{"id":164324,"date":"2022-10-21T18:51:17","date_gmt":"2022-10-21T16:51:17","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=164324"},"modified":"2022-10-21T19:14:31","modified_gmt":"2022-10-21T17:14:31","slug":"la-disgrace-des-conservateurs","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/10\/21\/la-disgrace-des-conservateurs\/","title":{"rendered":"La disgr\u00e2ce des conservateurs"},"content":{"rendered":"\n

La crise politique qui couve au Royaume-Uni depuis plusieurs ann\u00e9es s\u2019est acc\u00e9l\u00e9r\u00e9e au cours des derniers mois, avant d\u2019arriver \u00e0 son paroxysme le jeudi 20 octobre, en d\u00e9but d\u2019apr\u00e8s-midi. Un mois et demi apr\u00e8s l\u2019arriv\u00e9e de Liz Truss au poste de Premi\u00e8re ministre \u00e0 la suite du retrait forc\u00e9 de Boris Johnson, sa d\u00e9mission porte un ultime coup \u00e0 la r\u00e9putation des Tories dans l\u2019opinion publique britannique. Port\u00e9 au pouvoir en 2010 par David Cameron sur une promesse de mod\u00e9ration et de comp\u00e9tence, le parti conservateur vient subir une crise telle qu\u2019un simple changement de dirigeant ne suffira sans doute pas \u00e0 la relancer. Comme pour les conservateurs en 1992 ou les travaillistes en 2008, la droite britannique s\u2019appr\u00eate probablement \u00e0 aborder une p\u00e9riode prolong\u00e9e dans l\u2019opposition.  <\/p>\n\n\n\n

Un mois et demi de descente aux enfers pour les conservateurs<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Les origines de la crise politique qui frappe actuellement le Royaume-Uni sont multiples, entre la mise en place tumultueuse du Brexit et ses cons\u00e9quences \u00e9conomiques, les tentations centrifuges en \u00c9cosse et en Irlande du nord <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> ou encore la crise sociale qui frappe de plein fouet le pays. Mais elles se sont cumul\u00e9es au cours des derniers mois pour arriver \u00e0 une situation politique intenable pour les conservateurs au pouvoir. <\/p>\n\n\n\n

Apr\u00e8s des mois d\u2019impopularit\u00e9 croissante du Premier ministre Boris Johnson sur fond de scandale du Partygate<\/em>, les d\u00e9put\u00e9s Tories ont mis\u00e9 sur un changement de direction afin de convaincre les \u00e9lecteurs britanniques que leur parti m\u00e9ritait \u00e0 nouveau leur confiance en vue des \u00e9lections l\u00e9gislatives devant se tenir d\u2019ici \u00e0 janvier 2025. \u00c0 la suite d\u2019un processus interne long de plus de deux mois, les d\u00e9put\u00e9s et les militants ont port\u00e9 \u00e0 la t\u00eate du parti Liz Truss, qui a \u00e9t\u00e9 invit\u00e9e par la reine \u00c9lisabeth \u00e0 former un gouvernement le 6 septembre.<\/p>\n\n\n\n

Un mois et demi apr\u00e8s l\u2019arriv\u00e9e de Liz Truss au poste de Premi\u00e8re ministre \u00e0 la suite du retrait forc\u00e9 de Boris Johnson, sa d\u00e9mission porte un ultime coup \u00e0 la r\u00e9putation des Tories dans l\u2019opinion publique britannique.<\/p>Mathieu Gallard<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Apr\u00e8s une pause li\u00e9e aux fun\u00e9railles de la souveraine, le \u00ab  mini-budget  \u00bb<\/a> pr\u00e9sent\u00e9 le 23 septembre par la Premi\u00e8re ministre et son Chancelier de l\u2019\u00c9chiquier Kwasi Kwarteng, qui pr\u00e9voyait d’importantes baisses d’imp\u00f4ts ciblant notamment les m\u00e9nages les plus ais\u00e9s et dont le financement n\u2019\u00e9tait pas pr\u00e9cis\u00e9, a d\u00e9stabilis\u00e9 les march\u00e9s financiers et fait chuter le cours de la livre sterling <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Face aux critiques internes et aux sondages d\u00e9sastreux, Kwasi Kwarteng a annonc\u00e9 le 3 octobre une volte-face sur le projet de r\u00e9duction du taux d’imposition sur les revenus les plus \u00e9lev\u00e9s. Mais la chute continue de la livre, les annonces de Liz Truss sur une \u00e9ventuelle diminution des aides sociales aux m\u00e9nages les plus pauvres, et la r\u00e9volte d\u2019une proportion croissante des d\u00e9put\u00e9s conservateurs ont rapidement rendu la situation de la Premi\u00e8re ministre intenable. Le remplacement de Kwasi Kwarteng par Jeremy Hunt le 14 octobre n\u2019a pas eu d\u2019impact, ayant \u00e9t\u00e9 suivi quelques jours plus tard par la d\u00e9mission de la ministre de l\u2019Int\u00e9rieur Suella Braverman. Le coup de gr\u00e2ce a \u00e9t\u00e9 donn\u00e9 le 19 octobre par l\u2019abstention de 40 d\u00e9put\u00e9s conservateurs lors du vote d\u2019un projet de loi sur la fracturation hydraulique  : le lendemain, Liz Truss annon\u00e7ait sa d\u00e9mission<\/a>, apr\u00e8s 44 jours pass\u00e9s au 10 Downing Street.<\/p>\n\n\n\n

Cette s\u00e9quence s\u2019est sans surprise av\u00e9r\u00e9e d\u00e9sastreuse pour le parti conservateur. Alors qu\u2019il \u00e9tait environ 10 points derri\u00e8re le parti travailliste dans les sondages d\u2019intentions de vote au d\u00e9but du mois de septembre <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>, les derni\u00e8res enqu\u00eates donnent entre 21 et 39 points d\u2019\u00e9cart entre les deux formations. Les instituts de sondages britanniques n\u2019avaient pas enregistr\u00e9 une telle domination depuis la p\u00e9riode 1995-1997  : \u00e0 l\u2019\u00e9poque, c\u2019\u00e9tait le New Labour<\/em> de Tony Blair qui devan\u00e7ait de plus de 20 points les conservateurs de John Major, us\u00e9s par pr\u00e8s de deux d\u00e9cennies au pouvoir <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La transcription des voix en si\u00e8ges est encore plus d\u00e9sastreuse pour les Tories  : sur la base des sondages les plus r\u00e9cents, certaines projections vont jusqu\u2019\u00e0 dire que le parti conservateur pourrait tout simplement \u00eatre ray\u00e9 de la carte en cas d\u2019\u00e9lections anticip\u00e9es. Il est vrai qu\u2019un scrutin dans les mois \u00e0 venir est tr\u00e8s peu probable et que les sondages comme les projections en si\u00e8ges exag\u00e8rent sans doute l\u00e9g\u00e8rement l\u2019ampleur de l\u2019effondrement des conservateurs <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>, mais la situation n\u2019en est pas moins catastrophique pour le parti.<\/p>\n\n\n\n

La transcription des voix en si\u00e8ges est encore plus d\u00e9sastreuse pour les Tories  : sur la base des sondages les plus r\u00e9cents, certaines projections vont jusqu\u2019\u00e0 dire que le parti conservateur pourrait tout simplement \u00eatre ray\u00e9 de la carte en cas d\u2019\u00e9lections anticip\u00e9es.<\/p>Mathieu Gallard<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La comp\u00e9tence, une dimension centrale dans le choix des \u00e9lecteurs <\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Cette s\u00e9quence r\u00e9cente rappelle d\u2019autres \u00e9pisodes de l\u2019histoire politique britannique des derni\u00e8res d\u00e9cennies. 1978-1979, 1992, 2008  : dans chaque cas, la r\u00e9putation de comp\u00e9tence d\u2019un parti en apparence solidement arrim\u00e9 au pouvoir s\u2019est effondr\u00e9e sous le poids d\u2019une crise, aboutissant \u00e0 son passage dans l\u2019opposition pour une p\u00e9riode prolong\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

En 1978-1979, les grandes gr\u00e8ves du Winter of Discontent<\/em> li\u00e9es \u00e0 la tentative du gouvernement travailliste de James Callaghan de plafonner la hausse des salaires pour lutter contre l\u2019inflation paralysent le pays et aboutissent \u00e0 la victoire des conservateurs de Margaret Thatcher lors des \u00e9lections l\u00e9gislatives de mai 1979. Ces derniers se maintiennent au pouvoir jusqu\u2019en 1997, notamment gr\u00e2ce leur image de comp\u00e9tence et de bonne gestion \u00e9conomique. Celle-ci est toutefois mise \u00e0 mal par le Black Wednesday<\/em> du 16 septembre 1992, \u00e0 l\u2019occasion duquel le gouvernement r\u00e9cemment r\u00e9\u00e9lu du John Major est forc\u00e9 de sortir la livre sterling du syst\u00e8me mon\u00e9taire europ\u00e9en. Cet \u00e9v\u00e8nement conduit l\u00e0 encore \u00e0 un effondrement de la cr\u00e9dibilit\u00e9 du parti conservateur sur les enjeux \u00e9conomiques, un mouvement d\u2019opinion d\u2019autant plus violent que depuis juillet 1992, John Smith <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> est \u00e0 la t\u00eate du parti travailliste  : ce leader mod\u00e9r\u00e9, cr\u00e9dible et populaire parvient \u00e0 capitaliser sur l\u2019affaissement de l\u2019image des Tories, qui conduira au raz-de-mar\u00e9e travailliste de 1997. Onze ann\u00e9es plus tard, Gordon Brown, qui vient de succ\u00e9der \u00e0 Tony Blair, fait face \u00e0 la crise financi\u00e8re puis \u00e9conomique de 2007-2008. Alors que l\u2019ancien Chancelier de l\u2019\u00c9chiquier b\u00e9n\u00e9ficiait d\u2019une image de comp\u00e9tence \u00e9conomique particuli\u00e8rement solide, les plans de sauvetage du secteur bancaire mis en place par son gouvernement mettent en lumi\u00e8re la fragilit\u00e9 de l\u2019\u00e9conomie britannique et ruinent la confiance que les Britanniques pla\u00e7aient depuis plus de 10 ans dans le parti travailliste. Cette s\u00e9quence permet aux conservateurs men\u00e9s par David Cameron de reprendre l\u2019ascendant dans l\u2019opinion, pr\u00e9lude \u00e0 leur victoire \u00e9lectorale en mai 2010.<\/p>\n\n\n\n

Les \u00ab chocs de comp\u00e9tence \u00bb qui se d\u00e9roulent \u00e0 intervalle r\u00e9gulier permettent de comprendre les diff\u00e9rentes phases de la vie politique britannique r\u00e9cente<\/p>Mathieu Gallard<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

On le voit, ces \u00ab chocs de comp\u00e9tence \u00bb qui se d\u00e9roulent \u00e0 intervalle r\u00e9gulier permettent de comprendre les diff\u00e9rentes phases de la vie politique britannique r\u00e9cente <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>, des p\u00e9riodes de domination d\u2019un parti jug\u00e9 capable de g\u00e9rer le pays \u00e9tant entrecoup\u00e9es de moments paroxystiques lors desquels sa r\u00e9putation globale de comp\u00e9tence s\u2019effondre \u2014 en pr\u00e9lude de son passage dans l\u2019opposition pour plusieurs mandatures. Dans l\u2019ouvrage The Politics of Competence : Parties, Public Opinion and Voters<\/em> <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>, Jane Green et Will Jennings mettent en avant les \u00e9l\u00e9ments qui permettent aux \u00e9lecteurs de juger de la comp\u00e9tence des partis  : <\/p>\n\n\n\n