{"id":166277,"date":"2022-11-04T15:34:00","date_gmt":"2022-11-04T14:34:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=166277"},"modified":"2022-11-04T16:35:36","modified_gmt":"2022-11-04T15:35:36","slug":"petrole-lorigine-du-mal","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/11\/04\/petrole-lorigine-du-mal\/","title":{"rendered":"P\u00e9trole, l’origine du mal"},"content":{"rendered":"\n

Pendant neuf jours en janvier 1901, des spectateurs hypnotis\u00e9s sur une colline du sud-est du Texas ont vu un d\u00e9luge de p\u00e9trole jaillir dans les airs avant de redescendre sur terre. Avant cette date, personne n’avait d\u00e9couvert de volume de p\u00e9trole aussi important que celui de Spindletop. Comme le raconte l’historien Darren Dochuk dans son brillant ouvrage Anointed with oil : how Christianity and crude made modern America<\/em>, Spindletop a marqu\u00e9 un tournant historique. Apr\u00e8s l’\u00e9puisement du boom de Pennsylvanie, le mastodonte p\u00e9trolier Standard Oil<\/a> de John Rockefeller s’en \u00e9tait tenu \u00e0 la conviction qu’il n’y avait pas de p\u00e9trole au-del\u00e0 du Mississippi et s\u2019\u00e9tait dirig\u00e9 vers l’\u00e9tranger. Chass\u00e9s de l’est, les chercheurs de p\u00e9trole avaient migr\u00e9 vers l’ouest. C\u2019est la d\u00e9couverte de Pattillo Higgins, \u00e0 Spindletop \u2014 et non Rockefeller \u2014 qui fit passer le p\u00e9trole d’un produit principalement utilis\u00e9 comme k\u00e9ros\u00e8ne pour l’\u00e9clairage \u00e0 la mati\u00e8re premi\u00e8re qui fa\u00e7onna l’Am\u00e9rique du XXe si\u00e8cle, chez elle et dans le monde.<\/p>\n\n\n\n

Ce qui jaillissait de la terre, au Texas, c\u2019\u00e9tait un mode de vie occidental qui en viendrait \u00e0 prendre le p\u00e9trole pour acquis. Tant que l’offre demeurait abondante, peu de gens se souciaient de la production. Pour les consommateurs, la vie p\u00e9troli\u00e8re \u00e9tait une vie facile<\/a>. Tout se passait comme si, ainsi que l’\u00e9crivait le romancier italien Italo Calvino dans sa nouvelle La pompe \u00e0 essence<\/em>, l’\u00e9nergie \u00e9tait \u00ab inconditionnellement et infiniment \u00e0 votre service \u00bb. Mais cette notion reposait sur une illusion colossale : la production de p\u00e9trole avait lieu dans un monde chaotique et destructeur. Il n’y avait rien d\u2019\u00e9vident \u00e0 extraire l’\u00e9nergie solaire d’une mati\u00e8re organique finie, pi\u00e9g\u00e9e dans les fonds marins depuis des millions d’ann\u00e9es, avant l’apparition de toute forme de vie humaine.<\/p>\n\n\n\n

Il n’y avait rien d\u2019\u00e9vident \u00e0 extraire l’\u00e9nergie solaire d’une mati\u00e8re organique finie, pi\u00e9g\u00e9e dans les fonds marins depuis des millions d’ann\u00e9es, avant l’apparition de toute forme de vie humaine.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Les chercheurs d\u2019or noir comme Higgins comprenaient cette r\u00e9alit\u00e9. Pour eux, le p\u00e9trole \u00e9voquait des peurs bien \u00e9loign\u00e9es des promesses chim\u00e9riques de la modernit\u00e9. On ne pouvait pas faire confiance au p\u00e9trole : il avait pli\u00e9 le temps cosmique. Comme le dit le t\u00e9moin d’un gisement ult\u00e9rieur : \u00ab Chaque fois que vous percez un trou si profond dans le sol que du p\u00e9trole en sort, Had\u00e8s sort avec lui. Et plus il y a de p\u00e9trole, plus il y a d’Had\u00e8s. \u00bb Cette \u00e9quation du p\u00e9trole et de l\u2019Had\u00e8s avait de multiples significations. Dans sa plus simple expression, elle donnait comme origine mythologique au p\u00e9trole le monde souterrain des morts. En emportant la rivi\u00e8re qui s\u00e9pare le monde des vivants de celui des morts, le p\u00e9trole avait acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 la vanit\u00e9 temporelle de toutes les aspirations des mortels.<\/p>\n\n\n\n

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En Pennsylvanie et au Texas, des villages ruraux \u00e9tablis de longue date devinrent des villes p\u00e9troli\u00e8res \u00e0 la richesse \u00e9ph\u00e9m\u00e8re, qui, lorsque les gisements de p\u00e9trole \u00e9taient \u00e9puis\u00e9s, redevenaient des terrains vagues. Le p\u00e9trole encouragea les paysans \u00e0 sp\u00e9culer avec des capitaux emprunt\u00e9s contre les caprices arbitraires de la g\u00e9ologie et le pouvoir de march\u00e9 de la Standard Oil, risquant in\u00e9vitablement leur propre ruine financi\u00e8re et morale. Comme les puits de p\u00e9trole \u00e9taient hautement combustibles, le forage p\u00e9trolier \u00e9voquait d\u2019autant plus l\u2019imaginaire de l\u2019Had\u00e8s, con\u00e7u comme le brasier chr\u00e9tien de l’enfer. Pour de nombreux exploitants, faire intervenir l\u2019Had\u00e8s, c’\u00e9tait inviter la fin des temps \u00e0 la table<\/a> : \u00e0 la fois comme le jour du jugement dernier et la consommation finale du monde dans le feu. Pour reprendre un verset des Proverbes 27, cela constituait un monde o\u00f9 : \u00ab L’enfer et la destruction ne sont jamais rassasi\u00e9s ; ainsi les yeux des hommes ne sont jamais satisfaits. \u00bb<\/p>\n\n\n\n

Les voyages vers l’ouest des chercheurs de p\u00e9trole charriant ce type de conscience ont puissamment structur\u00e9 un imaginaire culturel am\u00e9ricain autour de l’instabilit\u00e9 temporelle du p\u00e9trole et de son pouvoir \u00e9l\u00e9mentaire d’empoisonner la terre et de corrompre les \u00eatres humains. Trois grands r\u00e9cits de l’Am\u00e9rique du XXe si\u00e8cle sont particuli\u00e8rement r\u00e9v\u00e9lateurs : Le roman Oil !<\/em> d’Upton Sinclair (1927), le film Giant<\/em> (1956) et la s\u00e9rie Dallas<\/em> de CBS qui a d\u00e9but\u00e9 en 1978. Chacun d’entre eux traite du pouvoir d\u00e9moniaque du p\u00e9trole. Un autre point commun les relie : les initiales JR port\u00e9es par l\u2019un des protagonistes. Ils s’appuient les uns sur les autres pour former une saga sur la vie apr\u00e8s Spindletop.<\/p>\n\n\n\n

Le p\u00e9trole encouragea les paysans \u00e0 sp\u00e9culer avec des capitaux emprunt\u00e9s contre les caprices arbitraires de la g\u00e9ologie et le pouvoir de march\u00e9 de la Standard Oil, risquant in\u00e9vitablement leur propre ruine financi\u00e8re et morale.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La recherche incessante de p\u00e9trole et le risque d’incendie lorsqu’on en trouve empi\u00e8tent toujours sur le caract\u00e8re sacr\u00e9 de la terre. Dans Oil !<\/em>, le chercheur de p\u00e9trole J. Arnold Ross ment pour acheter un ranch o\u00f9 forer pour trouver du p\u00e9trole dans un endroit appel\u00e9 Paradise en Californie. Il veut transmettre l’empire p\u00e9trolier qu’il construit \u00e0 son fils Bunny ; \u00e0 la fin du roman, les puits de Paradise partent en fum\u00e9e. Dans Giant<\/em>, le vieil homme riche Bick Benedict renonce d’abord \u00e0 la richesse qu’apporterait le forage de son ranch. Apr\u00e8s s’\u00eatre rendu, il insiste sur le fait que \u00ab tout ce p\u00e9trole n’a pas chang\u00e9 grand chose. Nous vivons \u00e0 peu pr\u00e8s comme nous avons toujours v\u00e9cu \u00bb. Mais il parle en se pr\u00e9lassant dans une nouvelle piscine et, derri\u00e8re lui, le terrain autrefois vierge est maintenant recouvert de centaines de t\u00eates foreuses. Quant \u00e0 la s\u00e9rie Dallas<\/em>, elle revient sans cesse sur les tensions entre Ewing Oil, l’entreprise familiale, et Southfork, le ranch \u00e0 b\u00e9tail o\u00f9 vivent les Ewing en conflit avec les premiers. Le patriarche, Jock Ewing, est propri\u00e9taire de Ewing Oil. Sa femme, Miss Ellie, poss\u00e8de Southfork. Dans l’un des meilleurs \u00e9pisodes de la s\u00e9rie, une Miss Ellie au c\u0153ur bris\u00e9 choisit de mettre fin \u00e0 l’interdiction faite par son p\u00e8re de forer du p\u00e9trole \u00e0 Southfork afin de sauver Ewing Oil de la faillite.<\/p>\n\n\n\n

Dans Giant<\/em>, le chasseur de p\u00e9trole Jett Rink est interpr\u00e9t\u00e9 par James Dean dans les derniers mois de sa vie \u2014 avec une beaut\u00e9 surnaturelle et condamn\u00e9e. Un Jett satur\u00e9 de p\u00e9trole d\u00e9clame apr\u00e8s que son gisement remonte : \u00ab Vous pensiez tous que le vieux Spindletop… \u00e9tait tout le p\u00e9trole qu’il y avait, n’est-ce pas ? Mais je suis ici pour vous dire que ce n’est pas le cas. Je suis un homme riche. \u00bb Il devient, en effet, l’homme le plus riche du Texas. Mais on le voit dans une sc\u00e8ne finale, \u00e0 terre, ivre, dans une salle vide o\u00f9 devait avoir lieu le banquet d’inauguration d\u2019un a\u00e9roport portant son nom.<\/p>\n\n\n\n

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Chamussy\/SIPA<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Sous l’apparence d’une s\u00e9rie t\u00e9l\u00e9, Dallas<\/em> a cr\u00e9\u00e9 la mythologie la plus sombre sur le pouvoir ruineux du p\u00e9trole. Tous les personnages principaux vivent avec le d\u00e9mon du p\u00e9trole Ewing et, d’une mani\u00e8re ou d’une autre, finissent tous d\u00e9truits par lui. En apparence, il existe une dualit\u00e9 entre deux fr\u00e8res, l’a\u00een\u00e9 \u2014 JR \u2014 qui est mauvais, et le cadet \u2014 Bobby \u2014 pr\u00e9sent\u00e9 comme bon. Mais si Bobby est un bien meilleur p\u00e8re de famille que JR, plus Bobby se rapproche du p\u00e9trole, plus la polarit\u00e9 fraternelle s\u2019estompe. Dans la meilleure saison de Dallas<\/em>, la comp\u00e9tition entre les deux fr\u00e8res pour le contr\u00f4le de la compagnie p\u00e9troli\u00e8re apr\u00e8s la mort de Jock corrompt simultan\u00e9ment le caract\u00e8re de Bobby \u2014 et r\u00e9v\u00e8le l’ambition derri\u00e8re sa droiture, lui co\u00fbtant son mariage.<\/p>\n\n\n\n

Sous l’apparence d’une s\u00e9rie t\u00e9l\u00e9, Dallas<\/em> a cr\u00e9\u00e9 la mythologie la plus sombre sur le pouvoir ruineux du p\u00e9trole. Tous les personnages principaux vivent avec le d\u00e9mon du p\u00e9trole Ewing et, d’une mani\u00e8re ou d’une autre, finissent tous d\u00e9truits par lui.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Le p\u00e9trole finit par d\u00e9truire les Ewing en tant que famille et par consumer l\u2019entreprise Ewing Oil elle-m\u00eame. Les hommes Ewing sont au bord du gouffre et ne retiennent leur chute que pour que le cycle recommence de mani\u00e8re plus d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e encore. Le p\u00e9trole du pass\u00e9 a toujours plus d’attrait pour les Ewing que le p\u00e9trole du pr\u00e9sent. Comme la s\u00e9rie le rappelle constamment au t\u00e9l\u00e9spectateur, Jock Ewing a fond\u00e9 Ewing Oil en tant que chercheur de p\u00e9trole dans les ann\u00e9es 1930. Au d\u00e9but de la s\u00e9rie, Jock vient de prendre sa retraite et JR dirige l’entreprise apr\u00e8s ce que ce dernier appelle \u00ab la d\u00e9valuation soudaine du dollar Ewing \u00bb : un monde o\u00f9 les \u00c9tats-Unis doivent importer d’\u00e9normes quantit\u00e9s de p\u00e9trole. Jock est glorifi\u00e9 comme le symbole d’un pass\u00e9 perdu, \u00ab le genre d’homme qui a fait la grandeur du Texas \u00bb. JR est un anti-h\u00e9ros charismatique, qui improvise constamment, tant \u00e0 l’\u00e9tranger que dans son propre pays. Les yeux de JR en veulent toujours plus. Ses m\u00e9thodes provoquent des d\u00e9sastres pour Ewing Oil. Mais pendant un certain temps, elles la sauvent avec la m\u00eame r\u00e9gularit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Le vent tourne r\u00e9solument contre les Ewing dans la dixi\u00e8me saison, qui a pour toile de fond le crash p\u00e9trolier de 1986 qui d\u00e9vasta l’industrie p\u00e9troli\u00e8re texane. JR man\u0153uvre pour faire sauter des champs saoudiens afin de faire monter les prix. Lorsque le retour de flamme met en danger toute la famille, Miss Ellie dit \u00e0 ses fils que Ewing Oil aurait d\u00fb mourir avec leur p\u00e8re. Bobby essaie d\u2019en sortir \u2014 ce n\u2019est pas la premi\u00e8re fois. Son \u00e9pouse, Pam, est fi\u00e8re qu’il ait mis \u00ab toute sa maison en ordre \u00bb. Mais le temps du p\u00e9trole s’est acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 \u2014 bien plus vite que les \u00e9piphanies morales tardives de Bobby. Avant que Bobby ne puisse vendre ses actions Ewing Oil, le minist\u00e8re de la Justice annonce une enqu\u00eate sur les entreprises de JR au Moyen-Orient. Dans la \u00ab chute de la maison Ewing \u00bb, le minist\u00e8re de la Justice ferme Ewing Oil, et les actifs de la soci\u00e9t\u00e9, autrefois en pleine expansion, sont rachet\u00e9s par la major p\u00e9troli\u00e8re fictive de la s\u00e9rie, dont le PDG a longtemps complot\u00e9 pour mettre les Ewing au pas.<\/p>\n\n\n\n

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Cette intrigue aurait d\u00fb servir de point final \u00e0 la s\u00e9rie \u2014 \u00e0 l\u2019approche des derniers \u00e9pisodes, Dallas<\/em> devient une soupe t\u00e9l\u00e9visuelle difficile \u00e0 regarder. En termes symboliques, Dallas<\/em> a r\u00e9duit en poussi\u00e8re l’h\u00e9ritage de Spindletop \u00e0 cause de l’orgueil, du pouvoir et des circonstances, dans un style typique de la trag\u00e9die grecque. Le fait qu’il s’agisse d’une histoire de p\u00e9trole destin\u00e9e \u00e0 un public mondial de consommateurs de p\u00e9trole inconscients de l’\u00e9nergie qu\u2019ils utilisent<\/a>, et qui n’a gu\u00e8re remarqu\u00e9 les sous-entendus de ce qu’il a sous les yeux, est une assez bonne mise en abyme de la relation des consommateurs occidentaux avec la base mat\u00e9rielle de leur mode de vie.<\/p>\n\n\n\n

Mais quelle que soit la force de destruction \u00e0 l’\u0153uvre, aucun de ces r\u00e9cits de l’Am\u00e9rique du XXe si\u00e8cle ne sugg\u00e8re que l’on puisse aussi simplement renoncer au p\u00e9trole<\/a>. Dans Oil !<\/em>, l’id\u00e9aliste Bunny ne r\u00e9pudie jamais son p\u00e8re et ne doute pas que \u00ab nous sommes \u00e0 l’\u00e8re du p\u00e9trole \u00bb. Le roman se termine dans le cimeti\u00e8re de Paradise. Sinclair peut se permettre d’esp\u00e9rer que \u00ab les hommes peuvent trouver un moyen d’encha\u00eener le d\u00e9mon noir et cruel \u00bb qui \u00ab erre sur la terre \u00bb, mais il vient de d\u00e9crire quelques lignes plut\u00f4t les nouveaux puits construits pour remplacer ceux qui ont br\u00fbl\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Quelle que soit la force de destruction \u00e0 l’\u0153uvre, aucun de ces r\u00e9cits de l’Am\u00e9rique du XXe si\u00e8cle ne sugg\u00e8re que l’on puisse aussi simplement renoncer au p\u00e9trole.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

En sugg\u00e9rant que les mani\u00e8res de JR sont un mal n\u00e9cessaire \u00e0 l’\u00e8re de richesse qu’elle d\u00e9peint, Dallas <\/em>va un cran plus loin. Dans le dernier \u00e9pisode de la s\u00e9rie, JR, ivre, erre dans un Southfork vide. Un personnage tout droit sorti d\u2019It’s a Wonderful Life<\/em> appara\u00eet pour lui montrer un monde o\u00f9 il n’est pas n\u00e9 : Ewing Oil s’est effondr\u00e9e quelques ann\u00e9es apr\u00e8s la retraite de Jock, conduisant ce dernier au suicide et Miss Ellie dans sa tombe. Mais cela ne permet pas la r\u00e9demption du personnage : dans la derni\u00e8re sc\u00e8ne de la s\u00e9rie, JR a retourn\u00e9 contre lui le vieux pistolet de Jock, faisant de lui la derni\u00e8re victime de tout le chagrin caus\u00e9 par Ewing Oil.<\/p>\n\n\n\n

Par rapport \u00e0 ceux qui regardaient Dallas<\/em> \u00e0 ses d\u00e9buts, les Occidentaux qui vivent loin des r\u00e9alit\u00e9s de l’industrie p\u00e9troli\u00e8re sont aujourd’hui beaucoup plus acclimat\u00e9s \u00e0 l’id\u00e9e que cette mati\u00e8re premi\u00e8re est une force destructrice. Aujourd’hui, le changement climatique et les derni\u00e8res d\u00e9cennies de turbulences g\u00e9opolitiques autour de l’\u00e9nergie ont accentu\u00e9 avec urgence l’id\u00e9e que le p\u00e9trole est une force de l’Had\u00e8s, une menace de fin des temps. Pourtant, la vision de Sinclair, qui consiste \u00e0 recr\u00e9er cette fronti\u00e8re entre la Terre et l\u2019Had\u00e8s en mettant le p\u00e9trole au pas, exige des sacrifices que beaucoup d’entre nous, menant une vie permise par le p\u00e9trole, ne veulent pas envisager. En effet, faire dispara\u00eetre Spindletop comme une erreur de parcours reviendrait \u00e0 nous faire dispara\u00eetre nous-m\u00eames : c’est l’essor du p\u00e9trole, comme source d’\u00e9nergie, qui nous a permis d’\u00eatre si nombreux \u00e0 vivre dans le monde aujourd’hui.<\/p>\n\n\n\n

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BOCXE\/SIPA<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Ces paradoxes sont \u00e0 l’\u0153uvre dans l’\u0153uvre d\u2019un autre romancier am\u00e9ricain : Cormac McCarthy. Dans son chef-d’\u0153uvre Blood Meridian<\/em> \u2014 publi\u00e9 en 1985 \u2014 McCarthy raconte l’histoire d’une chasse au scalp le long de la fronti\u00e8re entre le Texas et le Mexique au milieu du XIXe si\u00e8cle, faisant du Texas un lieu du temps cosmique cyclique. Les premiers chercheurs de p\u00e9trole s’inscrivent facilement dans la mythologie de McCarthy. En effet, l’\u00e9pilogue du roman, o\u00f9 un homme \u00ab progresse dans les plaines \u00bb en faisant des trous dans le sol \u00ab en frappant le feu de la roche que Dieu a mise l\u00e0 \u00bb, peut se lire comme le d\u00e9but d’une qu\u00eate de p\u00e9trole.<\/p>\n\n\n\n

Aujourd’hui, le changement climatique et les derni\u00e8res d\u00e9cennies de turbulences g\u00e9opolitiques autour de l’\u00e9nergie ont accentu\u00e9 avec urgence l’id\u00e9e que le p\u00e9trole est une force de l’Had\u00e8s, une menace de fin des temps.<\/p>Helen Thompson<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Mais dans son roman post-apocalyptique La Route<\/em> \u2014 publi\u00e9 en 2006 \u2014 le temps cyclique a pris fin : tout sombre dans l’oubli. La cause du cataclysme \u00e9cologique n’est pas pr\u00e9cis\u00e9e. Mais l’histoire du cr\u00e9puscule p\u00e9trolier est palpable. En ouverture, un p\u00e8re se r\u00e9veille d’un r\u00eave o\u00f9 lui et son fils se sont perdus dans les profondeurs d’une grotte jusqu’\u00e0 ce qu’ils atteignent \u00ab un lac noir et ancien \u00bb. Lors de leur voyage vers le sud, l’homme et le gar\u00e7on utilisent une \u00ab carte routi\u00e8re de la compagnie p\u00e9troli\u00e8re \u00bb comme guide. L’homme leur fait chercher de l’essence pour allumer leur lampe. Lors d’un premier arr\u00eat, ils se rendent d’abord compte que \u00ab l’odeur de l’essence n’\u00e9tait qu’une rumeur \u00bb, puis, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s, reviennent aux r\u00e9sidus de carafes de bouteilles d’huile en plastique. Plus tard, ce qu’ils trouvent est \u00ab vieux de plusieurs ann\u00e9es. Mais c’\u00e9tait de l’essence et \u00e7a br\u00fblait \u00bb. C’est leur lampe \u00e0 huile qui leur permet de d\u00e9couvrir la plus grande r\u00e9serve de nourriture qu’ils rencontrent.<\/p>\n\n\n\n

Dans La Route<\/em>, tout le temps du p\u00e9trole est comme comprim\u00e9, des origines \u00e0 sa premi\u00e8re utilisation, puis \u00e0 sa n\u00e9cessit\u00e9, puis \u00e0 sa fonction reconstructrice du paysage am\u00e9ricain, puis \u00e0 son \u00e9puisement, puis, enfin, au danger \u00e9cologique qu\u2019il repr\u00e9sente. Avant de mourir, l’homme voit le gar\u00e7on \u00ab qui le regarde depuis un avenir inimaginable \u00bb. Cet endroit semble \u00eatre un monde sans p\u00e9trole. Pendant la derni\u00e8re nuit de l’homme, la lumi\u00e8re ne vient pas de la lampe mais d’une bougie port\u00e9e par le gar\u00e7on. Pour l’homme, \u00ab les vieux r\u00eaves ont empi\u00e9t\u00e9 sur le monde \u00e9veill\u00e9 \u00bb. Avec sa mort, on pourrait dire que le p\u00e9trole et ses histoires passent dans le silence \u00ab des choses qui cessent d’\u00eatre \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Dans le dernier paragraphe, la voix de l’auteur change. Nous sommes transport\u00e9s dans un monde organiquement vivant. L\u00e0 bas, les cartes sont des \u00ab motifs \u00bb sur le dos des truites qui nagent dans les ruisseaux de montagne, et ce sont des \u00ab cartes du monde en devenir \u00bb. Mais quelque chose d’ancien a toujours sa place. Les motifs sont aussi des \u00ab cartes labyrinthiques. D’une chose qui ne pouvait pas \u00eatre remise en place. Qui ne pouvait pas \u00eatre r\u00e9par\u00e9e \u00bb. C’est une fin qui ne semble pas vouloir privil\u00e9gier l’optimisme ou le pessimisme : une fin qui vient peut-\u00eatre d’un endroit o\u00f9 les enjeux colossaux de l’\u00e2ge du p\u00e9trole<\/a> ne peuvent m\u00eame pas \u00eatre envisag\u00e9s.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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