{"id":144290,"date":"2022-06-14T18:43:35","date_gmt":"2022-06-14T16:43:35","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=144290"},"modified":"2022-06-23T15:06:29","modified_gmt":"2022-06-23T13:06:29","slug":"extreme-droite-2-0-de-la-normalisation-a-la-lutte-pour-lhegemonie","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/06\/14\/extreme-droite-2-0-de-la-normalisation-a-la-lutte-pour-lhegemonie\/","title":{"rendered":"Extr\u00eame droite 2.0 : de la normalisation \u00e0 la lutte pour l’h\u00e9g\u00e9monie"},"content":{"rendered":"\n

C\u2019est aujourd\u2019hui \u00e9vident : les nouvelles extr\u00eames droites sont l\u00e0 pour rester. Les r\u00e9sultats obtenus par Marine Le Pen \u00e0 l\u2019\u00e9lection pr\u00e9sidentielle montrent sans ambigu\u00eft\u00e9 que pr\u00e8s de la moiti\u00e9 des \u00e9lecteurs fran\u00e7ais consid\u00e8rent la dirigeante du Rassemblement national (RN) comme une option valable pour la pr\u00e9sidence de l’un des pays fondateurs de l’Union europ\u00e9enne. Si le front r\u00e9publicain a permis \u00e0 Emmanuel Macron de rester \u00e0 l’\u00c9lys\u00e9e pour cinq ann\u00e9es suppl\u00e9mentaires, Le Pen a largement r\u00e9ussi \u00e0 se d\u00e9diaboliser, facilit\u00e9e aussi par l’entr\u00e9e en sc\u00e8ne d’\u00c9ric Zemmour<\/a>. Mais il semble na\u00eff que de nombreux analystes et citoyens ne prennent conscience de tout cela que maintenant.<\/p>\n\n\n\n

Comme l’a soulign\u00e9 Cas Mudde, l’extr\u00eame droite s\u2019est normalis\u00e9e depuis longtemps. Selon le politologue hollandais, avec le tournant du mill\u00e9naire, nous sommes entr\u00e9s dans la quatri\u00e8me vague de d\u2019ultradroite marqu\u00e9e pr\u00e9cis\u00e9ment par le ph\u00e9nom\u00e8ne de d\u00e9-marginalisation des nouvelles extr\u00eames droites <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. D’acteurs minoritaires et exclus des institutions ou, du moins, rel\u00e9gu\u00e9s \u00e0 la marge, ces formations sont devenues un acteur politique ancr\u00e9 dans les territoires, pr\u00e9sent dans les parlements et accept\u00e9 par un pourcentage \u00e9lev\u00e9 de la population. Bien s\u00fbr, la Hongrie, o\u00f9 Viktor Orb\u00e1n gouverne depuis douze ans avec des majorit\u00e9s absolues et gouvernera encore quatre ans, et la Pologne, o\u00f9 le PiS est au pouvoir depuis deux mandats, sont les cas les plus embl\u00e9matiques et les plus inqui\u00e9tants, mais l’Europe de l’Est n’est pas la seule. Depuis la fin du si\u00e8cle dernier, les nouvelles extr\u00eames droites ont fait leur entr\u00e9e dans les ex\u00e9cutifs de divers pays d’Europe occidentale. N’oublions pas que le Movimento Sociale Italiano, sur le point de devenir Alleanza Nazionale, a cess\u00e9 d’\u00eatre le polo escluso<\/em> <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span> de la politique transalpine d\u00e8s 1994, lorsqu’il est entr\u00e9 au gouvernement aux c\u00f4t\u00e9s de Forza Italia et de la Lega Nord : au cours des deux d\u00e9cennies suivantes, la pr\u00e9sence des post-fascistes de Fini et d’une Lega Nord de plus en plus radicalis\u00e9e au sein du gouvernement italien, sans parler des nombreuses municipalit\u00e9s et r\u00e9gions qu’ils administraient, a \u00e9t\u00e9 v\u00e9cue avec une certaine \u00ab normalit\u00e9 \u00bb en Italie. De m\u00eame, en 1999, le FP\u00d6 de J\u00f6rg Haider a obtenu 26,9 % des voix et est entr\u00e9 dans un gouvernement de coalition avec les conservateurs en Autriche.<\/p>\n\n\n\n

Ces derniers temps, nous avons assist\u00e9 \u00e0 une acc\u00e9l\u00e9ration de ce ph\u00e9nom\u00e8ne. D’une part, les nouvelles extr\u00eames droites ont pris le pouvoir dans diff\u00e9rents pays : la victoire de Donald Trump aux \u00c9tats-Unis en 2016, la formation de cadres de coalition entre le FP\u00d6 et l’\u00d6VP \u00e0 Vienne et la nouvelle Lega lepenis\u00e9e de Salvini et du Movimento 5 Stelle en Italie<\/a> en 2017 et 2018, respectivement, ou encore la victoire de Bolsonaro au Br\u00e9sil en 2018, sans oublier le ph\u00e9nom\u00e8ne du Brexit au Royaume-Uni. D’autre part, l’avanc\u00e9e \u00e9lectorale de ces formations politiques a \u00e9t\u00e9 g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e : lors des \u00e9lections europ\u00e9ennes de 2019, l’extr\u00eame droite \u00e9tait la premi\u00e8re force dans cinq pays (France, Italie, Royaume-Uni, Pologne, Hongrie) et aujourd’hui, \u00e0 l’exception de l’Irlande et de Malte, elle est repr\u00e9sent\u00e9e dans tous les parlements nationaux du continent, obtenant des pourcentages de voix m\u00eame sup\u00e9rieurs \u00e0 20 %. Ce qui, jusqu\u2019en 2018, \u00e9tait d\u00e9fini comme \u00ab l’exception ib\u00e9rique \u00bb a fondu comme neige au soleil : Chega est d\u00e9j\u00e0 le troisi\u00e8me parti au Portugal<\/a> et Vox est r\u00e9cemment entr\u00e9 pour la premi\u00e8re fois dans un gouvernement r\u00e9gional<\/a>, celui de Castille-et-Le\u00f3n, en coalition avec le Parti populaire. En bref, nous parlons d’un ph\u00e9nom\u00e8ne r\u00e9pandu dans tout le monde occidental qui existe bien depuis longtemps.<\/p>\n\n\n\n

Nouveaux ou anciens membres de l’extr\u00eame-droite ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

L’un des principaux d\u00e9bats concernant les nouvelles extr\u00eames droites est celui de la terminologie, qui est directement li\u00e9 \u00e0 la relation avec le fascisme dans l’entre-deux-guerres. Tant dans les publications universitaires que dans les m\u00e9dias, on assiste \u00e0 une concurrence de d\u00e9finitions diff\u00e9rentes et distantes pour parler de Trump, de Salvini, de Le Pen, d\u2019Orb\u00e1n ou encore d\u2019Abascal : droite radicale, populisme de droite radicale, ultra-droite, extr\u00eame droite, populisme national, post-fascisme, n\u00e9o-fascisme ou m\u00eame fascisme tout court. Il ne s’agit pas, comme on pourrait le croire, d’un d\u00e9bat anodin : il est essentiel de savoir comment appeler les choses pour les comprendre.<\/p>\n\n\n\n

Ma perception est que nous sommes confront\u00e9s \u00e0 deux \u00e9normes obstacles – les concepts de fascisme et de populisme – qui nous emp\u00eachent de trouver une solution satisfaisante \u00e0 cette question. Premi\u00e8rement, les nouvelles extr\u00eames droites sont diff\u00e9rentes du fascisme historique. Comme l’explique Emilio Gentile, le fascisme \u00e9tait un mouvement politique et une id\u00e9ologie qui pr\u00e9sentait une s\u00e9rie de caract\u00e9ristiques que nous ne retrouvons pas dans le trumpisme, la Lega, le Fidesz ou le RN : de l’utilisation de la violence comme outil politique \u00e0 la volont\u00e9 d’instaurer un r\u00e9gime totalitaire \u00e0 parti unique, en passant par le projet d’encadrer les masses dans de grandes organisations ou de se pr\u00e9senter comme une r\u00e9volution paling\u00e9n\u00e9sique visant \u00e0 transformer radicalement la soci\u00e9t\u00e9 et \u00e0 cr\u00e9er de nouveaux hommes<\/a> et femmes <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’\u00e9l\u00e9ments de continuit\u00e9 entre ces exp\u00e9riences et celles d’aujourd’hui : cependant, le fascisme a simplement \u00e9t\u00e9 autre chose. Aujourd’hui, les groupes n\u00e9o-fascistes et n\u00e9o-nazis existent toujours, mais ils sont ultra-minoritaires.<\/p>\n\n\n\n

En bref, la nouvelle extr\u00eame droite a cess\u00e9 de faire le salut romain, de se raser la t\u00eate et de se tatouer des croix gamm\u00e9es sur les bras : elle porte d\u00e9sormais une chemise, une veste et m\u00eame une cravate. Elle s’est rendue plus pr\u00e9sentable. En outre, elle affirme parler le langage des gens ordinaires, rejeter l’\u00e9tiquette de fasciste ou d’extr\u00e9miste et accepter le cadre d\u00e9mocratique. Il s’agit plut\u00f4t d’un aggiornamento<\/em>, c’est-\u00e0-dire d’une mise \u00e0 jour, de l’id\u00e9ologie fasciste qui a commenc\u00e9 au moins entre les ann\u00e9es 60 et 70 du si\u00e8cle dernier. L’une des figures cl\u00e9s est sans doute Alain de Benoist qui, avec le groupe fran\u00e7ais de la Nouvelle Droite, a permis de repenser la culture politique n\u00e9o-fasciste \u00e0 partir d’une relecture d’Antonio Gramsci. L’extr\u00eame droite a d\u00e9cid\u00e9 de mettre de c\u00f4t\u00e9 la lutte pour la conqu\u00eate du pouvoir politique et de se concentrer sur la guerre de position, au sens gramscien, pour obtenir l’h\u00e9g\u00e9monie culturelle. Voil\u00e0 donc de quoi elle est faite.<\/p>\n\n\n\n

Deuxi\u00e8mement, le populisme est peu utile pour d\u00e9finir et comprendre les nouvelles extr\u00eames droites. Au cours des deux derni\u00e8res d\u00e9cennies, des rivi\u00e8res d’encre ont coul\u00e9 sur ce concept, qui est devenu une sorte de fourre-tout pour tout ce qui ne correspond pas aux id\u00e9ologies politiques traditionnelles. Le seul consensus qui a pu \u00eatre atteint concerne pr\u00e9cis\u00e9ment la \u00ab nature prot\u00e9iforme \u00bb du populisme et le fait qu’il s’agisse d’un \u00ab concept essentiellement controvers\u00e9 \u00bb et \u00ab politiquement pol\u00e9mique \u00bb <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il y a ceux qui y voient une id\u00e9ologie, m\u00eame si elle est mince et peut \u00eatre juxtapos\u00e9e \u00e0 d’autres, comme le nationalisme ou le socialisme, et ceux qui y voient une rh\u00e9torique, un style<\/a>, un langage ou une strat\u00e9gie politique <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En l’absence d’un corpus doctrinal, je crois que la seconde interpr\u00e9tation est plus juste. Ajoutez \u00e0 cela le fait que nous vivons dans une phase o\u00f9 le populisme impr\u00e8gne tout. Si Le Pen, M\u00e9lenchon et m\u00eame Macron sont populistes, \u00e0 quoi nous sert ce concept ? C’est plut\u00f4t la marque de l’\u00e9poque dans laquelle nous vivons et nous devrions parler, comme l’ont soulign\u00e9 Marc Lazar et Ilvio Diamanti, de \u00ab peuplecratie \u00bb <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En bref, l’extr\u00eame droite utilise les outils rh\u00e9toriques et linguistiques du populisme, mais le populisme en lui-m\u00eame ne nous aide pas \u00e0 la d\u00e9finir et \u00e0 la comprendre.<\/p>\n\n\n\n

Avec sa d\u00e9finition de la droite radicale, Cas Mudde a r\u00e9ussi \u00e0 surmonter les deux \u00e9cueils d\u00e9j\u00e0 mentionn\u00e9s. Cependant, sa proposition est probl\u00e9matique. D’une part, est-il correct d’utiliser le m\u00eame adjectif – radical – comme s’il existait une sorte de sym\u00e9trie entre les nouvelles formations d’extr\u00eame droite et de gauche telles que Podemos, Syriza ou La France Insoumise ? Personnellement, je pense que c’est une erreur : la gauche radicale, en effet, critique les syst\u00e8mes lib\u00e9raux existants, en se concentrant principalement sur le mod\u00e8le n\u00e9olib\u00e9ral et les questions \u00e9conomiques, et appelle \u00e0 leur r\u00e9forme, mais ne remet pas en cause les acquis d\u00e9mocratiques et les droits garantis par ces m\u00eames syst\u00e8mes. Elle appelle plut\u00f4t \u00e0 un \u00e9largissement et \u00e0 un approfondissement de ces m\u00eames droits, ainsi qu’\u00e0 une r\u00e9duction des in\u00e9galit\u00e9s. Comme le souligne Beatriz Acha Ugarte, \u00ab peut-on concevoir une d\u00e9mocratie non pluraliste ? Peut-on qualifier de d\u00e9mocratiques \u2013 bien que non dans leur \u00ab version lib\u00e9rale \u00bb – des forces qui, dans leur traitement de \u00ab l’autre \u00bb (immigr\u00e9, \u00e9tranger), m\u00e9prisent le principe d\u00e9mocratique d’\u00e9galit\u00e9 ? \u00bb Et elle ajoute : \u00ab on ne peut pas rejeter la d\u00e9mocratie lib\u00e9rale sans rejeter aussi, d’une mani\u00e8re ou d’une autre, la d\u00e9mocratie \u00bb, il faut donc \u00eatre \u00ab prudent quant \u00e0 [les] consid\u00e9rer comme des formations d\u00e9mocratiques, car elles d\u00e9fendent une id\u00e9ologie de l’exclusion<\/em> qui est incompatible m\u00eame avec [la] version simplement proc\u00e9durale \u00bb de la d\u00e9mocratie <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Extr\u00eame droite 2.0, une macro-cat\u00e9gorie d\u00e9clin\u00e9e au pluriel<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Sur la base de ces consid\u00e9rations, j’ai propos\u00e9 la d\u00e9finition, l\u00e9g\u00e8rement provocatrice si l’on veut, d\u2019extr\u00eame droite 2.0. <\/em><\/p>\n\n\n\n

Avec ce concept, je veux souligner non seulement que Trump, Salvini et Le Pen sont un ph\u00e9nom\u00e8ne diff\u00e9rent du fascisme historique avec des \u00e9l\u00e9ments radicalement nouveaux par rapport au pass\u00e9, mais aussi que les nouvelles technologies ont jou\u00e9 un r\u00f4le crucial dans la mont\u00e9e de ces formations politiques. Je voudrais \u00e9galement souligner l’utilit\u00e9 d’une macro-cat\u00e9gorie dans laquelle nous pouvons inclure toutes ces formations politiques car, au-del\u00e0 de certaines divergences, il y a plus de choses qu’elles partagent tant en termes de r\u00e9f\u00e9rences id\u00e9ologiques qu’en termes de strat\u00e9gies politiques et de communication.<\/p>\n\n\n\n

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Cette d\u00e9finition inclurait les partis politiques membres des groupes Identit\u00e9 et D\u00e9mocratie (ID) et Conservateurs et R\u00e9formistes europ\u00e9ens (CRE) au Parlement europ\u00e9en, ainsi que le Fidesz hongrois, r\u00e9cemment exclu du Parti populaire europ\u00e9en (PPE). Elle comprendrait \u00e9galement les mouvements identitaires qui \u00e9voluent dans le m\u00eame sens et les ph\u00e9nom\u00e8nes sui generis<\/em> tels que le trumpisme, le bolsonarisme ou le Likoud de Benjamin Netanyahu en Isra\u00ebl. Il s’agit d’une macro-cat\u00e9gorie qui n’inclut cependant pas les partis de la droite traditionnelle – g\u00e9n\u00e9ralement membres du PPE – bien que dans certains cas, comme les Tories britanniques ou le PP en Espagne, on observe un processus plus ou moins marqu\u00e9 de nationalisme d’ultra-droite, c’est-\u00e0-dire ce que Roger Eatwell et Matthew Goodwin appellent le \u00ab populisme national l\u00e9ger \u00bb <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il en va de m\u00eame pour les partis ou mouvements politiques tels que Amenecer Dorado, CasaPound Italia ou Hogar Social Madrid, ainsi que pour les organisations et associations telles que Combat 18, Lealt\u00e0 e Azione ou d’autres groupes qui participent \u00e0 des r\u00e9seaux transnationaux tels que Blood & Honour, qui, en raison de leurs liens id\u00e9ologiques directs avec le fascisme de l’entre-deux-guerres et de leur utilisation de la violence comme outil essentiel de leur strat\u00e9gie politique, peuvent \u00eatre d\u00e9finis comme n\u00e9ofascistes ou n\u00e9onazis. Les gouvernements et les mouvements politiques dirig\u00e9s par Duterte aux Philippines, Modi en Inde ou Erdo\u011fan en Turquie n’entreraient pas non plus dans cette cat\u00e9gorie, car ils sont le r\u00e9sultat d’exp\u00e9riences issues de cultures et de contextes politiques tr\u00e8s diff\u00e9rents de ceux de l’Occident : Duterte, Modi et Erdo\u011fan, ainsi que Poutine, r\u00e9pondent davantage \u00e0 la vague autoritaire mondiale et vont au-del\u00e0 d’une d\u00e9finition telle que celle d\u2019extr\u00eame droite 2.0. <\/em>Pour ces cas, on pourrait parler d’autoritarisme comp\u00e9titif<\/em>, pour reprendre la formule invent\u00e9e par Steven Levitsky et Lucan Way, c’est-\u00e0-dire des r\u00e9gimes qui se fondent sur l’utilisation p\u00e9riodique d’\u00e9lections formellement libres, mais dont la mise en \u0153uvre est incorrecte <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Toutes les formations de l’extr\u00eame droite 2.0 <\/em>ont un minimum de d\u00e9nominateurs communs, c’est-\u00e0-dire des r\u00e9f\u00e9rences id\u00e9ologiques communes. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer un nationalisme, un identitarisme ou un nativisme marqu\u00e9s, la r\u00e9cup\u00e9ration de la souverainet\u00e9 nationale, une critique profonde du multilat\u00e9ralisme – et, en Europe, un haut degr\u00e9 d’euroscepticisme -, la d\u00e9fense des valeurs conservatrices, la d\u00e9fense de la loi et de l’ordre, l’islamophobie, la condamnation de l’immigration comme \u00ab invasion \u00bb, la critique du multiculturalisme et des soci\u00e9t\u00e9s ouvertes, l’anti-intellectualisme et la distanciation formelle par rapport aux exp\u00e9riences pass\u00e9es du fascisme. Il existe \u00e9galement d’autres \u00e9l\u00e9ments communs : un tacticisme exacerb\u00e9 dans le but de fixer l’agenda m\u00e9diatique, la capacit\u00e9 d’utiliser les nouvelles technologies et les r\u00e9seaux sociaux pour viraliser leurs messages, profiler les donn\u00e9es des citoyens et polariser davantage la soci\u00e9t\u00e9 avec les guerres culturelles, et le d\u00e9sir de se pr\u00e9senter comme des transgresseurs et des rebelles contre un syst\u00e8me suppos\u00e9 h\u00e9g\u00e9monique de la gauche qui aurait \u00e9tabli une dictature progressiste ou politiquement correcte. Cette derni\u00e8re caract\u00e9ristique est particuli\u00e8rement int\u00e9ressante et nous la voyons plastiquement repr\u00e9sent\u00e9e dans des figures comme l’influenceur trumpiste Milo Yiannopoulos ou l’\u00e9conomiste pal\u00e9olibertaire argentin Javier Milei, qui rompent avec l’image classique de ce que nous consid\u00e9rions comme des repr\u00e9sentants de l’extr\u00eame droite traditionnelle. Les nouveaux extr\u00e9mistes de droite ne sont pas seulement devenus plus \u00ab pr\u00e9sentables \u00bb, mais tentent de s’approprier des banni\u00e8res progressistes et de gauche – pensons au concept de libert\u00e9 ou \u00e0 des ph\u00e9nom\u00e8nes tels que l’homonationalisme ou l’\u00e9co-fascisme – \u00e0 un moment historique marqu\u00e9 par le confusionnisme id\u00e9ologique <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En outre, toutes ces formations politiques partagent les m\u00eames objectifs. En premier lieu, ultra-droitiser le d\u00e9bat public, c’est-\u00e0-dire d\u00e9placer la fen\u00eatre d’Overton en rendant acceptables des discours et des r\u00e9cits qui ne l’\u00e9taient pas il y a encore quelques ann\u00e9es. Deuxi\u00e8mement, arriver au pouvoir afin d’\u00e9tablir une d\u00e9mocratie illib\u00e9rale selon le mod\u00e8le d’Orb\u00e1n. Aujourd’hui, la Hongrie n’est pas une d\u00e9mocratie \u00e0 part enti\u00e8re, mais un r\u00e9gime hybride qui \u00e9volue progressivement vers l’autoritarisme <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Cependant, il existe \u00e9galement des diff\u00e9rences et des divergences entre ces formations politiques, allant du programme \u00e9conomique – il y a ceux qui, comme Vox ou Chega, sont ultra-lib\u00e9raux et ceux qui, comme Le Pen, d\u00e9fendent le dit Welfare Chauvinism<\/em>, les valeurs – en Europe du Sud et de l’Est, la position est beaucoup plus ultra-conservatrice que l’extr\u00eame droite des Pays-Bas ou de la Scandinavie, un peu plus ouverte sur des questions telles que les droits de la communaut\u00e9 LGTBI et l’avortement – ou la g\u00e9opolitique o\u00f9, comme nous l’avons vu ces derniers mois, il existe des partis russophiles et d’autres qui sont atlantistes. Peut-\u00eatre devrions-nous d\u00e9cliner le concept d’extr\u00eame droite 2.0 <\/em>au <\/em>pluriel et parler d’extr\u00eames droites 2.0 <\/em> : pour paraphraser l’historien Ricardo Chueca, qui a \u00e9tudi\u00e9 la Phalange pendant le r\u00e9gime franquiste, chaque pays donne vie \u00e0 l’extr\u00eame droite dont il a besoin. Et on peut ajouter que chaque extr\u00eame droite est le fruit des cultures politiques existant dans chaque contexte national. D’o\u00f9 leurs particularit\u00e9s, qui ne les emp\u00eachent pas d’\u00eatre consid\u00e9r\u00e9es comme faisant partie d’une grande famille mondiale, puisqu’il existe \u00e9galement des r\u00e9seaux transnationaux qui \u0153uvrent au renforcement des liens existants, \u00e0 l’\u00e9laboration d’un programme commun et au financement de ces partis politiques <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Vers une lutte pour l’h\u00e9g\u00e9monie dans l’espace de l’extr\u00eame-droite ?<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Aujourd’hui, il est clair que l’extr\u00eame droite a atteint le premier objectif : elle s’est normalis\u00e9e et d\u00e9marginalis\u00e9e, elle a au moins partiellement gagn\u00e9 la bataille culturelle et elle ultra-droitise le d\u00e9bat public. C’est d\u00e9j\u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 dans tous les pays occidentaux. La question maintenant n’est pas tant de savoir s’ils voudront faire \u00e9voluer les pays o\u00f9 ils gouvernent ou gouverneront vers des syst\u00e8mes d\u00e9mocratiques illib\u00e9raux – ils le feront d\u00e8s qu’ils le pourront, plus ou moins vite, avec plus ou moins de difficult\u00e9s – mais de savoir si une lutte pour l’h\u00e9g\u00e9monie dans l’espace d’extr\u00eame droite a commenc\u00e9 et quelles en seront les cons\u00e9quences <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans diff\u00e9rents pays, en effet, nous avons vu comment les principaux partis d’extr\u00eame droite ont vu \u00e9merger des concurrents dans leur propre espace politique et id\u00e9ologique. Le cas fran\u00e7ais est peut-\u00eatre le plus r\u00e9cent et, bien que Le Pen ait gagn\u00e9 le premier tour contre Zemmour, la guerre n’est peut-\u00eatre pas termin\u00e9e. Un ph\u00e9nom\u00e8ne similaire se produit \u00e9galement aux Pays-Bas, o\u00f9 l’h\u00e9g\u00e9monie du Partij voor de Vrijheid de Geert Wilders est contest\u00e9e par le Forum voor Democratie de Thierry Baudet, et au Danemark, avec l’entr\u00e9e en sc\u00e8ne de Nye Borgerlige de Pernille Vermund et de Stram Kurs de Rasmus Paludan, qui exercent une pression de droite sur le Dansk Folkeparti. Le cas le plus embl\u00e9matique est toutefois celui de l’Italie, o\u00f9 la Lega de Salvini est engag\u00e9e dans un match de judo avec la formation Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni depuis quelques ann\u00e9es maintenant, les deux partis se disputant l\u2019avantage autour de la barre de 20 %.<\/p>\n\n\n\n

Cette question rev\u00eat \u00e9galement une dimension europ\u00e9enne et internationale. La guerre en Ukraine a encore mis \u00e0 mal les fragiles \u00e9quilibres entre les diff\u00e9rents partis de la grande famille de l’extr\u00eame droite. Salvini tente depuis des ann\u00e9es de lancer une OPA sur les Conservateurs et R\u00e9formistes europ\u00e9ens que les Polonais du PiS et de Fratelli d’Italia rejettent cat\u00e9goriquement. Le d\u00e9part d’Orb\u00e1n du PPE a m\u00e9lang\u00e9 les cartes, et maintenant la Lega et le Fidesz ont annonc\u00e9 un accord pour cr\u00e9er un nouveau parti europ\u00e9en qui veut cannibaliser le Parti populaire. L’affaire peut se conclure simplement par l’incorporation de Fidesz dans Identit\u00e9 et D\u00e9mocratie et une tentative de lifting pour suivre l’exemple de Le Pen dans le processus de d\u00e9diabolisation vis-\u00e0-vis de l’opinion publique, ou elle peut se transformer en un tremblement de terre, conduisant \u00e0 la cr\u00e9ation d’un parti d’extr\u00eame droite europ\u00e9en unique. Il semble que Kaczy\u0144ski et Meloni n’y soient pas favorables – leurs relations avec Orb\u00e1n, \u00e9galement dues \u00e0 la position pro-Poutine du premier ministre hongrois, se sont consid\u00e9rablement refroidies – mais Vox pourrait se joindre \u00e0 l’initiative. Les leaders du noyau dur d’Abascal, membre d’ECR, \u00e9taient \u00e0 Budapest pour c\u00e9l\u00e9brer la victoire d’Orb\u00e1n le 3 avril et ont accompagn\u00e9 Le Pen \u00e0 son quartier g\u00e9n\u00e9ral le soir du second tour des \u00e9lections pr\u00e9sidentielles fran\u00e7aises. En bref, le jeu est ouvert et peut r\u00e9server des surprises.<\/p>\n\n\n\n

Un dernier \u00e9l\u00e9ment vient s\u2019ajouter \u00e0 tout cela : les partis traditionnels de droite sont le maillon faible des syst\u00e8mes politiques en Europe. Ils traversent une crise majeure et ne savent pas comment faire face \u00e0 l’\u00e9mergence d’un concurrent \u00e0 leur droite. Si en Allemagne, la CDU a maintenu un cordon sanitaire contre Alternative f\u00fcr Deutschland, dans d’autres pays, la droite, qui se d\u00e9finit comme d\u00e9mocratique et qui a \u00e9t\u00e9 l’un des piliers de la construction de l’Union europ\u00e9enne, s’est alli\u00e9e \u00e0 l’extr\u00eame droite et a adopt\u00e9 une grande partie de son discours. Il faut donc ajouter cet \u00e9l\u00e9ment \u00e0 l’\u00e9quation, qui pourrait avoir des cons\u00e9quences majeures dans un avenir proche. En un mot, si l’extr\u00eame droite parvient \u00e0 surmonter ses divergences et \u00e0 s’unifier ou du moins \u00e0 collaborer, tout en attirant la droite traditionnelle dans son camp, le sc\u00e9nario le plus probable est celui d’une orbanisation des diff\u00e9rents pays et m\u00eame de l’Union europ\u00e9enne. Ne perdons pas de vue qu’il y a trente ans, le Premier ministre hongrois \u00e9tait un lib\u00e9ral et qu’\u00e0 la fin des ann\u00e9es 1980, il a re\u00e7u une bourse de la fondation de Georges Soros<\/a>.<\/p>\n\n\n\n

D\u00e9passons donc une bonne fois pour toutes l’\u00e9tonnement na\u00eff devant les r\u00e9sultats obtenus par les extr\u00eames droites 2.0 <\/em>\u00e0 chaque \u00e9lection et prenons pour acquis leur processus de normalisation et l’ultra-droitisation du d\u00e9bat public. Il est maintenant temps de se concentrer davantage sur l’\u00e9tude de ce ph\u00e9nom\u00e8ne, de comprendre ses caract\u00e9ristiques in\u00e9dites et les raisons de son essor et, en tant que citoyens attach\u00e9s aux valeurs d\u00e9mocratiques, de travailler \u00e0 r\u00e9soudre la crise \u00e0 plusieurs niveaux dont souffre la d\u00e9mocratie lib\u00e9rale et pluraliste.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

C’est un fait  : les nouvelles extr\u00eames droites sont l\u00e0 pour rester. Au point qu’elles n’auront bient\u00f4t plus rien de nouveau. 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