{"id":132334,"date":"2022-02-26T04:10:00","date_gmt":"2022-02-26T03:10:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=132334"},"modified":"2022-05-17T14:45:10","modified_gmt":"2022-05-17T12:45:10","slug":"journalisme-et-activisme-une-conversation-avec-matthew-caruana-galizia-et-pavla-holcova","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2022\/02\/26\/journalisme-et-activisme-une-conversation-avec-matthew-caruana-galizia-et-pavla-holcova\/","title":{"rendered":"Journalisme et activisme, une conversation avec Matthew Caruana Galizia et Pavla Holcov\u00e1"},"content":{"rendered":"\n
Cet entretien est la transcription d’un \u00e9change entre Matthew Caruana Galizia et Pavla Holcov\u00e1 qui s’est tenu \u00e0 Prague le 27 janvier 2022 dans le cadre de la Nuit des Id\u00e9es et de la pr\u00e9sidence fran\u00e7aise du Conseil de l\u2019Union europ\u00e9enne. En partenariat avec l’Institut Fran\u00e7ais, le Grand Continent publie une s\u00e9rie de textes et d’entretiens : ces \u00ab Grands Dialogues \u00bb forment un dispositif r\u00e9unissant des personnalit\u00e9s intellectuelles de premier plan venues du monde des arts, des lettres, des sciences, du journalisme et de l’engagement et repr\u00e9sentant l’ensemble des \u00c9tats membres de l’Union europ\u00e9enne.<\/em><\/p>\n\n\n\n \u00c0 l’origine, je souhaitais travailler dans le domaine des nouvelles technologies. J\u2019ai toujours beaucoup aim\u00e9 le journalisme et j\u2019ai grandi avec en quelque sorte, car ma m\u00e8re a pratiqu\u00e9 ce m\u00e9tier pendant 30 ans. Je l\u2019admirais. Les ennuis qui pouvaient accompagner au quotidien l\u2019activit\u00e9 de journaliste d\u2019investigation ne m\u2019effrayaient pas. Je trouvais cela normal que notre maison soit entour\u00e9e de gens, que le t\u00e9l\u00e9phone sonne sans arr\u00eat\u2026<\/p>\n\n\n\n C\u2019est apr\u00e8s l\u2019assassinat de ma m\u00e8re en 2017 <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> que j\u2019ai quelque peu d\u00e9laiss\u00e9 le journalisme tech<\/em> pour me concentrer sur le journalisme d\u2019investigation. Ce fut une p\u00e9riode extr\u00eamement dure et p\u00e9nible pour moi : je ne pouvais plus exercer le m\u00e9tier de journaliste \u00e0 plein temps et je devenais au m\u00eame moment un activiste pour cette cause. Ce passage a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s exigeant et difficile : j\u2019ai d\u00fb renoncer \u00e0 une activit\u00e9 que j\u2019aimais beaucoup. Mais c\u2019\u00e9tait une n\u00e9cessit\u00e9, il fallait le faire. Le combat pour la justice \u00e9tait trop important pour moi.<\/p>\n\n\n\n Si j\u2019ai travaill\u00e9 longtemps dans des m\u00e9dias en ligne, j\u2019ai toujours voulu \u00eatre journaliste. Alors que je m\u2019en \u00e9tais partiellement \u00e9loign\u00e9e, j\u2019y suis revenue au moyen d\u2019un d\u00e9clic, dans une prison cubaine. Enferm\u00e9e avec un autre journaliste alors que je couvrais les abus \u00e0 l\u2019encontre des droits fondamentaux sur l\u2019\u00eele, nous avons discut\u00e9 du journalisme d\u2019investigation, des projets qu\u2019il envisageait et je me suis d\u00e9cid\u00e9e : \u00ab une fois sortie de Cuba, c\u2019est ce que je ferai. \u00bb En 2013, j\u2019ai donc cr\u00e9\u00e9 le Centre tch\u00e8que pour le journalisme d\u2019investigation, o\u00f9 je travaille depuis.<\/p>\n\n\n\n Le caf\u00e9 y joue une part importante. Je me l\u00e8ve, je bois mon caf\u00e9. Je vais au travail, je bois mon caf\u00e9. Je m’assieds devant l\u2019ordinateur, je bois mon caf\u00e9. 80 % de mon travail se passe devant un ordinateur. Nous \u00e9tudions des documents, nous \u00e9crivons \u00e0 des gens, nous leur demandons des explications. Je dirais que le travail \u00ab de terrain \u00bb concerne \u00e0 la rigueur 20 % du temps de mon activit\u00e9. Cela peut-\u00eatre tr\u00e8s int\u00e9ressant, particuli\u00e8rement lorsque vous travaillez sur des sujets comme le crime organis\u00e9. Mais la majorit\u00e9 de mon travail se fait sur ordinateur. Je ne mentirais pas en disant que lorsque je m\u2019endors apr\u00e8s ma journ\u00e9e de travail, je r\u00eave de tableaux Excel et de transactions financi\u00e8res ! Voil\u00e0 la vie d\u2019un journaliste d\u2019investigation.<\/p>\n\n\n\n Depuis 2018, je ne travaille plus pour un journal. Je dirige une ONG qui porte le nom de ma m\u00e8re, dont le si\u00e8ge est \u00e0 Malte. Nous ne sommes pas journalistes \u00e0 proprement parler mais nous nous battons pour la libert\u00e9 d\u2019expression, pour promouvoir le travail des journalistes contre la corruption, et nous soutenons le travail des journalistes d\u2019investigation. Notre combat porte aussi sur l\u2019usage de diff\u00e9rentes technologies dans le domaine de l\u2019investigation. <\/p>\n\n\n\n Nous permettons \u00e9galement aux journalistes d\u2019obtenir de l\u2019aide et des conseils juridiques quand ils sont menac\u00e9s de poursuites p\u00e9nales par exemple, car ils sont tr\u00e8s souvent le cible de ce genre de poursuites ou de calomnies pour les emp\u00eacher de faire leur travail. Le but est d\u2019exercer une pression : un homme d\u2019affaires va par exemple attaquer un journaliste en justice en lui demandant deux millions d\u2019euros de dommages et int\u00e9r\u00eats. L\u2019objectif n\u2019est \u00e9videmment pas d\u2019obtenir les 2 millions d\u2019euros, mais de faire peur aux journalistes pour esp\u00e9rer les faire taire. Je connais bien cette situation car ma m\u00e8re a d\u00fb faire face \u00e0 quarante-six plaintes de ce genre. <\/p>\n\n\n\n Ces accusations peuvent d\u00e9truire la vie d\u2019un journaliste. Notre objectif est donc d\u2019essayer de prot\u00e9ger ceux qui sont menac\u00e9s par de telles situations. Nous ne faisons pas un travail de reporter au quotidien comme Pavla, nous nous occupons de cet autre volet. <\/strong>Il est \u00e9vident que dans le travail d\u2019investigation, les journalistes doivent affronter beaucoup d\u2019obstacles, qui ne sont pas seulement des menaces : pour y faire face, certains journalistes peuvent avoir besoin de conseils, d\u2019une assistance en mati\u00e8re juridique. Nous la leur proposons.<\/p>\n\n\n\n Mon p\u00e8re est un juriste, mon grand-p\u00e8re aussi. Mon p\u00e8re voulait que l\u2019un de ses fils le devienne \u00e0 son tour. Ma m\u00e8re quant \u00e0 elle ne le souhaitait pas car elle trouvait cela ennuyeux. Elle a \u00e9t\u00e9 heureuse que je choisisse une autre voie. Mon p\u00e8re fut assez d\u00e9\u00e7u de mon choix de carri\u00e8re journalistique. Or aujourd\u2019hui, je consacre la majeure partie de mon temps au domaine du droit : je fais le travail d\u2019un juriste sans en \u00eatre un. J\u2019imagine que mon p\u00e8re doit \u00eatre content car c’\u00e9tait son d\u00e9sir. Je pense que les instruments juridiques peuvent \u00eatre tr\u00e8s efficaces pour soutenir le journalisme. Cela ne veut pas dire que des journalistes doivent faire le travail de juristes, mais ils peuvent utiliser des organisations comme celles dans laquelle je travaille pour prot\u00e9ger leur droit. <\/p>\n\n\n\n Je pense que l\u2019on ne consacre pas assez d\u2019attention \u00e0 ce point. C\u2019est peut-\u00eatre pour cette raison que la situation empire. Pour \u00eatre concr\u00e8te, je partirai de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovaquie. Auparavant personne n’osait vraiment parler haut et fort du probl\u00e8me de la justice et de l\u2019\u00c9tat de droit, aujourd\u2019hui, vingt-et-un magistrats sont accus\u00e9s \u00e0 la Cour supr\u00eame. On parle de pots-de-vin, de corruption\u2026 c\u2019est une catastrophe consid\u00e9rable. Je pense que nous assistons \u00e0 une r\u00e9volution dans le domaine judiciaire, qui aura une vertu cathartique.<\/p>\n\n\n\n L\u2019endroit qui devrait retenir notre attention est la Slovaquie, bien davantage que la Tch\u00e9quie. En ce qui concerne l’\u00c9tat de droit, le syst\u00e8me slovaque offre de bonnes garanties sur le papier, meilleures m\u00eames que celles de la Tch\u00e9quie. Le Conseil judiciaire (Sudna rada<\/em>) doit surveiller la bonne administration de la justice et il est \u00e9paul\u00e9 par d\u2019autres d’organisations qui sont cens\u00e9es s\u2019assurer de la bonne marche du syst\u00e8me judiciaire, mais qui ne fonctionnent pas en pratique. <\/p>\n\n\n\n En Tch\u00e9quie, nous n\u2019avons certes pas d\u2019institutions du genre du Conseil judiciaire, mais nous avons d\u2019autres organisations qui, elles, font un travail diff\u00e9rent, comme Watchdog. Il est cependant vrai que le niveau de morale au d\u00e9but des ann\u00e9es 1990 \u00e9tait beaucoup plus \u00e9lev\u00e9 en R\u00e9publique Tch\u00e8que qu\u2019en Slovaquie, o\u00f9 la politique est tr\u00e8s li\u00e9e \u00e0 la vie judiciaire. Ici, la s\u00e9paration est bien plus nette. En Slovaquie, le lien est toujours tr\u00e8s \u00e9troit, le contr\u00f4le ne fonctionne pas tr\u00e8s bien, beaucoup d\u2019hommes politiques poursuivent une carri\u00e8re dans le domaine judiciaire. Nous assistons \u00e0 la m\u00eame situation en Hongrie et en Pologne. La question se pose de savoir si cela ne surgit pas aussi un petit peu en Tch\u00e9quie. <\/p>\n\n\n\n Les conditions ne sont pas trop mauvaises mais cela se d\u00e9grade assez facilement. <\/p>\n\n\n\n Je pense que l\u2019une des choses qui a chang\u00e9 est le r\u00f4le et l\u2019implication de la soci\u00e9t\u00e9 civile. On a du mal \u00e0 imaginer comment cela se passe chez nous car la majorit\u00e9 des pays de l\u2019Union europ\u00e9enne ont une soci\u00e9t\u00e9 civile tr\u00e8s forte et structur\u00e9e, y compris la Tch\u00e9quie, avec des ONG, des organismes de contr\u00f4le qui se battent contre la corruption, pour la libert\u00e9 d\u2019expression, etc… \u00c0 Malte, nous avions une seule ONG qui soutenait les droits de l’Homme, une toute petite agence compos\u00e9e de trois salari\u00e9s. La soci\u00e9t\u00e9 civile \u00e9tait donc quasiment inexistante. Les Maltais consid\u00e9raient que, s\u2019il fallait faire quelque chose pour le bien public et participer au d\u00e9bat politique, le seul moyen possible \u00e9tait de passer par la sph\u00e8re politique. Cette situation n\u2019\u00e9tait pas tenable : nous nous transformions en une soci\u00e9t\u00e9 tribale. Soit vous \u00e9tiez membre d\u2019un parti politique et vous vous battiez pour les int\u00e9r\u00eats de votre parti, soit vous \u00e9tiez membre d\u2019un autre parti : vous vous battiez uniquement pour les int\u00e9r\u00eats d\u00e9fendus par le parti dont vous \u00e9tiez.<\/p>\n\n\n\n Depuis l\u2019assasinat de ma m\u00e8re en 2017, les gens se sont rendu compte qu\u2019il y avait une vie en dehors des partis politiques et que l’on pouvait obtenir des r\u00e9sultats en travaillant de mani\u00e8re ind\u00e9pendante, comme elle le faisait. Car elle travaillait seule. Or les journalistes et les activistes se rendent de plus en plus compte qu\u2019il faut \u00eatre ensemble et qu\u2019on ne peut plus travailler seuls. Cette prise de conscience est importante. Elle a chang\u00e9 notre culture. Nous arrivons \u00e0 parler de sujets comme l\u2019avortement par exemple, de mani\u00e8re apais\u00e9e, alors que c\u2019\u00e9tait un sujet tabou, un sujet dont on ne parlait pas avant. Les jeunes ont d\u00e9sormais une meilleure opinion de la soci\u00e9t\u00e9, ils se sentent encourag\u00e9s ; le travail de ma m\u00e8re y est pour beaucoup. Ils se disent aussi que si elle a \u00e9t\u00e9 pr\u00eate \u00e0 consacrer et \u00e0 donner sa vie pour cette cause, ils devraient faire sinon la m\u00eame chose, du moins quelque chose<\/em>.<\/p>\n\n\n\n Malheureusement, le journaliste se retrouve parfois dans une situation o\u00f9 il doit devenir activiste. On pourrait avoir l\u2019impression que ce n\u2019est pas une bonne chose mais si vous \u00eates vraiment entrav\u00e9 par quelqu\u2019un, menac\u00e9 avec violence, il faut avoir recours \u00e0 l\u2019activisme. C\u2019est une situation inconnue et nouvelle pour certains journalistes, mais si l\u2019on ne se bat pas contre ces menaces, cela ne changera pas. <\/p>\n\n\n\n Quant \u00e0 moi je suis activiste \u00e0 cent pour cent. <\/p>\n\n\n\n Je ne m\u2019attends pas \u00e0 ce que tous les journalistes fassent de m\u00eame, mais je pense que certains devraient aussi \u00eatre activistes. Si le public n\u2019a pas acc\u00e8s \u00e0 une information par exemple, un journaliste ne peut pas en conscience dire : \u00ab je ne pouvais pas avoir cette information, car on m\u2019emp\u00eachait d\u2019y avoir acc\u00e8s. \u00bb Il faut \u00eatre activiste donc, travailler en lien avec des juristes parfois pour obtenir des informations. <\/p>\n\n\n\n Je suis sans doute la personne la moins bien plac\u00e9e pour r\u00e9pondre \u00e0 cette question car j\u2019ai commenc\u00e9 en tant qu\u2019activiste. Je suis parti de l\u2019activisme vers une carri\u00e8re de journaliste d\u2019investigation.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est au moment o\u00f9 j\u2019ai \u00e9crit le premier article pour le Organized Crime and Corruption Reporting Project<\/em>. \u00c0 ce moment-l\u00e0, mon r\u00e9dacteur en chef m\u2019a dit \u00ab c\u2019est un article activiste, il faut que tu le r\u00e9diges diff\u00e9remment \u00bb. J\u2019ai donc commenc\u00e9 \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir. Tr\u00e8s vite, ma conclusion a \u00e9t\u00e9 que je ne devais pas \u00ab ne pas donner mon opinion \u00bb mais qu\u2019il fallait la mettre en contexte, l\u2019argumenter, l’\u00e9tayer. Cela m\u2019a pris un certain temps. <\/p>\n\n\n\n Pour informer, oui. Mais en m\u00eame temps, je ne suis pas certaine de pouvoir me faire l\u2019avocate de certaines opinions journalistiques. Matthew a expliqu\u00e9 qu\u2019il y a des moments o\u00f9 il faut vraiment agir, o\u00f9 il faut devenir activiste. <\/p>\n\n\n\n Non justement. Cela m\u2019a pris un certain temps de laisser cette carri\u00e8re d\u2019activiste derri\u00e8re moi, mais quelqu\u2019un d\u2019autre le fera \u00e0 ma place. Nous avons une soci\u00e9t\u00e9 civile tr\u00e8s forte, elle peut d\u00e9fendre des journalistes et se battre pour eux. Il va peut-\u00eatre falloir \u00eatre davantage activiste \u00e9tant donn\u00e9 la situation actuelle mais je pense qu\u2019on peut apporter des informations sur une base factuelle, juste et factuelle, informer sur la situation de nos coll\u00e8gues journalistes dans d\u2019autres pays. Certains de nos coll\u00e8gues sont de vrais commentateurs. Dans certaines salles de presse, recueillir des commentaires et des opinions n\u2019est pas une mauvaise chose : cela peut nous permettre d\u2019attirer l\u2019attention sur ce qui se passe chez nos voisins.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est un enfer. Je suis tout \u00e0 fait d’accord avec Maria Ressa, prix Nobel de la paix 2021, qui a \u00e9crit un livre sur les algorithmes et leur influence n\u00e9fastes sur les r\u00e9seaux sociaux. Elle y explique comment les r\u00e9seaux tuent le travail \u00e9tay\u00e9 et argument\u00e9 de journaliste. <\/p>\n\n\n\n Un vrai travail de journaliste se base sur les faits et il est s\u00e9rieux. Il n\u2019y a pas d’emoji ou de smileys qui vont pousser les gens \u00e0 \u00ab liker \u00bb. Alors que nous en discutions r\u00e9cemment avec un groupe de journalistes, quelqu\u2019un a compar\u00e9 ce nous vivions sur les r\u00e9seaux avec le moment de l\u2019invention de l’imprimerie, lorsque l’\u00c9glise perdit son monopole de l\u2019interpr\u00e9tation de la Bible. Des histoires terribles commen\u00e7aient \u00e0 circuler. On parlait de dragons qui avaient mang\u00e9 la moiti\u00e9 d\u2019un village, de \u00ab fausses informations \u00bb qui circulaient pour amuser la population. Pour beaucoup de gens, il \u00e9tait difficile de saisir la fronti\u00e8re entre les informations s\u00e9rieuses et celles qui avaient pour but d\u2019amuser. Je pense que les r\u00e9seaux sociaux nous conduisent \u00e0 une situation similaire. Il faudrait inventer une nouvelle profession o\u00f9 des gens puissent servir de filtres. Seuls les journalistes peuvent dire : \u00ab voici de vraies nouvelles, s\u00e9rieuses, par rapport \u00e0 celles qui servent \u00e0 amuser, \u00e0 divertir. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Il y a de tout. Je serais hypocrite si je disais que les r\u00e9seaux sociaux sont enti\u00e8rement mauvais. J\u2019ai moi m\u00eame commenc\u00e9 \u00e0 m\u2019en servir lorsque j\u2019appelais \u00e0 la libert\u00e9 ou pour expliquer ce qui se passait \u00e0 Malte. En ce sens et si vous les utilisez \u00e0 bon escient, ils sont utiles. Ils peuvent constituer une plateforme accessible \u00e0 tous : tout le monde ne peut pas appeler CNN et leur signaler avoir une information, mais je peux le faire sur les r\u00e9seaux. Si quelque chose de terrible se passe, je peux en parler sur les r\u00e9seaux.<\/p>\n\n\n\n Mais je sais aussi qu\u2019ils sont utilis\u00e9s comme une arme, qu\u2019ils ont pu conduire par exemple \u00e0 des massacres au Myanmar, avec des publications Facebook incitant \u00e0 la violence, \u00e0 sortir dans les rues, avec des machettes, tout cela a \u00e9t\u00e9 rendu possible \u00e0 cause de Facebook. Pour ce qui est de la fa\u00e7on dont les journalistes utilisent les r\u00e9seaux sociaux, n\u2019importe quelle plateforme qui est utilisable pour la communication des informations ou de nos d\u00e9couvertes peut \u00eatre utile. Avoir cette possibilit\u00e9 est une bonne chose. <\/p>\n\n\n\n Mais les journalistes maltais font souvent l\u2019erreur suivante : ils se limitent aux r\u00e9seaux sociaux <\/strong>et consid\u00e8rent comme important uniquement ce qui a \u00e9t\u00e9 publi\u00e9. L\u2019on se retrouve donc avec des titres ubuesques : \u00ab X a dit ceci sur Facebook\u2026 \u00bb \u2013 cela ne m\u2019int\u00e9resse pas. Si cela m\u2019int\u00e9ressait, j\u2019irais le voir sur les r\u00e9seaux sociaux, mais la r\u00e9alit\u00e9 se passe au-del\u00e0 des r\u00e9seaux. Ce qui est important n\u2019est pas ce qui s\u2019est dit sur Facebook mais ce qui est r\u00e9ellement arriv\u00e9. <\/p>\n\n\n\n Je mets donc en garde contre ce pi\u00e8ge : il ne faut pas seulement commenter ce qui se passe sur les r\u00e9seaux sociaux. J\u2019invite les journalistes \u00e0 aller sur le terrain, \u00e0 observer, \u00e0 voir ce qui se passe. Avoir de bonnes sources et \u00eatre actif est ce qu\u2019il y a de plus important, c\u2019est ce que font Pavla et son \u00e9quipe. <\/p>\n\n\n\n Bien s\u00fbr, dans notre soci\u00e9t\u00e9 cela peut poser des probl\u00e8mes car certains reportages ou certaines enqu\u00eates peuvent concerner quelqu\u2019un que vous connaissez. Soit vous pensez qu\u2019il serait mieux de, peut-\u00eatre, ne pas les publier et cela devient vite un probl\u00e8me. Soit vous pensez que cette personne m\u00e9rite en effet d’\u00eatre contr\u00f4l\u00e9e, surveill\u00e9e, mais vous ne le faites pas. Vous vous dites : \u00ab si je critique telle ou telle personne, je vais le rencontrer quelque part, ce sera g\u00eanant. \u00bb Mais il faut le faire, il faut l’accepter. <\/p>\n\n\n\n Une fois journaliste, il faut accepter la responsabilit\u00e9, porter le fardeau et se pr\u00e9parer au fait qu’il y aura d\u2019autres situations de ce genre. Il faut repousser les peurs de se retrouver dans une situation g\u00eanante. Il est important de savoir qu\u2019il faut critiquer si et quand les critiques sont n\u00e9cessaires. C\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment pour cela que ma m\u00e8re \u00e9tait diff\u00e9rente, que certains voyaient en elle une personne dangereuse. Elle n\u2019y faisait pas attention pour ainsi dire, elle \u00e9tait pr\u00eate \u00e0 critiquer quelqu\u2019un et le rencontrer le lendemain, ce n\u2019\u00e9tait pas un probl\u00e8me pour elle. Elle disait qu\u2019\u00e0 New York, les journalistes n\u2019avaient pas peur de critiquer et donc qu\u2019il ne fallait pas avoir peur. <\/p>\n\n\n\n Je n\u2019ai pas de contact avec des personnalit\u00e9s politiques, aucun. C\u2019est quelque chose que je consid\u00e8re comme dangereux. Cela dit, j\u2019ai tout \u00e0 fait conscience que c\u2019est un luxe que je peux me permettre mais que la majorit\u00e9 ne peut pas le faire. J\u2019ai un seul contact politique avec un d\u00e9put\u00e9 qui vit en Islande. C\u2019est le seul contact que j\u2019ai dans ce domaine.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est une tr\u00e8s bonne question. Pour ce qui nous concerne, nous avons de l\u2019argent de projets norv\u00e9giens, nous avons aussi des donateurs qui sont importants et \u00e9galement des donateurs qui le sont moins. Ceux qui sont importants payent 500 couronnes par mois et c\u2019est de l\u2019argent que nous pouvons utiliser comme nous le voulons, d\u2019une mani\u00e8re qui nous semble importante. Toucher de l\u2019argent dans le cadre d\u2019un projet est toujours un peu fragile.<\/p>\n\n\n\n Six mois auparavant, vous \u00eates en mesure de pr\u00e9voir quel sera le sujet trait\u00e9, mais au bout de cette p\u00e9riode la r\u00e9alit\u00e9 peut-\u00eatre diff\u00e9rente. Cela arrive tr\u00e8s souvent et vous pouvez vous imaginer qu\u2019il est quasiment impossible de deviner ce que sera le centre d’int\u00e9r\u00eat des lecteurs dans six mois. Je ne suis pas certaine mais je pense que si les \u00e9diteurs pouvaient revenir \u00e0 la veille des ann\u00e9es 2000, je leur dirais : il faudrait vraiment garder le contenu des journaux payants, ce n\u2019est pas la publicit\u00e9 qui va faire vivre les journaux. La situation est vraiment difficile, nous devons toujours expliquer aux gens que cela vaut la peine de payer pour recevoir une information de qualit\u00e9. Parfois, le prix pour de telles informations se compte en vies humaines. Il faut donc comprendre que ce que nous produisons pendant de longues nuits ne peut pas \u00eatre un travail gratuit.<\/p>\n\n\n\n Je ne chercherais pas un exemple similaire chez nous. Je ne pense pas que nous puissions vous donner d’exemple de financement de journalisme. <\/p>\n\n\n\n On peut cela dit tirer des le\u00e7ons en ce qui concerne la mani\u00e8re de coop\u00e9rer, de travailler de mani\u00e8re transfrontali\u00e8re. Pour certains dossiers, les journalistes essayent de travailler au niveau international, notamment lorsqu’ils font des enqu\u00eates importantes. Mais qui les finance ? Il est impossible de mener \u00e0 bien de tels projets sans argent. Il provient souvent du secteur public, de la Commission europ\u00e9enne, des gouvernements des pays tiers, le cas \u00e9ch\u00e9ant des milieux d\u2019affaires, des dons, etc\u2026 Il est quasiment impossible de faire autrement. <\/p>\n\n\n\n Je ne dis pas que c\u2019est le meilleur mod\u00e8le, je ne sais m\u00eame pas si c’est un mod\u00e8le proprement dit. Mais chez nous, cela fonctionne : nous sommes capables de financer un certain nombre de journalistes d’investigation gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019argent que nous recevons de la Commission europ\u00e9enne, qui a des fonds \u00e0 partir duquel on peut financer le journalisme d\u2019investigation. Les fonds norv\u00e9giens sont \u00e9galement utiles. Nous n’avions jamais eu d\u2019aide du secteur priv\u00e9, mais une autre organisation pour laquelle j\u2019ai travaill\u00e9 jadis avait re\u00e7u de l\u2019argent du secteur priv\u00e9. On peut travailler avec ces fonds, comme ce fut le cas pour les Panama Papers. Autrement,je ne sais pas\u2026 <\/p>\n\n\n\n Je dirais aussi qu\u2019il est important d\u2019avoir par exemple des canaux de financements publics, comme par exemple avec la BBC au Royaume-Uni. Car ce sont des canaux ind\u00e9pendants, et l\u2019ind\u00e9pendance, le caract\u00e8re autonome, est absolument crucial pour pouvoir exercer la profession de journaliste d’investigation. <\/p>\n\n\n\n Bien s\u00fbr, nous pourrions parler aussi du fonctionnement des m\u00e9dias publics chez nous, <\/strong>\u00e0 Malte, sur comment ils peuvent devenir des machines de propagandes… \u00c0 La Valette, une station de radio publique sert par exemple de canal de propagande au gouvernement. Ce n\u2019est pas le cas de tous les m\u00e9dias publics mais il faut s\u2019assurer des conditions dans lesquelles ces m\u00e9dias puissent \u00eatre vraiment ind\u00e9pendants, sans que le gouvernement ne puisse les influencer, s\u2019y immiscer, en influencer la direction ou la ligne \u00e9ditoriale. Il est toujours facile de transformer un m\u00e9dia en organe de propagande.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Alors que la libert\u00e9 de la presse continue d’\u00eatre menac\u00e9e partout dans le monde et jusqu’en Europe, quelle est la fronti\u00e8re entre journalisme et activisme ? Dans ce Grand Dialogue organis\u00e9 \u00e0 l’occasion de la Nuit des Id\u00e9es, Matthew Caruana Galizia et Pavla Holcov\u00e1 reviennent sur leurs m\u00e9tiers respectifs, dans un environnement changeant.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":132366,"comment_status":"open","ping_status":"open","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[3103],"tags":[],"geo":[536],"class_list":["post-132334","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-grands-dialogues","staff-martin-ehl","geo-centres"],"acf":[],"yoast_head":"\n\r\n <\/picture>\r\n \n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n
Vous avez tous les deux une longue exp\u00e9rience dans le journalisme d\u2019investigation. J\u2019aimerais commencer par vous demander comment, Matthew, vous \u00eates devenu journaliste ? <\/h3>\n\n\n\n
Matthew Caruana Galizia<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
Et vous Pavla, comment \u00eates-vous arriv\u00e9e \u00e0 cette profession ?<\/h3>\n\n\n\n
Pavla Holcov\u00e1<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
\r\n <\/picture>\r\n \n
Beaucoup ont une vision \u00ab romantique \u00bb du journalisme d\u2019investigation. Quelle est votre journ\u00e9e type ?<\/h3>\n\n\n\n
Matthew, y a-t-il une diff\u00e9rence entre la vie d\u2019une journaliste d\u2019investigation tch\u00e8que et celle d\u2019un journaliste d\u2019investigation maltais ?<\/h3>\n\n\n\n
Matthew <\/strong>Caruana Galizia<\/h4>\n\n\n\n
Est-ce que votre sp\u00e9cialisation initiale dans le domaine des nouvelles technologies a rendu ce travail plus facile ?<\/h3>\n\n\n\n
Voil\u00e0 pour la m\u00e9thode. Passons d\u00e9sormais au concret : la question du respect de l\u2019\u00c9tat de droit. Assistons-nous aujourd\u2019hui en Tch\u00e9quie, et ailleurs de mani\u00e8re plus g\u00e9n\u00e9rale, \u00e0 une d\u00e9t\u00e9rioration de la situation des journalistes ? Les situations comme celles d\u00e9crites par Matthew sont-elles nombreuses ?<\/h3>\n\n\n\n
Pavla<\/strong> Holcov\u00e1<\/h4>\n\n\n\n
Du point de vue de la protection juridique du journalisme, o\u00f9 en sommes-nous en Tch\u00e9quie, par rapport \u00e0 ces trois pays \u2013 mais aussi par rapport \u00e0 l’Europe dans son ensemble ? <\/h3>\n\n\n\n
Du c\u00f4t\u00e9 de Malte, qu\u2019est-ce qui s\u2019est am\u00e9lior\u00e9 ? Qu\u2019est ce qui s\u2019est d\u00e9grad\u00e9 ?<\/h3>\n\n\n\n
Matthew Caruana Galizia<\/h4>\n\n\n\n
Vous disiez au d\u00e9but de notre conversation que vous \u00e9tiez journaliste hier et aujourd\u2019hui activiste. Mais peut-on vraiment faire les deux ? O\u00f9 tracez-vous la fronti\u00e8re ? <\/h3>\n\n\n\n
Pour vous Pavla, o\u00f9 est la fronti\u00e8re entre un activiste et un journaliste ?<\/h3>\n\n\n\n
Pavla Holcov\u00e1<\/h4>\n\n\n\n
Dans quelles circonstances ce changement a-t-il eu lieu ?<\/h3>\n\n\n\n
Est-ce que la situation actuelle en Tch\u00e9quie, qui n\u2019est peut-\u00eatre pas tout \u00e0 fait la m\u00eame qu\u2019en Hongrie, en Slovaquie ou en Pologne, ne nous conduit pas \u00e0 devenir un peu plus activiste ?<\/h3>\n\n\n\n
En Tch\u00e9quie, n\u2019\u00eates-vous pas parfois amen\u00e9e \u00e0 redevenir activiste ?<\/h3>\n\n\n\n
Certaines personnes disent que la parole et la l\u00e9gitimit\u00e9 des journalistes est dilu\u00e9e aujourd\u2019hui car tout un chacun pourrait devenir journaliste sur les r\u00e9seaux sociaux. Qu\u2019en pensez-vous ?<\/h3>\n\n\n\n
Dans un petit pays comme Malte, les r\u00e9seaux sociaux aident-ils les journalistes dans leur travail ou ont-ils vocation \u00e0 les remplacer ?<\/h3>\n\n\n\n
Matthew Caruana Galizia<\/h4>\n\n\n\n
Vous \u00eates originaires de pays relativement petits o\u00f9 les sph\u00e8res m\u00e9diatiques et politiques sont parfois tr\u00e8s li\u00e9es. Dans de telles situations, comment fait-on pour maintenir de la distance avec la politique ?<\/h3>\n\n\n\n
Pavla, quelle est votre attitude ? <\/h3>\n\n\n\n
Pavla Holcov\u00e1<\/h4>\n\n\n\n
Comment le journalisme ind\u00e9pendant peut-il trouver son business model<\/em>. On sait tous qu\u2019il est parfois difficile de maintenir son ind\u00e9pendance, en particulier dans les p\u00e9riodes de difficult\u00e9 \u00e9conomique. Quelles sont vos exp\u00e9riences sur ce plan-l\u00e0 ? <\/h3>\n\n\n\n
Qu\u2019en pensez-vous Matthew : le constat de Pavla vous semble-t-il correspondre \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 maltaise ?<\/h3>\n\n\n\n
Matthew Caruana Galizia<\/h4>\n\n\n\n