{"id":140481,"date":"2022-05-18T17:48:43","date_gmt":"2022-05-18T15:48:43","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=140481"},"modified":"2022-05-18T18:11:40","modified_gmt":"2022-05-18T16:11:40","slug":"se-rend-on-bien-compte-que-larme-de-destruction-massive-de-la-fin-du-xxe-siecle-a-ete-la-machette-une-conversation-avec-frederic-encel","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/05\/18\/se-rend-on-bien-compte-que-larme-de-destruction-massive-de-la-fin-du-xxe-siecle-a-ete-la-machette-une-conversation-avec-frederic-encel\/","title":{"rendered":"\u00ab L\u2019arme de destruction massive de la fin du XXe\u00a0si\u00e8cle a \u00e9t\u00e9 la machette \u00bb, une conversation avec Fr\u00e9d\u00e9ric Encel"},"content":{"rendered":"\n
La puissance, c\u2019est d’abord <\/strong>la souverainet\u00e9. La capacit\u00e9 d\u2019agir de mani\u00e8re souveraine, que ce soit par la coercition ou par la diplomatie, sans \u00eatre contrecarr\u00e9 par une autre puissance plus importante. Autrement dit, la puissance est un moyen, pas une fin en soi. En Europe, la puissance a \u00e9t\u00e9 \u00e0 tort consid\u00e9r\u00e9e pendant plusieurs d\u00e9cennies comme intrins\u00e8quement n\u00e9gative. Or la puissance, comme n\u2019importe quelle autre chose, peut \u00eatre utilis\u00e9e \u00e0 des fins positives comme \u00e0 des fins n\u00e9gatives sur le plan moral. C\u2019est le syndrome du couteau : on peut l’utiliser de plusieurs fa\u00e7ons. Il est donc n\u00e9cessaire de sortir de cette ineptie illustr\u00e9e par un Fukuyama et d\u2019autres dans les ann\u00e9es 1990 consistant \u00e0 penser que l\u2019histoire \u00e9tait termin\u00e9e, qu\u2019il y avait un dernier homme et que cet homme ne ferait pas la guerre parce qu\u2019il ne serait plus un id\u00e9ologue. C\u2019est un ir\u00e9nisme dangereux qui n\u2019a jamais pour effet que d\u2019aiguiser l\u2019app\u00e9tit de ceux pour qui la puissance est un moyen d\u2019imposer leur volont\u00e9, y compris par la violence.<\/p>\n\n\n\n J\u2019aime \u00e0 citer le po\u00e8te Pierre Reverdy selon qui il n\u2019y a pas d\u2019amour mais seulement des preuves d\u2019amour. Il en va de m\u00eame pour la puissance : il n\u2019y a pas de puissance, seulement des preuves de puissance, des crit\u00e8res, des param\u00e8tres, des traductions pr\u00e9cises. C\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce que j\u2019essaie d\u2019\u00e9tablir dans cet ouvrage. S\u2019agissant de la question que vous soulevez, je tente une hi\u00e9rarchie dans la nature de la puissance. J\u2019essaie de comprendre quelle nature de puissance est la plus consid\u00e9rable et la plus efficace entre celle des \u00c9tats et celle des autres acteurs que peuvent d\u2019ailleurs incarner aussi des acteurs politiques comme les villes, les r\u00e9gions ou les \u00c9tats f\u00e9d\u00e9r\u00e9s, des \u00ab infra \u00bb-\u00c9tats en quelque sorte. Je pense qu\u2019on peut constater que depuis au moins les trait\u00e9s de Westphalie de 1648, l\u2019\u00c9tat a le plus souvent \u00e9t\u00e9, reste aujourd\u2019hui et, je le crois, demeurera le plus puissant des acteurs. La nature de la puissance des \u00c9tats est plus consid\u00e9rable que celle des autres acteurs. L\u2019\u00c9tat faible est faible d\u2019\u00eatre faible et non d\u2019\u00eatre \u00e9tatique. Consid\u00e9rer des \u00c9tats comme faibles en mettant en regard leur PIB et la valorisation boursi\u00e8re des GAFA n\u2019a pas de ce sens car on compare alors ce qui n\u2019est pas comparable.<\/p>\n\n\n\n Je n\u2019aurai \u00e9videmment pas la pr\u00e9tention de faire de mon livre un mode d\u2019emploi \u00e0 l\u2019\u00e9gard des chefs d\u2019\u00c9tat. J\u2019essaye d\u2019\u00e9tablir les conditions sine qua non de la mont\u00e9e en puissance si tant est qu\u2019il y ait la volont\u00e9 de l\u2019exprimer. Dans mon introduction, j\u2019\u00e9voque cette ambivalence sonore entre les \u00ab voies \u00bb et les \u00ab voix \u00bb de la puissance. Lorsqu\u2019on d\u00e9cide en amont d’obtenir de la puissance, alors en aval on d\u00e9ploie des strat\u00e9gies pour y parvenir. Avant d\u2019emprunter les voies de la puissance, on commence par donner de la voix. Le seul contre-exemple r\u00e9cent <\/strong>est celui des \u00c9tats-Unis d\u2019Am\u00e9rique entre 1920 et 1941 : tous les param\u00e8tres de la puissance qu\u2019elle soit g\u00e9ographique \u2013 cette fameuse insularit\u00e9 strat\u00e9gique \u2013, d\u00e9mographique, soci\u00e9tale, ing\u00e9ni\u00e9riale, financi\u00e8re, \u00e9nerg\u00e9tique, agricole et industrielle sont au vert, et pourtant on d\u00e9cide de ne pas assumer cette puissance. Il faut tout ce que je d\u00e9cris dans mon ouvrage pour pr\u00e9tendre \u00e0 la puissance. S\u2019il manque une g\u00e9ographie ou une d\u00e9mographie pr\u00e9sentant un seuil ou une masse critiques permettant de jouer un r\u00f4le d\u2019acteur au moins au niveau r\u00e9gional, s\u2019il n\u2019y pas de valorisation du savoir, il manquera toujours l\u2019un des \u00e9l\u00e9ments constitutifs de la puissance. Certains acteurs sont donc plus que d\u2019autres susceptibles d\u2019incarner de grandes puissances globales et j\u2019essaie de pr\u00e9senter les crit\u00e8res qui permettent de l\u2019affirmer.<\/p>\n\n\n\n Absolument. Prenons le cas fameux de la pr\u00e9tendue \u00ab quatri\u00e8me arm\u00e9e du monde \u00bb assise sur la troisi\u00e8me r\u00e9serve de p\u00e9trole mondiale, je pense bien \u00e9videmment \u00e0 l\u2019Irak de Saddam Hussein, dictateur ubuesque qui allait \u00e0 lui seul \u00e9craser toute possibilit\u00e9 de mont\u00e9e en puissance de son pays. La coh\u00e9sion interne d\u00e9faillante de l\u2019Irak ne lui permettait pas d\u2019incarner ce qu\u2019on pr\u00e9tendait \u00e0 l\u2019\u00e9poque qu\u2019il fut, \u00e0 savoir la puissance.<\/p>\n\n\n\n Kennedy a invent\u00e9 l\u2019absence d\u2019\u00e9ternit\u00e9 ! Tout organisme nait, se d\u00e9veloppe et p\u00e9riclite. Et il en est de m\u00eame pour les institutions, donc pour les \u00c9tats. Soit. Mais pour aller plus loin, et je vous rejoins sur ce point d\u2019avantage que M. Kennedy, on peut jeter un \u0153il sur le si\u00e8cle pass\u00e9. L\u2019une des cartes de mon ouvrage pr\u00e9sente les grandes puissances d\u2019il y a 150 ans et celles d\u2019aujourd\u2019hui : on est frapp\u00e9 par un continuum fond\u00e9 sur une masse critique, une valorisation du savoir. La Russie tsariste, les \u00c9tats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l\u2019Allemagne d\u2019apr\u00e8s Bismarck et le Japon d\u2019apr\u00e8s Meiji, sont demeur\u00e9s aux premiers rangs des puissances malgr\u00e9 bien des soubresauts dans l\u2019histoire de chacun de ces pays. Il n\u2019y a que l\u2019Inde, \u00e0 l\u2019\u00e9poque colonie britannique, qui fait exception. Il y a donc bien une continuit\u00e9, En partie. Je rends gr\u00e2ce \u00e0 ce grand penseur des relations internationales qu\u2019est Bertrand Badie de nous avoir ouvert les yeux sur la puissance montante de nouveaux acteurs pas n\u00e9cessairement institutionnels. Je pense notamment \u00e0 ces \u00ab inter-socialit\u00e9s \u00bb, pour reprendre le titre d\u2019un de ses derniers ouvrages en date dans lequel il montre que les opinions publiques, et en leur sein <\/strong>ce qu\u2019il appelle les \u00ab entrepreneurs de violence \u00bb, jouent un r\u00f4le beaucoup plus important qu\u2019autrefois. Un r\u00f4le d\u00e9doubl\u00e9 par la force des nouveaux m\u00e9dias et des r\u00e9seaux sociaux. Cela dit, l\u2019id\u00e9e d\u2019impuissance de la puissance \u00e9tatique ne me convainc qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9 car \u00e0 la fin des fins, en 2020, ce sont bel et bien les fusils et surtout les drones azerba\u00efdjanais qui ont \u00e9cras\u00e9 les forces arm\u00e9niennes alors m\u00eame que les relais d\u2019opinion arm\u00e9niens dans le monde, y compris aux \u00c9tats-Unis et en Europe, \u00e9taient infiniment plus consid\u00e9rables que les relais d\u2019opinion az\u00e9ris. Voyez \u00e9galement l\u2019exemple de l\u2019intervention militaire brutale de la Russie en Ukraine : le fait est qu\u2019en toute souverainet\u00e9, Poutine a pu mener \u00e0 bien cette intervention, qui donnera ce qu\u2019elle donnera, mais sans risquer sur le plan militaire d\u2019\u00eatre repouss\u00e9, sans se soucier de la r\u00e9action des opinions publiques. La mont\u00e9e en puissance d\u2019autres acteurs que les \u00c9tats, notamment les acteurs sociaux, ne constitue qu\u2019une variable explicative des relations internationales. Une variable, mais pas la constante, qui pour moi demeure la puissance militaire <\/strong>des \u00c9tats. <\/p>\n\n\n\n C\u2019en est m\u00eame un exemple chimiquement pur. Sur cette question centrale des illusions de la puissance, j\u2019ai l\u2019habitude de prendre pour exemple la guerre du Kippour de 1973 dont les premiers jours de grande difficult\u00e9 isra\u00e9lienne ont d\u00e9montr\u00e9 que depuis la guerre des Six Jours, les Isra\u00e9liens avaient fini par n\u00e9gliger la menace arabe. <\/strong>Cela a failli leur co\u00fbter extr\u00eamement cher. Je prends \u00e9galement souvent l\u2019exemple arm\u00e9nien ; <\/strong>on a \u00e9galement assist\u00e9 \u00e0 une m\u00e9sestimation qui s\u2019est av\u00e9r\u00e9e irresponsable de la d\u00e9termination revanchiste et de la modernisation de la force militaire de l\u2019Azerba\u00efdjan. S\u2019agissant de l\u2019Ukraine, manifestement, Vladimir Poutine a m\u00e9sestim\u00e9 la profondeur de la conscience nationale ukrainienne et donc la r\u00e9sistance de la population, y compris russophone. Il a pris les Ukrainiens non pour des imb\u00e9ciles, mais, de mani\u00e8re infantilisante, pour des petits fr\u00e8res cens\u00e9s \u00eatre au pire passifs et au mieux tout \u00e0 fait attendris par le \u00ab retour \u00bb du grand fr\u00e8re face \u00e0 l\u2019Occident d\u00e9cadent. Par ailleurs, il a pris les Europ\u00e9ens et les Occidentaux en g\u00e9n\u00e9ral pour incapables de r\u00e9agir, m\u00eame par des sanctions \u00e9conomiques et financi\u00e8res. Il a aussi m\u00e9sestim\u00e9 la g\u00eane de la Chine qui a toujours d\u00e9fendu mordicus le principe du respect de la sacro-sainte souverainet\u00e9 des \u00c9tats, et l\u2019Ukraine en est un. Sur le plan \u00e9conomique, la Chine est \u00e9galement atteinte car l\u2019aventurisme militaire de Poutine en Ukraine fait monter le baril de brut \u00e0 des niveaux qui gr\u00e8veront tr\u00e8s rapidement sa <\/strong>croissance d\u00e9j\u00e0 molle.<\/p>\n\n\n\n Nous assistons \u00e0 la possibilit\u00e9 d\u2019un tournant. Pour l\u2019instant, l\u2019Allemagne ne va faire que rattraper un retard cons\u00e9quent d\u00e9nonc\u00e9 de longue date par les autres membres de l\u2019OTAN, \u00c9tats-Unis en t\u00eate, qui respectaient l\u2019engagement de consacrer 2 % de leur PIB aux d\u00e9penses de D\u00e9fense. Berlin va donc d\u2019abord rattraper le temps perdu. Par ailleurs, cette coalition rose-verte, donc pacifiste dans un \u00c9tat pacifiste, r\u00e9agit sous le coup de l\u2019\u00e9motion et sans doute du sentiment de danger. Mais est-ce que ces investissements militaires s\u2019inscriront dans une volont\u00e9 de projection de puissance ? Rien n\u2019est moins s\u00fbr. Pour l\u2019heure, on semble s\u2019acheminer vers un simple rattrapage et rien ne dit qu\u2019on va modifier la Constitution, comme au Japon, en faveur d\u2019une projection de puissance. Enfin, on ach\u00e8te am\u00e9ricain, ce qui veut dire qu\u2019on reste \u00e0 Berlin, au grand dam de Paris, hors de la pens\u00e9e d\u2019une autonomie strat\u00e9gique europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n Au sein de l\u2019Union europ\u00e9enne, la repr\u00e9sentation de la France comme devant continuer d\u2019incarner une puissance globale n\u2019est pas partag\u00e9e par les autres \u00c9tats membres. Elle \u00e9tait partag\u00e9e par le Royaume-Uni mais depuis le Brexit, la France se retrouve seule. Soit l\u2019Allemagne accepte de payer le prix budg\u00e9taire et id\u00e9ologique consistant \u00e0 se r\u00e9investir dans le strat\u00e9gique et par cons\u00e9quent \u00e0 assumer l\u2019emploi de la force l\u00e9tale et massive, en un mot la guerre, soit ce n\u2019est pas le cas et par cons\u00e9quent la seule possibilit\u00e9 de mont\u00e9e en puissance europ\u00e9enne est cet attelage qui para\u00eet aujourd\u2019hui incongru apr\u00e8s le Brexit et l\u2019affaire AUKUS : <\/strong>une alliance <\/strong>entre Londres et Paris, les deux seules vraies puissances du continent europ\u00e9en. Je fonde des espoirs de cette hypoth\u00e8se sur la base du processus de Lancaster House, cette coop\u00e9ration voire mutualisation des arm\u00e9es fran\u00e7aise et britannique, qui fonctionne aujourd\u2019hui tr\u00e8s bien.<\/p>\n\n\n\n Non, l\u2019Union europ\u00e9enne est une puissance imparfaite qui se refuse \u00e0 devenir une puissance globale, un peu \u00e0 la mani\u00e8re des \u00c9tats-Unis de 1920 \u00e0 1941. Poutine le sait tellement bien qu\u2019il a cr\u00e2nement d\u00e9cid\u00e9 d\u2019envahir l\u2019Ukraine sans craindre quoi que ce soit d\u2019une Europe qui n\u2019a que des carottes mais pas de b\u00e2tons. Il faut que l\u2019Europe se dote de b\u00e2tons.<\/p>\n\n\n\n La th\u00e8se de Graham Allison me semble trop pessimiste. D\u2019abord parce qu\u2019on a d\u00e9j\u00e0 vu dans l\u2019histoire, en particulier au XIXe<\/sup> si\u00e8cle, une puissance primordiale \u2013 en l\u2019esp\u00e8ce le Royaume-Uni \u2013, renoncer finalement \u00e0 faire la guerre \u00e0 une puissance qui commen\u00e7ait \u00e0 la challenger s\u00e9rieusement \u2013 les \u00c9tats-Unis. Londres a pragmatiquement fait contre mauvaise fortune bon c\u0153ur, comprenant qu\u2019il valait mieux s\u2019allier avec Washington que chercher \u00e0 le contrer, et l\u2019histoire lui a donn\u00e9 raison. L\u2019affrontement n\u2019est donc pas in\u00e9luctable dans ce genre de situation. Par ailleurs, Graham Allison n\u00e9glige le fait que ni Sparte ni Ath\u00e8nes ne disposaient de l\u2019arme atomique contrairement \u00e0 P\u00e9kin et Washington ; or jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, nous n\u2019avons pas eu \u00e0 faire \u00e0 des r\u00e9gimes apocalyptiques ! Pour l\u2019essentiel, on est en pr\u00e9sence de r\u00e9gimes pragmatiques pour lesquels l\u2019option apocalyptique n\u2019est pas sur la table. De ce point de vue, on peut imaginer certes une mont\u00e9e des tensions voire une escalade militaire, mais exclusivement conventionnelle. J\u2019en veux pour preuve ce qui s\u2019est produit il y a deux ans entre l\u2019Inde et la Chine : des affrontements tr\u00e8s durs entre des soldats au Cachemire, mais sans ouverture du feu pour \u00e9viter d\u2019en arriver \u00e0 une escalade atomique. <\/p>\n\n\n\n En cons\u00e9quence, et j\u2019en reviens \u00e0 la premi\u00e8re de vos deux questions, je ne crois pas \u00e0 l\u2019in\u00e9luctabilit\u00e9 de l\u2019accession de la Chine au rang de premi\u00e8re puissance mondiale. Quels sont les crit\u00e8res \u00e0 partir desquels on pourra un jour couronner la Chine ? Je note d\u2019ailleurs que Xi Jinping ne mentionne jamais lesdits crit\u00e8res qui permettront d\u2019\u00e9tablir en 2049 que la Chine sera devenue la premi\u00e8re puissance mondiale comme il le souhaite. Si ce sont des crit\u00e8res exclusivement \u00e9conomiques et financiers, il n\u2019y a quasiment plus aucun doute l\u00e0-dessus. Mais je suis de ceux qui consid\u00e8rent que la puissance \u00e9conomique et financi\u00e8re, in fine, en cas de rivalit\u00e9 absolue, n\u2019est pas d\u00e9terminante si l’on ne dispose pas de quoi imposer sa volont\u00e9 \u00e0 l\u2019autre en termes de hard power<\/em>. Or l\u2019Autre am\u00e9ricain a de quoi, \u00e0 la fois g\u00e9ographiquement et techniquement, conserver une sup\u00e9riorit\u00e9 majeure pour de longues d\u00e9cennies. On compte le nombre de navires chinois mis chaque trimestre \u00e0 la mer, mais que valent les commandants de ces bateaux ? Et les navires eux-m\u00eames ? Que sait-on de la puissance chinoise et qu\u2019est-ce que le pouvoir chinois lui-m\u00eame en sait ? La Chine, depuis au moins la fin des royaumes combattants, n\u2019a de toute fa\u00e7on jamais accord\u00e9 la priorit\u00e9 \u00e0 l\u2019usage de la violence militaire pour parvenir \u00e0 ses fins. Certes il y a un imp\u00e9rialisme chinois de plus en plus agressif mais il rechigne \u00e0 faire usage de la violence militaire tant que tous les autres leviers n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 activ\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n L\u2019Inde peut \u00eatre un frein comme d\u2019autres \u00c9tats dans l\u2019environnement strat\u00e9gique chinois le sont d\u00e9j\u00e0. L\u2019un des grands oublis des observateurs de la rivalit\u00e9 sino-am\u00e9ricaine, c\u2019est la g\u00e9ographie : la Chine ne dispose pas de cette bonne f\u00e9e s’\u00e9tant pench\u00e9e sur le berceau am\u00e9ricain et lui ayant procur\u00e9 l\u2019insularit\u00e9 strat\u00e9gique. La Chine dispose d\u2019une fa\u00e7ade maritime \u00ab infest\u00e9e \u00bb de zones insulaires et archip\u00e9lagiques qui ne lui appartiennent pas, qui peuvent assez facilement surveiller voire bloquer ses navires et qui appartiennent <\/strong>pour beaucoup \u00e0 <\/strong>des alli\u00e9s des \u00c9tats-Unis. Sur terre, la Chine est entour\u00e9e par l\u2019Inde, puissance nucl\u00e9aire hostile, la Russie, partenaire mais pas alli\u00e9e, la Cor\u00e9e du nord, un alli\u00e9 qui ne dispose que d\u2019un atout : la bombe.<\/p>\n\n\n\n Je consacre un long chapitre \u00e0 l\u2019Afrique qui incarne l\u2019absence de puissance possible frapp\u00e9e qu\u2019elle est par un certain nombre de fl\u00e9aux structurels : des politiques renti\u00e8res, un clanisme L\u2019Am\u00e9rique latine est dans un cas de figure un peu diff\u00e9rent : le clanisme joue beaucoup moins, mais on y trouve des probl\u00e9matiques sociales tr\u00e8s fortes. L\u2019Afrique subsaharienne, l\u2019Am\u00e9rique latine et l\u2019Oc\u00e9anie ne s\u2019inscrivent pas dans les principales rivalit\u00e9s du XXe<\/sup> si\u00e8cle et du d\u00e9but du XXIe<\/sup> si\u00e8cle qui concernent plut\u00f4t l\u2019Europe, la Russie, une partie du Moyen-Orient et de plus en plus aujourd\u2019hui l\u2019Asie de l\u2019est. C\u2019est l\u00e0 que se trouvent les titans, pas en Afrique, en Am\u00e9rique latine ou en Oc\u00e9anie. Cela les place en marge des grands affrontements de puissance, mais pas toujours pour le meilleur : ainsi, <\/strong>jamais depuis la fin de la guerre froide l\u2019Afrique subsaharienne n\u2019avait connu de tels cataclysmes humains. Comme si l\u2019absence de r\u00e9gulateurs\/pr\u00e9dateurs ext\u00e9rieurs permettait aux seigneurs de la guerre d\u2019exercer leurs m\u00e9faits de mani\u00e8re parfaitement libre. Se rend-on bien compte que l\u2019arme de destruction massive de la fin du XXe<\/sup> si\u00e8cle a \u00e9t\u00e9 la machette ?<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Florian Louis a rencontr\u00e9 Fr\u00e9d\u00e9ric Encel, laur\u00e9at du Prix du Livre g\u00e9opolitique pour ses Voies de la puissance<\/em>.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":140486,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"templates\/post-reviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1732],"tags":[],"geo":[2163],"class_list":["post-140481","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-guerre","staff-florian-louis","geo-monde"],"acf":[],"yoast_head":"\nVous vous int\u00e9ressez non seulement \u00e0 la puissance des \u00c9tats, mais aussi \u00e0 celle de nombreux autres acteurs comme les entreprises, les groupes militants ou les religions. Ces diff\u00e9rents acteurs sont-ils d\u00e9tenteurs d\u2019un m\u00eame type de puissance ? Ou bien la puissance \u00e9tatique demeure-t-elle incommensurable ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Votre livre est consacr\u00e9 aux \u00ab voies de la puissance \u00bb et aurait pu \u00eatre sous-titr\u00e9 : \u00ab la puissance, mode d\u2019emploi \u00bb. Est-ce \u00e0 dire qu\u2019il suffirait aux dirigeants de n\u2019importe quel pays d\u2019appliquer vos conseils \u00e0 la lettre pour acc\u00e9der \u00e0 la puissance ? La puissance est-elle \u00e0 la port\u00e9e de tous les \u00c9tats ou certains y sont-ils plus pr\u00e9dispos\u00e9s que d\u2019autres ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Vous op\u00e9rez ici une distinction entre puissance et volont\u00e9 de puissance. Les \u00c9tats-Unis de l\u2019entre-deux-guerres mondiales sont une puissance en puissance, un pays qui a les moyens d\u2019\u00eatre puissant mais qui refuse d\u2019exercer cette puissance. Et inversement, des \u00c9tats peuvent se r\u00eaver en puissance mais n\u2019ont pas les moyens de leurs ambitions.<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Lorsqu\u2019on \u00e9voque la question de la puissance dans les relations internationales, il est un certain nombre d\u2019ouvrages classiques qui reviennent syst\u00e9matiquement. Commen\u00e7ons par celui de Paul Kennedy sur la naissance et le d\u00e9clin des grandes puissances qui d\u00e9veloppait une vision spenglerienne de la puissance cens\u00e9e s\u2019accro\u00eetre, atteindre un apog\u00e9e et n\u00e9cessairement d\u00e9cliner. On pourrait lui opposer que sur la longue dur\u00e9e, on voit plut\u00f4t une grande continuit\u00e9 dans les p\u00f4les de puissance qui restent souvent les m\u00eames d\u2019un si\u00e8cle \u00e0 l\u2019autre, m\u00eame si c\u2019est sous un nom diff\u00e9rent (empire ottoman\/Turquie ; URSS\/Russie). Certes, bien des puissances semblent faire preuve d\u2019une forme de cycle de vie, mais aussi d\u2019une grande r\u00e9silience. Comment vous positionnez-vous relativement \u00e0 la th\u00e8se de Kennedy et plus largement \u00e0 cette question de la p\u00e9rennit\u00e9 de la puissance sur la longue dur\u00e9e ?<\/h3>\n\n\n\n
mais ce n\u2019est pas non plus une r\u00e8gle absolue. Si l\u2019on essaie de penser la puissance sur la tr\u00e8s longue dur\u00e9e braud\u00e9lienne, on se casse les dents sur le Moyen-\u00c2ge et sur Rome.<\/p>\n\n\n\nUn deuxi\u00e8me auteur auquel on pense, notamment en France, lorsqu\u2019il est question de la puissance, n\u2019est autre que Bertrand Badie pointant la paradoxale \u00ab impuissance de la puissance \u00bb qu\u2019il pensait pouvoir diagnostiquer notamment \u00e0 partir de l\u2019observation des difficult\u00e9s rencontr\u00e9es par des \u00c9tats-Unis pr\u00e9sum\u00e9s \u00ab hyperpuissants \u00bb depuis les ann\u00e9es 1990 et pourtant souvent incapables d\u2019arriver \u00e0 leurs fins. Partagez-vous ce constat ?<\/h3>\n\n\n\n
L\u2019un de vos chapitres est consacr\u00e9 \u00e0 ce que vous appelez les \u00ab illusions de la puissance \u00bb dont vous expliquez qu\u2019elles peuvent se traduire par le fait de pr\u00e9sumer de ses forces d\u2019une part et de sous-estimer celles de l\u2019adversaire de l\u2019autre. Lisant ces lignes \u00e0 l\u2019heure de l\u2019invasion de l\u2019Ukraine par la Russie qui s\u2019av\u00e8re plus compliqu\u00e9e que ne l\u2019avait sans doute imagin\u00e9 Vladimir Poutine, on est tent\u00e9 de voir dans cette guerre un exemple de ces illusions de la puissance.<\/h3>\n\n\n\n
Vous consacrez un chapitre \u00e0 des pays, comme le Japon et l\u2019Allemagne, dont vous dites qu\u2019ils s\u2019interdisent la puissance globale. N\u2019assiste-t-on pas, c\u00f4t\u00e9 allemand, \u00e0 un revirement sur ce point \u00e0 la faveur de la crise ukrainienne ? Sommes-nous face \u00e0 un tournant qui verrait l\u2019Allemagne renouer avec la puissance ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
L\u2019Allemagne est donc encore loin de pouvoir pr\u00e9tendre rejoindre le Royaume-Uni et la France au rang de grande puissance europ\u00e9enne ? La France est-elle condamn\u00e9e \u00e0 la solitude dans ses ambitions de puissance globale au sein de l\u2019UE ?<\/h3>\n\n\n\n
Peut-on parler aujourd\u2019hui d\u2019une puissance europ\u00e9enne et de l\u2019Union europ\u00e9enne comme d\u2019une puissance ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Beaucoup pr\u00e9disent que le XXIe<\/sup> si\u00e8cle sera celui de l\u2019accession de la Chine au rang de premi\u00e8re puissance mondiale. Consid\u00e9rez-vous qu\u2019il y a une in\u00e9luctabilit\u00e9 \u00e0 la mont\u00e9e en puissance chinoise et celle-ci doit-elle n\u00e9cessairement conduire \u00e0 un choc thucydid\u00e9en avec les \u00c9tats-Unis tel que le craint un Graham Allison ?<\/h3>\n\n\n\n
L\u2019Inde peut-elle \u00eatre un rival pour la Chine dans cette course \u00e0 la puissance ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Terminons par des r\u00e9gions qui semblent \u00eatre caract\u00e9ris\u00e9es par un vide de puissance : l\u2019Afrique, l\u2019Am\u00e9rique latine voire l\u2019Oc\u00e9anie. Sont-elles condamn\u00e9es \u00e0 \u00eatre le terrain d\u2019affrontement des puissances globales ou bien peuvent-elles voire \u00e9merger en leur sein des puissances de cette envergure ?<\/h3>\n\n\n\n
et un tribalisme qui sapent l\u2019\u00c9tat-nation et sa capacit\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er de la coh\u00e9sion int\u00e9rieure pour projeter de la puissance \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur, une corruption end\u00e9mique li\u00e9e d\u2019ailleurs aux deux points pr\u00e9c\u00e9dents…<\/strong>. Enfin, et j\u2019aurai d\u00fb commencer par-l\u00e0, il y a une absence de repr\u00e9sentation panafricaine ou au moins r\u00e9gionale qui pourrait cr\u00e9er des alliances susceptibles de jouer le r\u00f4le d\u2019acteur puissant dans les relations internationales. Il n\u2019y a aucune base africaine en dehors de l\u2019Afrique : cela nous para\u00ee<\/strong>t normal mais il n\u2019y a aucune raison \u00e9vidente \u00e0 cela ! <\/p>\n\n\n\n