{"id":176968,"date":"2023-02-10T07:25:00","date_gmt":"2023-02-10T06:25:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=176968"},"modified":"2023-02-09T20:08:39","modified_gmt":"2023-02-09T19:08:39","slug":"eprouver-la-guerre-civile-une-conversation-avec-quentin-deluermoz-et-jeremie-foa","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/02\/10\/eprouver-la-guerre-civile-une-conversation-avec-quentin-deluermoz-et-jeremie-foa\/","title":{"rendered":"\u00c9prouver la guerre civile, une conversation avec Quentin Deluermoz et J\u00e9r\u00e9mie Foa"},"content":{"rendered":"\n
Nous avions l\u2019id\u00e9e de rester dans des terrains que nous connaissions tous les deux \u2013 le XVIe et le XIXe si\u00e8cle, jusqu\u2019au XXe si\u00e8cle. Une figure qui nous paraissait tr\u00e8s importante pour penser la guerre civile telle que nous l’entendions, c\u2019est l\u2019\u00c9tat, qui n\u2019existe pas au sens moderne du terme \u00e0 l\u2019\u00e9poque m\u00e9di\u00e9vale et \u00e0 l\u2019Antiquit\u00e9. Nous ne voulions pas tomber dans une description tellement large qu\u2019elle en deviendrait molle et peu rigoureuse. Circonscrire l\u2019\u00e9tude \u00e0 des \u00e9poques o\u00f9 l\u2019institution centrale sous sa forme \u00e9tatique est puissante nous permettait de rendre les situations comparables.<\/p>\n\n\n\n
Nous avions d\u00e9j\u00e0 travaill\u00e9 ensemble sur la Commune de Paris (1871) : J\u00e9r\u00e9mie Foa m\u2019avait accompagn\u00e9 dans une enqu\u00eate sur les usurpations de fonctions publiques. Son regard de seizi\u00e9miste percevait des choses que je ne voyais pas dans les archives. Par exemple, il \u00e9tait tr\u00e8s sensible aux questions de d\u00e9nominations \u2013 ex<\/em>-pr\u00e9fecture de Police, ex<\/em>-archev\u00eaque… \u00c0 l\u2019inverse, l\u2019abondance (relative) des sources au XIXe si\u00e8cle, autorisait des recherches qui \u00e9taient impossibles pour les guerres de Religion du XVIe si\u00e8cle, sur les trajectoires sociales des acteurs ordinaires par exemple, suscitant alors d\u2019autres questions. De l\u00e0 est venue l\u2019id\u00e9e de poursuivre cette rencontre f\u00e9conde des attentions.<\/p>\n\n\n\n Mais ce qui nous r\u00e9unit est aussi une d\u00e9marche d\u2019histoire nourrie de sciences sociales, qui permet notamment de se d\u00e9placer sur diff\u00e9rents terrains et de les croiser. Dans le livre, nous approchons \u00ab au ras du sol \u00bb l\u2019exp\u00e9rience de guerres civiles qui pr\u00e9sentent de r\u00e9elles similitudes tout en \u00e9tant situ\u00e9es dans des \u00e9poques diff\u00e9rentes. Encore fallait-il circonscrire l\u2019objet, d\u2019o\u00f9 ce bornage chronologique moderne et contemporain dont J\u00e9r\u00e9mie a donn\u00e9 la raison. Cette barri\u00e8re n\u2019est d\u2019ailleurs pas si originale. Comme nous le disait r\u00e9cemment le m\u00e9di\u00e9viste Jean-Claude Schmitt, s\u2019il reste une fronti\u00e8re en histoire qu\u2019on franchit rarement, m\u00eame dans les approches transversales, c\u2019est bien celle du XVIe si\u00e8cle. L\u2019avant-propos du m\u00e9di\u00e9viste Patrick Boucheron a dans ce cadre pr\u00e9cis\u00e9ment vocation \u00e0 pr\u00e9senter la pertinence du questionnaire pour les p\u00e9riodes ant\u00e9rieures (de l\u2019antiquit\u00e9 au moyen-\u00e2ge) – et ce faisant de sugg\u00e9rer des pistes pour d\u2019autres enqu\u00eates \u00e0 venir, tout en laissant l\u2019\u00e9tude collective se centrer sur l\u2019apr\u00e8s XVIe si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\n Bien s\u00fbr, il faut faire un lien entre les deux. Les guerres d\u2019Italie marquent un moment de brutalisation des soci\u00e9t\u00e9s europ\u00e9ennes, comme l\u2019a bien montr\u00e9 Jean-Louis Fournel. Les Fran\u00e7ais qui vont se battre en Italie incorporent des pratiques de violence en Italie qui vont se retrouver ensuite dans les guerres de Religion. Ce lien est aussi important dans la construction d\u2019une pens\u00e9e de l\u2019\u00c9tat. Les pens\u00e9es de Machiavel ou de Guichardin servent dans le cadre des guerres de Religion pour penser le lien de la raison d\u2019\u00c9tat avec d\u2019autres imp\u00e9ratifs comme la morale ou la religion.<\/p>\n\n\n\n Pr\u00e9cisons tout d’abord que jamais, dans ce travail, nous ne rencontrons de situation de guerre civile chimiquement pure, tout simplement parce que les d\u00e9finitions varient. C\u2019est pourquoi nous avons adopt\u00e9 une approche relationnelle et pragmatique qui se concentre sur des dynamiques de guerre civile : celles-ci vont du conflit arm\u00e9 d\u00e9clar\u00e9 comme tel aux \u00ab formes paroxystiques de remise en cause du taken for granted<\/em>, instaurant le soup\u00e7on au coeur du familier \u00bb, pour reprendre la formule de Laurent Gayer \u00e0 propos d\u2019une \u00e9tude sur un quartier de Karachi, au Pakistan. Cette grille de lecture permet de consid\u00e9rer des situations de destruction quasi-totale des ordres sociaux ant\u00e9rieurs, comme dans la Yougoslavie des ann\u00e9es 1990, et d\u2019autres o\u00f9 ces derniers, affect\u00e9s, transform\u00e9s, sont moins radicalement mis \u00e0 mal, comme pendant la \u00ab guerre apr\u00e8s la guerre \u00bb dans l\u2019Espagne des ann\u00e9es 1939-1950.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019\u00e9vidence, la guerre civile libanaise (1975-1990) et le g\u00e9nocide des tutsis rwandais ont rendu visible la pr\u00e9sence et l\u2019importance de telles situations, et ont contribu\u00e9 \u00e0 en donner cette d\u00e9finition ouverte. Par leur actualit\u00e9, leur ampleur et leur intensit\u00e9, ils ont amen\u00e9 les sciences sociales \u00e0 reconsid\u00e9rer les situations de guerre civile, de d\u00e9chirures socio-politiques et plus largement de consid\u00e9rer la question de la violence et de l\u2019incertitude. La seconde, par exemple, a transform\u00e9 le regard des chercheuses et chercheurs en leur faisant consid\u00e9rer un massacre des voisins qui, comme l\u2019a montr\u00e9 H\u00e9l\u00e8ne Dumas <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ne r\u00e9pondait \u00e0 aucune des formes ou r\u00e8gles tacites que l\u2019on estimait pertinentes jusque-l\u00e0. Ce qui a pouss\u00e9 anthropologues, sociologues et historiens \u00e0 remettre en question un certain nombre de consid\u00e9rations, y compris, en retour, pour l\u2019\u00e9tude de conflits appartenant \u00e0 des \u00e9poques anciennes.<\/p>\n\n\n\n Celui qui montre bien ce millefeuille des \u00e9poques, c\u2019est Patrice Ch\u00e9reau dans La Reine Margot<\/em>, qui, tandis qu\u2019il filme la Saint-Barth\u00e9l\u00e9my, a sous les yeux les images de l\u2019\u00e9puration ethnique en ex-Yougoslavie et celles du g\u00e9nocide des Tutsis du Rwanda. Les travaux d\u2019H\u00e9l\u00e8ne Dumas sur le Rwanda m\u2019ont personnellement permis d\u2019appliquer une r\u00e9flexion sur le massacre des voisins \u00e0 la Saint-Barth\u00e9l\u00e9my<\/a>. Au sujet du Liban que vous \u00e9voquez, les images de la guerre civile libanaise ont \u00e9t\u00e9 omnipr\u00e9sentes pendant les ann\u00e9es de formation de la g\u00e9n\u00e9ration de chercheurs \u00e0 laquelle nous appartenons. C\u2019\u00e9tait l\u2019actualit\u00e9 quotidienne des ann\u00e9es 1980, tout en restant une forme de \u00ab souffrance \u00e0 distance \u00bb comme le dit Luc Boltanski <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>, v\u00e9cue par l\u2019interm\u00e9diaire de la t\u00e9l\u00e9vision.<\/p>\n\n\n\n Cette attention \u00e0 l\u2019explicitation vient d\u2019abord des r\u00e9flexions que J\u00e9r\u00e9mie Foa menait sur la guerre civile au XVIe si\u00e8cle, avant de s\u2019affiner au fur et \u00e0 mesure de notre dialogue. L\u2019id\u00e9e principale, c\u2019est bien que la guerre civile est un moment o\u00f9 tout ce qui \u00e9tait \u00ab normal \u00bb (qui n\u2019appara\u00eet tel qu\u2019apr\u00e8s coup) ne l\u2019est plus, ne fonctionne plus \u2013 des accents aux fa\u00e7ons de s\u2019habiller en passant par les marques d\u2019appartenance religieuse. L\u2019objectif derri\u00e8re cette hypoth\u00e8se est double : d\u2019une part, mieux comprendre ce qui se joue dans une guerre civile ; de l\u2019autre, r\u00e9v\u00e9ler l\u2019ordre social tacite dans lequel nous baignons et vivons sans jamais y faire pleinement attention.<\/p>\n\n\n\n L\u2019id\u00e9e principale, c\u2019est bien que la guerre civile est un moment o\u00f9 tout ce qui \u00e9tait \u00ab normal \u00bb ne l\u2019est plus.<\/p>Quentin Deluermoz<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La r\u00e9ussite de ce projet tient au fait que toutes les contributrices et tous les contributeurs ont accept\u00e9 d\u2019appliquer cette grille d\u2019analyse \u00e0 leur terrain et de la tester. Les moments de guerre civile y apparaissent bien comme des r\u00e9v\u00e9lateurs, des moments d\u2019explicitation des usages et des pratiques sociales : une identit\u00e9 religieuse jusqu\u2019ici rel\u00e9gu\u00e9e \u00e0 la sph\u00e8re priv\u00e9e devient d\u2019un coup un marqueur essentiel. Et l\u2019un des d\u00e9placements importants apparus au fil des \u00e9changes est que ce sont aussi des moments o\u00f9 de nouvelles r\u00e8gles tacites se mettent en place (par exemple de nouvelles habitudes de vie, ou le recours \u00e0 de nouvelles cat\u00e9gories de rep\u00e9rage social, comme \u00ab Blanc \u00bb, \u00ab Rouge \u00bb dans l\u2019Ukraine des ann\u00e9es 1918-1920). Il y a explicitation et reconstruction de l\u2019implicite – mais elles se caract\u00e9risent cette fois par leur instabilit\u00e9. C\u2019est toute la diff\u00e9rence avec ce que les sociologues appellent, pour les temps dits \u00ab normaux \u00bb, \u00ab le sens commun \u00bb et le \u00ab repos sur l\u2019institution \u00bb. Tout l\u2019enjeu des p\u00e9riodes de guerre civile va \u00eatre, pour les victimes ou les populations, soit d\u2019\u00e9chapper \u00e0 la mort, soit de stabiliser des r\u00e8gles communes dont on sait qu\u2019elles n\u2019appartiennent pas \u00e0 tous et qu\u2019elles restent constamment mouvantes.<\/p>\n\n\n\n Un des points originaires de cette r\u00e9flexion, c\u2019est la sociologie pragmatique et notamment les travaux de Luc Boltanski. Son concept d\u2019incertitude<\/em> nous a permis d\u2019approcher la guerre civile non de mani\u00e8re essentialiste, en partant d\u2019une d\u00e9finition, mais plut\u00f4t sous un angle processuel : nous nous sommes demand\u00e9s non pas ce qu\u2019est la guerre civile<\/em> mais davantage ce que fait la guerre civile<\/em> en la consid\u00e9rant comme un moment qui provoque de l\u2019incertitude dans le tissu social, et donc via les tactiques par lesquelles on tente de r\u00e9duire cette incertitude. L\u2019article de Sophie Wahnich d\u00e9veloppe ainsi une lecture de la R\u00e9volution fran\u00e7aise comme un moment de crise de confiance. Autour de ces concepts d\u2019incertitude, de confiance, nous proposons une grille d\u2019analyse pour se demander ce que la guerre civile fait s\u2019effondrer dans ce qui nous para\u00eet \u00e9vident en temps de paix. Nous avons pris la guerre civile comme un laboratoire de l\u2019\u00e9vidence, comme un r\u00e9v\u00e9lateur de ce qui, dans un temps \u00ab normal \u00bb, se d\u00e9roule<\/em> sans faire l\u2019objet d\u2019un doute ou d\u2019une m\u00e9fiance. L\u2019hypoth\u00e8se fondatrice de ce livre est que la guerre civile est un moment o\u00f9 tous ces implicites qui nous permettent de vivre ensemble, au moins depuis le\u00a0 XVIe si\u00e8cle, sont fragilis\u00e9s, mis \u00e0 nu, questionn\u00e9s, explicit\u00e9s. Dans le fond, c\u2019est aux processus de hausse de la r\u00e9flexivit\u00e9 dans la crise (explicitation) comme aux ph\u00e9nom\u00e8nes de \u00ab r\u00e9gressions vers les habitus \u00bb (Michel Dobry) que nous nous sommes int\u00e9ress\u00e9s. Nous avons ainsi propos\u00e9 \u00e0 nos contributeurs de travailler sur quatre doutes fondamentaux : sur les gens, sur les mots, sur l\u2019espace et sur les choses.<\/p>\n\n\n\n En temps normal, il y a une sorte de tautologie de l\u2019existence : un v\u00eatement c\u2019est un v\u00eatement, un tonneau c\u2019est un tonneau. Quand l\u2019incertitude appara\u00eet, un tonneau peut toujours cacher un tra\u00eetre ou une bombe, un v\u00eatement peut toujours voiler une identit\u00e9 qui se dissimule. Toute une s\u00e9rie de faits et de ph\u00e9nom\u00e8nes qu\u2019on n\u2019interrogeait m\u00eame pas en temps normal se font un objet de doute. Le sociologue am\u00e9ricain Harold Garfinkel a tent\u00e9 de reproduire, en laboratoire, ce type de crise en\u00a0 demandant \u00e0 ses \u00e9tudiants de parler \u00e0 leurs parents comme s\u2019ils \u00e9taient \u00e9trangers, de rendre probl\u00e9matique leur implicite familial, extraordinaire leur quotidien. Questionner l\u2019\u00e9vidence en situation normale, c\u2019est s\u2019exposer \u00e0 passer pour un fou, \u00e0 \u00eatre tax\u00e9 d\u2019anormalit\u00e9. En temps de paix, demander \u00e0 quelqu\u2019un de d\u00e9voiler son identit\u00e9, exiger de fouiller son sac, de v\u00e9rifier ce qu\u2019il porte sous ses v\u00eatements, ce n\u2019est pas normal. Comme le montre Luc Boltanski, en situation de guerre civile, cet ultra-scepticisme ou cette prolif\u00e9ration des enqu\u00eates <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>, qui pourraient passer pour de la parano\u00efa en situation ordinaire ne rel\u00e8ve plus de la folie mais de la prudence. Ce sont aussi les fronti\u00e8res du normal et du pathologique qui sont d\u00e9plac\u00e9es par la guerre civile.<\/p>\n\n\n\n Votre question est tr\u00e8s importante car la recherche des origines est un classique en histoire. Or, elle pose probl\u00e8me. Elle suppose une d\u00e9finition stable (et essentialis\u00e9e) de ce dans quoi on \u00ab entre \u00bb, et son choix oriente l\u2019interpr\u00e9tation des faits. Par exemple pour la Commune de Paris que je connais mieux, vous ne sugg\u00e9rerez pas la m\u00eame interpr\u00e9tation si vous d\u00e9butez avec la guerre franco-prussienne de 1870 (la Commune est alors le fruit de la contingence), ou les mouvements des \u00ab r\u00e9unions publiques \u00bb de la fin des ann\u00e9es 1860 (elle est cette fois le produit d\u2019un mouvement politique et populaire). Pour \u00e9viter ce probl\u00e8me, sans renoncer \u00e0 l\u2019explication, chercheurs et chercheuses en histoire et sciences sociales mobilisent une approche dite processuelle, qui est celle que l\u2019on reprend dans le livre. Pour analyser l\u2019\u00e9mergence de ces situations nouvelles, on distingue des \u00ab conditions de possibilit\u00e9s \u00bb qui n\u2019aboutissent pas forc\u00e9ment \u00e0 un changement brutal, des \u00e9l\u00e9ments d\u00e9clencheurs et enfin la dynamique propre de la crise, avec son efficacit\u00e9 de transformation \u00e0 elle. En gros, on explique le quand<\/em> et le pourquoi<\/em> par le comment<\/em>. Cela permet aussi de penser la mani\u00e8re dont le pass\u00e9 persiste ou est transform\u00e9 dans le pr\u00e9sent de la crise, ou ici de la guerre civile, mais aussi de se montrer sensible \u00e0 ces moments o\u00f9 ce qui allait de soi se d\u00e9chire, o\u00f9 se cr\u00e9ent peu \u00e0 peu les clivages ami\/ennemi. Enfin, elle invite on l\u2019a dit \u00e0 appr\u00e9hender les logiques sp\u00e9cifiques de ce nouvel univers de sens et de pratiques, tr\u00e8s particulier, auquel ce processus aboutit.<\/p>\n\n\n\n La question de l\u2019origine ne nous a pas travaill\u00e9 probl\u00e9matiquement. Je le vois aussi avec le massacre de la Saint-Barth\u00e9l\u00e9my, o\u00f9 la question de l\u2019origine a mobilis\u00e9 des \u00e9nergies d\u00e9mesur\u00e9es au regard des r\u00e9sultats qu\u2019elle a produits. Pour prolonger ce que dit Quentin, en neutralisant cette question de la cause, de l\u2019\u00e9tincelle \u2013 qui reste bien s\u00fbr une question l\u00e9gitime\u2013, nous avons pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 nous placer au moment o\u00f9 les acteurs soit le disent, soit le sentent et tentent de qualifier les moments qu\u2019ils traversent. Bien s\u00fbr, tous les acteurs ne consid\u00e8rent pas qu\u2019ils sont en guerre civile \u2013 c\u2019est le cas de la R\u00e9volution fran\u00e7aise par exemple. Quand certains observateurs parlent de guerre civile, d\u2019autres pr\u00e9f\u00e9rent qualifier les \u00e9v\u00e9nements de troubles, d\u2019\u00e9meute, de r\u00e9bellion, de \u00ab guerre des gangs \u00bb, etc. En refusant de partir d\u2019une d\u00e9finition impos\u00e9e d\u2019en haut, nous avons pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 nous situer au ras du sol, en nous pla\u00e7ant \u00e0 cet instant m\u00eame o\u00f9 les acteurs consid\u00e8rent qu\u2019ils sont dans une situation d\u2019incertitude radicale par rapport \u00e0 l\u2019ensemble de ce qu\u2019ils pouvaient vivre et faire au quotidien.<\/p>\n\n\n\n Je pense en r\u00e9alit\u00e9 que, sur le terrain, existe un long continuum entre ces deux \u00e9tats de \u00ab guerre \u00bb. \u00c0 l\u2019\u00e9tat chimiquement pur, ce sont deux ph\u00e9nom\u00e8nes qui s\u2019opposent radicalement. Th\u00e9oriquement, une guerre au sens classique \u2013 on parlait de \u00ab guerre juste \u00bb au Moyen-\u00c2ge\u00a0\u2013 oppose deux \u00c9tats ou deux pays qui ne se reconnaissaient pas ant\u00e9rieurement comme membres d\u2019une m\u00eame communaut\u00e9. De m\u00eame, la guerre classique se d\u00e9roule dans un temps suppos\u00e9ment encadr\u00e9, dans un lieu circonscrit, le long d\u2019un front o\u00f9 des personnes d\u00e9sign\u00e9es pour le combat se battent, tandis qu\u2019\u00e0 l\u2019arri\u00e8re une vie sociale perdure, prot\u00e9geant dans un abri plus ou moins s\u00fbr les civils, les femmes et les enfants. Dans la guerre civile, ces distinctions entre le front et l\u2019arri\u00e8re, entre l\u2019ami et l\u2019ennemi, le civil et le combattant, les temporalit\u00e9s du combat, la dimension reconnaissable de l\u2019ennemi, tout cela est boulevers\u00e9. Ainsi au cours des guerres de Religion, on peut se battre dans une rue, dans une chambre, tuer quelqu\u2019un le dimanche ou la nuit, s\u2019en prendre \u00e0 des femmes ou \u00e0 des enfants, \u00e0 des villes d\u00e9sarm\u00e9es, etc. Ce sont tous ces partages que la guerre civile d\u00e9place. Mais plus on s\u2019approche du terrain par des \u00e9tudes de cas, plus cette opposition th\u00e9orique s\u2019estompe.<\/p>\n\n\n\n Les pr\u00e9cisions de J\u00e9r\u00e9mie sont importantes pour saisir les ph\u00e9nom\u00e8nes observ\u00e9s et d\u00e9gager leurs enjeux. Elles permettent aussi de rappeler que rarement les guerres civiles fonctionnent isol\u00e9ment, m\u00eame d\u00e9finies de mani\u00e8re plus stricte (par exemple, en suivant Jean-Cl\u00e9ment Martin dans sa contribution, comme une dynamique qui divise une communaut\u00e9 qui ant\u00e9rieurement se consid\u00e9rait comme unie, et qui est provoqu\u00e9e par la concurrence de groupes luttant pour le contr\u00f4le du pouvoir et exercer la violence estim\u00e9e l\u00e9gitime). Elles se combinent souvent avec des guerres internationales, parfois avec des processus de nettoyage ethnique ou une volont\u00e9 de destruction d\u2019une partie de la population, parfois au contraire avec une dynamique r\u00e9volutionnaire porteuse d\u2019un projet de justice sociale et d\u2019\u00e9galit\u00e9 populaire. Une partie d\u2019un pays peut conna\u00eetre un \u00e9tat de paix, une autre une situation de guerre civile ou de s\u00e9cession, comme au Mexique de la fin du XXe si\u00e8cle. Chacun des cas explor\u00e9s dans l\u2019ouvrage rappelle cette intrication des situations, expliquant d\u2019ailleurs les conflits entre camps sur la d\u00e9signation de la situation : \u00ab guerre civile \u00bb, \u00ab guerre \u00bb, \u00ab lutte contre le crime \u00bb, \u00ab action terroriste \u00bb, \u00ab \u00e9v\u00e9nements \u00bb, \u00ab r\u00e9volution \u00bb, etc.<\/p>\n\n\n\n Les formes de la guerre \u00ab classique \u00bb ont chang\u00e9 ces derni\u00e8res d\u00e9cennies : elles sont moins conventionnelles, moins lin\u00e9aires, plus irr\u00e9guli\u00e8res. <\/p>Quentin Deluermoz<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n L\u2019enqu\u00eate doit rester attentive \u00e0 ces r\u00e9alit\u00e9s plurielles et \u00e0 ces luttes de significations. Autrement dit, travailler sur les guerres civiles, c\u2019est \u00e0 la fois permettre de pouvoir encore la distinguer de la guerre conventionnelle, et ainsi m\u00eame de d\u00e9finir cette derni\u00e8re ; mais c\u2019est aussi s’autoriser \u00e0 se saisir des mutations qui ne r\u00e9pondent pas aux cat\u00e9gories classiques de la guerre et de la paix forg\u00e9es au XIXe et XXe si\u00e8cle. Cela vaut pour le pass\u00e9 comme pour le pr\u00e9sent. Comme vous le savez, les formes de la guerre \u00ab classique \u00bb ont chang\u00e9 ces derni\u00e8res d\u00e9cennies : elles sont moins conventionnelles, moins lin\u00e9aires, plus irr\u00e9guli\u00e8res. Et les p\u00e9rim\u00e8tres s\u2019affaissant, les distinctions s\u2019effritent. L\u2019approche retenue dans l\u2019ouvrage et la diversit\u00e9 des cas abord\u00e9s peut aider \u00e0 mieux se saisir, pour reprendre le langage des sociologues Dominique Linhardt et C\u00e9dric Moreau de Bellaing <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>, de la mani\u00e8re dont se nouent la guerre et la paix, le droit et la violence, l\u2019int\u00e9rieur et l\u2019ext\u00e9rieur.\u00a0\u00a0<\/p>\n\n\n\n Cette question nous a plus mobilis\u00e9s, parce qu\u2019elle engage la question de l\u2019institution, pens\u00e9e par Boltanski comme un r\u00e9ducteur d\u2019incertitude. Comment recr\u00e9e-t-on de la certitude ? Les contributeurs de l\u2019ouvrage se sont int\u00e9ress\u00e9s aux diff\u00e9rents processus d\u2019institutionnalisation qui cherchent \u00e0 faire sortir de l\u2019instabilit\u00e9 et contribuent ce faisant \u00e0 asseoir \u00e0 la pacification. L\u2019institution, un \u00c9tat fort par exemple, c\u2019est ce qui r\u00e9tablit la puissance tautologique du langage, des objets, des normes, des monnaies. Un exemple d\u2019institutionnalisation, c\u2019est le dictionnaire : l\u2019\u00e9tablissement d\u2019un sens circonscrit aux mots (\u00ab un sou est un sou \u00bb, un \u00ab chou est un chou \u00bb), par opposition \u00e0 la prolif\u00e9ration s\u00e9mantique des mots que Thucydide observait d\u00e9j\u00e0 pendant la guerre du P\u00e9loponn\u00e8se. Ce sont aussi les papiers d\u2019identit\u00e9 (qui disent que les personnes sont ce qu\u2019elles disent) ou un sceau \u00e9tatique, autant de proc\u00e9d\u00e9s de certification qui \u00e9voluent technologiquement dans l\u2019histoire. Plut\u00f4t que de s\u2019int\u00e9resser aux grandes d\u00e9cisions de paix par en haut, nous avons l\u00e0 encore privil\u00e9gi\u00e9 une observation au ras du sol des processus d\u2019institutionnalisation qui am\u00e8nent un retour progressif de la paix.<\/p>\n\n\n\n Depuis plusieurs ann\u00e9es, l\u2019\u00e9tude des sorties de guerre s\u2019est fortement d\u00e9velopp\u00e9e en histoire (je songe en particulier aux travaux de Bruno Cabanes) ; des travaux sur les sorties de guerre civile seraient tout \u00e0 fait importants, dans la mesure o\u00f9 se pose alors la question, en effet, de l\u2019institution, de l\u2019ad\u00e9quation des mots aux choses, de la restitution de la confiance dans les routines ou de l\u2019acceptation des tensions dans un cadre pacifique. Soit un changement, \u00e0 nouveau, d\u2019ordre anthropologique. L\u2019angle adopt\u00e9 dans l\u2019ouvrage peut dessiner des pistes pour saisir ce travail difficile de suture sur le plan politique, juridique mais aussi social, culturel et intime. \u00c9lisabeth Claverie montre par exemple l\u2019importance du tribunal p\u00e9nal international dans la sortie de la situation de guerre civile qu\u2019a connue la Yougoslavie dans les ann\u00e9es 1990 (et toute la difficult\u00e9 qu\u2019il y a, alors, \u00e0 appliquer les cat\u00e9gories juridiques sur le trouble absolu qui \u00e9tait alors pr\u00e9sent). Mais les chapitres rappellent aussi que la question de la distinction entre l\u2019avant et l\u2019apr\u00e8s, entre l\u2019ordinaire et l\u2019extraordinaire, reste souvent tiss\u00e9e de continuit\u00e9s. Ainsi, m\u00eame lorsqu\u2019existent des marqueurs nets pour signifier politiquement et symboliquement la fin de la guerre civile, le traumatisme, individuel ou collectif, indique la persistance des souffrances dans le monde d\u2019apr\u00e8s. \u00c0 propos de la s\u00e9paration entre l\u2019Inde et le Pakistan en 1947, l\u2019anthropologue Veena Das <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span> a montr\u00e9 ainsi dans un livre c\u00e9l\u00e8bre la puissance des souffrances psychiques et intimes qui affectent, longtemps apr\u00e8s les faits, parfois m\u00eame sur plusieurs g\u00e9n\u00e9rations, les relations personnelles, les corps comme les mots. De nombreux chapitres de l\u2019ouvrage rendent compte de ces continuit\u00e9s. D\u2019autres, encore, posent la question de la fin de la guerre civile, dans des cas o\u00f9 elle dure plusieurs dizaines d\u2019ann\u00e9es, comme au Liban, ou encore lorsque cette \u00ab sortie \u00bb n\u2019est jamais r\u00e9ellement act\u00e9e ou effective, comme dans l\u2019Uraba Colombien. La d\u00e9liquescence durable est aussi une issue possible des sorties de guerre civile.<\/p>\n\n\n\n Comme vous le dites justement, l\u2019histoire ne donne pas de le\u00e7on \u2013 et quand elle en donnerait, on demeurerait toujours libre de les suivre ou non. Elle ne donne pas de le\u00e7ons mais elle \u00e9claire des choix, c\u2019est pourquoi je pense que la grille de lecture que notre ouvrage propose sur les guerres civiles du pass\u00e9 peut avoir une certaine pertinence dans le pr\u00e9sent. Je pense ainsi que cette approche processuelle de la guerre civile par ce qu\u2019elle fait et moins par ce qu\u2019elle est peut aider \u00e0 tracer des comparaisons, \u00e0 guetter des \u00e9chos entre le pass\u00e9 et le pr\u00e9sent.<\/p>\n\n\n\n L\u2019histoire ne donne pas de le\u00e7on, mais elle \u00e9claire des choix.<\/p>J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La diversit\u00e9 des sc\u00e8nes abord\u00e9es dans le livre rappelle d\u00e9j\u00e0 qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9, \u00e0 l\u2019\u00e9chelle de la plan\u00e8te, de telles situations de discordes et de d\u00e9chirements sont r\u00e9currentes. Ceci pos\u00e9, il est vrai que le contexte dans lequel nous vivons depuis une trentaine d\u2019ann\u00e9es, marqu\u00e9 par l\u2019accroissement des in\u00e9galit\u00e9s, la crise environnementale, la mont\u00e9e des nationalismes, la m\u00e9fiance dans les institutions repr\u00e9sentatives ou encore le succ\u00e8s des discours complotistes sur les r\u00e9seaux sociaux explique en partie que dans les deux pays dont vous parlez, le Br\u00e9sil et les \u00c9tats-Unis (mais il y en a d\u2019autres), les populations finissent par se partager en des camps qui semblent irr\u00e9conciliables, camps qui mettent \u00e0 mal les principes de la d\u00e9mocratie lib\u00e9rale jusqu\u2019ici accept\u00e9s (comme le fait de reconna\u00eetre sa d\u00e9faite aux \u00e9lections). Pour l\u2019instant, ces derniers tiennent bien cependant. En ce sens, Les \u00e9preuves de la guerre civile<\/em> permettent de sortir ces situation \u00ab extra-ordinaires \u00bb de l\u2019exceptionnel et d\u2019en rappeler au contraire, h\u00e9las, la r\u00e9gularit\u00e9. Elles offrent un moyen de se familiariser avec des univers o\u00f9 plus rien \u00ab ne va de soi \u00bb, d\u2019\u00eatre attentifs aux mutations contemporaines mais aussi au n\u00e9cessaire d\u00e9centrement des regards. Comme le rappelle Yassin al haj Saleh, \u00e9crivain syrien, dans un r\u00e9cent num\u00e9ro de la revue Sensibilit\u00e9s<\/em> \u00e0 laquelle j\u2019appartiens, du point de vue de la Syrie et du Moyen Orient, le fonctionnement normal du monde est un \u00e9tat r\u00e9serv\u00e9 aux soci\u00e9t\u00e9s dites occidentales, qui ressemble dans ses r\u00e9gions \u00e0 une sorte de fiction lointaine.\u00a0<\/p>\n\n\n\n Beaucoup, bien s\u00fbr. L\u2019espace subsaharien, ancien ou pass\u00e9, est trop absent de notre panorama. Pour le XIXe si\u00e8cle que je connais mieux, les guerres civiles espagnoles du d\u00e9but du si\u00e8cle, ou surtout la guerre de S\u00e9cession am\u00e9ricaine (1860-1865), auraient \u00e0 l\u2019\u00e9vidence m\u00e9rit\u00e9 un traitement. Pour le reste, bien des aspects sont trait\u00e9s que nous n\u2019avons pas abord\u00e9 ici, comme le r\u00f4le de la conflictualit\u00e9 et de leurs effets sur les positionnements politiques abord\u00e9s par Malika Rahal pour l\u2019Alg\u00e9rie de la fin des ann\u00e9es 1980. N\u00e9anmoins, il me semble que la question du droit ou des imaginaires, sans \u00eatre toujours absents (comme le montre le chapitre sur Karachi ou sur le renforcement de l\u2019\u00c9tat apr\u00e8s les guerres civiles du XVIe si\u00e8cle) auraient m\u00e9rit\u00e9 plus de d\u00e9veloppement. Tout comme, pour la p\u00e9riode contemporaine, le r\u00f4le des acteurs internationaux (ONG, m\u00e9dias, \u00c9tat ou communaut\u00e9 d’\u00c9tats). Il faut rappeler cependant que l\u2019ouvrage a bien vocation \u00e0 poser des jalons et \u00e0 ouvrir des questionnements. Comme nous le rappelons en introduction, le travail de comparaison, s\u2019il est d\u00e9sormais rendu possible par la d\u00e9marche, reste par exemple \u00e0 mettre plus concr\u00e8tement en \u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Il y en a \u00e9videmment. Je pense en particulier, en plus de ce qui vient d\u2019\u00eatre \u00e9voqu\u00e9, \u00e0 la Fronde au XVIIe si\u00e8cle, \u00e0 l\u2019Irlande au XXe si\u00e8cle. La s\u00e9rie de ces \u00e9tudes de cas reste ouverte et pourrait \u00eatre \u00e9tendue. Surtout ces probl\u00e9matiques, telles que nous les avons construites \u00e0 partir de nos approches respectives des guerres de Religion et de la Commune, gagneraient aussi, je crois, \u00e0 \u00eatre contest\u00e9es et affin\u00e9es par une extension des cas \u00e9tudi\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Vous avez raison, le spectre de la guerre civile hante la pens\u00e9e d\u2019extr\u00eame droite. On le v\u00e9rifie tous les jours sur les cha\u00eenes d\u2019information en continu en France ou aux \u00c9tats-Unis. Pour remonter aux origines de l\u2019extr\u00eame droite contemporaine, on peut remarquer qu\u2019Edouard Drumond ou Charles Maurras \u00e9taient hant\u00e9s par la Saint-Barth\u00e9l\u00e9my et par l\u2019id\u00e9e de l\u2019ennemi invisible au sein de la soci\u00e9t\u00e9. Cette obsession est pr\u00e9sente chez \u00c9ric Zemmour, qui lui aussi trace un parall\u00e8le entre Protestantisme et Islam, deux \u00ab partis invisibles \u00bb qui menaceraient la France de l\u2019int\u00e9rieur, en pr\u00e9tendant tirer le\u00e7on des d\u00e9cisions prises par Catherine de M\u00e9dicis (la Saint-Barth\u00e9l\u00e9my, en 1572), Richelieu (la guerre, le si\u00e8ge de la Rochelle) puis Louis XIV (la r\u00e9vocation de l\u2019\u00c9dit de Nantes, en 1685) pour lutter contre les R\u00e9form\u00e9s. Le paradigme de la guerre civile larv\u00e9e, de l\u2019ennemi int\u00e9rieur, est au c\u0153ur de la pens\u00e9e d\u2019extr\u00eame droite.<\/p>\n\n\n\n Le spectre de la guerre civile hante la pens\u00e9e d\u2019extr\u00eame droite.<\/p>J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Il faut rappeler cependant que la d\u00e9nonciation de la guerre civile n\u2019est pas propre \u00e0 la droite. C\u2019est un motif que l\u2019on retrouve depuis l\u2019antiquit\u00e9. Comme l\u2019a montr\u00e9 l\u2019historien Jean-Claude Caron, dans la France du XIXe si\u00e8cle, la guerre civile est la figure du mal absolu que les diff\u00e9rents camps se renvoient, car elle signifie la n\u00e9gation de la concorde. Ainsi est-elle utilis\u00e9e par les autorit\u00e9s en place pour f\u00e9d\u00e9rer les populations derri\u00e8re elle, ou par les insurg\u00e9s pour d\u00e9noncer un pouvoir fauteur de massacre et soucieux de pr\u00e9server ses positions ; elle est mobilis\u00e9e \u00e0 gauche, comme \u00e0 droite, selon des intentions \u00e9videmment diff\u00e9rentes. La version aujourd\u2019hui la plus visible, en France, aux \u00c9tats-Unis et ailleurs (il s\u2019agit bien l\u00e0 d\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne transnational) est en effet celle des droites radicales. Ce discours d\u00e9nonce tant\u00f4t une guerre civile des dealers et criminels contre les honn\u00eates gens, tant\u00f4t une lutte de civilisation, voire une v\u00e9ritable guerre des races. Ces descriptions fantasm\u00e9es sont sous-tendues par une perspective assez claire : elles visent en r\u00e9ponse \u00e0 un retour \u00e0 l’ordre, \u00e0 un durcissement autoritaire du pouvoir (trop \u00ab mou \u00bb), \u00e0 la fin d\u2019une intol\u00e9rance jug\u00e9e coupable et \u00e0 une imposition ferme, voire plus, de normes sociales, raciales, culturelles jug\u00e9es essentielles. En ce sens, il s’agit bien d\u2019un discours classique d\u2019extr\u00eame droite. Le livre rappelle aussi comment cette notion de \u00ab guerre civile \u00bb peut-\u00eatre instrumentalis\u00e9e, sur les terrains \u00e9tudi\u00e9s, au sein des luttes politiques.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Travail interdisciplinaire, le livre dirig\u00e9 par Quentin Deluermoz et J\u00e9r\u00e9mie Foa explore la guerre civile comme moment de r\u00e9articulation incertain des normes implicites qui soutiennent une soci\u00e9t\u00e9. Des guerres de religion aux conflits en Ukraine et en Colombie, l’ouvrage examine ce qui persiste, change ou s’effondre dans l’incertitude.<\/p>\n","protected":false},"author":3041,"featured_media":176970,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-reviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1734],"tags":[],"geo":[2163],"class_list":["post-176968","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-doctrines","staff-baptiste-roger-lacan","staff-mathieu-roger-lacan","geo-monde"],"acf":[],"yoast_head":"\nEn Europe, le paradigme de la guerre civile semble donc conna\u00eetre une transformation au XVIe si\u00e8cle. Est-ce attribuable aux guerres d\u2019Italie, aux guerres de Religion, faut-il faire un lien entre les deux ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/h4>\n\n\n\n
Des \u00e9v\u00e9nements appartenant \u00e0 la p\u00e9riode ultra contemporaine \u2014 de la guerre civile libanaise au g\u00e9nocide des Tutsis au Rwanda \u2014 ont-ils transform\u00e9 la mani\u00e8re dont les historiens travaillent sur la guerre civile ?<\/a><\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quentin Deluermoz<\/h4>\n\n\n\n
J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/h4>\n\n\n\n
Le fil conducteur des contributions que r\u00e9unit ce livre semble \u00eatre la fa\u00e7on dont la guerre civile est un moment o\u00f9, dans une soci\u00e9t\u00e9, tout ce qui \u00e9tait ordinaire devient suspect. Une nouvelle grammaire s\u00e9miotique se met en place : il s\u2019agit de sur-signifier son appartenance \u00e0 un camp, ou au contraire de la masquer, par des gestes qu\u2019on ne commettait pas auparavant. Pouvez-vous revenir sur cette intuition premi\u00e8re et sur la fa\u00e7on dont elle s\u2019illustre dans diff\u00e9rents cas ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quentin Deluermoz<\/h4>\n\n\n\n
J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/h4>\n\n\n\n
La situation que vous d\u00e9crivez est celle o\u00f9 la guerre civile est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0. Mais comment entre-t-on en guerre civile ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quentin Deluermoz<\/h4>\n\n\n\n
J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/h4>\n\n\n\n
Tenter de saisir historiquement la guerre civile permet-il de mieux d\u00e9finir la guerre \u00ab classique \u00bb ? La d\u00e9marcation entre les deux ph\u00e9nom\u00e8nes est-elle tr\u00e8s poreuse ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quentin Deluermoz<\/h4>\n\n\n\n
Si la question de l\u2019entr\u00e9e en guerre civile peut \u00eatre neutralis\u00e9e, il n\u2019en va sans doute pas de m\u00eame pour la sortie de la guerre civile. Comment se produit le retour, m\u00eame partiel, \u00e0 la normalit\u00e9 ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/h4>\n\n\n\n
Quentin Deluermoz<\/h4>\n\n\n\n
M\u00eame si les vertus d\u2019un certain usage de l\u2019anachronisme sont rappel\u00e9es par Patrick Boucheron, qui cite Nicole Loraux dans sa pr\u00e9face, l\u2019exercice est toujours p\u00e9rilleux pour la discipline historique, plus encore lorsqu\u2019il s\u2019agit d\u2019appliquer le savoir historique \u00e0 l\u2019analyse du pr\u00e9sent. Toutefois, la manifestation du 8 janvier 2023 au Br\u00e9sil<\/a>, comme peut-\u00eatre celle du 6 janvier 2021 \u00e0 Washington<\/a>, ravivent le spectre de la guerre civile dans le pr\u00e9sent politique de certains pays. Quelle grille de lecture les contributions des \u00c9preuves de la guerre civile<\/em> peuvent-elles nous apporter sur ces \u00e9v\u00e9nements contemporains ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/h4>\n\n\n\n
Quentin Deluermoz<\/h4>\n\n\n\n
Y a-t-il des conflits ou des questions que vous auriez voulu traiter dans cet ouvrage qui en sont absents ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
J\u00e9r\u00e9mie Foa<\/h4>\n\n\n\n
La \u00ab guerre civile \u00bb (qu\u2019elle soit crainte, fantasm\u00e9e ou pr\u00e9par\u00e9e) est un point topique de l\u2019imaginaire des droites radicales. Comment l\u2019expliquer ? Cela pourrait-il d\u00e9river du sentiment d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 \u00ab vaincu \u00bb par l\u2019histoire, une situation que seule la confrontation violente pourrait renverser ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quentin Deluermoz<\/h4>\n\n\n\n