{"id":14166,"date":"2019-03-14T09:44:20","date_gmt":"2019-03-14T08:44:20","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/?p=14166"},"modified":"2019-04-07T06:26:14","modified_gmt":"2019-04-07T04:26:14","slug":"vingt-ans-de-leuro-10-points-sur-le-succes-dune-etude-fallacieuse","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2019\/03\/14\/vingt-ans-de-leuro-10-points-sur-le-succes-dune-etude-fallacieuse\/","title":{"rendered":"Vingt ans de l’euro : 10 points sur le succ\u00e8s d’une \u00e9tude fallacieuse"},"content":{"rendered":"\n
Publi\u00e9e le 25 f\u00e9vrier 2019 \u00e0 l\u2019occasion du vingti\u00e8me anniversaire de la monnaie unique, l\u2019\u00e9tude du CEP (Center for European Policy<\/em>) visait \u00e0 r\u00e9pondre \u00e0 l\u2019une des rares questions qui d\u00e9cha\u00eenent en g\u00e9n\u00e9ral les foules au sujet de l\u2019Union europ\u00e9enne : l\u2019euro nous a-t-il \u00e9t\u00e9 b\u00e9n\u00e9fique ? Le think tank<\/em> allemand se propose d\u2019estimer les effets de l\u2019introduction de l\u2019euro sur la prosp\u00e9rit\u00e9 et la croissance des \u00c9tats membres de la zone euro, en comparant un hypoth\u00e9tique cas sans euro \u00e0 la situation actuelle.<\/p>\n\n\n\n Les auteurs d\u00e9ploient alors un palmar\u00e8s. Seuls l\u2019Allemagne, les Pays-Bas et (tr\u00e8s l\u00e9g\u00e8rement) la Gr\u00e8ce seraient sortis vainqueurs de l\u2019euro vingt ans plus tard. Au contraire, depuis 1999, chaque Fran\u00e7ais aurait perdu 55 996 euros et chaque Italien 73 605, notamment en raison de l\u2019impossibilit\u00e9 de r\u00e9tablir la comp\u00e9titivit\u00e9 des \u00e9conomies fran\u00e7aise et italienne par la d\u00e9valuation de la monnaie nationale. \tPour g\u00e9n\u00e9rer de telles projections aux allures de scandale, l\u2019organisme a recours \u00e0 une m\u00e9thode d\u2019\u00e9valuation dite de contr\u00f4le synth\u00e9tique, dont l\u2019utilisation dans ce contexte se r\u00e9v\u00e8le tr\u00e8s d\u00e9licate, comme nous essaierons de le montrer. En effet, les auteurs ne semblent pas conscients des biais possibles et ne font rien qui puisse les \u00e9liminer. Notre propre r\u00e9plication de cette \u00e9tude montre que les \u00e9valuations du CEP sont statistiquement non significatives, tandis qu\u2019un article scientifique publi\u00e9 dans l\u2019European Economic Review<\/em> en 2018, employant les m\u00eames donn\u00e9es et les m\u00eames m\u00e9thodes, mais en prenant cette fois toutes les pr\u00e9cautions statistiques d\u2019usage, contredit assez largement l\u2019\u00e9tude du think tank allemand. Un tel \u00e9cart interroge \u00e9videmment sur la bonne foi des auteurs du CEP. Enfin, en dehors de ses extrapolations douteuses, le CEP exploite son analyse statistique bien au del\u00e0 de ce qu\u2019on peut lui faire dire pour avancer des propositions de politique \u00e9conomique plus influenc\u00e9es par un agenda politique que par des arguments objectifs de d\u00e9bat \u00e9conomique. C\u2019est en cela un exemple int\u00e9ressant de manipulation de l\u2019outil statistique \u00e0 des fins id\u00e9ologiques, une forme assez \u00e9labor\u00e9e de \u00ab fausse nouvelle \u00bb.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est peut \u00eatre cette ad\u00e9quation trop parfaite d\u2019une \u00e9tude pr\u00e9tendue objective aux agenda politiques de certains qui explique l\u2019\u00e9cho remarquable qu\u2019elle a re\u00e7u dans la presse et la twittosph\u00e8re fran\u00e7aises. Apr\u00e8s sa publication le 25 f\u00e9vrier, les conclusions de l\u2019\u00e9tude ont en effet \u00e9t\u00e9 largement reprises telles quelles par la presse g\u00e9n\u00e9raliste, sans mention d\u2019aucun doute m\u00e9thodologique. En France, c\u2019\u00e9tait le cas surtout \u00e0 partir du 27 f\u00e9vrier, par exemple dans Le Figaro<\/em><\/a>, Atlantico<\/em><\/a>, Valeurs actuelles<\/em><\/a>, et <\/em>Ouest France<\/em><\/a>. L\u2019\u00e9tude a \u00e9galement \u00e9t\u00e9 largement diffus\u00e9e dans les r\u00e9seaux favorables au \u00ab Frexit \u00bb, notamment dans les rangs de l\u2019UPR.<\/p>\n\n\n\n Rapidement, de nombreux \u00e9conomistes en Europe ont critiqu\u00e9, sur les r\u00e9seaux sociaux ou dans des articles, la m\u00e9thode de l\u2019\u00e9tude qui, utilis\u00e9e sans les pr\u00e9cautions et v\u00e9rifications d\u2019usage, aboutissait \u00e0 des r\u00e9sultats sans valeur. En Allemagne, l\u2019un des \u00e9conomistes les plus respect\u00e9s du pays, Clemens Fuest, a condamn\u00e9 l\u2019\u00e9tude aussit\u00f4t parue, de m\u00eame que le Welt<\/em><\/a> par exemple. Ce fut \u00e9galement le cas de l\u2019Italien Alessandro Martinello<\/a> sur le site Strade ou des Fran\u00e7ais Alexandre Delaigue<\/a> et Pierre Aldama<\/a> sur Twitter. Le GEG est \u00e9galement intervenu<\/a> pour remettre en cause la m\u00e9thode de l\u2019\u00e9tude.<\/p>\n\n\n\n T\u00e9moignage des transferts difficiles mais existants entre le monde de la recherche et le grand public, ces critiques ont alors progressivement \u00e9t\u00e9 int\u00e9gr\u00e9es aux media <\/em>g\u00e9n\u00e9ralistes eux-m\u00eames. Le Point<\/em><\/a> et La Croix<\/em><\/a> par exemple ont soulign\u00e9 d\u00e8s le 28 f\u00e9vrier le peu de cr\u00e9dit \u00e0 accorder \u00e0 cette \u00e9tude non rigoureuse. Le GEG a \u00e9galement abond\u00e9 dans le m\u00eame sens sur Europe 1<\/em><\/a> et dans 20 minutes<\/em><\/a>. Le 1er mars, le d\u00e9partement de v\u00e9rification de l\u2019information Check News<\/em> de Lib\u00e9ration<\/em><\/a> a \u00e9galement s\u00e9v\u00e8rement critiqu\u00e9 l\u2019\u00e9tude du CEP. L\u2019organisme qui a r\u00e9ussi ce coup m\u00e9diatique \u00e9tait jusqu\u2019ici pourtant tr\u00e8s peu connu en France. Le Center for European Policy<\/em> (Centrum f\u00fcr Europ\u00e4ische Politik<\/em>) est un think tank<\/em> allemand fond\u00e9 \u00e0 Fribourg, relativement peu connu outre-Rhin, qui s\u2019est surtout illustr\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent pour ses positions (ultra)lib\u00e9rales tranch\u00e9es, par exemple en d\u00e9fendant la publicit\u00e9 pour le tabac ou en s\u2019\u00e9levant contre la taxation des transactions financi\u00e8res. Le CEP a \u00e9t\u00e9 fond\u00e9 en 2006 par la fondation Stiftung Ordnungspolitik<\/em>. Il s\u2019agissait de prolonger les id\u00e9es de l\u2019\u00c9cole de Fribourg, initiatrice de la pens\u00e9e ordolib\u00e9rale, qui a rassembl\u00e9 dans ses rangs des personnalit\u00e9s comme Walter Eucken, Friedrich Hayek, Ludwig Erhard ou d\u2019autres proches du parti FDP. Il a re\u00e7u le soutien du r\u00e9seau \u00ab Atlas \u00bb, association cr\u00e9\u00e9e par les libertariens \u00e9tats-uniens et financ\u00e9e par des acteurs tels que Philip Morris, ExxonMobil ou les fr\u00e8res Koch. Il appartient \u00e9galement au \u00ab r\u00e9seau de Stockholm \u00bb, lui-m\u00eame financ\u00e9 en partie par le think tank<\/em> libertarien \u00e9tasunien Cato Institute<\/em> et encore par les fr\u00e8res Koch.<\/p>\n\n\n\n Si les personnalit\u00e9s allemandes se r\u00e9clamant aujourd\u2019hui de l\u2019ordolib\u00e9ralisme sont loin de prendre syst\u00e9matiquement position contre l\u2019euro (en t\u00e9moigne par exemple le programme europ\u00e9en du FDP<\/a>), elles tendent \u00e0 s\u2019opposer \u00e0 toute \u00ab union de transfert \u00bb et \u00e0 toute mutualisation des dettes publiques, en insistant sur la responsabilit\u00e9 des pays du Sud et la n\u00e9cessit\u00e9 de r\u00e9formes favorables aux affaires. <\/p>\n\n\n\n Toutefois, le retour au Bundestag du FDP en 2017 s\u2019est accompagn\u00e9 d\u2019un durcissement consid\u00e9rable des positions du parti lib\u00e9ral. Emmen\u00e9s par le jeune et charismatique Christian Lindner, les lib\u00e9raux allemands sont relativement distants vis-\u00e0-vis d\u2019En Marche<\/em><\/a>. Il est vrai que la politique de taux bas men\u00e9e par la BCE depuis la crise a conduit \u00e0 une marginalisation, dans les faits, de l\u2019ancien dogme mon\u00e9taire allemand, suscitant l\u2019ire de quelques \u00e9conomistes m\u00e9diatiques, au premier rang desquels Hans Werner Sinn (connu pour ses sorties sur l\u2019affaire des soldes TARGET2) <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> et Bernd Lucke (co-fondateur de l\u2019Alternative pour l\u2019Allemagne, \u00e0 l\u2019origine comme parti lib\u00e9ral-conservateur et anti-euro). <\/p>\n\n\n\n C\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment du milieu des \u00e9conomistes ordolib\u00e9raux que l\u2019AfD avait \u00e9merg\u00e9 en 2012-2013 comme parti anti-euro, avant d\u2019investir la th\u00e9matique des migrants \u00e0 partir de 2015. Cette \u00e9tude d\u2019un modeste think tank <\/em>lib\u00e9ral et son \u00e9cho rencontr\u00e9 outre-Rhin r\u00e9v\u00e8lent donc la perm\u00e9abilit\u00e9 de la droite lib\u00e9rale allemande \u00e0 un discours hostile \u00e0 l\u2019int\u00e9gration europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n Les auteurs de l\u2019\u00e9tude du CEP justifient l\u2019int\u00e9r\u00eat de leur d\u00e9marche, face aux \u00e9ventuelles critiques m\u00e9thodologiques, en arguant du manque d\u2019\u00e9tudes sur le sujet. \u00c0 les croire, ils seraient les premiers \u00e0 proposer une analyse des co\u00fbts et gains de la monnaie unique. <\/p>\n\n\n\n Cette affirmation se r\u00e9v\u00e8le \u00e0 l\u2019examen mensong\u00e8re : il existe en fait abondance d\u2019articles scientifiques ayant propos\u00e9 des mesures de l\u2019effet de l\u2019euro sur le PIB des \u00c9tats de la zone et ayant trouv\u00e9 des r\u00e9sultats bien moins spectaculaires que le think tank <\/em>allemand, m\u00eame s\u2019ils pointent en g\u00e9n\u00e9ral que l\u2019appartenance \u00e0 la monnaie unique a rendu plus difficile la reprise dans le sud de l\u2019Europe pendant les ann\u00e9es 2012-2013.<\/p>\n\n\n\n Parmi cette litt\u00e9rature, deux \u00e9tudes au moins ont employ\u00e9 la m\u00eame m\u00e9thodologie dite de \u00ab contr\u00f4le synth\u00e9tique \u00bb que le think tank <\/em>allemand : il s\u2019agit du livre de Manass\u00e9 et co-auteurs (2013) et de l\u2019article de Puzzello et Gomis-Porqueras publi\u00e9 dans l\u2019European Economic Review<\/em> en 2018. Ces deux travaux divergent fortement des conclusions du CEP. Manass\u00e9 et ses co-auteurs trouvent que l\u2019euro a \u00e9t\u00e9 \u00e9galement nuisible \u00e0 l\u2019Allemagne et \u00e0 l\u2019Italie (avant 2012), tandis que Puzzello et Gomis-Porqueras \u00e0 l\u2019aide des m\u00eames donn\u00e9es que le CEP, trouvent que chaque \u00c9tat-membre examin\u00e9 a perdu \u00e0 l\u2019introduction de l\u2019euro, mis \u00e0 part l\u2019Irlande qui en aurait fortement profit\u00e9, et les Pays-Bas pour qui le r\u00e9sultat est neutre. Les pertes de l\u2019Allemagne dans cette \u00e9tude sont au m\u00eame niveau que celles de la France.<\/p>\n\n\n\n Comment comprendre de tels d\u00e9calages entre deux \u00e9tudes men\u00e9es sur les m\u00eames donn\u00e9es, avec la m\u00eame m\u00e9thode ? Pour ce faire, il faut se pencher sur la m\u00e9thodologie employ\u00e9e. Celle-ci s\u2019av\u00e8re particuli\u00e8rement sensible \u00e0 la qualit\u00e9 de sa mise en \u0153uvre.<\/p>\n\n\n\n La m\u00e9thode de contr\u00f4le synth\u00e9tique a connu un succ\u00e8s retentissant dans les sciences sociales depuis l\u2019article fondateur d\u2019Abadie et Gardeazabal (2003) <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span> <\/span>puis d\u2019Abadie et coauteurs (2010) <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Aujourd\u2019hui, comme l\u2019\u00e9tude du CEP l\u2019a d\u00e9montr\u00e9, elle est tr\u00e8s largement utilis\u00e9e m\u00eame en dehors du monde de la recherche du fait de son op\u00e9rabilit\u00e9 : on peut, arm\u00e9 de donn\u00e9es macro\u00e9conomiques accessibles \u00e0 tous, tenter d\u2019estimer l\u2019effet causal d\u2019un choc \u00e9conomique de son choix en simulant la situation o\u00f9 ce choc n\u2019aurait pas eu lieu. Comme la plupart des m\u00e9thodes d\u2019\u00e9valuation statistique, elle repose sur une hypoth\u00e8se tr\u00e8s simple : l\u2019effet d\u2019un choc, d\u2019une nouvelle politique \u00e9conomique par exemple, sur une variable donn\u00e9e (typiquement le PIB par habitant), c\u2019est la diff\u00e9rence entre l\u2019\u00e9volution observ\u00e9e de cette variable et l\u2019\u00e9volution qu\u2019elle aurait eue en l\u2019absence de ce choc, qu\u2019on nomme \u00ab contrefactuelle \u00bb.<\/p>\n\n\n\n \u00c9valuer un traitement, c\u2019est donc avant tout construire un contrefactuel. Pour un biologiste par exemple, il sera ainsi tr\u00e8s facile de donner en laboratoire un traitement \u00e0 1000 souris et un placebo \u00e0 1000 autres. Le contrefactuel sera l\u2019\u00e9volution de la sant\u00e9 du groupe placebo (ou groupe de contr\u00f4le). Mais les macro\u00e9conomistes n\u2019ont pas ce luxe : on ne peut pas distribuer les politiques comme des m\u00e9dicaments ni puiser dans une source quasi infinie de pays-patients. D\u00e8s lors, comparer deux pays de but en blanc ne peut se faire que de mauvaise foi.<\/p>\n\n\n\n \u00c0 ce probl\u00e8me, la m\u00e9thode de contr\u00f4le synth\u00e9tique apporte une solution tr\u00e8s ing\u00e9nieuse : simuler l\u2019\u00e9volution de pays de contr\u00f4le \u00ab id\u00e9aux \u00bb \u00e0 partir de la combinaison de plusieurs pays r\u00e9els. Autrement dit, cr\u00e9er un contr\u00f4le \u00ab synth\u00e9tique \u00bb qui repr\u00e9sentera ce qui serait arriv\u00e9 \u00e0 un pays donn\u00e9 en l\u2019absence de telle ou telle politique, \u00e0 partir de la moyenne pond\u00e9r\u00e9e d\u2019autres pays n\u2019ayant pas v\u00e9cu cette politique. La pond\u00e9ration est choisie par un algorithme pour minimiser la distance entre le pays \u00ab virtuel \u00bb et son \u00e9quivalent r\u00e9el, sur les ann\u00e9es pr\u00e9c\u00e9dant l\u2019introduction de la politique \u00e0 \u00e9valuer.<\/p>\n\n\n\n Le succ\u00e8s de cette m\u00e9thode aupr\u00e8s du grand public est assez compr\u00e9hensible. Il s\u2019agit finalement d\u2019une mani\u00e8re sophistiqu\u00e9e d\u2019effectuer ces comparaisons deux \u00e0 deux entre pays qui nous viennent spontan\u00e9ment \u00e0 l\u2019id\u00e9e quand on veut comparer des politiques \u00e9conomiques. Mais cette compr\u00e9hension \u00ab na\u00efve \u00bb de la m\u00e9thode de contr\u00f4les synth\u00e9tiques ne doit pas faire oublier qu\u2019il s\u2019agit avant tout d\u2019une approche statistique qui, comme les sondages par exemple, est probabiliste et doit s\u2018appr\u00e9cier en consid\u00e9rant sa marge d\u2019erreur. Ce point crucial est totalement absent de l\u2019\u00e9tude du CEP. Utiliser une m\u00e9thode statistique sans pouvoir juger de sa pr\u00e9cision expose \u00e0 la surinterpr\u00e9tation : si l\u2019on arrive \u00e0 encha\u00eener 3 lancers de d\u00e9s parfaits apr\u00e8s avoir trouv\u00e9 un tr\u00e8fle \u00e0 quatre feuilles, ce n\u2019est pas forc\u00e9ment gr\u00e2ce au tr\u00e8fle. <\/p>\n\n\n\n Le probl\u00e8me majeur de la m\u00e9thode de contr\u00f4le synth\u00e9tique est justement qu\u2019il est tr\u00e8s difficile d\u2019y estimer cette marge d\u2019erreur : la d\u00e9viation entre le pays d\u2019\u00e9tude et son contr\u00f4le synth\u00e9tique est-elle al\u00e9atoire, li\u00e9e au choix des pays qui composent le contr\u00f4le, ou bien r\u00e9ellement due au choc ? Abadie et co-auteurs (2010) <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span> <\/span>ont bien propos\u00e9 une m\u00e9thode d\u2019estimation de la marge d\u2019erreur, quoique leur approche ait \u00e9t\u00e9 critiqu\u00e9e encore r\u00e9cemment <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/span> Et surtout, elle n\u2019a m\u00eame pas \u00e9t\u00e9 mise en place dans l\u2019\u00e9tude du CEP. <\/p>\n\n\n\n Or, en l\u2019absence de tests de ce genre, la m\u00e9thode de contr\u00f4le synth\u00e9tique s\u2019av\u00e8re remarquablement peu robuste : l\u2019effet mesur\u00e9 peut varier de mani\u00e8re dramatique en fonction du choix des pays auxquels on se compare. Toute la validit\u00e9 de la m\u00e9thode, comme on va le voir, r\u00e9side dans le choix du panier \u00e0 partir duquel l\u2019algorithme choisit les pays qui feront partie du contr\u00f4le. Ils doivent \u00eatre \u00e0 la fois assez diff\u00e9rents \u2013 il faut qu\u2019ils n\u2019aient pas subi la politique incrimin\u00e9e, ici l\u2019introduction de l\u2019euro \u2013 et assez similaires \u2013 puisque leur \u00e9conomie doit se comporter de mani\u00e8re proche de celle du pays concern\u00e9. Dans le cas de l\u2019\u00e9tude du CEP, il s\u2019agit de trouver des pays non membres de la zone euro mais \u00e0 la structure industrielle relativement proche de celle des membres, et n\u2019ayant pas subi d\u2019important choc ext\u00e9rieur pendant les ann\u00e9es consid\u00e9r\u00e9es. On voit d\u00e9j\u00e0 ici la difficult\u00e9 de trouver de bons candidats.<\/p>\n\n\n\n Or les groupes de contr\u00f4le construits par le CEP sont particuli\u00e8rement peu cr\u00e9dibles. Un exemple suffit \u00e0 le montrer : dans l\u2019annexe du rapport, les auteurs pr\u00e9cisent que la \u00ab France synth\u00e9tique \u00bb qu\u2019ils ont construite est constitu\u00e9e de deux pays seulement : 55,4 % de l\u2019Australie et de 44,6 % du Royaume-Uni. La raison de ce choix est bien s\u00fbr qu\u2019avant l\u2019introduction de l\u2019euro, l\u2019\u00e9volution du PIB fran\u00e7ais \u00ab ressemblait \u00bb \u00e0 une moyenne de l\u2019\u00e9volution du PIB australien et du pays britannique. Les coefficients 55,4 % et 44,6 % sont choisis par un algorithme pour maximiser cette ressemblance. Le CEP conclut que la France a perdu \u00e0 \u00eatre dans l\u2019euro. Le Royaume-Uni et l\u2019Australie ont en effet connu de meilleures performances macro\u00e9conomiques que la France depuis 2000. Mais cela ne suffit pas \u00e0 prouver que l\u2019euro est en cause.<\/p>\n\n\n\n En effet, pour le Royaume-Uni, membre du March\u00e9 unique, ne pas rejoindre l\u2019euro \u00e9tait une d\u00e9cision politique, qu\u2019on peut difficilement d\u00e9corr\u00e9ler des politiques impl\u00e9ment\u00e9es outre-Manche au cours des ann\u00e9es qui suivirent. Le Royaume-Uni a pendant les deux d\u00e9cennies suivantes calibr\u00e9 ses politiques \u00e9conomiques en r\u00e9action \u00e0 celles men\u00e9es dans la zone euro pour se comporter en \u00ab passager clandestin \u00bb de la monnaie unique. C\u2019est donc un contr\u00f4le tr\u00e8s contestable.<\/p>\n\n\n\n Mais plus contestable encore est le cas de l\u2019Australie. Si elle n\u2019a pas connu de r\u00e9cession \u00e0 la suite de la crise financi\u00e8re mondiale, c\u2019est pour des raisons bien ind\u00e9pendantes de sa non appartenance \u00e0 l\u2019euro, notamment l\u2019essor de l\u2019export vers la Chine de mati\u00e8res premi\u00e8res dans les ann\u00e9es 2000, qui lui fait b\u00e9n\u00e9ficier indirectement du plan de relance chinois de 2008. On pouvait peut \u00eatre penser dans les ann\u00e9es 1990 que l\u2019Australie, pays d\u00e9velopp\u00e9 mais \u00e9loign\u00e9 de la zone euro, \u00e9tait un contr\u00f4le convenable, mais tout a chang\u00e9 avec le d\u00e9veloppement de ses liens avec la Chine. Sur cet exemple ou sur d\u2019autres, les auteurs du CEP ne justifient jamais la composition des paniers de pays \u00e0 partir desquels sont construits les contr\u00f4les synth\u00e9tiques. Simple raccourci dans une \u00e9tude grand public ? Non car parmi ces paniers se trouvent des pays qu\u2019une analyse prudente exclurait plut\u00f4t des contr\u00f4les : certains \u00c9tats-membres du March\u00e9 commun sans \u00eatre membres de l\u2019euro (Royaume-Uni, Danemark, Su\u00e8de), certains \u00c9tats ayant subi un changement important pendant la p\u00e9riode (Australie) ou au contraire des pays en voie de d\u00e9veloppement dont la composition sectorielle et l\u2019int\u00e9gration aux cycles macro\u00e9conomiques mondiaux n\u2019ont rien \u00e0 voir avec celles des membres de la zone euro (Gabon !).<\/p>\n\n\n\n Comment \u00eatre convaincu, en l\u2019absence d\u2019explications sur ce choix, que la Gr\u00e8ce sans l’euro aurait ressembl\u00e9 \u00e0 un m\u00e9lange de 42,4 % de la Barbade (300 000 \u00e2mes), 17,1 % d\u2019Isra\u00ebl (qui a connu plusieurs conflits dans l\u2019intervalle) et 40,4 % de la Nouvelle-Z\u00e9lande (qui a profond\u00e9ment d\u00e9r\u00e9gul\u00e9 son \u00e9conomie dans les ann\u00e9es 1980 au contraire de la Gr\u00e8ce) ? Ou encore que le Bahre\u00efn (p\u00e9tromonarchie dont le PIB par habitant est pr\u00eat de deux fois inf\u00e9rieur \u00e0 celui de l\u2019Allemagne et dont l\u2019\u00e9conomie d\u00e9pend essentiellement des cours du p\u00e9trole) et la Barbade (pays insulaire de 300 000 habitants) servent \u00e0 simuler l\u2019\u00e9volution du PIB d\u2019une puissance industrielle et exportatrice comme l\u2019Allemagne. Mais apr\u00e8s tout, il faut bien choisir un panier de pays de contr\u00f4le, alors pourquoi pas ceux choisis par le CEP ? Parce que c\u2019est un coup de d\u00e9s, et qu\u2019il faut s\u2019assurer que les r\u00e9sultats trouv\u00e9s ne sont pas le fait de la chance\u2026 ou d\u2019un choix d\u00e9lib\u00e9r\u00e9 d\u00fb au biais de confirmation. <\/p>\n\n\n\n Pour ce faire, un analyste prudent construit d\u2019autres paniers de pays dont les r\u00e9sultats peuvent \u00eatre compar\u00e9s \u00e0 ceux obtenus avec le premier. Si de nombreux contr\u00f4les plausibles donnent des r\u00e9sultats proches, on peut de mani\u00e8re cr\u00e9dible penser que l\u2019effet qu\u2019on observe n\u2019est pas un coup de chance, mais une v\u00e9ritable r\u00e9gularit\u00e9 statistique. Mais le CEP ne nous donne \u00e0 voir qu\u2019un seul groupe de contr\u00f4le, choisi de mani\u00e8re discr\u00e9tionnaire ! Le GEG | \u00c9conomie a donc essay\u00e9 de faire ce que les auteurs du think tank<\/em> allemand ne font pas, et en reprenant sa m\u00e9thodologie et ses donn\u00e9es, de construire d\u2019autres paniers potentiels pour voir s\u2019ils confirment les r\u00e9sultats du CEP. Le constat est cruel : la plupart des paniers potentiels aboutissent \u00e0 des r\u00e9sultats inverses<\/p>\n\n\n\n Voici donc les r\u00e9sultats du CEP pour l\u2019Allemagne, qui sugg\u00e8rent un avantage \u00e0 l\u2019introduction de l\u2019euro, reproduits par nos soins.<\/p>\n\n\n\n En modifiant le groupe de contr\u00f4le (Bahre\u00efn, Suisse, Japon remplac\u00e9s par Royaume-Uni, \u00c9tats-Unis et Singapour), on obtient un r\u00e9sultat inverse. Notons que le Royaume-Uni et Singapour font partie de l\u2019\u00e9chantillon retenu par le CEP pour ses comparaisons, et que les \u00c9tats-Unis sont utilis\u00e9s dans l\u2019\u00e9tude de Puzzello et Gomis-Porqueras : ce choix de groupe de contr\u00f4le n\u2019est donc pas, a priori<\/em>, ni meilleur ni moins bon que celui propos\u00e9 par le CEP. Notons qu\u2019on observe le m\u00eame genre de d\u00e9viations avec d\u2019autres changements, m\u00eame plus mineurs, dans le groupe de contr\u00f4le, comme ceux mis en avant par Alessandro Martinello<\/a>. Pr\u00e9tendons-nous pour autant avoir prouv\u00e9 que l\u2019Allemagne aurait \u00ab perdu \u00bb \u00e0 introduire l\u2019euro ? Non, bien s\u00fbr. Mais l\u2019exemple pr\u00e9c\u00e9dent montre assez clairement qu\u2019il est possible, en choisissant l\u2019un ou l\u2019autre groupe de contr\u00f4le, de parvenir \u00e0 des conclusions oppos\u00e9es entre elles. La m\u00e9thode adopt\u00e9e manque donc de robustesse. Pire, elle peut \u00eatre facilement manipul\u00e9e.
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<\/p>\n\n\n\n2 – Une \u00e9tude qui a connu un \u00e9cho remarquable en France
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<\/p>\n\n\n\n3 – De quoi le CEP est il le nom ? <\/h3>\n\n\n\n
<\/p>\n\n\n\n4 – Une \u00e9tude contredite par au moins deux articles scientifiques
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<\/figcaption><\/figure>\n\n\n\n
<\/p>\n\n\n\n5 – Une m\u00e9thode aux r\u00e9sultats impressionnants\u2026 mais peu fiables ?
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<\/p>\n\n\n\n6 – La question des groupes de contr\u00f4le
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<\/p>\n\n\n\n7 – Des r\u00e9sultats bien peu robustes
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