{"id":175724,"date":"2023-01-29T04:20:05","date_gmt":"2023-01-29T03:20:05","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=175724"},"modified":"2023-01-30T05:09:33","modified_gmt":"2023-01-30T04:09:33","slug":"quest-ce-quune-escalade","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2023\/01\/29\/quest-ce-quune-escalade\/","title":{"rendered":"Qu\u2019est-ce qu\u2019une escalade ?"},"content":{"rendered":"\n
La d\u00e9cision des pays occidentaux de livrer \u00e0 l\u2019Ukraine des chars lourds \u2014 principalement des Leopard 2<\/em> de conception allemande et des M-1 Abrams de conception am\u00e9ricaine \u2014 a cr\u00e9\u00e9 des tensions entre les alli\u00e9s<\/a> \u2014 notamment du fait des r\u00e9ticences initiales de l\u2019Allemagne \u2014, et inqui\u00e9t\u00e9 certains observateurs. Pierre Lellouche saluait ainsi les h\u00e9sitations allemandes \u00ab afin d\u2019\u00e9viter de franchir une \u00e9tape potentiellement dangereuse dans l\u2019escalade avec la Russie \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> ; G\u00e9rard Araud s\u2019inqui\u00e9tait que nous soyons \u00ab engag\u00e9s \u00e9tape apr\u00e8s \u00e9tape dans une escalade incontr\u00f4l\u00e9e \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>, une crainte partag\u00e9e par Alexis Corbi\u00e8re ou Bruno Retailleau, Michel Onfray annon\u00e7ant m\u00eame que nous nous dirigerions vers une troisi\u00e8me guerre mondiale <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Le terme \u00ab escalade \u00bb revient ainsi r\u00e9guli\u00e8rement dans le d\u00e9bat public, souvent pour \u00e9voquer un souci l\u00e9gitime d\u2019\u00e9viter une confrontation directe entre pays occidentaux et Russie, mais sa d\u00e9finition et sa compr\u00e9hension par les diff\u00e9rents locuteurs est variable : il s\u2019agit d\u2019un bon exemple de terme qui semble transparent et intuitif, mais dont l\u2019analyse est plus complexe.<\/p>\n\n\n\n Du fait des enjeux existentiels li\u00e9s \u00e0 la r\u00e9volution nucl\u00e9aire, la litt\u00e9rature en \u00e9tudes strat\u00e9giques a, depuis les ann\u00e9es 1950, tr\u00e8s largement \u00e9tudi\u00e9 les m\u00e9canismes d\u2019escalade entre bellig\u00e9rants, notamment les escalades non-volontaires et non-ma\u00eetris\u00e9es. Ces travaux contiennent ainsi des observations et des r\u00e9sultats qui aident \u00e0 penser plus clairement la situation actuelle. Nous ne discuterons pas ici de l\u2019effet potentiel des chars sur les op\u00e9rations, ou des mod\u00e8les les plus appropri\u00e9s pour les besoins et les capacit\u00e9s logistiques ukrainiens, mais tentons de r\u00e9pondre \u00e0 la question : \u00ab est-ce une escalade ? \u00bb. <\/p>\n\n\n\n On peut d\u00e9finir l\u2019escalade comme \u00ab une augmentation de l\u2019intensit\u00e9 ou du p\u00e9rim\u00e8tre d\u2019un conflit qui franchit des seuils consid\u00e9r\u00e9s comme significatifs par un ou plusieurs des bellig\u00e9rants \u00bb <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> : employer de nouvelles armes au cours d\u2019un conflit ou ouvrir un nouveau th\u00e9\u00e2tre d\u2019op\u00e9rations sont des formes d\u2019escalade.<\/p>\n\n\n\n Employer de nouvelles armes au cours d\u2019un conflit ou ouvrir un nouveau th\u00e9\u00e2tre d\u2019op\u00e9rations sont des formes d\u2019escalade.<\/p>Olivier Schmitt<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n On distingue g\u00e9n\u00e9ralement entre escalade verticale et escalade horizontale. L\u2019escalade verticale renvoie \u00e0 l\u2019augmentation de l\u2019intensit\u00e9 des hostilit\u00e9s dans le cadre d\u2019un conflit dont le p\u00e9rim\u00e8tre reste identique. Par exemple, dans un conflit conventionnel, le ciblage d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 par l\u2019un des bellig\u00e9rants de la population civile ou des dirigeants de son ennemi serait certainement per\u00e7u comme une escalade. En 1945, la campagne de bombardement strat\u00e9gique des \u00c9tats-Unis contre le Japon a connu deux moments clairs d\u2019escalade : le bombardement de Tokyo (9-10 mars) et l\u2019utilisation de l\u2019arme atomique \u00e0 Hiroshima (6 ao\u00fbt).<\/p>\n\n\n\n L\u2019escalade horizontale \u00e9largit le p\u00e9rim\u00e8tre du conflit, soit par l\u2019ouverture de nouveaux th\u00e9\u00e2tres, soit par l\u2019inclusion de nouveaux domaines. Par exemple, durant la Guerre Froide, les superpuissances ont r\u00e9guli\u00e8rement eu recours \u00e0 l\u2019escalade horizontale, c\u2019est-\u00e0-dire des affrontements par \u00ab proxys \u00bb interpos\u00e9s, afin d\u2019\u00e9viter l\u2019escalade verticale. Au total, ces escalades horizontales ont caus\u00e9 la mort de plus de 14 millions de personnes, la \u00ab Guerre \u00bb n\u2019\u00e9tant \u00ab Froide \u00bb qu\u2019en Europe <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Durant la guerre du Golfe, l\u2019Irak a tent\u00e9 d\u2019impliquer Isra\u00ebl dans le conflit en tirant des missiles SCUDs sur le pays, dans l\u2019espoir qu\u2019une intervention isra\u00e9lienne permettrait \u00e0 Bagdad de rallier les pays arabes \u00e0 sa cause, ce qui est un exemple d\u2019escalade horizontale ayant \u00e9chou\u00e9. <\/p>\n\n\n\n L\u2019escalade est un ph\u00e9nom\u00e8ne profond\u00e9ment li\u00e9 aux perceptions des acteurs : certaines actions seront per\u00e7ues comme escalatoires par les deux parties, les principaux risques \u00e9tant pos\u00e9s par une situation dans laquelle une action est vue comme escalatoire par l\u2019un des bellig\u00e9rants, mais pas l\u2019autre. D\u2019une mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale, la dur\u00e9e d\u2019un conflit entra\u00eene son escalade progressive \u2014 la \u00ab mont\u00e9e aux extr\u00eames \u00bb clausewitzienne \u2014, les acteurs usant de moyens de plus en plus violents pour briser la volont\u00e9 politique de leur ennemi. Dans ce cas, l\u2019escalade est volontaire \u2014 dans un but instrumental de destruction de la volont\u00e9 et des capacit\u00e9s adverses \u2014, mais il existe des cas d\u2019escalade involontaire, ou accidentelle. L\u2019escalade involontaire a lieu quand l\u2019un des adversaires accomplit une action qu\u2019il ne pense pas escalatoire, mais qui est vue comme telle par son ennemi : un seuil est franchi sans que le responsable du franchissement n\u2019en ait pris conscience. Un exemple historique est la contre-offensive des troupes des Nations Unies durant la guerre de Cor\u00e9e, qui repouss\u00e8rent les troupes communistes dans le nord du pays, provoquant l\u2019entr\u00e9e en guerre de la Chine. Barry Posen a aussi avanc\u00e9 <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> que les plans de guerre de l\u2019OTAN durant la Guerre Froide \u2014 et notamment les frappes pr\u00e9vues contre les sous-marins lanceurs d\u2019engins et les syst\u00e8mes de d\u00e9fense anti-a\u00e9rienne de l\u2019URSS \u2014 comportaient le risque de cr\u00e9er chez les dirigeants sovi\u00e9tiques la crainte d\u2019\u00eatre devenus vuln\u00e9rables \u00e0 une premi\u00e8re frappe incapacitante sur leur arsenal nucl\u00e9aire \u2014 en d\u2019autres termes, les sovi\u00e9tiques auraient pu craindre la perte de leur capacit\u00e9 de seconde frappe, n\u00e9cessaire \u00e0 la cr\u00e9dibilit\u00e9 de leur dissuasion nucl\u00e9aire. Moscou aurait ainsi \u00e9t\u00e9 plac\u00e9e face \u00e0 un dilemme \u00ab use them or lose them<\/em> \u00bb, incitant \u00e0 une escalade nucl\u00e9aire non-d\u00e9sir\u00e9e. Plus r\u00e9cemment, James Acton a montr\u00e9 <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span> que la dualit\u00e9 des moyens de commandement et de contr\u00f4le (C2) chinois, servant \u00e0 commander aussi bien les forces conventionnelles que les forces nucl\u00e9aires, comportait un risque non n\u00e9gligeable d\u2019escalade involontaire en cas de guerre entre les \u00c9tats-Unis et la Chine. Ces moyens de C2 seraient, dans la doctrine am\u00e9ricaine, les cibles initiales d\u2019une campagne visant \u00e0 paralyser le processus de d\u00e9cision de l\u2019arm\u00e9e populaire de lib\u00e9ration, mais les dirigeants chinois pourraient la percevoir comme une tentative de d\u00e9membrement de leur capacit\u00e9 de dissuasion nucl\u00e9aire. Ils pourraient alors \u00eatre tent\u00e9s par une escalade nucl\u00e9aire, toujours dans la logique \u00ab use them or lose them<\/em> \u00bb. <\/p>\n\n\n\n L\u2019escalade est un ph\u00e9nom\u00e8ne profond\u00e9ment li\u00e9 aux perceptions des acteurs : certaines actions seront per\u00e7ues comme escalatoires par les deux parties, les principaux risques \u00e9tant pos\u00e9s par une situation dans laquelle une action est vue comme escalatoire par l\u2019un des bellig\u00e9rants, mais pas l\u2019autre.<\/p>Olivier Schmitt<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le ph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019escalade doit se penser comme un continuum ou, pour reprendre la c\u00e9l\u00e8bre m\u00e9taphore d\u2019Herman Kahn <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>, comme une \u00e9chelle compos\u00e9e de plusieurs barreaux, chacun des barreaux correspondant \u00e0 un degr\u00e9 d\u2019intensit\u00e9 du conflit. Dans sa derni\u00e8re it\u00e9ration, \u00ab l\u2019\u00e9chelle \u00bb de Kahn comportait 44 barreaux <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>, dont plus de la moiti\u00e9 comportaient un \u00e9change nucl\u00e9aire\u2026 Cette repr\u00e9sentation du ph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019escalade n\u2019est pas sans poser de probl\u00e8mes, notamment le c\u00f4t\u00e9 arbitraire de la hi\u00e9rarchie de violence propos\u00e9e par Kahn et le risque de voir le ph\u00e9nom\u00e8ne comme graduel (un barreau apr\u00e8s l\u2019autre) et donc contr\u00f4lable, l\u00e0 o\u00f9 des escalades tr\u00e8s brutales (\u00ab sautant \u00bb plusieurs barreaux) sont th\u00e9oriquement possibles. Mais elle permet de penser l\u2019escalade de mani\u00e8re non-binaire (violence\/non-violence), et surtout permet d\u2019introduire la notion de seuils de violence. <\/p>\n\n\n\n Ces seuils successifs seraient, pour Kahn, li\u00e9s au niveau de destruction qu\u2019ils engendrent. Toutefois, il existerait des \u00ab pare-feux \u00bb au ph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019escalade, li\u00e9s non pas au volume de violence caus\u00e9 mais aux moyens d\u00e9ploy\u00e9s. Selon le type de moyens employ\u00e9s, une action est vue comme plus ou moins escalatoire, m\u00eame si le niveau de destruction est le m\u00eame. Ainsi, des travaux ont pu montrer que les d\u00e9cideurs jugent qu\u2019\u00e0 m\u00eame niveau de destruction th\u00e9orique, une attaque cyber ne rel\u00e8ve pas d\u2019une escalade, alors que ce serait le cas pour une frappe de missile <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. De m\u00eame, l\u2019emploi d\u2019une arme nucl\u00e9aire tactique est per\u00e7ue comme une escalade majeure, m\u00eame si elle cr\u00e9e autant voire moins de d\u00e9g\u00e2ts que des frappes conventionnelles. Le ph\u00e9nom\u00e8ne est aussi observ\u00e9 pour les moyens conventionnels : \u00e0 degr\u00e9 de destruction \u00e9quivalent, une frappe de drone ou un sabotage par une unit\u00e9 de forces sp\u00e9ciales est per\u00e7u comme moins escalatoire qu\u2019une frappe d\u2019artillerie <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En d\u2019autres termes, des \u00ab pares-feux \u00bb existent entre les domaines cyber, conventionnels et nucl\u00e9aires : les acteurs per\u00e7oivent bien ces domaines comme s\u00e9par\u00e9s, avec une gradation progressive de l\u2019intensit\u00e9 du conflit en fonction du domaine d\u2019action, et non pas en fonction du volume de destruction. La symbolique des armes employ\u00e9es est \u00e9galement importante dans la perception d\u2019une escalade : certains syst\u00e8mes d\u2019armes sont clairement per\u00e7us comme plus violents, et escalatoires, que d\u2019autres. <\/p>\n\n\n\n On voit ainsi qu\u2019une escalade est une augmentation de l\u2019intensit\u00e9 ou du p\u00e9rim\u00e8tre du conflit, qu\u2019elle peut \u00eatre involontaire \u2014 ce qui pr\u00e9sente les plus grands risques \u2014, et que la perception d\u2019une escalade par un bellig\u00e9rant est li\u00e9e \u00e0 la nature des armements employ\u00e9s et aux diff\u00e9rents domaines de conflit. D\u00e8s lors, la livraison de chars lourds \u00e0 l\u2019Ukraine constitue-t-elle une escalade ?<\/p>\n\n\n\n En premier lieu, rappelons une \u00e9vidence. C\u2019est la Russie qui est responsable d\u2019une escalade du conflit avec l\u2019Ukraine, d\u00e9cidant de lancer une invasion le 24 f\u00e9vrier 2022. De plus, contrairement \u00e0 ce que certains commentateurs ont pu avancer, la dynamique strat\u00e9gique du conflit n\u2019a pas chang\u00e9 : l\u2019Ukraine est toujours dans une posture strat\u00e9giquement d\u00e9fensive, en \u00e9tant le pays agress\u00e9. Effectivement, d\u2019un point de vue op\u00e9ratif, l\u2019Ukraine a pu repasser \u00e0 l\u2019offensive \u00e0 la fin de l\u2019\u00e9t\u00e9 pour r\u00e9cup\u00e9rer une partie de ses territoires envahis par la Russie, mais c\u2019est toujours dans le cadre d\u2019une posture strat\u00e9giquement d\u00e9fensive : l\u2019Ukraine est toujours en train de se d\u00e9fendre contre une invasion en cours. C\u2019est aussi la raison pour laquelle Kyiv r\u00e9clame des chars lourds : l\u2019objectif est de cr\u00e9er une brigade blind\u00e9e qui permettrait de redonner de la mobilit\u00e9 et de la puissance de feu au corps de bataille ukrainien, dans la double perspective de r\u00e9sister \u00e0 une nouvelle offensive russe \u00e0 la fin de l\u2019hiver et de permettre une \u00e9ventuelle nouvelle contre-offensive ukrainienne, en particulier vers Marioupol. La dynamique strat\u00e9gique du conflit changerait si l\u2019Ukraine en venait \u00e0 tenter d\u2019envahir des territoires russes, mais nous en sommes tr\u00e8s loin. Enfin, les op\u00e9rations militaires en cours ne font courir aucun risque aux moyens n\u00e9cessaires \u00e0 la dissuasion nucl\u00e9aire russe : les risques d\u2019escalade involontaire sont donc inexistants dans ce domaine. Livrer des chars lourds \u00e0 l\u2019Ukraine n\u2019est donc pas en soi changer la dynamique strat\u00e9gique du conflit : c\u2019est continuer \u00e0 lui donner les moyens de r\u00e9sister \u00e0 l\u2019agression russe.<\/p>\n\n\n\n D\u2019un point de vue op\u00e9ratif, l\u2019Ukraine a pu repasser \u00e0 l\u2019offensive \u00e0 la fin de l\u2019\u00e9t\u00e9 pour r\u00e9cup\u00e9rer une partie de ses territoires envahis par la Russie, mais c\u2019est toujours dans le cadre d\u2019une posture strat\u00e9giquement d\u00e9fensive : l\u2019Ukraine est toujours en train de se d\u00e9fendre contre une invasion en cours.<\/p>Olivier Schmitt<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Deuxi\u00e8mement, ces mat\u00e9riels ne constituent pas une rupture qualitative majeure par rapport aux pr\u00e9c\u00e9dentes livraisons d\u2019armes. La Pologne, la Slovaquie ou la R\u00e9publique Tch\u00e8que ont d\u00e9j\u00e0 livr\u00e9 \u00e0 l\u2019Ukraine au moins 450 chars lourds T-72 de conception sovi\u00e9tique depuis 2022, sans compter les livraisons de pi\u00e8ces d\u2019artillerie, ou de v\u00e9hicules de combat blind\u00e9s de diff\u00e9rents mod\u00e8les (Bradleys<\/em> am\u00e9ricains, Marders<\/em> allemands ou AMX-10 fran\u00e7ais). Certes, les Leopard II de conception allemande ou les M-1 Abrams<\/em> de conception am\u00e9ricaine sont des mod\u00e8les plus avanc\u00e9s et plus performants que les T-72, mais il s\u2019agit d\u2019une am\u00e9lioration incr\u00e9mentale au sein d\u2019une cat\u00e9gorie de mat\u00e9riels en fait d\u00e9j\u00e0 livr\u00e9s \u00e0 l\u2019Ukraine depuis 2022. L\u2019envoi de Leopard II ou de Abrams<\/em> reste coh\u00e9rent avec l\u2019objectif de permettre \u00e0 l\u2019Ukraine de disposer de mat\u00e9riels lui permettant de conduire un combat et une man\u0153uvre interarmes. De notre point de vue \u2014 et ce point est certainement ouvert au d\u00e9bat \u2014, m\u00eame la livraison d\u2019avions de combat de type F-16, qui permettraient \u00e0 Kyiv de conduire une campagne a\u00e9roterrestre encore plus performante, ne constitueraient pas non plus une rupture symbolique caract\u00e9risant une escalade, puisque ce type de combat a\u00e9roterrestre est en fait typique des op\u00e9rations militaires modernes et entre dans ce qui est \u00ab attendu \u00bb d\u2019une man\u0153uvre contemporaine. La Russie est dans son r\u00f4le lorsqu\u2019elle condamne ces livraisons \u2014 comme elle a condamn\u00e9 toutes les livraisons d\u2019armes \u00e0 l\u2019Ukraine depuis f\u00e9vrier 2022 \u2014 et promet des r\u00e9ponses toutes plus terrifiantes les unes que les autres mais les responsables russes comprennent bien la man\u0153uvre occidentale qui consiste \u00e0 prudemment donner \u00e0 l\u2019Ukraine les moyens de r\u00e9sister \u00e0 l\u2019invasion tout en encadrant strictement l\u2019usage fait des mat\u00e9riels livr\u00e9s, notamment en d\u00e9courageant toute action contre le territoire russe. <\/p>\n\n\n\n Troisi\u00e8mement, m\u00eame en supposant que la Russie consid\u00e9rerait ces livraisons comme une escalade de la part de l\u2019Ukraine et des pays occidentaux, quelles seraient les possibilit\u00e9s d\u2019escalade de la part de Moscou ?<\/p>\n\n\n\n Commen\u00e7ons par les risques d\u2019escalade horizontale. Moscou pourrait \u00eatre tent\u00e9 de d\u00e9placer les th\u00e9\u00e2tres du conflit en visant des int\u00e9r\u00eats occidentaux ailleurs, mais il est difficile d\u2019identifier des cibles possibles d\u2019importance. La Russie conduit d\u00e9j\u00e0 <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u2014 et depuis longtemps <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span> \u2014 des actions hostiles dans le cyberespace, et les relations \u00e9conomiques sont pratiquement interrompues. L\u2019Union a mis en place un embargo sur le p\u00e9trole russe, et se d\u00e9fait plus rapidement que pr\u00e9vu de sa d\u00e9pendance au gaz, privant ainsi Moscou d\u2019une possibilit\u00e9 de coercition. Il est envisageable que Moscou pourrait vouloir viser des groupes partenaires des \u00c9tats-Unis en Syrie, ou des int\u00e9r\u00eats fran\u00e7ais en Afrique mais, outre que l\u2019hostilit\u00e9 de Moscou est d\u00e9j\u00e0 manifeste dans cette r\u00e9gion, les moyens que la Russie pourrait y consacrer restent limit\u00e9s. Enfin, des actions de subversion et de sabotage sont envisageables sur les territoires des pays occidentaux, mais restent dans le spectre d\u2019activit\u00e9s d\u2019ores et d\u00e9j\u00e0 conduites par Moscou <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>. On peut envisager des actions de sabotage particuli\u00e8rement intenses, comme la destruction d\u2019une infrastructure critique ou l\u2019assassinat d\u2019un responsable politico-militaire important, mais il est probable que cette action soit une r\u00e9ponse g\u00e9n\u00e9rale pour le soutien \u00e0 l\u2019Ukraine de la part des pays occidentaux, et non pas une r\u00e9ponse sp\u00e9cifique \u00e0 une livraison de chars lourds. Le soutien occidental \u00e0 l\u2019Ukraine a surpris Moscou, dont la r\u00e9ponse a pour l\u2019instant \u00e9t\u00e9 limit\u00e9e, probablement en raison des difficult\u00e9s li\u00e9es \u00e0 l\u2019invasion en cours. Il est probable qu\u2019une r\u00e9ponse ayant pour but de \u00ab punir \u00bb le soutien occidental ait lieu \u00e0 un moment, mais celle-ci rel\u00e8vera plus de la vengeance et de la frustration que de la r\u00e9action \u00e0 un \u00e9v\u00e8nement pr\u00e9cis. Dans le haut du spectre, une attaque militaire sur des installations de pays membres de l\u2019OTAN reste tr\u00e8s hautement improbable, du fait du m\u00e9canisme de dissuasion : on voit mal Moscou attaquer le territoire des pays de l\u2019OTAN simplement pour emp\u00eacher des livraisons d\u2019armes, les risques \u00e9tant bien trop \u00e9lev\u00e9s. Les possibilit\u00e9s d\u2019escalade horizontale par Moscou sont donc restreintes.<\/p>\n\n\n\n Quelles sont donc les possibilit\u00e9s d\u2019escalade verticale ? Dans le domaine conventionnel, on ne peut pas dire que la Russie ait fait preuve d\u2019une retenue particuli\u00e8re depuis le d\u00e9but des hostilit\u00e9s. Moscou conduit une campagne interarmes impliquant des moyens terrestres, a\u00e9riens, maritimes et cyber ; laisse ses troupes (voire les encourage \u00e0) commettre des massacres dans les territoires occup\u00e9s \u2014 Boutcha \u2014 et \u00e9tablir des chambres de torture pour contr\u00f4ler les populations locales \u2014 Izioum \u2014 ; vise r\u00e9guli\u00e8rement et d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment des installations civiles \u2014 Kharkiv, Kyiv, etc. \u2014 et conduit une mobilisation de masse de sa population afin de continuer \u00e0 alimenter la guerre. Dans les faits, l\u2019intensit\u00e9 du conflit est d\u00e9j\u00e0 \u00e9lev\u00e9e, et l\u2019on voit mal ce que serait une nouvelle escalade dans ce domaine. Juridiquement, Moscou pourrait choisir de requalifier son \u00ab op\u00e9ration militaire sp\u00e9ciale \u00bb en \u00ab op\u00e9ration contre-terroriste \u00bb et de d\u00e9clarer la loi martiale, ce qui permettrait par exemple de plus facilement mobiliser les r\u00e9seaux ferr\u00e9s en donnant la priorit\u00e9 aux besoins militaires, mais le pr\u00e9sident du comit\u00e9 de la d\u00e9fense de la Douma, <\/em>Andrei Kartapalov, <\/em> ainsi que le Kremlin ont d\u00e9j\u00e0 indiqu\u00e9 que la livraison de chars lourds n\u2019\u00e9tait pas un motif suffisant pour requalifier l\u2019op\u00e9ration <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Kartapalov a explicitement d\u00e9clar\u00e9 que les livraisons d\u2019armes relevaient de la politique interne de chaque pays, et ne justifiaient aucunement que la Russie d\u00e9clare la guerre \u00e0 l\u2019Allemagne ou \u00e0 d\u2019autres \u00c9tats. Ces d\u00e9clarations sont coh\u00e9rentes avec l\u2019argument ci-dessus selon lequel les responsables russes comprennent les limites hautes de l\u2019aide occidentale.<\/p>\n\n\n\n Le pr\u00e9sident du comit\u00e9 de la d\u00e9fense de la Douma, <\/em>Andrei Kartapalov, <\/em> ainsi que le Kremlin ont d\u00e9j\u00e0 indiqu\u00e9 que la livraison de chars lourds n\u2019\u00e9tait pas un motif suffisant pour requalifier l\u2019op\u00e9ration.<\/p>Olivier Schmitt<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n \u00c9videmment, la plus grande crainte est celle d\u2019une escalade nucl\u00e9aire, Moscou d\u00e9cidant d\u2019utiliser une arme nucl\u00e9aire pour d\u00e9bloquer la situation militaire. Il est clair que Moscou agite, \u00e0 intervalles r\u00e9guliers, des menaces nucl\u00e9aires<\/a> dans une tentative d\u2019effrayer les pays occidentaux et restreindre leurs options. Selon nous, ce risque est actuellement tr\u00e8s faible pour une combinaison de raisons. Tout d\u2019abord, un tel emploi ne correspondrait pas \u00e0 la doctrine russe, qui limite le feu nucl\u00e9aire \u00e0 des menaces vitales contre l\u2019existence de l\u2019\u00c9tat russe. Selon toute probabilit\u00e9, le contr\u00f4le du Donbass n\u2019est pas consid\u00e9r\u00e9 comme un tel enjeu, une analyse renforc\u00e9e par le fait que la d\u00e9claration de rattachement du Donbass \u00e0 la Russie ayant fait suite aux r\u00e9f\u00e9rendums fantoches de septembre 2022 n\u2019a pas eu de cons\u00e9quence militaire. De plus, la communaut\u00e9 nucl\u00e9aire russe tend g\u00e9n\u00e9ralement \u00e0 souscrire \u00e0 l\u2019analyse selon laquelle le nucl\u00e9aire rel\u00e8ve bien d\u2019un domaine particulier, et est donc sensible \u00e0 la notion de \u00ab pare-feu \u00bb entre les domaines conventionnels et nucl\u00e9aires. Enfin, les \u00c9tats-Unis \u2014 et probablement d\u2019autres pays \u2014 ont explicitement envoy\u00e9 des signaux \u00e0 Moscou, mena\u00e7ant de repr\u00e9sailles en cas d\u2019usage de l\u2019arme nucl\u00e9aire en Ukraine, ce qui contribue certainement au calcul strat\u00e9gique de Moscou. Au niveau strat\u00e9gique, le calcul co\u00fbt-b\u00e9n\u00e9fice semble toujours clairement n\u00e9gatif. <\/p>\n\n\n\n Au plan op\u00e9rationnel, l\u2019avantage procur\u00e9 par l\u2019emploi d\u2019une arme nucl\u00e9aire n\u2019est pas \u00e9vident, au regard de la situation militaire actuelle. On peut envisager trois possibilit\u00e9s d\u2019emploi. La premi\u00e8re possibilit\u00e9 serait une frappe d\u2019intimidation dans une zone non-peupl\u00e9e \u2014 par exemple au-dessus de la Mer Noire. \u00c9tant donn\u00e9 la situation militaire, on voit mal comment une telle frappe n\u2019aurait pas un effet galvanisant \u2014 et non pas d\u00e9moralisant \u2014 sur les soldats et la population ukrainienne, tout en isolant Moscou diplomatiquement. Moscou serait alors oblig\u00e9 d\u2019escalader vers l\u2019un des deux autres sc\u00e9narios possibles, ce qui rend cette premi\u00e8re option tr\u00e8s peu probable : le co\u00fbt potentiel est bien trop important par rapport au gain hypoth\u00e9tique.<\/p>\n\n\n\n La deuxi\u00e8me possibilit\u00e9 est une frappe contre une ville ukrainienne, afin de d\u00e9l\u00e9gitimer \u2014 voire de d\u00e9capiter si la cible est Kyiv \u2014 les responsables politico-militaires. Un tel emploi offensif de l\u2019arme nucl\u00e9aire dans un but explicite de conqu\u00eate territoriale serait une remise en cause compl\u00e8te du fragile \u00e9quilibre strat\u00e9gique \u00e9tabli depuis 1945. Les \u00c9tats-Unis et leurs alli\u00e9s seraient certainement impliqu\u00e9s dans une riposte conventionnelle massive afin de r\u00e9tablir la dynamique de dissuasion, tandis que l\u2019Inde comme peut-\u00eatre la Chine se d\u00e9tourneraient de la Russie, craignant les cons\u00e9quences politiques de leur association avec un pays devenu paria. L\u00e0 encore, les risques nous semblent en l\u2019\u00e9tat bien trop importants pour Moscou.<\/p>\n\n\n\n Un emploi offensif de l\u2019arme nucl\u00e9aire dans un but explicite de conqu\u00eate territoriale serait une remise en cause compl\u00e8te du fragile \u00e9quilibre strat\u00e9gique \u00e9tabli depuis 1945.<\/p>Olivier Schmitt<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La troisi\u00e8me possibilit\u00e9 serait l\u2019emploi d\u2019armes nucl\u00e9aires comme \u00ab contre-force \u00bb, en visant des objectifs militaires ukrainiens. Toutefois, \u00e0 ce stade du conflit, il n\u2019y a pas de concentration de forces ukrainiennes suffisantes pour constituer une cible attractive pour une frappe entre 10 et 100 kilotonnes de puissance. La Russie pourrait choisir d\u2019employer des armes nucl\u00e9aires plus petites \u2014 en-dessous de 10 kilotonnes \u2014 mais cette approche rencontre deux probl\u00e8mes. D\u2019abord, le m\u00eame effet destructeur qu\u2019une \u00ab petite \u00bb frappe nucl\u00e9aire peut \u00eatre atteint avec les moyens conventionnels dont dispose Moscou : pourquoi risquer de briser le tabou nucl\u00e9aire, et craindre les cons\u00e9quences politiques associ\u00e9es, si le m\u00eame r\u00e9sultat militaire peut \u00eatre atteint avec d\u2019autres moyens ? De plus, pour avoir un effet militaire significatif conduisant \u00e0 une rupture des positions ukrainiennes, la Russie devrait employer plusieurs dizaines de frappes \u2014 et non pas une seule \u2014 sur l\u2019ensemble de la ligne de front, mais les cons\u00e9quences ne sont pas \u00e0 sous-estimer sur les arm\u00e9es russes elles-m\u00eames : \u00e9tant donn\u00e9 la proximit\u00e9 des arm\u00e9es sur le front, les risques de radiation sont \u00e9lev\u00e9s pour les soldats russes, sans compter que les retomb\u00e9es nucl\u00e9aires qui auront lieu en Russie et en Bi\u00e9lorussie peuvent cr\u00e9er des mouvements de panique dans les populations civiles. Dans ces conditions, et sans m\u00eame prendre en compte l\u2019effet psychologique traumatisant d\u2019\u00eatre t\u00e9moin de destructions \u00e0 si grande \u00e9chelle, il n\u2019y a aucune garantie que les troupes russes maintiennent leur coh\u00e9sion. Comme l\u2019\u00e9crit William Alberque, \u00ab Poutine a deux mauvaises options nucl\u00e9aires devant lui : soit il utilise plusieurs petites ogives pour obtenir un effet significatif sur le champ de bataille \u2014 avec une menace r\u00e9elle d’intervention et d’escalade \u2014, soit il utilise une arme nucl\u00e9aire de th\u00e9\u00e2tre plus importante pour obtenir un effet politique \u2014 tout en risquant une intervention et une escalade. \u00bb <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span><\/p>\n\n\n\n Pour toutes ces raisons \u2014 co\u00fbt strat\u00e9gique \u00e9lev\u00e9 et int\u00e9r\u00eat op\u00e9rationnel r\u00e9duit \u2014 nous pensons que le risque d\u2019escalade nucl\u00e9aire est tr\u00e8s r\u00e9duit \u00e0 ce stade du conflit, et que la livraison de chars lourds ne change pas cette dynamique fondamentale.<\/p>\n\n\n\n Si le terme est correctement conceptualis\u00e9, \u00e0 ce stade, la livraison de chars lourds \u00e0 l\u2019Ukraine ne constitue pas une escalade. Toutefois, cela ne signifie absolument pas que ce risque est nul, et il convient donc de r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 des situations qui pourraient constituer une escalade, d\u00e9sir\u00e9e ou non, comportant des risques importants.<\/p>\n\n\n\n On peut imaginer trois principaux sc\u00e9narios qui conduiraient Moscou \u00e0 reconsid\u00e9rer son calcul co\u00fbt-b\u00e9n\u00e9fice. <\/p>\n\n\n\n Le premier est une situation dans laquelle la Russie craindrait pour son int\u00e9grit\u00e9 territoriale, par exemple, si les occidentaux livraient \u00e0 l\u2019Ukraine des armements introduisant une profonde rupture qualitative, et mena\u00e7ant le territoire russe dans la profondeur. Typiquement, les missiles ATACMS (Army Tactical Missile Systems<\/em>) constitueraient de notre point de vue une telle rupture, et les \u00c9tats-Unis ont probablement raison d\u2019en refuser la livraison aux Ukrainiens, malgr\u00e9 les demandes r\u00e9p\u00e9t\u00e9es de ceux-ci. Une variante de ce sc\u00e9nario serait une situation dans laquelle les forces ukrainiennes seraient directement capables d\u2019envahir la Russie, qui serait dans ce cas vou\u00e9e \u00e0 escalader. La question de ce sc\u00e9nario pourrait se poser pour la Crim\u00e9e, qui est de facto<\/em> sous contr\u00f4le russe depuis 2014. Une tentative de reprise de la Crim\u00e9e serait probablement vue par Moscou comme justifiant une escalade et ce point m\u00e9rite \u00e0 lui seul une analyse approfondie \u2014 la question n\u2019\u00e9tant de toute fa\u00e7on pas encore \u00e0 l\u2019ordre du jour.<\/p>\n\n\n\n Une tentative de reprise de la Crim\u00e9e serait probablement vue par Moscou comme justifiant une escalade.<\/p>Olivier Schmitt<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le deuxi\u00e8me sc\u00e9nario pourrait survenir si la Russie en venait \u00e0 se convaincre que l\u2019OTAN participe directement aux op\u00e9rations militaires. \u00c0 ce jour, les \u00c9tats-Unis, et d\u2019autres pays, fournissent du renseignement \u00e0 l\u2019Ukraine, mais ne participent pas \u00e0 la conception et la conduite des op\u00e9rations. Si la planification des op\u00e9rations devenait conjointe, la Russie pourrait consid\u00e9rer que le pays participant \u00e0 la planification est partie au conflit, et pourrait choisir de riposter sur son territoire. Il faut donc \u00eatre prudent dans les \u00e9changes actuels \u00ab militaires\/militaires \u00bb avec les forces arm\u00e9es ukrainiennes, afin de ne pas susciter chez Moscou une impression d\u2019intervention directe des forces de l\u2019OTAN dans les op\u00e9rations. La m\u00eame situation pourrait survenir en cas d\u2019exercice militaire conjoint d\u2019ampleur impliquant des forces ukrainiennes et des forces de l\u2019OTAN, surtout si cet exercice avait lieu sur le territoire ukrainien. La Russie, qui n\u2019aurait pas de moyen de savoir s\u2019il s\u2019agit \u00ab seulement \u00bb d\u2019un exercice ou de la pr\u00e9paration d\u2019une participation otanienne aux op\u00e9rations, pourrait choisir d\u2019escalader. La formation des militaires ukrainiens, dans les pays de l\u2019OTAN, aux mat\u00e9riels qui leurs sont livr\u00e9s n\u2019est probablement pas escalatoire : elle est comprise dans le transfert d\u2019armement. Mais d\u2019autres types de coop\u00e9ration militaire, dans le contexte actuel, comporteraient un risque d\u2019escalade involontaire. Un troisi\u00e8me risque est li\u00e9 au d\u00e9ploiement de moyens de r\u00e9assurance de l\u2019OTAN sur le flanc Est de l\u2019Alliance. Si la Russie en venait \u00e0 se convaincre que le d\u00e9ploiement de troupes est le pr\u00e9lude \u00e0 une invasion, voire \u00e0 une frappe de d\u00e9capitation \u2014 si des moyens de frappe \u00e0 longue port\u00e9e \u00e9tait d\u00e9ploy\u00e9s \u2014, elle pourrait d\u00e9cider de pr\u00e9empter une attaque en conduisant une action cin\u00e9tique sur le territoire de l\u2019Alliance. Ce risque est consubstantiel \u00e0 tout d\u00e9ploiement militaire \u2014 c\u2019est ce que l\u2019on appelle le \u00ab dilemme de s\u00e9curit\u00e9 \u00bb : les mesures n\u00e9cessaires \u00e0 augmenter la s\u00e9curit\u00e9 d\u2019un acteur cr\u00e9ent une crainte chez un autre acteur \u2014, mais nous l\u2019estimons comme tr\u00e8s faible \u00e0 ce stade, l\u2019OTAN \u00e9tant justement tr\u00e8s prudente dans le calibrage de ses mesures de r\u00e9assurance.<\/p>\n\n\n\n Le troisi\u00e8me sc\u00e9nario est li\u00e9 \u00e0 la survie du r\u00e9gime lui-m\u00eame. Depuis une dizaine d\u2019ann\u00e9es, certains strat\u00e9gistes russes annoncent qu\u2019une campagne de \u00ab changement de r\u00e9gime \u00bb commencerait par des r\u00e9voltes populaires pilot\u00e9es par les Occidentaux, et culminerait en des frappes de d\u00e9capitation contre les autorit\u00e9s politiques. Il s\u2019agit d\u2019une vision complotiste et parano\u00efaque d\u00e9connect\u00e9e de tout \u00e9l\u00e9ment empirique, mais elle irrigue n\u00e9anmoins une partie significative des dirigeants et de l\u2019appareil militaro-s\u00e9curitaire. Dans le contexte actuel, des manifestations et des r\u00e9voltes d\u2019ampleur contre le r\u00e9gime pourraient \u00eatre interpr\u00e9t\u00e9es par les autorit\u00e9s comme la preuve de l\u2019implication de l\u2019OTAN directement en Russie, conduisant \u00e0 une escalade potentielle. Les dirigeants des pays membres de l\u2019OTAN devraient ainsi \u00eatre prudents et ne pas appeler explicitement \u00e0 des manifestations \u2014 o\u00f9 \u00e0 un changement de r\u00e9gime \u2014, d\u00e9clarations qui pourraient \u00eatre vues par le r\u00e9gime actuel comme des actes hostiles et des signaux envoy\u00e9s \u00e0 des agents provocateurs.<\/p>\n\n\n\n Il faut donc \u00eatre prudent dans les \u00e9changes actuels \u00ab militaires\/militaires \u00bb avec les forces arm\u00e9es ukrainiennes, afin de ne pas susciter chez Moscou une impression d\u2019intervention directe des forces de l\u2019OTAN dans les op\u00e9rations.<\/p>Olivier Schmitt<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n \u00c0 ce stade du conflit, aucun des trois sc\u00e9narios que nous avons pr\u00e9sent\u00e9s n\u2019est encore probable, mais la prudence exige n\u00e9anmoins d\u2019y r\u00e9fl\u00e9chir rigoureusement afin d\u2019\u00e9viter toute escalade non-d\u00e9sir\u00e9e.<\/p>\n\n\n\nPenser l\u2019escalade pour mieux l\u2019emp\u00eacher<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Une escalade en Ukraine ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Le risque d\u2019escalade existe<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Conclusion<\/strong><\/h2>\n\n\n\n