{"id":163667,"date":"2022-10-16T12:51:42","date_gmt":"2022-10-16T10:51:42","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=163667"},"modified":"2022-10-16T15:20:30","modified_gmt":"2022-10-16T13:20:30","slug":"les-jardiniers-europeens-doivent-aller-dans-la-jungle","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/10\/16\/les-jardiniers-europeens-doivent-aller-dans-la-jungle\/","title":{"rendered":"Les jardiniers europ\u00e9ens doivent aller \u00ab dans la jungle \u00bb"},"content":{"rendered":"\n
La transition g\u00e9opolitique europ\u00e9enne<\/a> vient-elle de prendre un tournant civilisationnel ? Devant la premi\u00e8re promotion de l\u2019Acad\u00e9mie diplomatique europ\u00e9enne \u2014 un projet pilote accueilli par le Coll\u00e8ge d\u2019Europe de Bruges dont la Rectrice, Federica Mogherini, a pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 Josep Borrell \u00e0 son poste \u2014 le Haut Repr\u00e9sentant pour les affaires \u00e9trang\u00e8res et la s\u00e9curit\u00e9 de l\u2019Union europ\u00e9enne a d\u00e9velopp\u00e9 un argumentaire visant \u00e0 rendre compte des transformations du m\u00e9tier de diplomate apr\u00e8s l\u2019invasion de l\u2019Ukraine. Ces consid\u00e9rations, qui reprennent en grande partie des \u00e9l\u00e9ments mis en avant dans de pr\u00e9c\u00e9dentes interventions ou textes \u2014 y compris dans les colonnes de cette revue<\/a> \u2014 sont ici encadr\u00e9es par un \u00e9l\u00e9ment nouveau.<\/p>\n\n\n\n Josep Borrell s\u2019approprie en effet une image qui sert de ligne directrice \u00e0 son discours : l\u2019id\u00e9e que l\u2019Union europ\u00e9enne serait un jardin et le reste du monde une jungle. Les futurs diplomates \u00e0 qui il s\u2019adresse seraient les \u00ab jardiniers \u00bb en charge, non seulement de \u00ab prot\u00e9ger \u00bb le jardin des pousses envahissantes de la jungle, mais \u00e9galement \u00ab d\u2019aller dans la jungle \u00bb. Ces images, ces mots, ce raisonnement sont une r\u00e9f\u00e9rence directe aux n\u00e9oconservateurs am\u00e9ricains, en particulier Robert Kagan, et constituent une nouveaut\u00e9 dans le r\u00e9pertoire des institutions europ\u00e9ennes, repr\u00e9sent\u00e9es ici par le Service europ\u00e9en pour l\u2019action ext\u00e9rieure. Prononc\u00e9 devant un parterre de futurs fonctionnaires europ\u00e9ens, son usage n\u2019a rien d\u2019anodin. Il est destin\u00e9 \u00e0 \u00eatre entendu par le reste du monde \u2014 Borrell envoie plusieurs signaux \u00e0 destination des pays ayant choisi de rester neutre par rapport \u00e0 l\u2019invasion de l\u2019Ukraine<\/a> \u2014 mais aussi et surtout par une \u00e9lite europ\u00e9enne form\u00e9e par un discours inverse, celui d\u2019une puissance europ\u00e9enne \u00ab normative \u00bb et d\u2019ordinaire critique \u00e0 l\u2019\u00e9gard d\u2019un imaginaire g\u00e9ographique essentialiste.<\/p>\n\n\n\n Cette inflexion pr\u00e9sente plusieurs risques : elle repose sur un postulat civilisationnel, sur un travail largement insuffisant sur l\u2019histoire et le sens de la construction europ\u00e9enne et elle interroge sur la possibilit\u00e9 pour l\u2019Union de r\u00e9ussir efficacement sa transition g\u00e9opolitique. Apr\u00e8s le retrait de Kaboul, le pseudo-r\u00e9alisme machiav\u00e9lien revendiqu\u00e9 par ce courant ne semble pas avoir r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9preuve du r\u00e9el.<\/p>\n\n\n\n Apr\u00e8s l\u2019invasion de l\u2019Ukraine, alors que plusieurs partenaires de l\u2019Union europ\u00e9enne refusent de s\u2019aligner compl\u00e8tement sur la condamnation du r\u00e9gime russe, l\u2019Union peut-elle vraiment se permettre d\u2019assigner \u00ab le reste du monde \u00bb \u00e0 \u00ab la jungle \u00bb ?<\/p>\n\n\n\n Merci, Federica [Mogherini, Rectrice du Coll\u00e8ge d’Europe], pour ces belles paroles. Merci d’avoir organis\u00e9 cette rencontre.<\/p>\n\n\n\n Je dois dire que vous avez l’air beaucoup plus jeune. Aujourd’hui, trois ans plus tard – trois ans apr\u00e8s avoir quitt\u00e9 vos fonctions de Haute Repr\u00e9sentante [pour les affaires \u00e9trang\u00e8res et la politique de s\u00e9curit\u00e9], vous avez l’air beaucoup mieux. Je suis s\u00fbr que c’est d\u00fb \u00e0 l’atmosph\u00e8re et au travail fantastique que vous faites ici \u2014 l’un des meilleurs emplois que l’on puisse imaginer.<\/p>\n\n\n\n Merci \u00e0 vous tous, et f\u00e9licitations \u00e0 vous tous d\u2019avoir eu l\u2019opportunit\u00e9 extraordinaire d’\u00e9tudier ici, \u00e0 Bruges, au Coll\u00e8ge d’Europe. Je suis s\u00fbr que vous \u00eates conscients de la chance que vous avez.<\/p>\n\n\n\n Bruges est un bon exemple du jardin europ\u00e9en. Oui, l’Europe est un jardin. Nous avons construit un jardin. Tout fonctionne. C’est la meilleure combinaison de libert\u00e9 politique, de prosp\u00e9rit\u00e9 \u00e9conomique et de coh\u00e9sion sociale que l’humanit\u00e9 ait pu construire \u2014 les trois choses ensemble. Et ici, Bruges est peut-\u00eatre une bonne repr\u00e9sentation de la combinaison des belles choses, de la vie intellectuelle, du bien-\u00eatre.<\/p>\n\n\n\n Le reste du monde \u2014 et vous le savez tr\u00e8s bien, Federica \u2014 n’est pas exactement un jardin. La plus grande partie du reste du monde est une jungle, et la jungle pourrait envahir le jardin. Les jardiniers doivent s’en occuper, mais ils ne prot\u00e9geront pas le jardin en construisant des murs. Un joli petit jardin entour\u00e9 de hauts murs pour emp\u00eacher la jungle d’entrer n’est pas une solution. Car la jungle a une forte capacit\u00e9 de croissance, et le mur ne sera jamais assez haut pour prot\u00e9ger le jardin.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est avec ces mots d’ouverture, que le chef de la diplomatie de l\u2019Union europ\u00e9enne Josep Borrell s\u2019adresse aux \u00e9tudiants du Coll\u00e8ge d’Europe \u00e0 Bruges, lors de la c\u00e9r\u00e9monie d’ouverture de l’Acad\u00e9mie diplomatique europ\u00e9enne. Le discours de Borrell visait \u00e0 susciter un soutien \u00e0 la condamnation de l’agression Russe contre l’Ukraine. En soi, il \u00e9tait un appel \u00e0 inaugurer une nouvelle \u00e8re d’autonomie strat\u00e9gique europ\u00e9enne et \u00e0 rappeler aux Europ\u00e9ens l’importance de d\u00e9fendre le continent.<\/p>\n\n\n\n Les jardiniers doivent aller dans la jungle. Les Europ\u00e9ens doivent \u00eatre beaucoup plus engag\u00e9s avec le reste du monde. Sinon, le reste du monde nous envahira, de diff\u00e9rentes mani\u00e8res et par diff\u00e9rents moyens.<\/p>\n\n\n\n Ce sera mon message le plus important : nous devons \u00eatre beaucoup plus engag\u00e9s avec le reste du monde.<\/p>\n\n\n\n Nous sommes un peuple privil\u00e9gi\u00e9. Nous avons construit une combinaison de ces trois choses \u2014 libert\u00e9 politique, prosp\u00e9rit\u00e9 \u00e9conomique, coh\u00e9sion sociale \u2014 et nous ne pouvons pas pr\u00e9tendre survivre comme une exception. Nous devons \u00eatre un moyen de soutenir les autres qui font face aux grands d\u00e9fis de notre temps.<\/p>\n\n\n\n Je vous remercie donc, Federica, d’avoir accueilli cette exp\u00e9rience, ce programme pilote de l’Acad\u00e9mie diplomatique europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n Comme le disent les diplomates, l’un d’entre eux me l’a dit : \u00ab En diplomatie, il faut dire la v\u00e9rit\u00e9. On ne peut pas mentir \u2014 enfin, formellement, on ne peut pas mentir. Il faut dire la v\u00e9rit\u00e9. Il faut dire seulement la v\u00e9rit\u00e9, mais pas toute la v\u00e9rit\u00e9 \u00bb. Mais si nous voulons nous engager franchement et honn\u00eatement, discuter des vrais probl\u00e8mes et chercher des solutions, alors il nous faut dire toute la v\u00e9rit\u00e9 \u2014 mais nous le ferons plus tard. <\/p>\n\n\n\n Aujourd’hui, laissez-moi simplement vous dire que je suis heureux de participer \u00e0 ce que l’on peut appeler \u2014 et vous l’avez dit \u2014 un \u00ab moment de cr\u00e9ation \u00bb, d’\u00eatre \u00ab pr\u00e9sent \u00e0 la cr\u00e9ation \u00bb. \u00catre \u00ab pr\u00e9sent \u00e0 la cr\u00e9ation \u00bb, ce sont des mots qui ont \u00e9t\u00e9 prononc\u00e9s il y a de nombreuses ann\u00e9es par l’un des plus c\u00e9l\u00e8bres diplomates, George Kennan \u2014 dans les m\u00e9moires de George Kennan. Et ces m\u00e9moires sont toujours consid\u00e9r\u00e9es comme le meilleur compte rendu de l’int\u00e9rieur de l’\u00e9laboration de la politique des \u00c9tats-Unis dans l’apr\u00e8s-guerre \u2014 par apr\u00e8s-guerre, j’entends apr\u00e8s la Seconde Guerre mondiale. <\/p>\n\n\n\n Maintenant, nous sommes d\u00e9finitivement sortis de la Guerre froide et de l’apr\u00e8s-guerre froide. L’apr\u00e8s-guerre froide a pris fin avec la guerre d’Ukraine, avec l’agression russe contre l’Ukraine. Et nous vivons certainement aussi un \u00ab moment de cr\u00e9ation \u00bb d’un nouveau monde. Parce que cette guerre change beaucoup de choses, et elle change, sans aucun doute, l’Union europ\u00e9enne. Cette guerre va cr\u00e9er une Union europ\u00e9enne diff\u00e9rente, selon des perspectives diff\u00e9rentes. <\/p>\n\n\n\n Certains disent que cette guerre signifie la fin de la politique \u00e9trang\u00e8re de l’Union europ\u00e9enne parce que nous suivons aveugl\u00e9ment les \u00c9tats-Unis. Ce r\u00e9cit existe. Hier, dans l’avion, je lisais de beaux articles expliquant cette approche.<\/p>\n\n\n\n De mon c\u00f4t\u00e9, je pense tout le contraire : cette guerre a \u00e9t\u00e9 l’occasion pour l’Union europ\u00e9enne de s’affirmer davantage et de pousser \u00e0 la cr\u00e9ation d’une position europ\u00e9enne \u2014 du point de vue de la politique \u00e9trang\u00e8re mais aussi du point de vue militaire et de la d\u00e9fense. <\/p>\n\n\n\n Vous savez tr\u00e8s bien, Federica \u2014 parce que vous avez \u00e9t\u00e9 l\u00e0 avant moi \u2014 que nous n’\u00e9tions pas seulement un b\u00e2tisseur de politique \u00e9trang\u00e8re, [mais] aussi un b\u00e2tisseur de s\u00e9curit\u00e9 et de d\u00e9fense. Ce poste est une combinaison de ce que pourrait \u00eatre un ministre [des affaires \u00e9trang\u00e8res] et un ministre de la d\u00e9fense \u2014 les deux. Et c’est une tr\u00e8s bonne chose, car plus que jamais, la politique \u00e9trang\u00e8re et la politique de d\u00e9fense vont de pair. <\/p>\n\n\n\n Nous voici donc en train de lancer cette Acad\u00e9mie diplomatique europ\u00e9enne. C’est une id\u00e9e qui me trottait dans la t\u00eate depuis de nombreuses ann\u00e9es, bien avant de devenir le Haut Repr\u00e9sentant pour les affaires \u00e9trang\u00e8res et la politique de s\u00e9curit\u00e9. Cette id\u00e9e a fait le tour du monde \u2014 le Parlement, la Commission, Florence, Bruges. Il est clair que nous en avons besoin. Gr\u00e2ce au soutien de certains membres du Parlement europ\u00e9en \u2014 et je veux faire une mention sp\u00e9ciale \u00e0 l’un d’entre eux, \u00e0 Nacho Sanchez Amor, un bon ami \u00e0 moi qui n’est pas ici parce qu’il travaille comme membre du Parlement. Gr\u00e2ce au soutien fort du Parlement europ\u00e9en qui a beaucoup contribu\u00e9 \u00e0 assurer le financement de la cr\u00e9ation de ce projet pilote, nous voyons enfin un certain nombre de jeunes europ\u00e9ens \u2014 de jeunes diplomates \u2014 qui veulent devenir des diplomates europ\u00e9ens \u00e0 part enti\u00e8re. <\/p>\n\n\n\n Car aujourd’hui, nous avons une sorte de m\u00e9lange de diplomates provenant des services diplomatiques de diff\u00e9rents \u00c9tats membres. Et c’est bien, nous avons besoin d’avoir tout le monde \u00e0 bord. Mais au final, ce n’est pas la m\u00eame chose. Ce n’est pas la m\u00eame chose d’\u00eatre un diplomate national et un diplomate de l’Union europ\u00e9enne. Parce que l’Union europ\u00e9enne est quelque chose de diff\u00e9rent de chacun de ses \u00c9tats membres. C’est l’agr\u00e9gation, la consolidation d’une union qui est en train de se faire. Des diplomates de toute l’Europe travaillent avec moi, et je suis heureux qu’il y ait ici non seulement des \u00c9tats membres de l’Union europ\u00e9enne mais aussi des personnes venant d’Ukraine et d’autres pays candidats. Et je pense que la participation de personnes venant d’Ukraine et d’autres pays candidats est essentielle et une bonne id\u00e9e \u2014 pour voir plus large, pour faire venir des personnes qui ne sont pas encore dans l’Union, mais qui seront un jour dans l’Union. Car ils joueront un r\u00f4le crucial dans l’avenir de l’Union europ\u00e9enne. Elle ne sera pas la m\u00eame avec ou sans l’Ukraine. Il faut donc les faire participer \u00e0 partir de maintenant afin de construire ce m\u00e9lange d’id\u00e9es, d’identit\u00e9s et de capacit\u00e9s qui fait fonctionner l’Union europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n Je vous remercie pour la direction de ce programme. Merci \u00e9galement \u00e0 l’Institut de Florence et \u00e0 l’Institut de Maastricht d’avoir r\u00e9alis\u00e9 l’\u00e9tude de faisabilit\u00e9 qui ouvrira la voie \u00e0 la concr\u00e9tisation permanente de ce projet pilote. Car notre objectif est d’\u00e9tablir une Acad\u00e9mie diplomatique \u00e0 part enti\u00e8re \u2014 une Acad\u00e9mie permanente \u2014 afin que les personnes qui travaillent au sein du Service europ\u00e9en d’action ext\u00e9rieure aient d’abord les connaissances n\u00e9cessaires \u00e0 cette activit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Ceux qui travaillent pour nous doivent comprendre le fonctionnement de l’Union europ\u00e9enne, et ce n’est pas facile. M\u00eame pour moi, ce n’est pas facile. Ils doivent savoir ce que cela repr\u00e9sente, ce club. Parce qu’au bout du compte, nous sommes un club d’\u00c9tats membres qui mettent en commun une partie \u2014 pas la totalit\u00e9 \u2014 de leurs capacit\u00e9s, de leurs ressources et de leur engagement politique. Il y a le Conseil, la Commission. Il y a le Conseil de l’Union europ\u00e9enne. Il y a le Conseil de l’Union. Qui est capable de faire la diff\u00e9rence ?<\/p>\n\n\n\n Les personnes qui travaillent pour nous doivent d’abord comprendre comment nous fonctionnons. La structure institutionnelle complexe de l’Union europ\u00e9enne et ce n’est pas une chose dont on puisse imaginer qu\u2019elle tombe du ciel. Il faut l\u2019apprendre. Et ici, \u00e0 Bruges, vous avez une longue exp\u00e9rience de l’enseignement du fonctionnement de l’Union europ\u00e9enne. <\/p>\n\n\n\n Ce premier cours a lieu \u00e0 un moment de changement exceptionnel. Nous sommes dans un moment de cr\u00e9ation. Nous vivons dans un monde de politique de puissance. Le syst\u00e8me fond\u00e9 sur des r\u00e8gles que nous d\u00e9fendons est remis en question comme jamais auparavant, et notre interd\u00e9pendance \u2014 qui \u00e9tait cens\u00e9e \u00eatre une bonne chose, emp\u00eachant la guerre \u2014 devient maintenant une arme. <\/p>\n\n\n\n Eh bien, le syst\u00e8me fond\u00e9 sur des r\u00e8gles\u2026 \u2014 nous avons Poutine qui dit qui d\u00e9cide quelles sont ces r\u00e8gles, d\u00e9fiant le syst\u00e8me directement. <\/p>\n\n\n\n Et Dieu merci, le syst\u00e8me a tr\u00e8s bien r\u00e9agi hier avec le vote aux Nations unies, o\u00f9 plus de 140 pays ont rejet\u00e9 l’annexion ill\u00e9gale \u2014 l’annexion forc\u00e9e \u2014 d’une partie de l’Ukraine \u00e0 la F\u00e9d\u00e9ration de Russie. Et nous sommes heureux \u2014 et je suis heureux \u2014 de ce r\u00e9sultat. Il y a eu beaucoup de travail derri\u00e8re, beaucoup de sensibilisation aupr\u00e8s de nombreuses personnes afin d’\u00eatre s\u00fbrs que nous \u00e9tions au-dessus de la ligne des 140 \u2014 qui \u00e9tait le r\u00e9sultat du premier vote. <\/p>\n\n\n\n Mais si je dois aussi dire que je suis inquiet du trop grand nombre d’abstentions. Quand plus ou moins 20 % de la communaut\u00e9 mondiale a d\u00e9cid\u00e9 de ne pas soutenir ou de ne pas rejeter l’annexion russe, pour moi, c’est trop. C’est trop. Nous sommes heureux parce que le verre est assez plein, mais il est aussi un peu vide. Nous devons continuer \u00e0 travailler afin de faire en sorte que ce nombre de personnes qui regardent de l’autre c\u00f4t\u00e9 et ne veulent pas dire clairement qu’elles rejettent l’annexion de parties de l’Ukraine \u00e0 la Russie [diminue, ndlr<\/em>].<\/p>\n\n\n\n Le discours de Borrell n’\u00e9tait pas seulement destin\u00e9 \u00e0 un public europ\u00e9en, et le chef de la diplomatie de l\u2019Union d\u00e9plore qu’il y ait encore des pays qui soutiennent la Russie ou d\u00e9cident de rester neutres, \u00e0 un moment o\u00f9 la neutralit\u00e9 est interpr\u00e9t\u00e9e comme une forme tacite de soutien.<\/p>\n\n\n\n Nous devons continuer \u00e0 faire notre travail diplomatique afin de convaincre. Je sais que la diplomatie est une affaire de valeurs, mais aussi d’int\u00e9r\u00eats. Et parmi ces abstentions, il y a beaucoup de calculs d’int\u00e9r\u00eats : \u00ab Non, je ne peux pas voter contre la Russie parce que je suis trop d\u00e9pendant de la Russie \u00bb. Il ne s’agit pas seulement d’\u00eatre convaincu, il s’agit de calcul d’int\u00e9r\u00eat et c’est la vie. Tout le monde fait cela. Nous le faisons. Mais il y a eu trop d’abstentions. <\/p>\n\n\n\n Nous devons continuer \u00e0 travailler diplomatiquement afin que le monde rejette, encore plus clairement, sa guerre contre l’Ukraine \u2014 qui, comme je l’ai dit, change l’Europe parce qu’elle envoie des ondes de choc dans le monde entier, cr\u00e9ant des d\u00e9fis li\u00e9s aux prix \u00e9lev\u00e9s de l’\u00e9nergie, aux prix \u00e9lev\u00e9s des aliments \u2014 ici chez nous, mais je peux vous dire, beaucoup plus dans d’autres pays en Afrique et en Asie.<\/p>\n\n\n\n Il convient de noter que si la strat\u00e9gie de Borrell \u00e0 travers ce discours \u00e9tait d’essayer d’obtenir le soutien du cinqui\u00e8me de la communaut\u00e9 mondiale qui a d\u00e9cid\u00e9 de ne pas soutenir ou de ne pas rejeter l’annexion russe, cela est tr\u00e8s probablement promis \u00e0 une d\u00e9ception. Comme le dit justement le Haut Repr\u00e9sentant, l’Europe doit regarder au-del\u00e0 de ses propres fronti\u00e8res si elle veut la paix et la prosp\u00e9rit\u00e9. Ce discours survient \u00e0 un moment o\u00f9 l’Europe rappelle une Am\u00e9rique plus jeune qui \u00e9tait autrefois protectionniste et fermement oppos\u00e9e \u00e0 la militarisation, lorsque les graines de la Seconde Guerre Mondiale germaient en Europe <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Un demi-si\u00e8cle plus tard, c\u2019est une Am\u00e9rique tr\u00e8s diff\u00e9rente sur la sc\u00e8ne internationale, et de nombreux universitaires se sont relay\u00e9s depuis Paul Kennedy pour avertir les \u00c9tats-Unis d\u2019un possible risque de surextension imp\u00e9riale <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Cette expansion des \u00c9tats-Unis sur la sc\u00e8ne internationale a pris deux formes et un m\u00eame patronyme. D’un c\u00f4t\u00e9, il s’inspire de la tradition g\u00e9opolitique r\u00e9aliste du pr\u00e9sident am\u00e9ricain Th\u00e9odore Roosevelt <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. De l’autre de l’internationalisme lib\u00e9ral du pr\u00e9sident Franklin Delano Roosevelt <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Bien qu’il s’agisse d\u2019un sujet de d\u00e9bat, c’est la deuxi\u00e8me th\u00e9orie, celle de l’internationalisme lib\u00e9ral, qui a pr\u00e9valu et servi fid\u00e8lement les \u00c9tats-Unis et, avec eux, l’Occident, au cours des derni\u00e8res d\u00e9cennies. Si cette tradition qui a commenc\u00e9 avec le pr\u00e9sident Thomas Woodrow Wilson a si bien r\u00e9ussi, c’est parce que les valeurs qu’elle d\u00e9fend sont universelles. D\u00e9mocratie, droits de l’homme, respect de l’\u00c9tat de droit. C’\u00e9tait et c’est un projet auquel des pays du monde entier peuvent s\u2019identifier et s’unir. Le discours de Borrell est diff\u00e9rent. Il cherche \u00e0 encourager le type de soutien mondial \u00e0 un id\u00e9al de paix internationale que la d\u00e9mocratie n\u00e9cessite, tout en faisant \u00e9galement appel \u00e0 la premi\u00e8re tradition, celle de la g\u00e9opolitique r\u00e9aliste.<\/p>\n\n\n\n Et puis, il y a la menace nucl\u00e9aire et Poutine dit qu’il ne bluffe pas. Eh bien, il ne peut pas se permettre de bluffer. Et il doit \u00eatre clair que les personnes qui soutiennent l’Ukraine, l’Union europ\u00e9enne et les \u00c9tats membres, les \u00c9tats-Unis et l’OTAN ne bluffent pas non plus. Et toute attaque nucl\u00e9aire contre l’Ukraine entra\u00eenera une r\u00e9ponse, non pas une r\u00e9ponse nucl\u00e9aire mais une r\u00e9ponse si puissante du c\u00f4t\u00e9 militaire que l’arm\u00e9e russe sera an\u00e9antie, et Poutine ne doit pas bluffer.<\/p>\n\n\n\n C’est un moment s\u00e9rieux de l’histoire, et nous devons montrer notre unit\u00e9, notre force et notre d\u00e9termination. Une d\u00e9termination totale.<\/p>\n\n\n\n Selon les mots de Borrell lui-m\u00eame, la d\u00e9fense de l’Europe aurait \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s diff\u00e9rente si quelqu’un d’autre que Biden avait \u00e9t\u00e9 au pouvoir \u2014 quelqu\u2019un comme Donald Trump par exemple, qu’il a mentionn\u00e9 express\u00e9ment. Hal Brands, \u00e9minent sp\u00e9cialiste am\u00e9ricain des relations internationales, a qualifi\u00e9 tr\u00e8s t\u00f4t la grande strat\u00e9gie de Trump de \u00ab forteresse am\u00e9ricaine \u00bb <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La rh\u00e9torique trumpienne tournait autour de l’id\u00e9e que le monde n’\u00e9tait pas s\u00fbr pour les \u00c9tats-Unis et que la force, plut\u00f4t que le droit, devait \u00eatre prioris\u00e9e afin d’assurer la s\u00e9curit\u00e9 du pays. En termes de filiation, la vision des relations internationales de Donald Trump d\u00e9coule de l’une des quatre grandes traditions du pr\u00e9sidentialisme am\u00e9ricain, \u00e0 savoir le jacksonianisme, une tradition caract\u00e9ris\u00e9e par le nationalisme chauvin et le protectionnisme <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Alors que Borrell b\u00e9n\u00e9ficie du soutien d\u2019un pr\u00e9sident de la tradition lib\u00e9rale comme Joe Biden dans la lutte contre l’agression russe, le Haut Repr\u00e9sentant semble choisir d\u2019adopter une position r\u00e9aliste qui ne fera que isoler l\u2019Europe des \u00c9tats-Unis et du reste du monde.<\/p>\n\n\n\n Hier, j’\u00e9tais dans une autre r\u00e9union, discutant avec d’autres personnes de ce qui se passe et de ce que nous faisons. Et pour moi, c’est clair. Il est clair que nous devons continuer \u00e0 soutenir l’Ukraine et que nous devons continuer \u00e0 chercher des solutions diplomatiques lorsque cela est possible. Pour l’instant, il n’y en a pas, mais un jour ou l’autre, il faudra en trouver.<\/p>\n\n\n\n Et nous devons \u00eatre pr\u00eats \u00e0 faire tout ce que nous faisons aujourd’hui pour soutenir l’Ukraine dans les n\u00e9gociations de paix, car le monde a besoin que cette guerre cesse. Parce que les cons\u00e9quences de cette guerre \u2014 pas pour les Ukrainiens, qui supportent les co\u00fbts les plus importants, pas pour nous qui nous inqui\u00e9tons de la facture d’\u00e9lectricit\u00e9 ou de savoir si nous aurons du gaz cet hiver \u2014 mais pour des millions de personnes dans le monde. Pour eux, c’est beaucoup plus difficile que pour nous. Si vous allez en Somalie, par exemple, vous verrez les cons\u00e9quences de la guerre d’un c\u00f4t\u00e9, et du changement climatique de l’autre, et les deux ensemble cr\u00e9ent une situation dramatique. <\/p>\n\n\n\n Pouvez-vous imaginer qu’aujourd’hui, dans la mer Noire, il y a plus de 100 navires charg\u00e9s de deux millions de tonnes de c\u00e9r\u00e9ales ? Pouvez-vous l\u2019imaginer ? 100 navires \u2014 pas dix, cent \u2014 les uns \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des autres, charg\u00e9s de deux millions de tonnes de c\u00e9r\u00e9ales, attendant d’\u00eatre contr\u00f4l\u00e9s pour traverser le Bosphore et atteindre le march\u00e9 mondial. Les gens les attendent, et pour certains, ils arriveront trop tard. Et les gens mourront de faim parce que le bl\u00e9 est arr\u00eat\u00e9 en attendant un contr\u00f4le. <\/p>\n\n\n\n Je dois donc lancer un appel \u00e0 tous ceux qui sont engag\u00e9s dans cette proc\u00e9dure de contr\u00f4le pour qu’ils l’acc\u00e9l\u00e8rent. Parce que de l’autre c\u00f4t\u00e9 du Bosphore, les gens attendent de manger, c\u2019est aussi dramatique que cela. Donc, soyez conscients du monde dans lequel nous partons, de la difficult\u00e9 que cela va repr\u00e9senter. <\/p>\n\n\n\n Le travail des diplomates \u2014 et vous le serez un jour\u2026 j’esp\u00e8re que lorsque vous serez en fonction, la guerre sera d\u00e9j\u00e0 termin\u00e9e. Je ne m’attends pas \u00e0 ce que la guerre dure aussi longtemps que vous ayez \u00e0 vous en occuper. Mais, apr\u00e8s cette guerre, ce sera une p\u00e9riode d’instabilit\u00e9 et nous devrons construire un nouvel ordre de s\u00e9curit\u00e9. La fa\u00e7on dont nous int\u00e9grerons la Russie \u2014 la Russie post-Poutine \u2014 dans cet ordre mondial est quelque chose qui demandera beaucoup de travail aux personnes qui r\u00e9fl\u00e9chissent \u00e0 la diplomatie, et \u00e0 la fa\u00e7on de la pratiquer et de la mettre en \u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n Je pense que c’est un bon moment, un bon moment pour cr\u00e9er cette acad\u00e9mie. Je compte sur vous, Federica, et je compte sur la capacit\u00e9 intellectuelle de Bruges qui n’a pas besoin d’\u00eatre prouv\u00e9e, afin de former les futurs diplomates de l’Union europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n Vous \u00eates tr\u00e8s proche de Bruxelles. Vous avez \u00e0 Bruxelles beaucoup d’expertise, beaucoup de gens qui savent comment faire en termes pratiques, mais ils ont besoin d’un soutien intellectuel. Ils ont besoin de plus en plus de compr\u00e9hension ; ils ont besoin que les capacit\u00e9s acad\u00e9miques et les capacit\u00e9s professionnelles soient r\u00e9unies. Il s’agit de cette exp\u00e9rience.<\/p>\n\n\n\n Aujourd’hui, il n’y a pas de diff\u00e9rence claire entre ce qui rel\u00e8ve de l’activit\u00e9 diplomatique et ce qui rel\u00e8ve de l’activit\u00e9 sectorielle des d\u00e9cideurs politiques. Tout a une dimension externe et une dimension interne. Qui en est charg\u00e9 ? Les ministres des affaires \u00e9trang\u00e8res, parce que c’est quelque chose qui se passe \u00e0 l’ext\u00e9rieur, ou les responsabilit\u00e9s sectorielles, parce que c’est quelque chose qui est li\u00e9 \u00e0 des choses tr\u00e8s concr\u00e8tes qui se passent en m\u00eame temps \u00e0 l’int\u00e9rieur et \u00e0 l’ext\u00e9rieur. Par exemple, les migrations, le changement climatique et la lutte contre la d\u00e9sinformation ont tous deux une dimension interne et une dimension externe. La cybers\u00e9curit\u00e9 \u2014 est-ce un probl\u00e8me externe ou interne ? Les deux.<\/p>\n\n\n\n J’ai \u00e9t\u00e9 ministre des affaires \u00e9trang\u00e8res. J’ai dit que mes coll\u00e8gues, tous, sont \u00e9galement ministres des affaires \u00e9trang\u00e8res. Parce qu’ils voyagent, ils parlent avec leurs coll\u00e8gues en dehors de leur pays, ils discutent du climat, ils discutent de la migration, ils discutent de la d\u00e9sinformation. <\/p>\n\n\n\n La fonction de ministre des affaires \u00e9trang\u00e8res doit \u00eatre r\u00e9invent\u00e9e. Ils doivent travailler diff\u00e9remment, car aujourd’hui tout le monde est ministre des affaires \u00e9trang\u00e8res, parce que l’\u00e9tranger est interne et l’interne est externe. Il n’y a plus de fronti\u00e8re claire. Qui s’occupe de la dimension interne et qui s’occupe de la dimension externe ? \u00ab Vous \u00eates en charge de la dimension externe \u00bb \u2014 oui, mais il n’y a pas de fronti\u00e8re claire entre l\u2019une et l’autre. <\/p>\n\n\n\n Dans certains cas, il s’agit de la dimension interne, clairement, et le ministre de l’int\u00e9rieur a beaucoup \u00e0 faire pour g\u00e9rer la migration \u00e0 l’int\u00e9rieur et aux fronti\u00e8res, mais, avant les fronti\u00e8res, sur les sources de migration, c’est une question de relations ext\u00e9rieures. Le changement climatique est un autre bon exemple : c’est un probl\u00e8me mondial qui concerne le monde ext\u00e9rieur, mais il est au c\u0153ur de toutes les politiques internes. <\/p>\n\n\n\n C’est pourquoi, j’ai dit que les ministres des affaires \u00e9trang\u00e8res devaient se r\u00e9inventer pour faire face \u00e0 ces nouvelles situations, avec de nombreux concurrents au sein de la structure d\u00e9cisionnelle. <\/p>\n\n\n\n Vous devrez l’apprendre. Et pour que vous puissiez participer \u00e0 une meilleure activit\u00e9 et de meilleures capacit\u00e9s diplomatiques, nous devons construire les institutions. <\/p>\n\n\n\n Vous, Federica, avant moi, et Lady Catherine Ashton avant vous, et m\u00eame Javier Solana dans les temps pr\u00e9historiques \u2014 je veux dire avant le trait\u00e9 qui a cr\u00e9\u00e9 cette double fonction \u2014 nous avons travaill\u00e9 \u2014 et je travaille \u2014 \u00e0 la construction des institutions. Vient alors la r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 Jean Monnet, qui est in\u00e9vitable : \u00ab Les gens comptent, les institutions comptent beaucoup plus \u00bb. Les gens passent, les institutions restent. <\/p>\n\n\n\n Il y a une grande diff\u00e9rence entre l’Europe et le reste du monde \u2014 enfin, par le reste du monde, vous comprenez bien ce que je veux dire, non ? \u2014 c’est que nous avons des institutions fortes. La chose la plus importante pour la qualit\u00e9 de vie des gens, ce sont les institutions. La grande diff\u00e9rence entre les pays d\u00e9velopp\u00e9s et non d\u00e9velopp\u00e9s n’est pas l’\u00e9conomie, ce sont les institutions. Ici, nous avons un syst\u00e8me judiciaire \u2014 un syst\u00e8me judiciaire neutre et ind\u00e9pendant. Ici, nous avons des syst\u00e8mes de distribution des revenus. Ici, nous avons des \u00e9lections qui offrent une libert\u00e9 aux citoyens. Ici, nous avons des feux rouges qui contr\u00f4lent le trafic, des gens qui ramassent les ordures. Nous avons ce genre de choses qui rendent la vie facile et s\u00fbre.<\/p>\n\n\n\n L’autonomie strat\u00e9gique europ\u00e9enne devrait \u00eatre extr\u00eamement consciente du risque qui p\u00e8se sur sa conception. En effet, celle-ci pourrait facilement se transformer en une politique exceptionnaliste qui prendrait le risque de s\u2019ali\u00e9ner les d\u00e9mocraties pr\u00e9sentes et futures par un p\u00e9ch\u00e9 originel de se croire unique au monde. Il est notamment d\u2019autant plus probable de tomber dans ce travers quand la grande strat\u00e9gie fran\u00e7aise de grandeur p\u00eache par exc\u00e8s d\u2019\u00e9go\u00efsme et de nationalisme pour r\u00e9ellement inspirer et entra\u00eener la communaut\u00e9 internationale derri\u00e8re elle. Ce n’est que par la promotion conjointe avec les \u00c9tats-Unis et des nombreuses autres d\u00e9mocraties de l’ordre international lib\u00e9ral que l\u2019Europe pourra chercher \u00e0 contenir l’anarchie internationale et la logique des sph\u00e8res d\u2019influence. Il convient de rappeler que de nombreux universitaires r\u00e9alistes am\u00e9ricains, tels que John Mearsheimer, sont contre une v\u00e9ritable opposition \u00e0 la Russie en Ukraine et plaident pour que l’Ukraine reste un \u00ab \u00c9tat tampon \u00bb pour la sph\u00e8re d\u2019influence russe <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Une Europe plus forte et plus s\u00fbre est une Europe qui comprend que se limiter \u00e0 ne penser que sa place dans le monde qu\u2019au sein de ses fronti\u00e8res ne lui permet pas d\u2019aspirer \u00e0 \u00eatre une puissance mondiale. Les valeurs Europ\u00e9ennes sont largement partag\u00e9es de par le monde, et la d\u00e9fense de l\u2019id\u00e9al europ\u00e9en ne saurait se trouver confin\u00e9 \u00e0 l\u2019eurocentrisme. Dans ces m\u00eames colonnes du Grand Continent, Rokhaya Diallo<\/a> affirmait ce qui suit : \u00ab Le concept d\u2019universalisme europ\u00e9en est un mythe. Sa fonction est de structurer la repr\u00e9sentation des valeurs morales pr\u00e9tendument propres \u00e0 notre espace politico-culturel. Il avance parfois masqu\u00e9, il gagne du terrain. Il est urgent de d\u00e9seurop\u00e9aniser cette notion. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Les institutions, c’est ce qui compte. Il est tr\u00e8s difficile de construire des institutions. Nous pouvons construire une route. Nous pouvons aller avec un bulldozer, de l’argent et des travailleurs, et nous pouvons construire une route. Je ne peux pas aller dans les pays \u00e9mergents et construire des institutions pour eux \u2014 elles doivent \u00eatre construites par eux. Sinon, ce serait une sorte de n\u00e9o-colonialisme. <\/p>\n\n\n\n La grande diff\u00e9rence entre nous et une grande partie du reste du monde est que nous avons des institutions. Et nous devons travailler sur les institutions, pour construire des institutions. J’aimerais beaucoup terminer mon mandat en ayant construit des institutions, en ayant construit une capacit\u00e9 diplomatique de l’Union europ\u00e9enne plus forte ; un service diplomatique de l’Union europ\u00e9enne plus fort. Je sais que ce qui fait la diff\u00e9rence, c’est la qualit\u00e9 des ressources humaines. Parce qu’une institution sans les personnes qui la font fonctionner, c’est un b\u00e2timent vide. C’est la combinaison de structures institutionnelles et de personnes engag\u00e9es et capables de les faire fonctionner. Un syst\u00e8me judiciaire ind\u00e9pendant a besoin de juges ind\u00e9pendants \u2014 sinon, il ne fonctionne pas. Un service diplomatique efficace a besoin de r\u00e8gles, d’organisations, de ressources, de proc\u00e9dures, mais aussi de personnes. Des personnes, non seulement engag\u00e9es, mais aussi capables de remplir leur engagement.<\/p>\n\n\n\n Il est compr\u00e9hensible qu’\u00e0 une \u00e9poque o\u00f9 les \u00c9tats-Unis sont profond\u00e9ment divis\u00e9s par les questionnements identitaires, on puisse penser que l’Europe est exceptionnelle. Un regard sur l\u2019histoire nous rappelle que l’Am\u00e9rique sous Trump s’est racont\u00e9e la m\u00eame histoire. Il y a de cela seulement quelques ann\u00e9es, l’Europe a connu une vague d’attentats terroristes, le Brexit, une crise des r\u00e9fugi\u00e9s, le mouvement des gilets jaunes en France, la tentative de la Catalogne de faire s\u00e9cession de l’Espagne et d’autres \u00e9v\u00e9nements qui ont contribu\u00e9 \u00e0 renforcer l’opinion vendue par Trump aux Am\u00e9ricains selon laquelle l’Europe \u00e9tait perdue aux luttes intestines, \u00e0 l’immigration clandestine et au terrorisme islamique.<\/p>\n\n\n\n