{"id":148312,"date":"2022-07-08T16:06:42","date_gmt":"2022-07-08T14:06:42","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=148312"},"modified":"2023-09-20T16:13:24","modified_gmt":"2023-09-20T14:13:24","slug":"letat-du-parti-en-pologne","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/07\/08\/letat-du-parti-en-pologne\/","title":{"rendered":"L’\u00c9tat du Parti en Pologne"},"content":{"rendered":"\n
Depuis son succ\u00e8s \u00e9lectoral en 2015, r\u00e9it\u00e9r\u00e9 en 2019, la coalition de droite conservatrice, emmen\u00e9e par le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwo\u015b\u0107<\/em> – PiS)<\/a>, a b\u00e2ti en Pologne un nouveau type de gouvernance de la chose publique, qui est essentiellement marqu\u00e9 par le d\u00e9mant\u00e8lement progressif de l\u2019\u00c9tat de droit. Pour comprendre cette \u00e9volution, il est n\u00e9cessaire d\u2019int\u00e9grer les aspects juridiques dans des consid\u00e9rations plus vastes, en partant du postulat que le droit doit \u00eatre consid\u00e9r\u00e9 comme \u00ab un processus, une entreprise, o\u00f9 les r\u00e8gles n’ont de sens que dans le contexte d’institutions, de proc\u00e9dures, de valeurs et de fa\u00e7ons de penser<\/em> \u00bb <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Nous verrons alors que, loin d\u2019\u00eatre seulement un cas de non-respect d\u2019une telle disposition constitutionnelle ou d\u2019une autre des Trait\u00e9s de l\u2019Union europ\u00e9enne, la crise de l\u2019\u00c9tat de droit en Pologne est symptomatique d\u2019un malaise<\/em> plus profond. Lorsque l\u2019\u00c9tat de droit se fissure, il r\u00e9v\u00e8le une fragilit\u00e9 des interactions au sein d\u2019une communaut\u00e9. Les liens et la confiance se d\u00e9litent, le conflit politique change de forme et de nature.<\/p>\n\n\n\n La nouvelle mani\u00e8re du PiS de gouverner refl\u00e8te autant une tendance autocratique perceptible dans d\u2019autres pays europ\u00e9ens, qu\u2019elle porte en elle l\u2019ombre de d\u00e9mons nationaux. Pierre Buhler en avait r\u00e9sum\u00e9<\/a> les principaux \u00e9l\u00e9ments dans ces colonnes <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Nous voudrions attirer l\u2019attention sur deux de ses traits essentiels. Premi\u00e8rement, le pr\u00e9sident du PiS, Jaros\u0142aw Kaczy\u0144ski, dont la parole est d\u00e9terminante pour les plus importantes orientations politiques du pays, pr\u00e9f\u00e8re se tenir \u00e0 l\u2019\u00e9cart de tout poste au gouvernement. Ce n\u2019est que pour une br\u00e8ve p\u00e9riode (d\u2019octobre 2020 \u00e0 juin 2022) qu\u2019il a tenu le poste de vice-Premier ministre en charge de la s\u00e9curit\u00e9 nationale et de la d\u00e9fense, non parce qu\u2019il le souhaitait, mais pour sauver une coalition gouvernementale vacillante. <\/p>\n\n\n\n Ce fait renforce l\u2019image trouble du pouvoir dans l\u2019\u00c9tat polonais, car la personne qui dirige de facto<\/em> le pays n\u2019assume pas la fonction qui est pr\u00e9vue pour elle par la Constitution. Toutes les plus importantes d\u00e9cisions sont prises au si\u00e8ge du parti (situ\u00e9 dans la d\u00e9sormais c\u00e9l\u00e8bre rue Nowogrodzka), le gouvernement n\u2019\u00e9tant plus qu\u2019une machine<\/em> d\u2019ex\u00e9cution administrative et de propagande. En dissociant ainsi le centre d\u00e9cisionnel de l\u2019architecture institutionnelle <\/strong>de l\u2019\u00c9tat, on est parvenu \u00e0 un trait essentiel que partagent toutes les dictatures, \u00e0 savoir l\u2019irresponsabilit\u00e9 du \u00ab chef<\/em> \u00bb <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n La nouvelle mani\u00e8re du PiS de gouverner refl\u00e8te autant une tendance autocratique perceptible dans d\u2019autres pays europ\u00e9ens, qu\u2019elle porte en elle l\u2019ombre de d\u00e9mons nationaux.<\/p> Deuxi\u00e8mement, la premi\u00e8re loi qu\u2019adopte le nouveau Parlement en 2015 vise imm\u00e9diatement le Tribunal constitutionnel, en amplifiant un probl\u00e8me de constitutionnalit\u00e9 quant \u00e0 la nomination de plusieurs juges initi\u00e9 par la majorit\u00e9 politique pr\u00e9c\u00e9dente <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ce sera le d\u00e9but d\u2019un processus de r\u00e9formes l\u00e9gislatives de la justice qui sera m\u00e9thodique, bien qu\u2019en apparence parfois chaotique. <\/strong>\u00c0 ce jour, plus de 30 lois modifiant le syst\u00e8me judiciaire ont \u00e9t\u00e9 adopt\u00e9es. Certaines d\u2019entre elles ont \u00e9t\u00e9 amend\u00e9es plusieurs fois, parfois dans un intervalle de quelques semaines. Avou\u00e9 \u00e0 demi-mots, le principal objectif est de r\u00e9aliser un remplacement g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 du personnel de la justice. Bilan \u00e0 ce jour : environ 1800 juges et assesseurs ont \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9s de mani\u00e8re juridiquement contestable, plus de 70 pr\u00e9sidents de juridiction ont \u00e9t\u00e9 brusquement r\u00e9voqu\u00e9s et plusieurs juges font aujourd\u2019hui l\u2019objet de poursuites disciplinaires, et m\u00eame p\u00e9nales, pour des propos tenus publiquement, pour la teneur de leur d\u00e9cision judiciaire ou encore pour avoir pos\u00e9 une question (renvoi pr\u00e9judiciel) \u00e0 la Cour de justice de l\u2019Union.<\/p>\n\n\n\n Le trait commun de toutes ces actions est d\u2019\u00e9largir les possibilit\u00e9s pour la majorit\u00e9 au pouvoir de s’ing\u00e9rer politiquement, de mani\u00e8re de plus en plus syst\u00e9matique, dans la composition, les comp\u00e9tences, la gestion et le fonctionnement du pouvoir judiciaire. En cons\u00e9quence, le contr\u00f4le de la l\u00e9galit\u00e9 des actions du pouvoir ex\u00e9cutif et de l\u2019administration est devenu incertain, alors que le Tribunal constitutionnel est devenu un outil parmi d\u2019autres de gouvernance aux mains de la majorit\u00e9 au pouvoir. En attestent les arr\u00eats rendus sur le droit \u00e0 l\u2019avortement ou la (non) compatibilit\u00e9 de la Constitution polonaise avec les Trait\u00e9s de l\u2019Union europ\u00e9enne et la Convention europ\u00e9enne des droits de l’homme. Certains consid\u00e8rent m\u00eame que l\u2019actuelle ing\u00e9rence politique dans les affaires judiciaires est plus importante qu\u2019elle ne l\u2019\u00e9tait sous le r\u00e9gime communiste <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Ces r\u00e9formes provoquent des crises politiques et constitutionnelles \u00e0 r\u00e9p\u00e9titions, ainsi que des tensions r\u00e9guli\u00e8res entre le gouvernement polonais et l\u2019Union, qui ne cesse de chercher depuis 2015 des outils politiques et juridiques pour freiner ce qu\u2019elle consid\u00e8re comme une atteinte \u00e0 une de ses valeurs fondamentales. L\u2019ind\u00e9pendance et l\u2019impartialit\u00e9 des plus hautes cours en Pologne sont directement contest\u00e9es dans des arr\u00eats de la Cour de justice de l\u2019Union europ\u00e9enne et de la Cour europ\u00e9enne des droits de l\u2019homme. Cela pousse certains \u00e0 exprimer ouvertement la possibilit\u00e9 (ou le souhait) d\u2019une sortie de la Pologne de l\u2019Union (Polexit<\/em>) en cas d\u2019\u00e9chec des ultimes moyens de pression, que sont le recours \u00e0 des sanctions budg\u00e9taires et financi\u00e8res, ou la suspension de certains droits du pays, comme ses droits de vote au sein du Conseil de l\u2019Union europ\u00e9enne <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La guerre entam\u00e9e par la F\u00e9d\u00e9ration de Russie en Ukraine n\u2019a pas frein\u00e9 les ardeurs du gouvernement polonais pour poursuivre les changements dans l\u2019administration de la justice <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>, m\u00eame si c\u2019est vers l\u2019Union que Varsovie s\u2019est tourn\u00e9e pour l\u2019aider \u00e0 g\u00e9rer l\u2019afflux de r\u00e9fugi\u00e9s ukrainiens, accueillis en premier lieu par d\u2019innombrables b\u00e9n\u00e9voles.<\/p>\n\n\n\n Ce qui ne cesse de troubler <\/strong>l\u2019esprit, c\u2019est la soudainet\u00e9 et la facilit\u00e9 avec lesquelles l\u2019ordre politique et l\u2019ordre juridique ont \u00e9t\u00e9 renvers\u00e9s, et ce avec l\u2019indiff\u00e9rence (ou le soutien) d\u2019une large part de la soci\u00e9t\u00e9 polonaise. Ce qui s\u2019est tr\u00e8s vite rompu sous nos yeux, c\u2019est le rapport affich\u00e9 des dirigeants et de leurs nombreux sympathisants au respect du droit (national et international) et \u00e0 l\u2019exercice d\u00e9mocratique du pouvoir. La conviction que la transformation politique et juridique avait \u00e9t\u00e9 suffisamment consolid\u00e9e depuis la chute du r\u00e9gime communiste en 1989, en particulier depuis l\u2019adh\u00e9sion en 2004 du pays \u00e0 l\u2019Union europ\u00e9enne et le d\u00e9but d\u2019une p\u00e9riode de d\u00e9veloppement \u00e9conomique et d\u2019avanc\u00e9es sociales sans pr\u00e9c\u00e9dent, s\u2019est av\u00e9r\u00e9e illusoire.<\/p>\n\n\n\n Les \u00e9lans de contestation aux agissements du PiS qui ont travers\u00e9 la Pologne, comme celui contre la r\u00e9forme de la Cour supr\u00eame \u00e0 l\u2019\u00e9t\u00e9 2018 ou en opposition aux nouvelles restrictions \u00e0 l\u2019avortement en 2016 (Gr\u00e8ve des femmes – Strajk Kobiet<\/em>), ont parfois \u00e9t\u00e9 d\u2019une tr\u00e8s grande ampleur. Mais, ils ne se sont pas traduits en une perte notable de popularit\u00e9 du PiS, comme en t\u00e9moignent syst\u00e9matiquement les sondages d\u2019opinion, qui placent encore aujourd\u2019hui le parti en t\u00eate avec environ 30 % d\u2019intention des votes <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019opposition politique, qui reste fragment\u00e9e malgr\u00e9 les tentatives r\u00e9p\u00e9t\u00e9es pour repr\u00e9senter un front uni, n\u2019a pas capitalis\u00e9 sur ces manifestations. Elle reste aussi dans une position probl\u00e9matique, car si elle veut repr\u00e9senter une forme de \u00ab contestation<\/em> totale<\/em> \u00bb au PiS <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>, elle ne peut s\u2019opposer \u00e0 des programmes d\u2019allocation sociale ni soutenir ouvertement les tentatives de l\u2019Union de sanctionner la Pologne.<\/p>\n\n\n\n Ce qui caract\u00e9rise les changements survenus depuis 2015 est le travail esth\u00e9tique continu sur la notion de souverainet\u00e9 et ses implications institutionnelles. Ce travail inscrit le pouvoir dans la verticalit\u00e9 :<\/em> le (\u00ab vrai<\/em> \u00bb) Polonais – homme catholique, h\u00e9t\u00e9rosexuel – se \u00ab rel\u00e8ve de ses genoux<\/em> \u00bb <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span> et se tient enfin fi\u00e8rement debout, dans une revanche avec les adversaires d\u2019hier (nazisme et communisme) et avec ce que le nouveau pouvoir consid\u00e8re comme leurs incarnations contemporaines (une Europe allemande et le nouveau \u00ab fascisme de gauche<\/em> \u00bb <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>). Sur le plan du fonctionnement de l\u2019\u00c9tat, cela se traduit par la mise en place d\u2019un vaste r\u00e9seau de personnes li\u00e9es au PiS, qui sont parsem\u00e9es dans tous les organismes publics : des \u00e9tablissements culturels, comme les mus\u00e9es et th\u00e9\u00e2tres, aux institutions, dont la raison d\u2019\u00eatre est de repr\u00e9senter une forme de contre-pouvoir (Banque Nationale, Bureau Central Anticorruption, Cour des comptes) ou encore les fondations et entreprises publiques. Ce r\u00e9seau est fond\u00e9 sur des liens informels, personnels ou de parent\u00e9, qui permet d\u2019imposer, du sommet vers la base, des d\u00e9cisions en outrepassant les limites habituelles d\u2019un \u00c9tat de droit. Nous pouvons y voir un sch\u00e9ma de pens\u00e9e h\u00e9rit\u00e9 de l’\u00e8re communiste, o\u00f9 l’\u00c9tat (et id\u00e9alement la soci\u00e9t\u00e9 dans son ensemble) est li\u00e9 au parti.<\/p>\n\n\n\n Le r\u00e9seau du PiS est fond\u00e9 sur des liens informels, personnels ou de parent\u00e9, qui permet d\u2019imposer, du sommet vers la base, des d\u00e9cisions en outrepassant les limites habituelles d\u2019un \u00c9tat de droit. On retrouve un sch\u00e9ma de pens\u00e9e h\u00e9rit\u00e9 de l’\u00e8re communiste, o\u00f9 l’\u00c9tat (et id\u00e9alement la soci\u00e9t\u00e9 dans son ensemble) est li\u00e9 au parti.<\/p> Une telle vision de l\u2019exercice du pouvoir d\u00e9coule de la m\u00e9fiance extr\u00eame dont font preuve les acteurs du PiS envers les \u00e9l\u00e9ments<\/em> ext\u00e9rieurs \u00e0 leur r\u00e9seau, tels que les opposants politiques, les juges, les fonctionnaires de m\u00e9tier, le monde acad\u00e9mique, les m\u00e9dias ind\u00e9pendants, les ONG, les institutions internationales. Cette m\u00e9fiance semble trouver sa source dans la conviction que la sph\u00e8re politique (et, plus largement, la vie) est domin\u00e9e par les int\u00e9r\u00eats particuliers. Le danger pos\u00e9 par ces int\u00e9r\u00eats ne r\u00e9sulterait pas seulement de leur nature (politiques, personnels, id\u00e9ologiques, financiers, de privil\u00e8ges), mais surtout de leur propension \u00e0 rester voil\u00e9s, dissimul\u00e9s derri\u00e8re des masques. Ces masques ne pouvant \u00eatre vus, le soup\u00e7on <\/em>de leur existence ne peut \u00eatre qu\u2019omnipr\u00e9sent.<\/p>\n\n\n\n Ainsi, derri\u00e8re son masque de d\u00e9sint\u00e9ressement, un rival politique serait en r\u00e9alit\u00e9 un tra\u00eetre (une des figures de cet \u00ab agent<\/em> \u00bb, qui forme le \u00ab front int\u00e9rieur <\/em> \u00bb, selon les termes de Kaczy\u0144ski <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>), alors que le juge serait propice \u00e0 l\u2019\u00ab oikophobie<\/em> \u00bb (combinaison des termes grecs oikos<\/em> – maison, famille, et phobia<\/em> – peur) <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans les deux cas, ce sont des figures de l\u2019ennemi cach\u00e9, qui incarne des vecteurs d\u2019apologie de syst\u00e8mes de valeurs \u00e9trangers. L\u2019effet provoqu\u00e9 par une telle conviction est que toutes les interactions se caract\u00e9risent par une suspicion et une m\u00e9fiance g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e (nulle coop\u00e9ration ou amiti\u00e9 n\u2019est alors possible). Celui qui adopte une apparence d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9e ne le ferait que par vanit\u00e9, pour r\u00e9pondre au d\u00e9sir d\u2019\u00eatre per\u00e7u comme \u00e9tant d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9 ou pour mieux dissimuler ses v\u00e9ritables motivations <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n Une telle attitude de m\u00e9fiance ne fait que renforcer un \u00ab euroscepticisme<\/em> \u00bb, pour lequel l\u2019approfondissement de l\u2019int\u00e9gration europ\u00e9enne \u00e9quivaut \u00e0 \u00ab une perte de souverainet\u00e9, une liquidation de la d\u00e9mocratie et une menace pour la libert\u00e9<\/em> \u00bb, comme l\u2019a affirm\u00e9 Kaczy\u0144ski aux c\u00f4t\u00e9s du Premier ministre hongrois Viktor Orb\u00e1n et de Marine Le Pen <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Lorsque le Pr\u00e9sident polonais Andrzej Duda qualifie l\u2019Union de \u00ab communaut\u00e9 imaginaire<\/em> \u00bb – sans probablement se rendre compte qu\u2019il emploie un concept c\u00e9l\u00e8bre de Benedict Anderson relatif \u00e0 l\u2019artificialit\u00e9 des nationalismes <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span> -, il r\u00e9sume l\u2019essence m\u00eame de la pens\u00e9e de ces mouvements, pour lesquels l\u2019Union ne peut \u00eatre qu\u2019un agr\u00e9gat de communaut\u00e9s souveraines (au sens de sources uniques de pouvoir politique et de cr\u00e9ation du droit), chacune cherchant pour soi, dans un jeu \u00e0 somme nulle, l\u2019accumulation maximale des b\u00e9n\u00e9fices. Aussi na\u00efve et simpliste cette construction intellectuelle soit-elle <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>, elle signale n\u00e9anmoins un d\u00e9fi r\u00e9el.<\/p>\n\n\n\n Ce qui a commenc\u00e9 \u00e0 se cristalliser avec l\u2019\u00e9chec du projet de trait\u00e9 \u00e9tablissant une constitution pour l\u2019Europe (2005) est le fait que toute tentative de cr\u00e9er une v\u00e9ritable communaut\u00e9 politique \u00e0 partir d\u2019\u00c9tats-nations se heurte in\u00e9vitablement \u00e0 leur \u00e9difice dogmatique, qui est cr\u00e9ateur de diff\u00e9rences et d\u2019identit\u00e9s nationales distinctes. Les \u00c9tats se retrouvent souvent dans l\u2019impossibilit\u00e9 ou dans l\u2019incapacit\u00e9 de d\u00e9construire cet \u00e9difice, afin de l\u2019adapter \u00e0 la construction europ\u00e9enne et au nouveau r\u00e9cit d\u2019identit\u00e9 politique que cela suppose. La peur d\u2019ouvrir la boite de Pandore domine. Dans le cas de la Pologne, cet \u00e9difice maintient dans un \u00e9tat de surinvestissement<\/em> les concepts de souverainet\u00e9 (unitaire), d\u2019\u00c9tat (fort), de nation (ethniquement homog\u00e8ne) et de patriotisme (patriarcale), en leur attachant une dimension messianique et une attitude de victimisation, en partie puis\u00e9es dans le catholicisme <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Un tel surinvestissement<\/em> transpara\u00eet aussi bien dans les discours de Kaczy\u0144ski, que dans les programmes polonais d\u2019enseignement de l\u2019histoire, qui ont toujours \u00e9t\u00e9 ax\u00e9s, \u00e0 des degr\u00e9s divers, sur la martyrologie et l\u2019h\u00e9ro\u00efsme polonais <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>. D\u00e8s le XIX\u00e8me si\u00e8cle, le th\u00e8me de l\u2019ind\u00e9pendance et de l\u2019identit\u00e9 nationale s\u2019est plac\u00e9 au coeur de la vie intellectuelle du pays, essentiellement du fait de la fragilit\u00e9 des processus de formation de l\u2019\u00c9tat et de d\u00e9mocratisation, qui n\u2019ont cess\u00e9 d\u2019\u00eatre interrompus depuis la fin du XVIII\u00e8me si\u00e8cle, notamment du fait de l\u2019interventionnisme militaire et politique des trois empires qui l\u2019entouraient <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En cons\u00e9quence, toute id\u00e9e de transfert ou de partage de souverainet\u00e9 se voit encore aujourd\u2019hui r\u00e9prim\u00e9e. Les principes de l\u2019\u00c9tat de droit, qui ont \u00e9t\u00e9 concurrenc\u00e9s et \u00e9touff\u00e9s par la rh\u00e9torique et l\u2019id\u00e9al patriotiques\/nationalistes, n\u2019ont pu \u00e9merger et s\u2019enraciner comme ailleurs.<\/p>\n\n\n\n Ce sont des figures de l\u2019ennemi cach\u00e9, qui incarne des vecteurs d\u2019apologie de syst\u00e8mes de valeurs \u00e9trangers. L\u2019effet provoqu\u00e9 par une telle conviction est que toutes les interactions se caract\u00e9risent par une suspicion et une m\u00e9fiance g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e.<\/p> Pour comprendre une telle \u00e9volution, il est n\u00e9cessaire de se pencher sur la s\u00e9mantique des cat\u00e9gories fondamentales du discours du PiS, celles qu\u2019on retrouve dans le nom m\u00eame du parti : le droit (prawo<\/em>), la justice (sprawiedliwo\u015b\u0107<\/em>) et leur relation \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 (prawda<\/em>). Le mot russe pravda <\/em>est le plus souvent traduit par v\u00e9rit\u00e9<\/em>, truth<\/em>, Wahrheit<\/em>. Dans les langues slaves, il d\u00e9signe cependant non seulement la v\u00e9rit\u00e9, mais \u00e9galement la justice et la l\u00e9gitimit\u00e9. L\u2019aspect pragmatique est important (la v\u00e9rit\u00e9 en action<\/em>, la v\u00e9rit\u00e9 manifest\u00e9e<\/em>, la justice rendue<\/em>), en faisant de ce terme un imp\u00e9ratif \u00e9thique, qui rentre dans la sph\u00e8re du devoir moral, du devoir-\u00eatre. <\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00e9volution s\u00e9mantique de la pravda<\/em> dans les pays slaves<\/a> n\u2019a pas fait l\u2019objet d\u2019une influence syst\u00e9matique du droit romain, d\u2019o\u00f9 l\u2019absence d\u2019une codification de ses diff\u00e9rents sens dans un r\u00e9seau conceptuel s\u00e9parant les domaines religieux, moraux et juridiques. On continue d\u2019employer ce terme dans des contextes relatifs au serment, au r\u00e8glement, aux lois, au contrat ou au jugement. Mais pas seulement. Les mouvements r\u00e9volutionnaires du XIX\u00e8me si\u00e8cle, l\u2019absolutisme tsariste et les r\u00e9gimes de terreur ont conduit \u00e0 une m\u00e9fiance beaucoup plus radicale envers l\u2019administration publique et l\u2019ordre l\u00e9gal qu\u2019en Occident, ce qui a accentu\u00e9 la signification de pravda<\/em> comme \u00ab parole qui rend justice<\/em> (\u2026), comme tribunal en l\u2019absence de loi, comme l\u00e9gislateur d\u2019une justice alternative<\/em> \u00bb \u00e0 celle qui est institu\u00e9e par l\u2019\u00c9tat <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Il semble que ces dimensions s\u00e9mantiques cach\u00e9es existent encore aujourd\u2019hui in potentia <\/em>et se retrouvent en partie dans le discours id\u00e9ologique moderne. Une telle actualisation de l\u2019identification archa\u00efque v\u00e9rit\u00e9=droit=justice pourrait expliquer la dimension eschatologique dans l\u2019id\u00e9ologie du PiS : seuls le PiS et son chef peuvent sauver la Pologne. Cela explique aussi pourquoi Kaczy\u0144ski peut affirmer que sa \u00ab formation politique (\u2026) veut d\u00e9fendre la d\u00e9mocratie en Pologne, l’\u00c9tat de droit au sens propre du terme, les droits civils<\/em> \u00bb <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/em> Il ne ment pas, mais il emploie ces concepts dans une telle configuration, o\u00f9 ceux-ci acqui\u00e8rent une signification proche de ce qu\u2019un \u00c9tat autoritaire comme la Chine comprend par le d\u00e9veloppement d\u2019\u00ab un \u00c9tat de droit socialiste avec des caract\u00e9ristiques chinoises<\/em> \u00bb. De tels pays se veulent gouvern\u00e9s par<\/em> la loi, dont la l\u00e9gitimit\u00e9 n\u2019est pas fond\u00e9e sur un texte (une constitution, des trait\u00e9s), mais sur un registre performatif d\u2019\u00e9nonciation (celui d\u2019un r\u00e9cit historique, d\u2019un parti), qui seul d\u00e9termine le cadre de ce qui est juste et de ce qui est vrai. L\u2019ordre l\u00e9gal n\u2019est alors qu\u2019un instrument assurant la verticalit\u00e9 du pouvoir et le juge ne peut que se limiter \u00e0 appliquer la loi en faisant preuve d\u2019\u00ab une mentalit\u00e9 servile envers l’\u00c9tat et la nation<\/em> \u00bb, selon les termes de l\u2019un des illustres auteurs des derni\u00e8res r\u00e9formes en Pologne et maintenant juge au Tribunal constitutionnel <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n [Le monde se transforme. Depuis le tout d\u00e9but de l\u2019invasion de la Russie de l\u2019Ukraine, avec nos cartes, nos analyses et nos perspectives nous avons aid\u00e9 presque 2 millions de personnes \u00e0 comprendre les transformations g\u00e9opolitiques de cette s\u00e9quence. Si vous trouvez notre travail utile et vous pensez qu\u2019il m\u00e9rite d\u2019\u00eatre soutenu, vous pouvez vous abonner ici<\/a>.]<\/em><\/p>\n\n\n\n Nous pouvons en conclure que m\u00eame si la culture juridique polonaise a r\u00e9ussi, du moins en partie, \u00e0 adopter les principes de l\u2019\u00c9tat de droit ces trente derni\u00e8res ann\u00e9es, comme en attestent les mots et les actes de nombreux juges, magistrats et avocats qui contestent, au p\u00e9ril de leur carri\u00e8re, les r\u00e9formes entreprises depuis 2015, ces principes semblent n\u00e9anmoins avoir rencontr\u00e9 un sort similaire \u00e0 ceux des droits de l\u2019homme dans la Pologne du XVIII\u00e8me si\u00e8cle <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Comme l\u2019avait r\u00e9sum\u00e9 l\u2019historien polonais Jerzy Jedlicki, \u00ab les id\u00e9es universelles et progressistes, dont le concept des droits de l\u2019homme<\/em> <\/strong>naturels, n\u2019ont pas \u00e9merg\u00e9es en Pologne des profondeurs de la soci\u00e9t\u00e9, mais sont apparues dans un costume aristocratique de cour et ont \u00e9t\u00e9 imm\u00e9diatement adopt\u00e9es comme un produit sophistique \u00e9tranger<\/em> \u00bb <\/span>25<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n L\u2019\u00c9tat de droit a pris la forme d\u2019un tel produit<\/em> et ne s\u2019est pas enracin\u00e9 dans la soci\u00e9t\u00e9 polonaise, car il a \u00e9t\u00e9 frein\u00e9 par un \u00e9difice dogmatique, qui reste domin\u00e9 par la fascination s\u00e9lective du pass\u00e9 et la nostalgie d\u2019une grandeur mythique, o\u00f9 l\u2019exp\u00e9rience historique, surtout celle des combats, est plac\u00e9e comme source unique pour l\u2019ensemble des valeurs et id\u00e9aux sous-tendant la coh\u00e9sion de la nation. Les actions du PiS depuis 2015 n\u2019ont fait finalement que r\u00e9v\u00e9ler au grand jour une relation du pays avec ses \u00ab archives des traumatismes collectifs<\/em> \u00bb <\/span>26<\/sup><\/a><\/span><\/span>, qui vise essentiellement \u00e0 \u00e9viter toute vexation, car cela d\u00e9voilerait la fragilit\u00e9 d\u2019un montage identitaire construit sur la d\u00e9sagr\u00e9gation sociale et ethnique engag\u00e9e au XX\u00e8me si\u00e8cle et la disparition presque <\/em>totale des minorit\u00e9s, dont surtout celle des Juifs (qui repr\u00e9sentaient le tiers de la population urbaine avant la Seconde Guerre mondiale) <\/span>27<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\nUn d\u00e9mant\u00e8lement parfois chaotique, mais m\u00e9thodique<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Jan Krzysztof Kordys<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n\r\n <\/picture>\r\n \n
Se tenir debout face \u00e0 l\u2019adversit\u00e9<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Jan Krzysztof Kordys<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nL\u2019euroscepticisme en d\u00e9fenseur des dogmes nationaux<\/strong> <\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
Jan Krzysztof Kordys<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nUne justice d\u2019\u00c9tat sans v\u00e9rit\u00e9<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
Un montage identitaire impossible \u00e0 maintenir<\/strong><\/h2>\n\n\n\n