organiser la violence : le pouvoir des groupes d\u2019autod\u00e9fense au Mexique"},"content":{"rendered":"\n
Il y a dix ans, en f\u00e9vrier 2013, une centaine d’hommes ont pris les armes au c\u0153ur de la r\u00e9gion de Tierra Caliente, dans l\u2019\u00c9tat du Michoac\u00e1n, \u00e0 l’ouest du Mexique <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ils s’appelaient \u00ab groupes d’autod\u00e9fense du Michoac\u00e1n \u00bb et avaient pour objectif de combattre et d’an\u00e9antir le cartel des Chevaliers Templiers, une organisation criminelle qui dominait la majeure partie de l’\u00c9tat. Dans une large mesure, les groupes d’autod\u00e9fense ont r\u00e9ussi. Parall\u00e8lement \u00e0 deux ans de mobilisations qui ont rassembl\u00e9 plus de quinze mille hommes arm\u00e9s dans 34 municipalit\u00e9s du Michoac\u00e1n, le gouvernement du pr\u00e9sident Enrique Pe\u00f1a Nieto a conduit en 2014 un processus de n\u00e9gociation sans pr\u00e9c\u00e9dent entre les civils arm\u00e9s et les autorit\u00e9s publiques. En un an, une partie des groupes d’autod\u00e9fense est pass\u00e9e du statut de groupe arm\u00e9 ill\u00e9gal \u00e0 celui de force publique, \u00e0 travers un processus de \u00ab l\u00e9galisation \u00bb qui a men\u00e9 \u00e0 la cr\u00e9ation d’une nouvelle police locale, la Force rurale, aujourd’hui disparue.<\/p>\n\n\n\n Formellement actifs entre 2013 et 2015, les groupes d’autod\u00e9fense du Michoac\u00e1n constituent un cas d’\u00e9tude fructueux pour analyser le vigilantisme arm\u00e9, ses liens avec les groupes criminels et les autorit\u00e9s publiques, et l\u2019utilisation par ces derni\u00e8res de relais locaux pour la gouvernance. Surtout, et au-del\u00e0 de la p\u00e9riode active du mouvement, les soul\u00e8vements et la multiplication des groupes ont laiss\u00e9 des traces qui restent fondamentales dans le paysage de la politique, de l’ins\u00e9curit\u00e9 et de la violence au Mexique.<\/p>\n\n\n\n S’appuyant sur un travail de recherche de terrain men\u00e9 depuis 2013 dans les \u00c9tats du Michoac\u00e1n et du Guerrero, cet essai laisse de c\u00f4t\u00e9 la question des polices communautaires \u2014 appartenant \u00e0 des communaut\u00e9s indig\u00e8nes \u2014 pour se concentrer sur les groupes d’autod\u00e9fense et poser les questions suivantes sur la gouvernance de la violence au Mexique : pourquoi les groupes d’autod\u00e9fense se sont-ils multipli\u00e9s ? Quelles sont leurs relations avec les groupes criminels d’une part, et avec les autorit\u00e9s publiques d’autre part ? Et quel r\u00f4le jouent-ils dans la r\u00e9gulation de la violence et dans la gouvernance locale, en particulier dans des r\u00e9gions embl\u00e9matiques de la \u00ab guerre contre la drogue \u00bb ?<\/p>\n\n\n\n Formellement actifs entre 2013 et 2015, les groupes d’autod\u00e9fense du Michoac\u00e1n constituent un cas d’\u00e9tude fructueux pour analyser le vigilantisme arm\u00e9, ses liens avec les groupes criminels et les autorit\u00e9s publiques, et l\u2019utilisation par ces derni\u00e8res de relais locaux pour la gouvernance.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pour r\u00e9pondre, nous examinerons comment les leaders civils arm\u00e9s et le gouvernement mexicain ont dialogu\u00e9, collabor\u00e9 et se sont affront\u00e9s au cours des dix derni\u00e8res ann\u00e9es. Surtout, nous verrons comment les premiers, par leur mobilisation dans les groupes d’autod\u00e9fense, mais aussi par leurs relations avec les autorit\u00e9s publiques, sont progressivement devenus des patrons politiques \u2014 des caciques<\/em>, pour user d\u2019une appellation mexicaine \u2014 capables de contr\u00f4ler des territoires, des ressources politiques strat\u00e9giques, des march\u00e9s \u00e9conomiques licites et illicites et des r\u00e9seaux d\u2019interm\u00e9diation et de client\u00e9lisme cruciaux entre les citoyens et les trois niveaux de gouvernement.<\/p>\n\n\n\n L’analyse de la derni\u00e8re d\u00e9cennie dans le Michoac\u00e1n permet ainsi de documenter l’\u00e9mergence d’op\u00e9rateurs politiques arm\u00e9s capables d’utiliser leurs comp\u00e9tences pour devenir dominants \u2014 et indispensables \u2014 dans les sch\u00e9mas de gouvernance locale. Simultan\u00e9ment, ce cas permet d’\u00e9tudier comment les autorit\u00e9s sont capables de n\u00e9gocier, de coopter, de r\u00e9primer ou d\u2019institutionnaliser divers acteurs informels, voire violents, dans le Mexique contemporain.<\/p>\n\n\n\n Cependant, le fait de gouverner par l’interm\u00e9diaire d’\u00ab hommes forts \u00bb locaux \u2014 qu’il s’agisse de chefs de groupes d’autod\u00e9fense, de chefs criminels, de membres de partis politiques, d’activistes ou d’\u00e9lites \u00e9conomiques \u2014 contribue \u00e0 promouvoir l\u2019usage de la force et des armes comme ressource clef pour conqu\u00e9rir ou conserver le pouvoir. Cela finit par limiter, affaiblir et m\u00eame, dans certains cas, emp\u00eacher la participation et la repr\u00e9sentation politiques non arm\u00e9es des citoyens, fermant ainsi la vie d\u00e9mocratique de r\u00e9gions enti\u00e8res.<\/p>\n\n\n\n L\u2019usage de la force et des armes comme ressource clef pour conqu\u00e9rir ou conserver le pouvoir finit par limiter, affaiblir et m\u00eame, dans certains cas, emp\u00eacher la participation et la repr\u00e9sentation politiques non arm\u00e9es des citoyens, fermant ainsi la vie d\u00e9mocratique de r\u00e9gions enti\u00e8res.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les groupes d’autod\u00e9fense ont pr\u00e9tendu \u00ab faire le travail que le gouvernement ne fait pas \u00bb dans la lutte contre le crime organis\u00e9 et l’extorsion, tout en demandant \u00e0 ce m\u00eame gouvernement de les soutenir avec des ressources politiques et militaires. D’o\u00f9 le paradoxe : tout en revendiquant une tradition de localisme, d’auto-organisation et d’auto-justice, les Autod\u00e9fenses exigeaient une plus forte pr\u00e9sence et intervention de l’\u00c9tat, principalement pour soutenir leurs soul\u00e8vements et la lutte contre les Templiers.<\/p>\n\n\n\n Cependant, apr\u00e8s dix ans de promesses de paix et de s\u00e9curit\u00e9, le Michoac\u00e1n est non seulement rest\u00e9 parmi les cinq \u00c9tats les plus violents du pays, mais a connu une augmentation de 186,97 % du nombre d’homicides entre 2015 et 2021. En 2022, malgr\u00e9 une diminution de 10,90 %, il demeurait le quatri\u00e8me \u00c9tat le plus violent, avec un total de 2 423 homicides enregistr\u00e9s et un taux de 51 meurtres pour cent mille habitants. En outre, en 2021, il s’est class\u00e9 au premier rang national en mati\u00e8re de d\u00e9placement interne forc\u00e9, avec 13 515 personnes officiellement d\u00e9plac\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n Il est en outre est le foyer de dizaines d’organisations criminelles et de groupes arm\u00e9s. Ces derni\u00e8res ann\u00e9es, il a \u00e9t\u00e9 le th\u00e9\u00e2tre d’un conflit particuli\u00e8rement violent entre le Cartel Jalisco Nouvelle G\u00e9n\u00e9ration (CJNG) et une coalition de groupes criminels locaux et d’ex-groupes d’autod\u00e9fense, les Cartels unis (C\u00e1rteles Unidos<\/em>). Enfin, le Michoac\u00e1n est une r\u00e9gion cruciale pour l’importation et le trafic de coca\u00efne, l’importation de pr\u00e9curseurs chimiques en provenance d’Asie pour la production de fentanyl et de m\u00e9thamph\u00e9tamines, pour l’extorsion et le racket d’entreprises locales ; c\u2019est aussi un foyer d’activit\u00e9s mini\u00e8res et d’agro-industries d’exportation de plusieurs milliards de dollars telles que le citron vert, les baies et le c\u00e9l\u00e8bre avocat (dont le Michoacan est le premier producteur mondial), formant ainsi un paysage de march\u00e9s criminels particuli\u00e8rement imbriqu\u00e9s et complexes.<\/p>\n\n\n\n Le Michoac\u00e1n est une r\u00e9gion cruciale pour l’importation et le trafic de coca\u00efne, l’importation de pr\u00e9curseurs chimiques en provenance d’Asie pour la production de fentanyl et de m\u00e9thamph\u00e9tamines, pour l’extorsion et le racket d’entreprises locales<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pour cette analyse, j’identifie quatre phases qui permettent de comprendre le paysage actuel de violence. La premi\u00e8re est la cr\u00e9ation et l’expansion des groupes d’autod\u00e9fense, leur lutte contre les Templiers et leur institutionnalisation partielle dans le cadre de la Force rurale, entre 2013 et 2015. Dans la deuxi\u00e8me phase, entre 2015 et 2018, le pouvoir local s’est consolid\u00e9 entre les mains de leaders ayant accumul\u00e9 des ressources et un contr\u00f4le sur les march\u00e9s licites ou illicites gr\u00e2ce \u00e0 leur participation aux groupes d’autod\u00e9fense. La troisi\u00e8me phase est marqu\u00e9e par une rupture violente des alliances entre les groupes dominants qui a conduit au conflit entre C\u00e1rteles Unidos et le CJNG, un \u00e9pisode que les habitants appellent maintenant \u00ab la guerre \u00bb et qui s’est d\u00e9roul\u00e9 entre 2019 et 2022. Enfin, la p\u00e9riode actuelle, caract\u00e9ris\u00e9e par une violence chronique combin\u00e9e \u00e0 une apparente stabilit\u00e9 post-\u00ab guerre \u00bb, que nos interlocuteurs, au cours de l’hiver 2022, qualifiaient de \u00ab tension calme \u00bb (tensa calma<\/em>).<\/p>\n\n\n\n Cette appellation, loin de repr\u00e9senter un progr\u00e8s vers une paix durable, indique plut\u00f4t l\u2019accoutumance des habitants \u00e0 des niveaux et des pratiques de violence extr\u00eames. Juan [le nom a \u00e9t\u00e9 chang\u00e9]<\/em>, un activiste qui travaille dans la r\u00e9gion de la Tierra Caliente du Michoac\u00e1n depuis des d\u00e9cennies, d\u00e9crit la situation actuelle comme suit :<\/p>\n\n\n\n \u00ab Il n’y a pas de paix. La tension calme, oui, c’est quelque chose que beaucoup disent… Je crois qu\u2019on est r\u00e9sistants mais frustr\u00e9s, r\u00e9sign\u00e9s. Est-ce que tu peux construire quelque chose de concret l\u00e0-dessus ? Est-ce que tu peux travailler sur cette base ? Peut-\u00eatre qu\u2019on ne vit pas avec la peur d\u2019avant, peut-\u00eatre que les groupes d’autod\u00e9fense ont enlev\u00e9 une partie de la peur, mais te fais pas d\u2019illusions… Ce n’est pas la paix, ni le conflit, je ne sais pas ce que c’est… C’est la vie qu\u2019on a. Quand \u00e7a chauffe, c’est l\u00e0 qu’on voit que les gens se renferment tout de suite sur eux-m\u00eames… C\u2019est des choses apprises. On ne sort pas, on ne parle pas, on s’occupe de soi, on sait chercher l’information importante\u2026 Mais bon, \u00e7a baigne dans la peur, dans la crainte. Les gens ne prennent pas de risques, parce qu\u2019on conna\u00eet tous la r\u00e9alit\u00e9 de la menace. Ici, si tu vas un peu trop loin, t\u2019es mort. Et la fronti\u00e8re est mince entre bien se comporter et aller trop loin. Peut-\u00eatre qu\u2019on est plus cyniques qu’avant aussi, encore plus sceptiques \u00e0 l’\u00e9gard de toute promesse, de tout projet, de tout discours… Les gens ici sont tr\u00e8s pragmatiques, ils savent que la violence est ce qui te donne le vrai pouvoir, le pouvoir de faire de la politique principalement. On vit dans une terre de violence, une terre de cartels et de groupes arm\u00e9s. Mais attention, c\u2019est pas une zone de non-droit, dans le Michoac\u00e1n, il y a la loi, il y a l’ordre. […] On vit sous la loi des cartels, de l’arm\u00e9e, du gouvernement. \u00bb<\/em> <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n L’argument de Juan sur l’ordre est crucial pour comprendre une grande partie des situations de violence dans le Michoac\u00e1n, mais aussi au Mexique en g\u00e9n\u00e9ral. Cet \u00ab ordre \u00bb n’implique pas n\u00e9cessairement l’absence de violence mais sa r\u00e9gulation, par divers acteurs publics et priv\u00e9s, qui n\u00e9gocient la mani\u00e8re dont le pouvoir et l’autorit\u00e9 sont exerc\u00e9s au niveau local. Ces n\u00e9gociations \u2014 ou dialogues \u2014 ont lieu en permanence, loin de l\u2019id\u00e9e de grands pactes \u00ab mafieux \u00bb. Elles ont davantage lieu dans le cadre de ce que l’on peut appeler les \u00ab relations politico-criminelles \u00bb, c’est-\u00e0-dire les relations entre les univers politiques et les acteurs locaux plus ou moins violents : des caciques, des hommes forts, des membres de l\u2019\u00e9lite \u00e9conomique locale, des op\u00e9rateurs politiques, des repr\u00e9sentants politiques et, \u00e9videmment, des narcotrafiquants. En peu de mots, des autorit\u00e9s de facto<\/em> qui sont devenus, comme nous le verrons plus loin, des interm\u00e9diaires indispensables au bon fonctionnement de la gouvernance locale.<\/p>\n\n\n\n Cet \u00ab ordre \u00bb n’implique pas n\u00e9cessairement l’absence de violence mais sa r\u00e9gulation, par divers acteurs publics et priv\u00e9s, qui n\u00e9gocient la mani\u00e8re dont le pouvoir et l’autorit\u00e9 sont exerc\u00e9s au niveau local.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n De nombreux travaux d’universitaires, d’experts et de journalistes ont soutenu que la multiplication des organisations criminelles et des groupes civils arm\u00e9s tels que les groupes d’autod\u00e9fense sont un sympt\u00f4me de l’affaiblissement de l’\u00c9tat. Ils sont compris comme des ennemis absolus des pouvoirs publics. <\/p>\n\n\n\n Notre analyse pr\u00e9sente une hypoth\u00e8se diff\u00e9rente : je soutiens que la multiplication des acteurs violents au Mexique \u2014 y compris les groupes narcotrafiquants \u2014 loin d’impliquer un recul m\u00e9canique et une d\u00e9faite de l’\u00c9tat, illustre une transformation des modalit\u00e9s de n\u00e9gociation entre les autorit\u00e9s publiques, les civils arm\u00e9s et les groupes criminels pour la gouvernance de vastes r\u00e9gions du pays, en particulier dans le contexte de la \u00ab guerre contre la drogue \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Pour revenir \u00e0 l’argument de Juan sur \u00ab l’ordre \u00bb dans le Michoac\u00e1n, il convient de rappeler l’objectif initial des groupes d’autod\u00e9fense : abolir le contr\u00f4le impos\u00e9 par les Templiers et faire dispara\u00eetre le cartel. Ce \u00ab nettoyage \u00bb s’accompagnait de la volont\u00e9 de produire un nouvel ordre social et moral ; il rappelle la tension qui anime la plupart des groupes d’autod\u00e9fense, au Mexique et dans le monde, que l\u2019on peut analyser comme des mouvements engag\u00e9s \u00e0 \u00ab violer la loi pour la faire respecter \u00bb <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Initialement, les t\u00e2ches \u00ab judiciaires\u200b\u200b \u00bb des groupes d’autod\u00e9fense pouvaient inclure la confiscation des biens des Templiers, ainsi que des ch\u00e2timents corporels ou l\u2019\u00e9limination pure et simple de ses membres. Cependant, les groupes d’autod\u00e9fense ont montr\u00e9 que les \u00ab justiciers \u00bb ne cherchaient pas \u00e0 \u00e9radiquer totalement le crime organis\u00e9. Ils se sont davantage attach\u00e9s \u00e0 en r\u00e9guler ses activit\u00e9s, notamment en cherchant \u00e0 mettre fin \u00e0 certaines pratiques jug\u00e9es intol\u00e9rables (l\u2019extorsion, les fusillades, les violences contre les femmes ou les jeunes) et \u00e0 s\u00e9parer les activit\u00e9s criminelles \u2014 comme la production et le trafic de drogue \u2014 du reste de la soci\u00e9t\u00e9. Pour le dire plus simplement et pour reprendre une id\u00e9e souvent entendue sur le terrain, il s’agit de revenir \u00e0 un pass\u00e9 (parfois fantasm\u00e9) o\u00f9 les narcos \u00ab <\/em>n\u2019emb\u00eataient pas les gens \u00bb. En d’autres termes, pour vivre en paix, il faudrait restaurer la coexistence de deux univers parall\u00e8les, avec d’un c\u00f4t\u00e9 la criminalit\u00e9 et de l’autre la soci\u00e9t\u00e9 \u00ab saine \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Pour reprendre une id\u00e9e souvent entendue sur le terrain, il s’agit de revenir \u00e0 un pass\u00e9 (parfois fantasm\u00e9) o\u00f9 les narcos \u00ab <\/em>n\u2019emb\u00eataient pas les gens \u00bb. En d’autres termes, pour vivre en paix, il faudrait restaurer la coexistence de deux univers parall\u00e8les, avec d’un c\u00f4t\u00e9 la criminalit\u00e9 et de l’autre la soci\u00e9t\u00e9 \u00ab saine \u00bb.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ainsi, bien que ces groupes soient le r\u00e9sultat d’une accumulation de m\u00e9contentements, leur ambition morale et sociale n’est pas d’\u00e9liminer le crime organis\u00e9, le trafic de drogue ou d’affronter l’\u00c9tat, mais de changer la mani\u00e8re dont les uns et les autres agissent. Dans cette situation, \u00ab l’auto-justice \u00bb est pr\u00e9sent\u00e9e comme un imp\u00e9ratif moral : lorsque le gouvernement ne fait pas son travail contre les groupes criminels, il faudrait se faire justice soi-m\u00eame et devenir le protecteur de la communaut\u00e9.<\/p>\n\n\n\n La capacit\u00e9 des groupes d’autod\u00e9fense \u00e0 r\u00e9tablir l’ordre a repos\u00e9 sur leur organisation territoriale. Entre 2013 et 2015, leurs chefs ont construit leur autorit\u00e9 sur de petites portions de territoire afin d’appara\u00eetre comme les seuls chefs, tant aupr\u00e8s de la population que du gouvernement f\u00e9d\u00e9ral. En prenant en charge la s\u00e9curit\u00e9 et le contr\u00f4le de leurs fiefs, les leaders de groupes d’autod\u00e9fense ont pu se pr\u00e9senter aux autorit\u00e9s comme des alli\u00e9s dans la cogestion de la gouvernance, une position qu\u2019ils peuvent toujours occuper en d\u00e9pit de la d\u00e9mobilisation officielle des groupes.<\/p>\n\n\n\n La territorialisation des groupes d’autod\u00e9fense leur a par exemple permis de s’engager dans une coop\u00e9ration militaire active avec les forces publiques, notamment dans la poursuite des leaders Templiers en fuite. En retour, en collaborant avec les leaders, le gouvernement est parvenu \u00e0 retrouver une certaine l\u00e9gitimit\u00e9 locale ou, du moins, \u00e0 garantir une pr\u00e9sence militaire \u00e0 travers le biais d’un partenaire local. Les groupes d\u2019autod\u00e9fense ont offert aux forces arm\u00e9es des comp\u00e9tences et des connaissances pr\u00e9cieuses, non seulement en termes de renseignements sur la vie sociale locale, mais aussi en ce qui concerne la ma\u00eetrise du terrain d\u2019op\u00e9ration. La connaissance fine du territoire, par exemple, n’\u00e9tait pas totalement acquise par les forces f\u00e9d\u00e9rales, pourtant massivement d\u00e9ploy\u00e9es dans la r\u00e9gion. L’expertise locale des groupes d’autod\u00e9fense s’est av\u00e9r\u00e9e \u00eatre l’un de leurs principaux atouts pour gagner la confiance des forces publiques et des autorit\u00e9s f\u00e9d\u00e9rales.<\/p>\n\n\n\n La capacit\u00e9 des groupes d’autod\u00e9fense \u00e0 r\u00e9tablir l’ordre a repos\u00e9 sur leur organisation territoriale.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ces relations reposent sur un contr\u00f4le territorial qui peut sembler contradictoire, mais qui fonde en r\u00e9alit\u00e9 le c\u0153ur de l\u2019influence des \u00ab boss \u00bb locaux. Les leaders des Autod\u00e9fenses ont progressivement construit et contr\u00f4l\u00e9 des fiefs qui peuvent donner l’impression d’\u00eatre g\u00e9ographiquement et socialement isol\u00e9s, mais qui leur permettent pourtant d\u2019ouvrir un dialogue politique avec les autorit\u00e9s. C\u2019est en garantissant le strict contr\u00f4le de leur territoire que les leaders deviennent importants pour la gouvernance locale. En effet, comme beaucoup d’autres acteurs violents au Mexique, y compris les trafiquants de drogue, les groupes d’autod\u00e9fense du Michoac\u00e1n ont davantage lutt\u00e9 pour devenir des partenaires, des relais et des interm\u00e9diaires des autorit\u00e9s ; des rouages qui connectent et contr\u00f4lent des flux de ressources strat\u00e9giques (comme des financements publics, la mise en \u0153uvre de politiques de s\u00e9curit\u00e9, des si\u00e8ges \u00e9lectoraux ou des emplois, par exemple) \u2014 qui connectent aussi le gouvernement et la soci\u00e9t\u00e9 locale. <\/p>\n\n\n\n Ainsi, oscillant entre pression et collaboration, les chefs de groupes d’autod\u00e9fense, tels des seigneurs f\u00e9odaux appuy\u00e9s sur leur territoire, ont b\u00e2ti leur r\u00f4le d’interface de l\u2019\u00c9tat. Dans le m\u00eame temps, les autorit\u00e9s renfor\u00e7aient leurs capacit\u00e9s op\u00e9rationnelles politiques, am\u00e9lioraient leur aptitude \u00e0 recueillir des informations sur les dynamiques locales de violence et se faisaient de nouveaux alli\u00e9s, augmentant ainsi leur capacit\u00e9 de gouvernance locale.<\/p>\n\n\n\n Oscillant entre pression et collaboration, les chefs de groupes d’autod\u00e9fense, tels des seigneurs f\u00e9odaux appuy\u00e9s sur leur territoire, ont b\u00e2ti leur r\u00f4le d’interface de l\u2019\u00c9tat.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ces r\u00f4les interm\u00e9diaires sont courants dans les zones rurales du Mexique. On peut y voir un \u00e9quivalent des caciques<\/em>, par exemple. Historiquement, l\u2019\u00c9tat mexicain a tol\u00e9r\u00e9, soutenu et m\u00eame autoris\u00e9 ces autorit\u00e9s informelles \u2014 caciques <\/em>ou caudillos <\/em>\u2014 \u00e0 assumer certaines t\u00e2ches de gouvernance et m\u00eame \u00e0 recourir \u00e0 la violence, tant qu’elles restaient align\u00e9es sur les int\u00e9r\u00eats fix\u00e9s par les autorit\u00e9s publiques et ouvertes au dialogue avec elles. On peut y voir des pratiques classiques de d\u00e9l\u00e9gation du pouvoir \u00e9tatique, celui-ci s\u2019appuyant sur des proxies <\/em>afin de gouverner localement. Dans le cas du Michoac\u00e1n, l’exp\u00e9rience, le charisme et le pouvoir accumul\u00e9s par les leaders de ces groupes depuis 2013 sont au c\u0153ur de l’architecture actuelle de la s\u00e9curit\u00e9 (ou de l\u2019ins\u00e9curit\u00e9) locale.<\/p>\n\n\n\n Carlos, le chef d’un groupe arm\u00e9 qui comprend \u00e0 la fois d\u2019anciens membres des Autod\u00e9fenses et des forces de police, analysait ces dynamiques lors d’un entretien en novembre 2022 :<\/p>\n\n\n\n \u00ab J’ai la capacit\u00e9 de faire descendre mes hommes dans la rue en une seconde. Il suffit de faire sonner les cloches de l’\u00e9glise ou d’envoyer une s\u00e9rie de messages WhatsApp pour que les gens sortent imm\u00e9diatement. C’est ce qui a chang\u00e9 avec les groupes d’autod\u00e9fense, les gens ont perdu la peur des groupes criminels ou du gouvernement, et on est organis\u00e9s, on a l’exp\u00e9rience… C’est notre territoire et on le conna\u00eet sur le bout des doigts. C\u2019est peu probable que quelqu\u2019un puisse entrer sur notre territoire sans qu\u2019on soit au courant imm\u00e9diatement, et si on entend parler d’une menace, on r\u00e9agit, on fait sortir les gens de chez eux, avec ou sans armes. Les autres groupes le savent, et les autorit\u00e9s aussi\u2026 Du coup ils y r\u00e9fl\u00e9chissent \u00e0 deux fois avant de faire quelque chose de stupide contre nous \u00bb.<\/em> <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n Ce t\u00e9moignage illustre un h\u00e9ritage crucial des groupes d’autod\u00e9fense : un apprentissage de la mobilisation collective, de l’occupation du territoire, de la patrouille arm\u00e9e et du sentiment d’appartenance et d’entraide. Ces savoir-faire se conjuguent avec le sentiment plus diffus, d\u00e9crit par Carlos, \u00ab d’avoir perdu la peur \u00bb : si la s\u00e9curit\u00e9 a pu \u00eatre assum\u00e9e en 2013, elle peut l’\u00eatre \u00e0 nouveau d\u00e8s qu’une menace est identifi\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Les groupes d’autod\u00e9fense laissent un h\u00e9ritage crucial : un apprentissage de la mobilisation collective, de l’occupation du territoire, de la patrouille arm\u00e9e et du sentiment d’appartenance et d’entraide.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ensuite, la capacit\u00e9 \u00e0 surveiller le territoire et \u00e0 mobiliser la population locale reste une ressource politique essentielle. Elle peut \u00eatre utile pour se prot\u00e9ger, mais aussi pour soutenir ou affronter un candidat ou un parti politique en p\u00e9riode \u00e9lectorale, par exemple. En ce sens, chaque chef, m\u00eame lorsqu’il contr\u00f4le un territoire qui peut sembler peu strat\u00e9gique et insignifiant, agit en r\u00e9alit\u00e9 comme un patron disposant d’un capital politique solide qu’il peut n\u00e9gocier et mettre au service d\u2019un alli\u00e9 ext\u00e9rieur. <\/p>\n\n\n\n Ces capacit\u00e9s conf\u00e8rent une position d’op\u00e9rateur politique et de partenaire des pouvoirs publics pour la gouvernance, comme l’explique Ezequiel, ancien militant politique :<\/p>\n\n\n\n \u00ab Ce que les leaders continuent d’assurer, c’est la stabilit\u00e9. Et avec les niveaux de violence qu\u2019on a dans le Michoac\u00e1n, c’est essentiel\u2026 Les leaders contr\u00f4lent la population, mais ils veillent aussi \u00e0 ce que la municipalit\u00e9 reste calme… Et c’est ce que tout le monde veut ici, les gens normaux, les hommes d’affaires, parce qu’ils ne veulent pas de violence, et les autorit\u00e9s bien s\u00fbr. Tout le monde sait que les leaders ont certains int\u00e9r\u00eats et travaillent avec un groupe criminel ou un autre… C\u2019est impossible d’\u00e9viter \u00e7a ici, tu peux pas \u00e9chapper aux cartels, t\u2019es oblig\u00e9 au moins leur parler… Mais tant que tu apportes la stabilit\u00e9 et la s\u00e9curit\u00e9, tout le monde est content […] Ici, les gens \u00e9valuent ton efficacit\u00e9 en tant que patron de la mani\u00e8re suivante : si je te retire, que va-t-il se passer ? Qui va prendre ta place ? Est-ce que \u00e7a va apporter plus de violence, plus d’instabilit\u00e9 ? M\u00eame pour les autorit\u00e9s, il vaut mieux te garder… Ils travaillent avec les leaders, ils les connaissent, m\u00eame s’ils savent qu’ils peuvent \u00eatre impliqu\u00e9s dans le narcotrafic… Mais personne ne te jugera si tu trafiques de la drogue dans le Michoac\u00e1n, tant que tu te comportes correctement avec les gens… Tu pourrais penser que c\u2019est la responsabilit\u00e9 du gouvernement de faire quelque chose contre le trafic de drogue, mais honn\u00eatement, tout le monde s\u2019en fout que tu trafiques de la drogue tant que tu maintiens la stabilit\u00e9, tu comprends ? \u00bb<\/em> <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n Ainsi, la provision de stabilit\u00e9 et d\u2019ordre sont l’\u00e9pine dorsale de la long\u00e9vit\u00e9 des leaders d\u2019Autod\u00e9fenses devenus courtiers politiques. G\u00e9n\u00e9ralement, comme l\u2019indique Ezequiel, les autorit\u00e9s publiques sont pr\u00eates \u00e0 dialoguer avec ces personnages en raison de leur capacit\u00e9 \u00e0 r\u00e9guler la violence et \u00e0 maintenir l’ordre au niveau local. Cette dynamique nous permet de mieux comprendre l’importance de leaders arm\u00e9s, qui peuvent contr\u00f4ler une dizaine ou plusieurs centaines d\u2019hommes dans certains cas, dans le maintien des canaux d’interm\u00e9diation politique (et de patronage) entre le gouvernement f\u00e9d\u00e9ral et les diff\u00e9rents acteurs sur le terrain.<\/p>\n\n\n\n Au sein des municipalit\u00e9s, la loyaut\u00e9 des hommes en armes va principalement \u00e0 leur chef, m\u00eame si leurs salaires proviennent de multiples sources. Certains d’entre eux peuvent recevoir de l’argent provenant de budgets publics, en particulier lorsque leur chef a r\u00e9ussi \u00e0 les faire entrer dans la police locale, ou provenir directement d’activit\u00e9s illicites telles que le trafic de drogue ou l’extorsion de fonds. Dans ce cas, l’organisation criminelle responsable de leur r\u00e9mun\u00e9ration peut utiliser ces hommes comme force de r\u00e9serve. Alors que leurs activit\u00e9s quotidiennes sont consacr\u00e9es \u00e0 la s\u00e9curit\u00e9 de leur propre municipalit\u00e9, ils peuvent \u00eatre appel\u00e9s \u00e0 effectuer des t\u00e2ches sp\u00e9cifiques pour le groupe criminel, par exemple en cas de conflit n\u00e9cessitant un renfort. Cela a \u00e9t\u00e9 le cas lors de la guerre entre le CJNG et les Cartels unis, entre 2019 et 2022. Ces derniers, qui fonctionnent comme une coalition d’acteurs arm\u00e9s, se sont fortement appuy\u00e9s sur une r\u00e9serve d’hommes qui peut \u00eatre utilis\u00e9e en cas de besoin. Ces r\u00e9serves quittent leur propre municipalit\u00e9, se rendent dans les zones de conflit, apportent leur soutien et rentrent ensuite chez elles, agissant plus comme des milices arm\u00e9es que comme des groupes d’autod\u00e9fense.<\/p>\n\n\n\n Au sein des municipalit\u00e9s, la loyaut\u00e9 des hommes en armes va principalement \u00e0 leur chef, m\u00eame si leurs salaires proviennent de multiples sources.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les alliances ainsi cr\u00e9\u00e9es entre les autorit\u00e9s et les caciques sont, par nature, instables et difficiles \u00e0 maintenir sur le long terme. Loin de repr\u00e9senter des pactes solides, elles sont marqu\u00e9es par des frictions et des conflits constants, les leaders locaux cherchant souvent \u00e0 obtenir un soutien politique tout en maintenant leur marge d’autonomie et d\u2019action sur le terrain. Dans le Michoac\u00e1n, par exemple, depuis des ann\u00e9es, les leaders issus des groupes d’autod\u00e9fense peuvent, entre autres mesures concr\u00e8tes, maintenir des barrages routiers, diriger une partie de la police municipale, organiser des patrouilles et porter des armes, ou encore recevoir des budgets publics pour leur fonctionnement. Tout cela contribue \u00e0 asseoir le pouvoir local des leaders.<\/p>\n\n\n\n Cependant, parce qu\u2019elles sont instables, ces formes de d\u00e9l\u00e9gation de pouvoir des autorit\u00e9s publiques vers les caciques ont de multiples cons\u00e9quences politiques. Les accords informels sont constamment menac\u00e9s par d’autres acteurs cherchant \u00e0 occuper la position d\u2019alli\u00e9 gouvernemental. C\u2019est aussi le cas de diff\u00e9rentes institutions publiques ou forces de l’\u00c9tat \u2014 le minist\u00e8re de la d\u00e9fense et le minist\u00e8re de l\u2019int\u00e9rieur, par exemple \u2014 qui luttent entre elles pour exercer leur influence sur le terrain et conserver le pouvoir d\u2019entretenir des alliances, des client\u00e8les et des relations privil\u00e9gi\u00e9s avec les interm\u00e9diaires locaux.<\/p>\n\n\n\n Ces dynamiques conflictuelles contribuent \u00e0 entretenir et alimenter de longs cycles de violence. Lorsque les autorit\u00e9s agissent comme des r\u00e9gulateurs et des arbitres de la violence sans assurer la mise en \u0153uvre de politiques publiques transparentes en mati\u00e8re de s\u00e9curit\u00e9 et de justice, elles contribuent \u00e0 externaliser les t\u00e2ches de l’\u00c9tat vers les chefs locaux. Si cela peut sembler efficace \u00e0 court terme \u2014 en contribuant, certes \u00e0 une baisse soudaine des homicides dans une municipalit\u00e9 donn\u00e9e \u2014 la consolidation du pouvoir des leaders locaux d\u00e9l\u00e9gitime l’\u00c9tat en tant que seul garant de l’ordre et de la s\u00e9curit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Lorsque les autorit\u00e9s agissent comme des r\u00e9gulateurs et des arbitres de la violence sans assurer la mise en \u0153uvre de politiques publiques transparentes en mati\u00e8re de s\u00e9curit\u00e9 et de justice, elles contribuent \u00e0 externaliser les t\u00e2ches de l’\u00c9tat vers les chefs locaux. <\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Nous sommes alors confront\u00e9s \u00e0 des dynamiques de co-gouvernance qui se construisent dans une zone grise entre le public et le priv\u00e9, avec des groupes arm\u00e9s qui assument de plus en plus des t\u00e2ches de s\u00e9curit\u00e9 publique. Malheureusement, les gouvernements successifs d’Enrique Pe\u00f1a Nieto et d’Andr\u00e9s Manuel L\u00f3pez Obrador n’ont pas \u00e9t\u00e9 en mesure de fournir un cadre solide, institutionnel et transparent aux strat\u00e9gies de s\u00e9curit\u00e9 publique mises en \u0153uvre dans le Michoac\u00e1n.<\/p>\n\n\n\n En 2023, des dizaines de leaders informels op\u00e8rent dans le Michoac\u00e1n, r\u00e9partis dans au moins un tiers des municipalit\u00e9s de l’\u00c9tat. Il en r\u00e9sulte un ensemble complexe de loyaut\u00e9s informelles, une grande instabilit\u00e9 et une forte concurrence. Observer le paysage criminel du Michoac\u00e1n s’apparente \u00e0 regarder \u00e0 travers un kal\u00e9idoscope d’alliances en perp\u00e9tuelle \u00e9volution. <\/p>\n\n\n\n Ces alliances montrent que la gouvernance des territoires cl\u00e9s de la guerre contre la drogue au Mexique repose notamment sur une combinaison d’accords formels et informels entre les autorit\u00e9s publiques et des groupes arm\u00e9s ou criminels. Le gouvernement, en maintenant un soutien formel et informel \u00e0 des leaders arm\u00e9s du Michoac\u00e1n, peut contribuer \u00e0 transformer des interm\u00e9diaires violents en alli\u00e9s cruciaux pour la gouvernance locale. Cela, \u00e0 son tour, encourage une forme d’externalisation de la s\u00e9curit\u00e9 publique et alimente le pouvoir d\u2019hommes forts qui finissent par se disputer les int\u00e9r\u00eats et les ressources locales et cherchent \u00e0 maintenir leur position en tant que mandataires du gouvernement.<\/p>\n\n\n\n Les niveaux de conflit observ\u00e9s dans le Michoac\u00e1n au cours des dix derni\u00e8res ann\u00e9es montrent que les autorit\u00e9s n’ont pas d\u00e9velopp\u00e9 de strat\u00e9gies permettant de r\u00e9duire la violence syst\u00e9mique et d\u2019\u00e9viter la fragmentation territoriale de la r\u00e9gion, actuellement divis\u00e9e en dizaines de fiefs sur lesquels les chefs locaux exercent une immense influence sociale, politique et \u00e9conomique.<\/p>\n\n\n\n N\u00e9anmoins, il serait erron\u00e9 de consid\u00e9rer le pouvoir de ces leaders non \u00e9tatiques comme \u00e9tant en opposition absolue \u00e0 l’autorit\u00e9 publique, plut\u00f4t qu\u2019en articulation avec elle. Des dizaines d’acteurs arm\u00e9s jouissent d\u2019une forme de souverainet\u00e9 au sein des m\u00eames r\u00e9gions, ce qui entra\u00eene des collaborations et des concurrences. Dans ce sc\u00e9nario, le recours \u00e0 la violence n’a pas pour but de renverser le syst\u00e8me politique mais plut\u00f4t de man\u0153uvrer dans le jeu politique avec les autorit\u00e9s publiques.<\/p>\n\n\n\n Il serait erron\u00e9 de consid\u00e9rer le pouvoir de ces leaders non \u00e9tatiques comme \u00e9tant en opposition absolue \u00e0 l’autorit\u00e9 publique, plut\u00f4t qu\u2019en articulation avec elle. Des dizaines d’acteurs arm\u00e9s jouissent d\u2019une forme de souverainet\u00e9 au sein des m\u00eames r\u00e9gions, ce qui entra\u00eene des collaborations et des concurrences.<\/p>Romain Le Cour Grandmaison<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019ouverture de ces derni\u00e8res \u00e0 la collaboration avec des leaders arm\u00e9s peut inciter ces derniers \u00e0 tout faire pour assurer leur pouvoir, tout en poussant les autres chefs \u00e0 rivaliser pour obtenir un statut d\u2019alli\u00e9 politique. En fin de compte, ces fiefs font qu’il est difficile pour les autorit\u00e9s, ou pour toute initiative de la soci\u00e9t\u00e9 civile, de proposer des alternatives \u00e0 ces chefs charismatiques ; l’\u00c9tat finit par favoriser les chefs violents, ainsi que l’utilisation de la violence et de la coercition comme les outils les plus respect\u00e9s et les plus efficaces pour obtenir et conserver le pouvoir au niveau local. L’espace politique laiss\u00e9 \u00e0 d’autres formes de participation et de mobilisation sociales, en particulier les initiatives non arm\u00e9es, devient parfois inexistant, ce qui conduit \u00e0 l’exclusion de la vie politique locale des citoyens ordinaires ou des groupes de la soci\u00e9t\u00e9 civile. Plusieurs acteurs politiques et de la soci\u00e9t\u00e9 civile consult\u00e9s dans le Michoac\u00e1n \u00e0 l\u2019hiver 2022 ont indiqu\u00e9 que les conditions d’ins\u00e9curit\u00e9 actuelles les emp\u00eachent de participer \u00e0 toute activit\u00e9 publique. Si les habitants savent que les chefs arm\u00e9s sont tol\u00e9r\u00e9s ou soutenus par l’\u00c9tat, il devient encore plus risqu\u00e9 de s’engager dans une quelconque activit\u00e9 politique. Ces dynamiques ne peuvent toutefois pas \u00eatre examin\u00e9es \u00e0 distance, mais n\u00e9cessitent une immersion profonde au sein des communaut\u00e9s locales. Par extension, la recherche de solutions politiques restera inaccessible en l’absence d\u2019analyses des crises locales, et d’un engagement fort de la part des autorit\u00e9s municipales, \u00e9tatiques et f\u00e9d\u00e9rales en faveur de la transparence et de la responsabilit\u00e9 dans l’\u00e9laboration des r\u00e9ponses institutionnelles \u00e0 la violence et \u00e0 l’ins\u00e9curit\u00e9.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Depuis dix ans, dans l\u2019\u00c9tat du Michoac\u00e1n, \u00e0 l\u2019ouest du Mexique, des \u00ab groupes d\u2019autod\u00e9fense \u00bb ont pris les armes contre les cartels. Au fil des ann\u00e9es, ces \u00ab courtiers de violence \u00bb sont devenus l\u00e9gitimes, puis l\u00e9gaux \u2014 au point de devenir une v\u00e9ritable force publique. Cette vaste enqu\u00eate de terrain revient sur leur histoire et sur le nouveau visage de l\u2019ordre politique et s\u00e9curitaire qu\u2019elle dessine pour le Mexique.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":182418,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-studies.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1731],"tags":[],"geo":[525],"class_list":["post-182436","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-politique","staff-romain-le-cour-grandmaison","geo-ameriques"],"acf":[],"yoast_head":"\n\r\n <\/picture>\r\n \n
Faire le travail que le gouvernement ne fait pas ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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R\u00e9tablir l’ordre moral et social<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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Le contr\u00f4le territorial et la construction de fiefs de pouvoir et de m\u00e9diation<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Chefs arm\u00e9s et d\u00e9l\u00e9gation de pouvoir<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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Instabilit\u00e9 et cycles de violence<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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Quel espace politique pour les citoyens non-arm\u00e9s ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
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