{"id":157690,"date":"2022-09-13T14:27:47","date_gmt":"2022-09-13T12:27:47","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=157690"},"modified":"2022-09-16T11:20:48","modified_gmt":"2022-09-16T09:20:48","slug":"outre-terre-la-guerre-des-recits-a-lage-des-empires","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/09\/13\/outre-terre-la-guerre-des-recits-a-lage-des-empires\/","title":{"rendered":"Outre-terre : la guerre des r\u00e9cits \u00e0 l’\u00e2ge des empires"},"content":{"rendered":"\n

S\u2019il est vrai que l\u2019on assiste \u00e0 une reconfiguration de la globalisation \u00e9conomique afin de r\u00e9duire les d\u00e9pendances et les vuln\u00e9rabilit\u00e9s dans tous les domaines que la pand\u00e9mie et les mesures russes de r\u00e9torsion sur l\u2019\u00e9nergie ont rendu imp\u00e9ratives, la sc\u00e8ne mondiale de la concurrence narrative des repr\u00e9sentations est plus active que jamais. <\/p>\n\n\n\n

La ma\u00eetrise des r\u00e9cits devient un objectif central des diplomaties, autant que la pr\u00e9servation des parts de march\u00e9  ; elle devient le vecteur principal des strat\u00e9gies d\u2019influence. Je suis d\u2019ailleurs convaincu depuis mon s\u00e9jour de chef de mission diplomatique dans les pays baltes<\/a>, au moment de leur double adh\u00e9sion \u00e0 l\u2019Organisation du trait\u00e9 de l\u2019Atlantique Nord et \u00e0 l\u2019Union Europ\u00e9enne, que la ma\u00eetrise de son image ext\u00e9rieure est un ingr\u00e9dient essentiel de la souverainet\u00e9. Sinon, on parle de vous sans vous<\/a> pour imposer des perceptions \u00e9videmment n\u00e9gatives. <\/p>\n\n\n\n

Dans la confrontation des r\u00e9cits, la place des repr\u00e9sentations territoriales et historiques est centrale. Le r\u00e9cit historique construit un imaginaire des origines qui a pour fonction de l\u00e9gitimer une revendication suivie d\u2019une conqu\u00eate. Rappelons ici celle de la Rus\u2019 de Kyiv comme berceau de la nation russe alors que toute continuit\u00e9 fut interdite par l\u2019invasion mongole et que les princes de Moscovie ne s\u2019affirm\u00e8rent que comme collecteurs des tributs exig\u00e9s pour les ma\u00eetres Tatars de la Horde d\u2019Or (XIII\u00e8me-XVI\u00e8me). L\u2019efficace de cette vision<\/a> est \u00e0 la mesure de l\u2019ignorance g\u00e9n\u00e9rale en Europe occidentale des pass\u00e9s de l\u2019autre Europe. Mais par exp\u00e9rience, on sait que l\u2019interpr\u00e9tation de l\u2019histoire est plurielle. <\/p>\n\n\n\n

La ma\u00eetrise des r\u00e9cits devient un objectif central des diplomaties, autant que la pr\u00e9servation des parts de march\u00e9  ; elle devient le vecteur principal des strat\u00e9gies d\u2019influence.<\/p>Michel Foucher<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La Russie et l\u2019empire national<\/h2>\n\n\n\n

Il n\u2019en va pas exactement de m\u00eame dans le champ des imaginaires territoriaux qui sont d\u2019autant plus pr\u00e9gnants qu\u2019ils s\u2019installent par l\u2019\u00e9cole et la carte, la toponymie et la propagande. Dans son journal de Moscou <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>, Walter Benjamin relate comment la Russie commen\u00e7ait \u00e0 prendre forme pour l\u2019homme de la rue. \u00ab  Dans la rue, sur la neige, s\u2019empilent des cartes de la R.S.F.S.R. offertes par les colporteurs. L\u2019Occident y est repr\u00e9sent\u00e9 par un syst\u00e8me compliqu\u00e9 de petites presqu\u2019\u00eeles russes. La carte g\u00e9ographique est sur le point de devenir un foyer du nouveau culte russe des ic\u00f4nes, au m\u00eame titre que le portrait de L\u00e9nine. On veut mesurer, on veut comparer et on veut peut-\u00eatre aussi jouir de cette ivresse des grandeurs dans laquelle plonge la simple vue de la Russie  \u00bb.<\/em> <\/p>\n\n\n\n

La vieille soci\u00e9t\u00e9 russe de g\u00e9ographie est pr\u00e9sid\u00e9e par le ministre de la D\u00e9fense et son conseil rassemble l\u2019\u00e9lite russe avec Vladimir Poutine comme pr\u00e9sident du comit\u00e9 de parrainage <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Elle avait \u00e9t\u00e9 relanc\u00e9e en 2009, avec d\u2019importants moyens afin d\u2019aider les gens \u00e0 d\u00e9couvrir la Russie et d\u2019inspirer un amour pour ce pays. Rien de plus l\u00e9gitime que cet effort qui n\u2019est pas sans rappeler la mission patriotique du National Geographic Magazine. Poutine g\u00e9ographe avant de devenir \u00ab  historien en chef  \u00bb<\/a> <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Le g\u00e9ographe en chef a donc install\u00e9 les concepts de \u00ab  NovoRossia  \u00bb pour renommer, \u00e0 la suite de Catherine II, la steppe d\u2019Ukraine et les littoraux de la mer d\u2019Azov et de la mer Noire, objectifs premiers de l\u2019agression lanc\u00e9e le 24 f\u00e9vrier, celui de monde russe (Rosski mir) qui engloberait bi\u00e9lorusses et ukrainiens<\/a> et parfois m\u00eame les slaves orientaux, d\u2019\u00ab  Occident global  \u00bb (Global\u2019nyy zapad) coupable de sanctions qui seraient la cause des ruptures d\u2019approvisionnement des pays du Sud et celui d\u2019un empire sans fronti\u00e8res fixes, expression reprise r\u00e9cemment par Dimitri Medvedev.<\/p>\n\n\n\n

Le r\u00e9cit historique construit un imaginaire des origines qui a pour fonction de l\u00e9gitimer une revendication suivie d\u2019une conqu\u00eate.<\/p>Michel Foucher<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Il est vrai que l\u2019immensit\u00e9 du territoire de la f\u00e9d\u00e9ration est un d\u00e9fi permanent, que son maintien est une t\u00e2che exigeante et les forces d\u2019attraction ext\u00e9rieure sont puissantes  : Turquie en mer Noire et en Transcaucasie et Chine, d\u00e9j\u00e0 h\u00e9g\u00e9monique en Asie centrale et active en Primorje. Que l\u2019une soit accept\u00e9e comme m\u00e9diatrice et l\u2019autre comme alli\u00e9e contribuent \u00e0 les neutraliser, pour l\u2019instant. Et Karaganov exprime sans doute une obsession r\u00e9elle quand il jugeait que la Russie devait d\u2019abord fixer son front occidental avant de traiter l\u2019enjeu mena\u00e7ant de la dissym\u00e9trie g\u00e9o\u00e9conomique avec une Chine en ascension <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Mais ce d\u00e9fi concret de la ma\u00eetrise d\u2019un espace immense \u2013 un septi\u00e8me des terres \u00e9merg\u00e9es – et sous-peupl\u00e9 a \u00e9t\u00e9 remani\u00e9 par des courants id\u00e9ologiques plus messianiques qui insistent \u00e0 la fois sur la continuit\u00e9 de l\u2019identit\u00e9 russe et de son espace, sur la centralit\u00e9 d\u2019un empire Russo-eurasien sans fronti\u00e8res fixes. L\u2019empire est r\u00e9habilit\u00e9, gage de puissance. L’eurasisme est un syncr\u00e9tisme dont le but est de l\u00e9gitimer l\u2019empire, gage d\u2019identit\u00e9 glorieuse et insoluble face \u00e0 l\u2019Europe, la Turquie, l\u2019Iran et la Chine.<\/p>\n\n\n\n

La configuration de l\u2019\u00c9tat-nation<\/a> ne suffit pas \u00e0 inclure la nature multiethnique de la Russie. Le concept d\u2019empire national offre une synth\u00e8se entre un pays recentr\u00e9 sur son noyau ethnoculturel mais qui garde une forme, voire une apparence d\u2019empire <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Pour Jules Sergei Fediunin, \u00ab  la situation russe contemporaine corrobore la pertinence du concept de nationalisme imp\u00e9rial dans sa version nationalisatrice (\u2026). \u00c0 moyen terme, la promotion d\u2019un projet de construction nationale Russo-centrique <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span> sous couvert d\u2019unit\u00e9 \u00ab  multiethnique et pluriconfessionnelle  \u00bb pourrait conduire \u00e0 la mont\u00e9e de nationalismes minoritaires, mais uniquement en cas d\u2019affaiblissement du gouvernement central ou de changement de r\u00e9gime  \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

L’eurasisme est un syncr\u00e9tisme dont le but est de l\u00e9gitimer l\u2019empire, gage d\u2019identit\u00e9 glorieuse et insoluble face \u00e0 l\u2019Europe, la Turquie, l\u2019Iran et la Chine.<\/p>Michel Foucher<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Est-ce cette instrumentalisation du nationalisme russe qui fait obstacle \u00e0 la perception par les dirigeants des anciens colonis\u00e9s que le Kremlin m\u00e8ne une politique n\u00e9o-imp\u00e9riale  ?<\/p>\n\n\n\n

Le Sud et l\u2019empire<\/h2>\n\n\n\n

Une enqu\u00eate <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span> r\u00e9alis\u00e9e dans le contexte de la 77\u00e8me<\/sup> assembl\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale des Nations Unies de septembre 2022 par la Fondation Open Society aupr\u00e8s de 21 143 sond\u00e9s dans 23 pays situ\u00e9s pour les deux tiers hors de l\u2019OCDE confirme les diff\u00e9rences d\u2019appr\u00e9ciation de l\u2019agression russe contre l\u2019Ukraine qui s\u2019\u00e9taient exprim\u00e9s lors des votes successifs aux Nations Unies. <\/p>\n\n\n\n

Ainsi, \u00e0 la question de savoir si la Russie devrait se retirer des territoires occup\u00e9s, la majorit\u00e9 des sond\u00e9s l\u2019approuve, sauf au S\u00e9n\u00e9gal, en Inde et en Serbie. 44 % des pays non-OCDE estiment que la recherche par la Russie d\u2019une plus grande influence sur l\u2019Ukraine voisine est justifi\u00e9e (49 % en Afrique du Sud, 54 % au Nig\u00e9ria, 56 % en Inde)  ; 69 % des m\u00eames critiquent la priorit\u00e9 donn\u00e9e par les pays occidentaux \u00e0 ce conflit et 68 % estiment que trop d\u2019argent lui a \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9. R\u00e9flexe de puissance r\u00e9gionale d\u2019une part, crainte d\u2019une marginalisation dans le regard des grands donateurs de l\u2019autre.<\/p>\n\n\n\n

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