{"id":149205,"date":"2022-08-19T07:19:00","date_gmt":"2022-08-19T05:19:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=149205"},"modified":"2022-08-19T14:27:10","modified_gmt":"2022-08-19T12:27:10","slug":"espaces-domestiques-et-villageois-chez-les-baruya","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/08\/19\/espaces-domestiques-et-villageois-chez-les-baruya\/","title":{"rendered":"Espaces domestiques et villageois chez les Baruya"},"content":{"rendered":"\n
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En 1965, la r\u00e9gion avait \u00e9t\u00e9 d\u00e9clar\u00e9e \u00ab pacifi\u00e9e \u00bb et ouverte \u00e0 la libre circulation des Blancs. Deux missions protestantes vinrent s\u2019y installer et en 1966 je suis arriv\u00e9 chez les Baruya pour un premier terrain qui dura trois ans, jusqu\u2019\u00e0 la fin 1968. Ensuite, j\u2019y suis retourn\u00e9 plusieurs fois jusqu\u2019en 1981, r\u00e9alisant au total sept ann\u00e9es de travail de terrain dans cette tribu. En 1975, l\u2019Australie d\u00e9cida de donner l\u2019ind\u00e9pendance \u00e0 son ancienne colonie qui devint l\u2019\u00c9tat de Papouasie-Nouvelle- Guin\u00e9e. Jusqu\u2019en 1960, les Baruya n\u2019avaient jamais rencontr\u00e9 de Blancs et continuaient \u00e0 utiliser des outils de pierre pour ouvrir des jardins dans la for\u00eat et pour construire leurs habitations. Mais apr\u00e8s la Seconde Guerre mondiale, des outils d\u2019acier, des haches et des machettes, fabriqu\u00e9es en Allemagne ou en Grande-Bretagne, parvinrent jusque chez les Baruya par le jeu du commerce intertribal entre les populations de la c\u00f4te et celles des Hautes Terres. Mais \u00e0 cette \u00e9poque les Baruya ne savaient pas d\u2019o\u00f9 provenaient ces objets ni qui les fabriquait.<\/p>\n\n\n\n Les Baruya formaient en 1966 un groupe local de quelque 2 000 personnes r\u00e9parties entre 17 villages et hameaux. Leur organisation sociale reposait sur deux institutions, d\u2019une part l\u2019existence de groupes de parent\u00e9 patrilin\u00e9aires, des clans divis\u00e9s en lignages r\u00e9partis entre les villages et, d\u2019autre part, l\u2019existence d\u2019initiations masculines et f\u00e9minines qui redistribuaient tous les habitants, quels que soient leur lignage et leur village, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur d\u2019une hi\u00e9rarchie de stades d\u2019initiation. Ces institutions cr\u00e9aient une forte in\u00e9galit\u00e9 entre les hommes et les femmes et entre les initi\u00e9s et les non-initi\u00e9s. La soci\u00e9t\u00e9 \u00e9tait gouvern\u00e9e par les hommes qui en \u00e9taient \u00e9galement les repr\u00e9sentants vis-\u00e0-vis des tribus voisines. Avant l\u2019arriv\u00e9e des Europ\u00e9ens, ces tribus \u00e9taient en permanence en guerre les unes contre les autres, sauf pour l\u2019une d\u2019entre elles avec laquelle les Baruya entretenaient des \u00e9changes commerciaux r\u00e9guliers et pacifiques.<\/p>\n\n\n\n Les clans produisaient la plupart de leurs moyens mat\u00e9riels d\u2019existence, mais devaient se procurer aupr\u00e8s des tribus voisines des lames de pierre pour fabriquer leurs outils car sur leur territoire n\u2019existait aucun affleurement de pierres convenables. Ils devaient \u00e9galement se procurer des plumes d\u2019oiseaux de paradis et de casoar pour leurs parures corporelles, ainsi que des coquillages, notamment des cauries, pour la m\u00eame raison. Pour obtenir ces biens, les Baruya produisaient un sel extrait des cendres d\u2019une plante (Coix gigantea K\u0153nig ex Rob<\/em>) qu\u2019ils cultivaient sur de grandes surfaces. Les seuls sp\u00e9cialistes qui existaient alors chez les Baruya \u00e9taient les fabricants de barres de sel.Une vue a\u00e9rienne du territoire des Baruya r\u00e9v\u00e9lait imm\u00e9diatement la structure particuli\u00e8re de l\u2019habitat. Les villages se trouvaient \u00e0 flanc de montagne et construits sur des terrasses cultiv\u00e9es. Ils \u00e9taient compos\u00e9s de trois \u00e9l\u00e9ments. Sur la plus haute terrasse, \u00e0 distance de celle o\u00f9 s\u2019\u00e9talait le village, une ou plusieurs grandes maisons entour\u00e9es de palissades, constituait la kwalanga<\/em>, la maison des hommes. Cet espace \u00e9tait tabou pour les femmes. Tout en bas, pr\u00e8s de la rivi\u00e8re, plusieurs huttes de construction pr\u00e9caire, parce que n\u2019\u00e9tant pas appel\u00e9es \u00e0 durer, \u00e9taient les lieux o\u00f9 les femmes venaient mettre au monde les enfants et s’isoler pendant leurs r\u00e8gles. Cet espace \u00e9tait totalement interdit aux hommes comme constituant un danger permanent pour leur force et leur virilit\u00e9. Entre ces deux p\u00f4les, la maison des hommes et les maisons des femmes, s\u2019\u00e9tendait sur une terrasse interm\u00e9diaire le village. Les habitations des familles \u00e9taient des huttes rondes dont les parois \u00e0 l\u2019origine \u00e9taient faites de plaques d\u2019\u00e9corce d\u2019arbre et recouvertes de chaume. Elles \u00e9taient construites sur pilotis, le plancher \u00e0 quelque 50 cm du sol, pour le s\u00e9parer de l\u2019humidit\u00e9 et du froid du sol. \u00c0 c\u00f4t\u00e9 de chaque habitation, un auvent servait pour \u00e9ventuellement cuisiner mais surtout pour se livrer \u00e0 des activit\u00e9s s\u00e9dentaires en plein air. Au sommet du toit de chaque maison, ainsi qu\u2019au sommet de la maison des hommes, quatre pieux, tourn\u00e9s vers les quatre points cardinaux, \u00e9taient plant\u00e9s et constituaient les \u00ab fleurs du Soleil \u00bb. Ils \u00e9taient destin\u00e9s, dans la pens\u00e9e des Baruya, \u00e0 placer chaque maison sous la protection du Soleil, leur divinit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Entre ces deux p\u00f4les, la maison des hommes et les maisons des femmes, s\u2019\u00e9tendait sur une terrasse interm\u00e9diaire le village.<\/p>Maurice Godelier<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n En p\u00e9n\u00e9trant dans une maison par une entr\u00e9e tr\u00e8s basse, on pouvait observer une division de l\u2019espace habit\u00e9 qui s\u2019expliquait par la m\u00eame opposition entre le haut et le bas, les hommes et les femmes, observ\u00e9e au niveau de l\u2019espace villageois. Au milieu du plancher de chaque maison, en son centre, un foyer de pierres \u00e9tait construit. Seuls les hommes du lignage de l\u2019homme qui habitait cette maison pouvaient le fabriquer. L\u2019espace int\u00e9rieur et circulaire de la maison se trouvait divis\u00e9 en deux sous-espaces que le foyer s\u00e9parait. La partie proche de la porte d\u2019entr\u00e9e \u00e9tait r\u00e9serv\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9pouse ou aux \u00e9pouses de l\u2019homme, ainsi qu\u2019aux filles et aux gar\u00e7ons non initi\u00e9s. L\u2019autre partie de la maison, au-del\u00e0 du foyer, \u00e9tait r\u00e9serv\u00e9e strictement \u00e0 l\u2019homme et aux hommes qui pouvaient venir le visiter. Il \u00e9tait totalement interdit \u00e0 une femme d\u2019enjamber le foyer, pour la raison que son sexe s\u2019ouvrirait au-dessus du feu et polluerait la nourriture cuite pour l\u2019homme. Sur les parois de la maison \u00e9taient accroch\u00e9s dans la partie masculine l\u2019arc et les fl\u00e8ches, les capes d\u2019\u00e9corce de l\u2019homme, ainsi qu\u2019un filet fabriqu\u00e9 par les femmes o\u00f9 chaque homme pla\u00e7ait des objets \u00e0 pouvoir magique qui lui servaient pour la chasse ou pour la guerre. Dans la partie f\u00e9minine, les femmes suspendaient leurs capes d\u2019\u00e9corce, les filets qui leur servaient \u00e0 transporter les b\u00e9b\u00e9s, ainsi que les produits de leurs jardins, patates douces, taros, etc., et leurs b\u00e2tons \u00e0 fouir.<\/p>\n\n\n\n Sous la maison \u00e9taient stock\u00e9es des r\u00e9serves de bois pour alimenter le foyer. Mais au-dessus du foyer, sous le plafond, une petite plateforme servait \u00e0 entreposer les barres de sel et \u00e0 les tenir s\u00e8ches, avant de les \u00e9changer. Autour de chaque maison un petit jardin renfermait surtout des plantes utilis\u00e9es dans les rituels. Toutes les maisons \u00e9taient b\u00e2ties de la m\u00eame fa\u00e7on.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 l\u2019arriv\u00e9e des Europ\u00e9ens, deux changements eurent lieu. Les parois des maisons cess\u00e8rent d\u2019\u00eatre fabriqu\u00e9es en plaques d\u2019\u00e9corce, mais en bambou tress\u00e9 selon une technique pratiqu\u00e9e par les tribus de la c\u00f4te et apprise par les Baruya de soldats qui accompagnaient les officiers australiens. Le deuxi\u00e8me changement fut l\u2019apparition de maisons rectangulaires avec une porte \u00e0 l\u2019imitation des constructions des Europ\u00e9ens \u00e9tablis dans la vall\u00e9e, missionnaires et militaires.<\/p>\n\n\n\n Dans la partie f\u00e9minine, les femmes suspendaient leurs capes d\u2019\u00e9corce, les filets qui leur servaient \u00e0 transporter les b\u00e9b\u00e9s, ainsi que les produits de leurs jardins, patates douces, taros, etc., et leurs b\u00e2tons \u00e0 fouir.<\/p>Maurice Godelier<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Dans les villages o\u00f9 vivait un Baruya capable de fabriquer du sel, on trouvait en bordure du village un four \u00e0 sel. C\u2019\u00e9tait une construction remarquable, un abri long de 5 \u00e0 6 m\u00e8tres qui prot\u00e9geait un four construit en terre et en pierres r\u00e9fractaires et comportant \u00e0 sa surface une douzaine de cavit\u00e9s profondes de 25 cm et longues de 80 cm dans lesquelles les fabricants de sel versaient l\u2019eau charg\u00e9e des cendres des coix <\/em>r\u00e9colt\u00e9s et br\u00fbl\u00e9s et surveillaient la cristallisation du sel pendant plusieurs jours et nuits. Le four \u00e0 sel \u00e9tait tabou pour tous les habitants pendant le temps de l\u2019\u00e9vaporation et de la cristallisation du sel.<\/p>\n\n\n\n Tous les trois ans, dans un lieu situ\u00e9 entre les villages d\u2019une vall\u00e9e, les Baruya construisaient un tr\u00e8s grand \u00e9difice, haut de 20 m et capable d\u2019accueillir plusieurs centaines d\u2019hommes et de gar\u00e7ons. Cet \u00e9difice, appel\u00e9 tsimia<\/em>, \u00e9tait construit pour r\u00e9aliser \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur pendant plusieurs jours et nuits les rites, cach\u00e9s aux femmes, faisant passer les initi\u00e9s d\u2019un stade \u00e0 l\u2019autre. Autour de ce grand \u00e9difice, fabriqu\u00e9 sous le contr\u00f4le du ma\u00eetre des chamans et du repr\u00e9sentant du clan des Baruya qui avait donn\u00e9 son nom \u00e0 toute la tribu, avait \u00e9t\u00e9 nettoy\u00e9e et enclose une vaste aire de danse, appel\u00e9 kwaram\u00e9 kruta<\/em>, c\u2019est-\u00e0-dire \u00ab la barri\u00e8re du halo de la Lune \u00bb. C\u2019est sur cette aire de danse que pendant les nuits des initiations allaient se produire les divers initi\u00e9s, tournant pendant des heures \u00e0 la lumi\u00e8re des torches autour de la tsimia<\/em>. Au-del\u00e0 de la barri\u00e8re cl\u00f4turant cette aire, des centaines de femmes et d\u2019enfants pouvaient contempler pendant des heures leurs maris, leurs fils et leurs fr\u00e8res v\u00eatus de toutes les parures de l\u2019initiation.<\/p>\n\n\n\n Cette grande construction, la tsimia<\/em>, ressemble \u00e0 une vaste cage \u00e0 oiseaux, autour d\u2019un grand poteau central d\u2019une quinzaine de m\u00e8tres de haut. Ce poteau est appel\u00e9 tsimi\u00e9<\/em>, et on le d\u00e9signe comme le \u00ab grand-p\u00e8re \u00bb de la tribu. \u00c0 son fa\u00eete ont \u00e9t\u00e9 plant\u00e9es les quatre fleurs du Soleil entour\u00e9es de branches bourr\u00e9es d\u2019ingr\u00e9dients magiques qui mettent les Baruya en relation avec le Soleil, la Lune, les anc\u00eatres et les esprits des montagnes qui entourent leur village. C\u2019est un clan particulier, les Bakia, qui a la propri\u00e9t\u00e9 de ces magies.<\/p>\n\n\n\n Avant que ne commencent les grandes initiations, les gar\u00e7ons de 9 \u00e0 10 ans, qui vont \u00eatre s\u00e9par\u00e9s de leurs m\u00e8res et des femmes jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e2ge de 20 ans, couchent dans la maison du ma\u00eetre des initiations du premier stade. Pour la dur\u00e9e de leur s\u00e9jour dans cette maison, une large planche est pos\u00e9e entre le sol et l\u2019entr\u00e9e de cette maison et repr\u00e9sente symboliquement les femmes. Les hommes et les jeunes gar\u00e7ons vont pendant deux ou trois jours \u00ab marcher \u00bb sur les femmes marquant ainsi leur sup\u00e9riorit\u00e9 et leur aptitude \u00e0 gouverner la soci\u00e9t\u00e9. Pendant pr\u00e8s de dix ans en effet, les initi\u00e9s vont vivre entre eux et parcourir, \u00e0 mesure qu\u2019ils vieillissent, quatre stades. Le premier dure de 10 \u00e0 12 ans. Les petits gar\u00e7ons sont consid\u00e9r\u00e9s comme appartenant encore en partie au monde des femmes. De 13 \u00e0 15 ans, ils sont habill\u00e9s comme de petits hommes. De 15 \u00e0 18 ans, ils peuvent accompagner les guerriers au combat et de 18 \u00e0 20 ans, ils se pr\u00e9parent au mariage mais ils se sont d\u00e9j\u00e0 r\u00e9v\u00e9l\u00e9s soit comme de futurs chamans, soit comme de futurs grands guerriers, soit tout simplement comme des hommes ordinaires. Les Baruya appellent ceux-ci des \u00ab patates douces \u00bb. Lorsqu\u2019un jeune homme quitte la maison des hommes, il porte comme un signe sur le front une coiffe de plumes blanches d\u2019une vari\u00e9t\u00e9 de perroquet, ainsi que des plumes de casoar noires.<\/p>\n\n\n\n Tous les trois ans, dans un lieu situ\u00e9 entre les villages d\u2019une vall\u00e9e, les Baruya construisaient un tr\u00e8s grand \u00e9difice, haut de 20 m\u00e8tres et capable d\u2019accueillir plusieurs centaines d\u2019hommes et de gar\u00e7ons.<\/p>Maurice Godelier<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les filles sont \u00e9galement initi\u00e9es lorsqu\u2019elles ont leurs premi\u00e8res r\u00e8gles. Les initiations f\u00e9minines ne se font pas tous les trois ans, mais une ou deux fois par an, lorsqu\u2019un certain nombre de jeunes filles appartenant \u00e0 plusieurs villages de la vall\u00e9e ont eu leurs premi\u00e8res r\u00e8gles. Les initiations f\u00e9minines se d\u00e9roulent dans la for\u00eat, loin des hommes et pr\u00e8s de la rivi\u00e8re o\u00f9 iront se baigner les jeunes initi\u00e9es. L\u2019initiation consiste d\u2019abord \u00e0 exposer les jeunes filles \u00e0 la chaleur torride d\u2019un immense brasier entretenu toute la nuit. Les jeunes filles sont cens\u00e9es changer de peau au cours de cette nuit et elles subissent pendant tout ce temps les discours de vieilles femmes, qui ont atteint la m\u00e9nopause, et qui leur crient les devoirs qu\u2019elles devront respecter lorsqu\u2019elles seront mari\u00e9es, tout en les frappant symboliquement avec leurs b\u00e2tons \u00e0 fouir.<\/p>\n\n\n\n Apr\u00e8s les initiations, masculines et f\u00e9minines, aucune trace ne reste des lieux o\u00f9 se sont accomplis les rites les plus importants. La tsimia <\/em>est laiss\u00e9e \u00e0 l\u2019abandon et chacun peut se servir des mat\u00e9riaux qui ont servi \u00e0 la construire, les poteaux, le chaume, etc. Les cendres du brasier auquel les jeunes initi\u00e9es avaient \u00e9t\u00e9 expos\u00e9es sont alors dispers\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n Dernier fait important qui \u00e9claire les repr\u00e9sentations que se font les Baruya de l\u2019espace qui les entoure et de leur territoire. Ce territoire est constitu\u00e9 de quelques sommets et de pentes de montagnes, ainsi que de plusieurs rivi\u00e8res qui les traversent. Ce territoire, les hommes sont cens\u00e9s le d\u00e9fendre les armes \u00e0 la main quand des ennemis l\u2019envahissent, bien que les Baruya eux-m\u00eames aient conquis une partie de ce territoire au d\u00e9triment de leurs voisins. Mais en fait, chaque nuit, selon les Baruya, les esprits des chamans hommes qui vivent dans leurs villages se transforment en oiseaux qui vont se poser au sommet des montagnes \u00e0 la fronti\u00e8re de leur territoire. Les esprits des chamans femmes, eux, se transforment en batraciens, qui vont se poster pr\u00e8s des rivi\u00e8res pour en interdire le franchissement. Car pour les Baruya, comme pour leurs voisins, chaque nuit les esprits des hommes et des femmes endormis peuvent quitter leurs corps et franchir sans le vouloir les fronti\u00e8res du territoire de la tribu. L\u00e0, les chamans des tribus voisines ou des esprits mauvais vivant dans les montagnes peuvent les retenir prisonniers ou les d\u00e9vorer. Les chamans Baruya post\u00e9s en sentinelles sont donc l\u00e0 pour les arr\u00eater et les repousser vers l\u2019int\u00e9rieur du territoire des Baruya. Mais ils sont l\u00e0 aussi pour interdire toute intrusion des esprits des chamans ennemis.<\/p>\n\n\n\n Pour les Baruya, comme pour leurs voisins, chaque nuit les esprits des hommes et des femmes endormis peuvent quitter leurs corps et franchir sans le vouloir les fronti\u00e8res du territoire de la tribu.<\/p>Maurice Godelier<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Les Baruya ne vivaient donc jamais v\u00e9ritablement en paix. Et m\u00eame leur activit\u00e9 quotidienne qui consistait \u00e0 abattre des arbres, ouvrir des jardins, construire de grandes cl\u00f4tures pour prot\u00e9ger ceux-ci des sangliers et autres animaux sauvages, \u00e9tait pour eux une mani\u00e8re de continuer \u00e0 faire la guerre avec leurs ennemis. Car au moment o\u00f9 les grands arbres s\u2019abattaient sur le sol, un rituel collectif accompagnait leur chute. Les Baruya pr\u00e9cipitaient l\u2019esprit de l\u2019arbre abattu chez leurs ennemis pour que des accidents se produisent et entra\u00eenent la mort lorsque ceux-ci allaient eux aussi d\u00e9fricher la for\u00eat et ouvrir leurs jardins. L\u2019agriculture se trouve \u00eatre ainsi une forme de guerre.<\/p>\n\n\n\n En conclusion, l\u2019un des int\u00e9r\u00eats, semble-t-il, de cette description des mani\u00e8res de penser et d\u2019habiter des Baruya avant l\u2019arriv\u00e9e des Europ\u00e9ens est que nous sommes en pr\u00e9sence d\u2019une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 existait une forme d\u2019architecture mais o\u00f9 n\u2019existaient pas d’architectes. Chacun et chacune dans sa jeunesse apprenait de ses a\u00een\u00e9(e)s comment faire une maison, comment en choisir les mat\u00e9riaux, les ajuster, comment rechercher la solidit\u00e9 de l\u2019\u00e9difice, la protection contre le froid, l\u2019\u00e9vacuation de la fum\u00e9e du foyer, etc. Il est probable que ces formes d\u2019architecture sans architectes ont \u00e9t\u00e9 g\u00e9n\u00e9rales \u00e0 l\u2019\u00e9poque n\u00e9olithique avant la naissance des villes, des \u00c9tats et des soci\u00e9t\u00e9s \u00e0 castes, \u00e0 ordres ou classes sociales hi\u00e9rarchis\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n On pourrait donc faire l\u2019hypoth\u00e8se que l\u2019architecture comme invention de formes d\u2019habitat a pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 l’apparition de groupes humains sp\u00e9cialis\u00e9s exclusivement dans la fonction de b\u00e2tir des \u00e9difices. Ces groupes humains ont associ\u00e9 alors architectes et artisans sp\u00e9cialis\u00e9s dans la construction. Ce serait donc au moment o\u00f9 dans certaines r\u00e9gions du monde sont apparus des villes, des temples, des citadelles, que le m\u00e9tier d\u2019architecte a pris naissance et s\u2019est perp\u00e9tu\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 nous. De ce fait pour analyser les formes d’habitat et les espaces habit\u00e9s model\u00e9s par l\u2019homme, qui se sont succ\u00e9d\u00e9 depuis plusieurs mill\u00e9naires avant notre \u00e8re (si l\u2019on se r\u00e9f\u00e8re aux civilisations de Sumer, d\u2019\u00c9gypte ou de la Chine antique, notamment), il faut bien \u00e9videmment associer architectes, arch\u00e9ologues, historiens et les sp\u00e9cialistes des diff\u00e9rents mat\u00e9riaux et techniques utilis\u00e9s pour b\u00e2tir. Pour l\u2019\u00e9poque contemporaine, une approche anthropologique devrait pouvoir s\u2019y ajouter. Quelques anthropologues s\u2019y sont d\u00e9j\u00e0 attel\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Cet article a d\u00e9crit dans les grandes lignes l\u2019habitat et l\u2019espace villageois qui avait \u00e9t\u00e9 produit par les Baruya pour mener leur existence mat\u00e9rielle et sociale. Cela existait encore jusqu\u2019aux ann\u00e9es 1990. Depuis, la vie des Baruya a chang\u00e9 profond\u00e9ment. Ils sont d\u00e9sormais reli\u00e9s au monde ext\u00e9rieur par des pistes d’aviation qu\u2019ils ont eux-m\u00eames construites et o\u00f9 atterrissent les avions des missions protestantes ou des compagnies commerciales qui viennent leur acheter leur caf\u00e9. Les pentes des montagnes sont d\u00e9sormais en partie couvertes par des caf\u00e9iers et dans tous les villages, plusieurs \u00e9difices sont en fait des \u00e9glises ou des lieux de culte construits par les fid\u00e8les des diff\u00e9rentes sectes protestantes am\u00e9ricaines actives d\u00e9sormais dans toute la Nouvelle-Guin\u00e9e. Les Baruya sont tous convertis \u00e0 l\u2019une ou l\u2019autre de ces sectes. Apr\u00e8s avoir abandonn\u00e9 pendant quinze ans les initiations masculines, ils les ont recommenc\u00e9es en en modifiant cependant le contenu et ils sont pour l\u2019instant la seule tribu de la r\u00e9gion \u00e0 l\u2019avoir fait. Ils expliquent qu\u2019il leur faut combiner la force des anc\u00eatres \u00e0 celle de J\u00e9sus et leur slogan est d\u00e9sormais : \u00ab Suivre J\u00e9sus et faire du business \u00bb.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Avant l\u2019arriv\u00e9e des Europ\u00e9ens, chez les Baruya, il existe une forme d\u2019architecture sans pour autant qu’il n’existe d’architectes. Chacune et chacun dans sa jeunesse apprend de ses a\u00een\u00e9(e)s comment faire une maison, comment en choisir les mat\u00e9riaux, les ajuster, comment rechercher la solidit\u00e9 de l\u2019\u00e9difice, la protection contre le froid, l\u2019\u00e9vacuation de la fum\u00e9e du foyer… Avant la naissance des villes, des \u00c9tats et des soci\u00e9t\u00e9s \u00e0 castes, \u00e0 ordres ou classes sociales hi\u00e9rarchis\u00e9es, il est possible que nous ayons travers\u00e9 une \u00e8re d’architecture sans architectes.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":150394,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"templates\/post-studies.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[3173],"tags":[],"geo":[2163],"class_list":["post-149205","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-echelles-habiter","staff-maurice-godelier","geo-monde"],"acf":[],"yoast_head":"\n
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