{"id":156695,"date":"2022-09-05T12:05:09","date_gmt":"2022-09-05T10:05:09","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=156695"},"modified":"2022-09-05T12:05:32","modified_gmt":"2022-09-05T10:05:32","slug":"que-lire-pour-la-rentree-litteraire-europeenne","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/09\/05\/que-lire-pour-la-rentree-litteraire-europeenne\/","title":{"rendered":"Que lire pour la rentr\u00e9e litt\u00e9raire europ\u00e9enne ?"},"content":{"rendered":"\n

Theresia Enzensberger, Auf See<\/em>, Munich, Hanser, 2022<\/h2>\n\n\n\n
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\u00c9tymologiquement, une utopie est un \u00ab non-lieu \u00bb. Plus tard, ce terme d\u00e9signe un endroit imaginaire o\u00f9 un gouverneur id\u00e9al r\u00e8gne sur un peuple heureux et une soci\u00e9t\u00e9 parfaite. Yada, 17 ans, vit dans un tel lieu. Il s\u2019appelle Seestatt et c\u2019est l\u2019utopie de son p\u00e8re, Nicholas Verney, ancien doctorant en philosophie, devenu entrepreneur sp\u00e9cialis\u00e9 en high tech<\/em> et qui r\u00eave de sauver le monde. <\/p>\n\n\n\n

Le d\u00e9sastre, \u00e9cologique comme familial, peut commencer.<\/p>\n\n\n\n

Avec ce roman, Theresia Enzensberger s\u2019inscrit dans cette tradition de r\u00e9flexion, indispensable pour comprendre les dysfonctionnements de nos soci\u00e9t\u00e9s qui h\u00e9las semblent se r\u00e9p\u00e9ter de mani\u00e8re infinie et in\u00e9vitable.<\/p>\n\n\n\n

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Pierre Ducrozet, Variations de Paul<\/em>, Paris, Actes Sud, 2022<\/h2>\n\n\n\n
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Depuis sa naissance, le c\u0153ur de Paul lui joue des tours : il s\u2019arr\u00eate, comme on met un disque en pause ou comme on change la face d\u2019un vinyle. Les intermittences du c\u0153ur de Paul, qui ponctuent le r\u00e9cit, sont comme autant de points d\u2019orgue qui rythment la symphonie familiale, depuis l\u2019accouchement de sa m\u00e8re Sarah jusqu\u2019\u00e0 la grande f\u00eate organis\u00e9e par Chiara et L\u00e9o, ses enfants, au bout du Cap Corse, en passant par sa rencontre avec Eva. Tourbillonnante de tant d\u2019\u00e9nergie, la m\u00e8re de Chiara finira par ne plus supporter ce trop-plein et devra retourner \u00e0 Mexico, dans une maison pr\u00e8s de l\u2019hippodrome de la Condesa qui ressemble \u00e0 celle dans laquelle Frida Kahlo a pass\u00e9 ses derniers jours. S\u2019y entrem\u00eale aussi l\u2019histoire de Chiara, qui devient DJ dans le Berlin de la fin des ann\u00e9es 1990. De ses platines au Schwanengesang<\/em> jou\u00e9 par sa grand-m\u00e8re au d\u00e9but du si\u00e8cle, il n\u2019y a qu\u2019une note.<\/p>\n\n\n\n

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Claudie Hunzinger, Un chien \u00e0 ma table<\/em>, Paris, Grasset, 2022<\/h2>\n\n\n\n
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Un chien \u00e0 ma table<\/em> est un roman puissamment \u00e9cologiste, et il l\u2019est d\u2019une mani\u00e8re proprement litt\u00e9raire. Non seulement il utilise toutes les ressources po\u00e9tiques de la langue, mais en outre il se place parfois, avec discr\u00e9tion et retenue, \u00e0 la fronti\u00e8re du mythe ou du conte, \u00e0 la lisi\u00e8re du surnaturel, \u00e0 l\u2019or\u00e9e du trouble ontologique \u2013 une tr\u00e8s belle page convoque ainsi le souvenir d\u2019un vieil Italien moustachu r\u00e9apparu comme un fant\u00f4me ; une autre s\u2019amuse \u00e0 renvoyer \u00e0 la fiction, c\u2019est-\u00e0-dire au non-\u00eatre, la maison m\u00eame qu\u2019habite le vieux couple. Mais surtout, le livre revient avec insistance sur le motif du changement d\u2019esp\u00e8ce, de telle mani\u00e8re que l\u2019on ne sache jamais trop \u00e0 quel point il s\u2019agit du simple fantasme d\u2019une femme aux sens et \u00e0 l\u2019imagination aiguis\u00e9s, et \u00e0 quel point, dans quelle mesure, de quelle mani\u00e8re, la m\u00e9tamorphose a lieu<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Ce roman s\u2019impose comme l\u2019un des tr\u00e8s bons livres de cette rentr\u00e9e litt\u00e9raire. Il parle avec finesse, intelligence et po\u00e9sie de grands probl\u00e8mes propres \u00e0 la fois \u00e0 la condition humaine dans ce qu\u2019elle a d\u2019\u00e9ternel et d\u2019universel, et \u00e0 la situation contemporaine de l\u2019humain dans le monde et dans la nature ; cette mani\u00e8re qu\u2019il a de faire r\u00e9sonner entre elles diff\u00e9rentes dimensions, diff\u00e9rentes temporalit\u00e9s, n\u2019est pas ce qui contribue le moins \u00e0 son charme.<\/p>\n\n\n\n

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Ginevra Lamberti, Tutti dormono nella valle<\/em>, Venezia, Marsilio, 2022<\/h2>\n\n\n\n
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Dans une village du Nord-Est de l\u2019Italie, situ\u00e9 entre deux vall\u00e9es, Ginevra Lamberti nous livre le r\u00e9cit d\u2019une famille italienne qui traverse les ann\u00e9es soixante-dix. Tandis que la g\u00e9n\u00e9ration des a\u00een\u00e9s fait face aux angoisses de la modernit\u00e9, la nouvelle g\u00e9n\u00e9ration manifeste son d\u00e9sir d\u2019explorer ce qu\u2019il y a au-del\u00e0 de la vall\u00e9e. Dans cette histoire de famille originale, Ginevra Lamberti explore chaque personnage avec la m\u00eame bienveillance en mettant en lumi\u00e8re les blessures de l\u2019histoire italienne du XXe si\u00e8cle. <\/p>\n\n\n\n

Le troisi\u00e8me livre de Ginevra Lamberti est \u00e9troitement li\u00e9 \u00e0 son premier roman, La questione pi\u00f9 che altro<\/em> (Nottetempo, 2015), dans lequel apparaissait d\u00e9j\u00e0 La Vall\u00e9e<\/em> : un lieu r\u00e9el de la V\u00e9n\u00e9tie profonde qui a \u00e9t\u00e9 transform\u00e9 en un vrai chronotope, de l\u2019\u00e9toffe de la meilleure litt\u00e9rature. Comme le laisse entendre le titre \u2013 qui fait \u00e9cho \u00e0 un c\u00e9l\u00e8bre vers d\u00e9di\u00e9 \u00e0 la colline de Spoon River de Edgar Lee Masters  \u2013 , il s\u2019agit d\u2019un endroit qui, au moins pour les jeunes qui ont eu la malchance d\u2019y na\u00eetre dans les ann\u00e9es cinquante du si\u00e8cle pass\u00e9, est en quelque sorte en relation avec la mort. Ou du moins, c\u2019est l\u2019impression qu\u2019en a Costanza, la protagoniste du roman.<\/p>\n\n\n\n

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Rafael Reig, El r\u00edo de cenizas<\/em>, Barcelona, Tusquets Editores , 2022<\/h2>\n\n\n\n
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Est-il possible de faire la paix avec son pass\u00e9 ou, au contraire, vieillir signifie-t-il assumer qu\u2019il y aura certaines personnes et certains souvenirs que nous porterons comme un poignard dans la peau jusqu\u2019\u00e0 la fin de nos jours ? L\u2019\u00e9crivain nous pr\u00e9sente de nombreuses touches de nostalgie pour une jeunesse perdue et pour tout ce qui reste \u00e0 faire. N\u2019est-ce pas cela, vieillir, croire qu\u2019il est d\u00e9j\u00e0 trop tard pour renverser la vapeur, r\u00e9parer ses erreurs ? C\u2019est peut-\u00eatre pour cela qu\u2019il commence le r\u00e9cit en disant qu\u2019il a r\u00eav\u00e9 d\u2019une rivi\u00e8re qu\u2019il n\u2019a jamais vue, et que dans sa veill\u00e9e, il \u00ab   marchait \u00e0 un bon rythme et avait trente ans  \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Tel un puzzle g\u00e9ant, l\u2019auteur nous pr\u00e9sente un joueur d\u2019\u00e9checs qui se plonge dans la vie des autres, une femme qui dirige un orchestre inexistant, ou encore une veuve qui fait sa valise tous les jours en attendant que son mari vienne la chercher. Dans l\u2019asile, des personnages tr\u00e8s diff\u00e9rents vivent sous le m\u00eame toit, mais ils ont tous quelque chose en commun : ils veulent tuer le temps, et ils le font \u00e0 travers d\u2019innombrables activit\u00e9s qui les font se sentir plus ou moins vivants.<\/p>\n\n\n\n

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Mario Mart\u00edn Gij\u00f3n, La pasi\u00f3n de Rafael Alcon\u00e9tar<\/em>, KRK, 2021<\/h2>\n\n\n\n
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Dans la lign\u00e9e de Bola\u00f1o, Mario Mart\u00edn Gij\u00f3n signe le dernier avatar de la \u00ab fiction d\u2019\u00e9crivain \u00bb  : La pasi\u00f3n de Rafael Alcon\u00e9tar<\/em>, un exemple singulier en raison de la prise de risque, de l\u2019\u00e9quilibre entre dialogue et innovation, cr\u00e9ant ainsi une \u0153uvre aussi h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne que coh\u00e9rente.<\/p>\n\n\n\n

Des auteurs qui sont en m\u00eame temps des lecteurs, des auteurs qui interrogent la litt\u00e9rature sous diff\u00e9rents angles comme des entomologistes attentifs \u00e0 la vari\u00e9t\u00e9 sans avoir besoin de la diss\u00e9quer, mais avec la vocation de sauver ce qui est vivant et dynamique en elle. Le cas de Mario Mart\u00edn Gij\u00f3n est embl\u00e9matique en ce sens.<\/p>\n\n\n\n

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Urszula Honek, Bia\u0142e noce<\/em> [Nuits blanches], Wo\u0142owiec, Czarne, 2022<\/h2>\n\n\n\n
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Bia\u0142e noce <\/em>[Les Nuits blanches] est le dernier en prose d\u2019Urszula Honek, que le lecteur polonais connaissait auparavant comme po\u00e9tesse et autrice entre autres, des volumes Sporysz<\/em> [Ergot] (2015) et Zimowanie<\/em> [Hivernage] (2019). Dans ce livre de 2019, l\u2019\u00e9crivaine explorait d\u00e9j\u00e0 le th\u00e8me de la fronti\u00e8re entre la r\u00e9alit\u00e9 et le r\u00eave, entre la mort et l\u2019oubli, qui trouve ici son plein d\u00e9veloppement.<\/em> Honek donne vie \u00e0 un univers tiss\u00e9 de relations fragiles et enchev\u00eatr\u00e9es, empli d\u2019un sentiment d\u2019impuissance et d\u2019un d\u00e9couragement absolus.<\/p>\n\n\n\n

Un peu comme dans le film d\u2019horreur Midsommar<\/em> d\u2019Ari Aster, toute la monstruosit\u00e9 se d\u00e9roule dans l\u2019\u00e9blouissement de la lumi\u00e8re du jour. Mais, chez l\u2019\u00e9crivaine polonaise, tout demeure calme et silencieux. Il ne s\u2019agit pas non plus de se soumettre \u00e0 un quelconque rituel, \u00e0 une sorte de transgression \u2013 au contraire, dans la lumi\u00e8re \u00e9clatante de l\u2019\u00e9t\u00e9, nous voyons les habitants d\u2019un village endormi sombrer dans la grisaille, des habitants d\u00e9\u00e7us, vivant des r\u00eaves inassouvis, aspirant \u00e0 une mort rassurante.<\/p>\n\n\n\n

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Daniel Odija, Pusty przelot<\/em>, Wo\u0142owiec, \u00c9dition Czarne, 2021<\/h2>\n\n\n\n
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\u00ab \u00catre heureux c\u2019est se conna\u00eetre sans en avoir peur \u00bb. Roman intimiste de l’\u00e9crivain Polonais Daniel Odija, Pusty przelot (Le vol \u00e0 vide)<\/em>, nous plonge dans la relation entre deux fr\u00e8res qui vivent une enfance chaotique. Comme le survol d\u2019un destin familial, vol au-dessus du \u00ab nid \u00bb o\u00f9 seuls restent les oisillons.<\/p>\n\n\n\n

Si l\u2019envol est commun\u00e9ment interpr\u00e9t\u00e9 comme symbole de la libert\u00e9, libert\u00e9 vers laquelle semble parfois tendre la folie, dans le livre de Daniel Odija c\u2019est tout le contraire : la schizophr\u00e9nie prive de libert\u00e9, emprisonne, coupe les ailes, fait tourner autour de quelques points obsessionnels, en impactant aussi la libert\u00e9 des proches du malade. <\/p>\n\n\n\n

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Karolina Filova, P\u0159\u00edstav<\/em> (Le Port), Host, 2022<\/h2>\n\n\n\n
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Est-il possible d’atteindre la perfection alors que tout, autour de nous, est relatif ? Lorsqu’appara\u00eet devant vous le caf\u00e9 P\u0159\u00edstav (le Port), inutile de vous tourmenter. Installez-vous confortablement, commandez tasse sur tasse : tout doucement, vous allez vous transformer en figure de cire… Vous entrez alors dans l’\u00e9ternit\u00e9 ! Pour toucher la perfection physique et le sempiternel ressac de la mer, il ne vous reste plus qu’\u00e0 vous taire pour toujours. Une offre qui ne se refuse pas… A moins que ? La r\u00e9ponse n’est pas si claire, du moins pour Gabriel, l’un des clients du caf\u00e9. Contre toute attente, un jour, il disparait en ne laissant derri\u00e8re lui que quelques indices : cinq cartes postales. Son ex petite amie quitte alors le pays de l’\u00e9ternel tranquillit\u00e9 pour se lancer \u00e0 sa recherche. Mais, dans les rues de Prague, les figures de cire ont tant chang\u00e9 qu’elles sont m\u00e9connaissables. Le monde moralement parfait du P\u0159\u00edstav est loin, d\u00e9sormais, et le retour \u00e0 l’\u00e9ternit\u00e9 difficile… Dans ce roman philosophique, Karol\u00edna F\u00edlov\u00e1 s’int\u00e9resse \u00e0 la recherche du juste milieu aristot\u00e9licien en tant que vertu et explore la possibilit\u00e9 d’atteindre la perfection morale dans un monde o\u00f9 tout est relatif.<\/p>\n\n\n\n

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L\u00e1szl\u00f3 M\u00e1rton, L’indemnisation <\/em>(A k\u00e1rp\u00f3tl\u00e1s<\/em>),<\/em> Budapest, Kalligram, 2022<\/h2>\n\n\n\n
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Dans les ann\u00e9es 2000, Zsolt Por, historien sp\u00e9cialis\u00e9 dans l\u2019histoire de l’\u00e9conomie, re\u00e7oit d’un notaire un avis l\u2019informant qu’il a droit \u00e0 une indemnisation pour \u00ab perte de vie \u00bb. Celui qui a \u00e9t\u00e9 d\u00e9port\u00e9 et assassin\u00e9 en 1944 \u00e9tait le fr\u00e8re cadet du p\u00e8re de Zsolt Por. Personne ne se souvient de ce jeune gar\u00e7on de 12 ans, nous n’apprenons donc rien sur lui outre le fait qu’il a \u00ab perdu la vie \u00bb, mais \u00e0 travers lui, nous d\u00e9couvrons une famille qui a subi de nombreux traumatismes : les parents, la tante paternelle, la grand-m\u00e8re maternelle et la s\u0153ur du h\u00e9ros du roman. Les portraits, dessin\u00e9s avec une ironie dure et am\u00e8re, esquissent \u00e9galement le tableau de la Hongrie des ann\u00e9es 1970 et 1980, et mettent en place l’intrigue principale : les silences, le pass\u00e9 non r\u00e9solu, les luttes des personnages les uns contre les autres qui pr\u00e9parent la voie \u00e0 une v\u00e9ritable trag\u00e9die. Cette trag\u00e9die est la \u00ab perte de vie \u00bb de la m\u00e8re, son suicide pour des raisons obscures et dans des circonstances peu claires qui entra\u00eene la dissolution de la famille. Le lecteur assiste \u00e0 la lutte du jeune Zsolt Por pour son int\u00e9grit\u00e9 personnelle et sa lib\u00e9ration des d\u00e9pendances \u00e9motionnelles impos\u00e9es, tout en suivant son d\u00e9veloppement spirituel. L’histoire de sa vie est entrelac\u00e9e \u00e0 l’\u00e9tude de l’histoire \u00e9conomique du pays, et les le\u00e7ons de cette confrontation mobilisent les forces jusqu\u2019alors cach\u00e9es du h\u00e9ros.<\/p>\n\n\n\n

Apr\u00e8s le retour de Zsolt Por, Grand-m\u00e8re a couvert Ernest de r\u00e9primandes am\u00e8res. C’\u00e9tait le seul nom qu’elle \u00e9tait dispos\u00e9e \u00e0 donner \u00e0 son petit-fils. Elle feignit d\u2019ignorer le fait que son vrai nom \u00e9tait Zsolt. Il ne suffisait pas qu’il ait quitt\u00e9 de mani\u00e8re irresponsable son travail, la gu\u00e9rite du veilleur de nuit, et qu’il se soit soustrait \u00e0 son devoir, il ne suffisait pas qu’il ait tol\u00e9r\u00e9 \u2013 quel faible d’esprit, quel m\u00e9prisable imb\u00e9cile qu’un tel homme ! \u2013 qu\u2019elle, Grand-m\u00e8re, ait \u00e9t\u00e9 renvoy\u00e9e de l\u2019h\u00f4pital de Visegr\u00e1d-Gizellatelep par le docteur K\u00f6nig, il fallait qu\u2019en plus de cela, il ait pris une femme et se soit fait enj\u00f4ler par cette n\u00e9nette.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Zsolt Por ajouta tranquillement qu’Eva avait un pr\u00e9nom. Cela a rendu la voix de Grand-m\u00e8re encore plus assourdissante.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Que veut son Ernest ? Une relation durable ? \u00ab Tu veux l\u2019\u00e9pouser ? Tu es un empot\u00e9, un b\u00eata comme ton p\u00e8re ! \u00bb<\/em><\/p>\n\n\n\n

Autrefois, poursuivait Grand-m\u00e8re sans piti\u00e9, les jeunes hommes allaient au bordel quand ils ne pouvaient pas s\u2019en emp\u00eacher. L\u00e0, ils payaient une somme pas tr\u00e8s importante, et il n’y avait plus de probl\u00e8me. Ils avaient satisfait leurs d\u00e9sirs primaires, et ils n’avaient pas \u00e0 se vautrer dans des \u00e9motions ou \u00e0 se noyer dans la boue de la d\u00e9pravation !<\/em><\/p>\n\n\n\n

Grand-m\u00e8re croyait, et avait l’habitude d’en effrayer le petit Ernest, que le petit gar\u00e7on qui \u00ab tomberait dans le p\u00e9ch\u00e9 de l\u2019Onan biblique \u00bb se ruine la colonne vert\u00e9brale et devient bossu. Un jour, alors qu’ils voyaient un bossu dans la rue, Grand-m\u00e8re lui a chuchot\u00e9 que ce monsieur \u00e9tait devenu comme \u00e7a parce qu’il s’\u00e9tait touch\u00e9 quand il \u00e9tait enfant.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Le petit Ernest \u00e9tait terrifi\u00e9. Tout ce qu’il comprenait, c’est que grand-m\u00e8re l\u2019accusait d\u2019un crime odieux, et qu\u2019il ne pouvait pas se d\u00e9fendre contre cette accusation parce qu\u2019il ne savait pas de quoi il s’agissait. Il essaya de rester innocente, par exemple, il faisait pipi sans se toucher. L’inconv\u00e9nient \u00e9tait qu’il pissait sur son pantalon. Au seuil de l’\u00e2ge adulte, il se rendit compte que le p\u00e9ch\u00e9 odieux n\u2019\u00e9tait pas celui qu’il n’avait pas commis dans son enfance, mais les mensonges \u00e0 caract\u00e8re \u00e9ducatif de Grand-m\u00e8re.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Apr\u00e8s les jours pass\u00e9s \u00e0 Zalata, il s\u2019\u00e9tait rendu compte que ce n’\u00e9tait pas \u00ab cette femme \u00bb (c\u2019est-\u00e0-dire Eva) qui voulait lui sucer la moelle des os (comme disait Grand-m\u00e8re), mais que c’\u00e9tait elle, Grand-m\u00e8re, qui avait de telles ambitions.<\/em><\/p>\n\n\n\n

La voix stridente de Grand-m\u00e8re \u00e9tait insupportable. Elle criait \u00e0 tue-t\u00eate. Elle invectivait, calomniait, mena\u00e7ait.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Zsolt Por pensa qu’il ne voulait plus entendre \u00e7a. Le ton de la grand-m\u00e8re \u00e9tait honteux. Il tourna les talons et sortit dans la rue sans un mot. Mais c’\u00e9tait trop tard. Il se sentait sale et humili\u00e9.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Il y a des gens dont la pr\u00e9sence est en soi humiliante. Leur proximit\u00e9 \u2013 ou, plus pr\u00e9cis\u00e9ment, la n\u00e9cessit\u00e9 de supporter cette proximit\u00e9 \u2013 est une honte, une ignominie. C\u2019est pourtant \u00e7a qui a marqu\u00e9 l’enfance d\u2019Ernest. Adulte, il voulait s\u2019en d\u00e9barrasser.<\/em><\/p>\n\n\n\n

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Piia Leino, Chroniques de tes tr\u00e9sors <\/em>(Aarteidesi aikakirjat), S&S, 2022<\/h2>\n\n\n\n
\n \n \r\n \r\n \r\n \r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n

Piia Leino a attir\u00e9 l\u2019attention du monde litt\u00e9raire en 2018 avec son roman Le Ciel<\/em> (Taivas, non traduit), qui a inaugur\u00e9 une s\u00e9rie de romans de science-fiction dystopiques o\u00f9 elle explorait l\u2019avenir de la Finlande \u00e0 moyen terme (ann\u00e9es 2040-2050).<\/p>\n\n\n\n

Dans Chroniques de tes tr\u00e9sors<\/em>, elle imagine cette fois un d\u00e9but de XXIIe<\/sup> si\u00e8cle o\u00f9 l\u2019humanit\u00e9 a r\u00e9ussi \u00e0 s\u2019adapter au changement climatique en s\u2019effor\u00e7ant de vivre un quotidien s\u00e9v\u00e8rement r\u00e9glement\u00e9, aussi chiche et respectueux de la nature que possible. Dans ce monde sur la corde raide, Oula est une jeune femme qui r\u00eave de trouver l\u2019argent n\u00e9cessaire pour aller vivre dans la communaut\u00e9 Pandora, o\u00f9 l\u2019existence est bien plus attirante que celle du commun des mortels. Dans cet espoir, elle se fait embaucher comme \u00ab mineuse \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire comme exploratrice des souvenirs d\u2019un homme cryog\u00e9nis\u00e9 dans le pass\u00e9. Elle se voit assigner l\u2019exploration de la m\u00e9moire d\u2019un millionnaire de notre si\u00e8cle, et en vient ainsi \u00e0 se lancer dans une sorte de chasse au tr\u00e9sor neurologique, en qu\u00eate d\u2019indices qui lui permettraient de retrouver la fortune bien concr\u00e8te laiss\u00e9e par ce millionnaire. Mais l\u2019exploration m\u00e9morielle ne se passe pas comme pr\u00e9vu, et Oula se heurte \u00e0 des probl\u00e8mes \u00e9thiques et \u00e0 des difficult\u00e9s qui lui font questionner les vrais objectifs de l\u2019entreprise pour laquelle elle travaille, et la trajectoire suivie par l\u2019humanit\u00e9 dans son histoire r\u00e9cente.<\/p>\n\n\n\n

On retrouve dans ce roman l\u2019attachement aux questions \u00e9cologiques et \u00e9thiques, tr\u00e8s pr\u00e9gnantes dans la science-fiction finlandaise, et une grande efficacit\u00e9 narrative qui confirme le statut de Piia Leino en tant qu\u2019autrice \u00e0 suivre dans la litt\u00e9rature finlandaise contemporaine.<\/p>\n\n\n\n

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Cette ann\u00e9e, la rentr\u00e9e litt\u00e9raire est particuli\u00e8rement riche.<\/p>\n

Pour vous orienter dans les parutions en diff\u00e9rentes langues europ\u00e9ennes, les correspondants du Grand Continent ont s\u00e9lectionn\u00e9 les fictions \u00e0 ne pas manquer.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":156704,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"templates\/post-angles.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1734],"tags":[],"geo":[1917],"class_list":["post-156695","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-doctrines","staff-le-grand-continent","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\nQue lire pour la rentr\u00e9e litt\u00e9raire europ\u00e9enne ? | Le Grand Continent<\/title>\n<meta name=\"robots\" content=\"index, follow, max-snippet:-1, max-image-preview:large, max-video-preview:-1\" \/>\n<link rel=\"canonical\" href=\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/09\/05\/que-lire-pour-la-rentree-litteraire-europeenne\/\" \/>\n<meta property=\"og:locale\" content=\"fr_FR\" \/>\n<meta property=\"og:type\" content=\"article\" \/>\n<meta property=\"og:title\" content=\"Que lire pour la rentr\u00e9e litt\u00e9raire europ\u00e9enne ? | Le Grand Continent\" \/>\n<meta property=\"og:description\" content=\"Cette ann\u00e9e, la rentr\u00e9e litt\u00e9raire est particuli\u00e8rement riche. 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