Les r\u00e9fugi\u00e9s et les migrants se trouvent aujourd\u2019hui dans une situation impossible et d\u00e9chirante du fait de la guerre diplomatique \u00e0 laquelle se livrent les services du r\u00e9gime de Loukachenko et les autorit\u00e9s polonaises (dont les gardes-fronti\u00e8res). Face \u00e0 cela, le silence ne peut \u00eatre une option, mais il est difficile de bien identifier la cible de la critique.<\/p>\n\n\n\n
La Pologne, d\u2019abord, dont les d\u00e9cisions bafouent les droits des migrants, et dont plusieurs d\u00e9put\u00e9s de la majorit\u00e9, Droit et Justice (PiS), manifestent le fanatisme et la vulgarit\u00e9 qui choquent toujours, sans vraiment surprendre.<\/p>\n\n\n\n
L\u2019Union europ\u00e9enne ensuite qui, une fois de plus dans son histoire r\u00e9cente, ne parvient pas \u00e0 proposer de solutions positives \u00e0 l\u2019interrogation commune de tous les \u00c9tats membres : quelle strat\u00e9gie humanitaire et diplomatique veut-on adopter devant la situation de personnes qui en viennent \u00e0 traverser les fronti\u00e8res de l\u2019Europe ? Il est certain que les deux m\u00e9ritent une r\u00e9action. Mais les accusations ne sont pas suffisantes. Face \u00e0 l\u2019absence de maturit\u00e9 politique aussi bien en Pologne qu\u2019en Europe, il faut que cette conversation commence d\u2019une fa\u00e7on qui rende le dialogue possible. Sophie Djigo <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span> a bien montr\u00e9 que des situations inacceptables ne sont pas confin\u00e9es \u00e0 quelques pays mais se produisent m\u00eame dans les n\u00f4tres.<\/p>\n\n\n\n Depuis plusieurs mois, le r\u00e9gime de Loukachenko m\u00e8ne des actions visant \u00e0 d\u00e9stabiliser d\u2019une part les pays limitrophes de la Bi\u00e9lorussie, et de l\u2019autre l\u2019Union. Il utilise pour cela des personnes en situation de d\u00e9tresse venant des pays du Moyen Orient ou d\u2019Asie du Sud (surtout d\u2019Irak et d\u2019Afghanistan) qui, pr\u00eates \u00e0 tout pour atteindre un quelconque pays de l\u2019Union, acceptent facilement les propositions de Minsk. Une fois en Bi\u00e9lorussie, elles sont conduites vers les fronti\u00e8res avec l\u2019Union, pour essayer de les traverser. Le premier conflit instrumentalisant les personnes migrantes visait la Lituanie, devenue ennemie du r\u00e9gime de Loukachenko au printemps 2021, dans la p\u00e9riode qui a suivi le d\u00e9tournement du vol visant l\u2019arrestation de Roman Protassevitch<\/a>, un des principaux opposants au r\u00e9gime. Plusieurs pays de l\u2019Union avaient, \u00e0 la suite de cet \u00e9v\u00e8nement, impos\u00e9 des nouvelles sanctions au r\u00e9gime b\u00e9larusse, qui a r\u00e9torqu\u00e9 en mena\u00e7ant \u00ab d\u2019inonder l\u2019Union europ\u00e9enne de drogues et de migrants \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il applique aujourd\u2019hui ses menaces, en tournant plus particuli\u00e8rement son attention, depuis quelques mois, vers la Pologne. <\/p>\n\n\n\n Dans ce conflit \u2013 une \u00ab guerre-hybride \u00bb si l\u2019on s\u2019en tient au r\u00e9cit des conservateurs \u2013 le gouvernement polonais dramatise et exag\u00e8re, menace les populations locales et diabolise les migrants. La d\u00e9fense de la fronti\u00e8re et la r\u00e9sistance aux provocations du pr\u00e9sident b\u00e9larusse sont devenues des dogmes infiniment sup\u00e9rieurs aux accords internationaux concernant l\u2019aide aux r\u00e9fugi\u00e9s et l\u2019humanisme, ce qui est d\u2019autant plus frappant de la part d\u2019un pays qui se r\u00e9clame du christianisme. <\/p>\n\n\n\n La d\u00e9fense de la fronti\u00e8re et la r\u00e9sistance aux provocations du pr\u00e9sident b\u00e9larusse sont devenues des dogmes infiniment sup\u00e9rieurs aux accords internationaux concernant l’aide aux r\u00e9fugi\u00e9s et l’humanisme.<\/p>anna C. zielinska<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n La Fondation Ocalenie (\u00ab Sauver \u00bb) a partag\u00e9 le 3 octobre l’information selon laquelle il y aurait actuellement en Pologne environ 1500 personnes plac\u00e9es en d\u00e9tention par les gardes-fronti\u00e8res, dont la moiti\u00e9 aurait d\u00e9pos\u00e9 des demandes de protection internationale dans le pays. Parmi ces personnes, 794 viennent d’Irak et 368 d’Afghanistan. Les personnes qui cherchent la reconnaissance de leur statut de r\u00e9fugi\u00e9 resteront probablement au moins six mois en Pologne ; elles risquent d’\u00eatre poursuivies pour avoir ill\u00e9galement travers\u00e9 la fronti\u00e8re. Il est n\u00e9cessaire de mieux organiser leur accueil, ce pour quoi la Pologne n\u2019a manifestement ni la volont\u00e9 ni l\u2019exp\u00e9rience. Au contraire, la police des fronti\u00e8res est particuli\u00e8rement r\u00e9pressive et les pratiques ill\u00e9gales des push backs <\/em>violents suscitent l\u2019indignation <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n En r\u00e9ponse aux tensions \u00e0 la fronti\u00e8re b\u00e9larusse, le gouvernement polonais a demand\u00e9 au pr\u00e9sident Duda de mettre en place \u00ab un \u00e9tat d\u2019exception \u00bb dans les territoires frontaliers. La demande a \u00e9t\u00e9 accept\u00e9e et les mesures sp\u00e9ciales associ\u00e9es \u00e0 cet \u00e9tat ont \u00e9t\u00e9 mises en \u0153uvre le 2 septembre 2021. Il s\u2019agit de la premi\u00e8re d\u00e9cision de ce type apr\u00e8s 1989, prise dans un contexte o\u00f9 aucun danger de la part des personnes migrantes ne menace celles et ceux qui habitent pr\u00e8s des fronti\u00e8res. <\/p>\n\n\n\n Les cons\u00e9quences pratiques de cette mesure incluent, premi\u00e8rement, la suspension du droit d’organiser des rassemblements, deuxi\u00e8mement, l\u2019interdiction de tout enregistrement sonore ou visuel et, troisi\u00e8mement, la restriction de l’acc\u00e8s aux informations publiques concernant les activit\u00e9s men\u00e9es dans les territoires couverts par l\u2019\u00e9tat d\u2019urgence <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\n La premi\u00e8re restriction exclut de facto<\/em> toute possibilit\u00e9 de venir physiquement en aide aux personnes en d\u00e9tresse, bloqu\u00e9es \u00e0 la fronti\u00e8re, qui vivent dans des conditions absolument d\u00e9plorables. Pendant tout le mois d\u2019ao\u00fbt, des habitants des villages voisins, quelques d\u00e9put\u00e9-e-s et, surtout, des personnes coordonn\u00e9es par la Fondation Ocalenie apportaient ou tentaient d\u2019apporter des v\u00eatements et de la nourriture. Aujourd\u2019hui, cela est impossible.<\/p>\n\n\n\n Il est n\u00e9cessaire de mieux organiser leur accueil, ce pour quoi la Pologne n’a manifestement ni la volont\u00e9 ni l’exp\u00e9rience.<\/p>anna C. zielinska<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ces deux types de restrictions entra\u00eenent l\u2019impossibilit\u00e9 pour les journalistes et les organisations non gouvernementales de partager des informations sur la situation aux fronti\u00e8res. Non seulement cela complique le travail des journalistes, mais en cons\u00e9quence, la plupart des informations dont disposent \u00e0 la fois les m\u00e9dias et les ONG viennent des sources b\u00e9larusses, des organes pour la plupart subordonn\u00e9s \u00e0 la propagande du gouvernement de Loukachenko. Le HCR, l\u2019Agence des Nations Unies pour les r\u00e9fugi\u00e9s, et l\u2019Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont exprim\u00e9 leur tristesse face \u00e0 la mort de quatre personnes pr\u00e8s de la fronti\u00e8re entre la Pologne et le B\u00e9larus <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Face \u00e0 une situation o\u00f9 des \u00ab groupes de personnes sont rest\u00e9s bloqu\u00e9s pendant des semaines, sans pouvoir acc\u00e9der \u00e0 aucune forme d\u2019assistance, d\u2019asile ou de services de base \u00bb, les deux agences ont exprim\u00e9 leur souhait d\u2019acc\u00e9der aux informations concernant notamment les personnes d\u00e9c\u00e9d\u00e9es, et d\u2019entrer en contact avec les personnes en d\u00e9tresse, \u00ab afin de leur fournir une aide m\u00e9dicale indispensable, de la nourriture, de l\u2019eau et un abri, en particulier \u00e0 l\u2019approche de l\u2019hiver \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Et pourtant, le 30 septembre, le parlement polonais a vot\u00e9 la prolongation de l\u2019\u00e9tat d\u2019exception de 60 jours, une d\u00e9cision \u00e9galement accept\u00e9e par le pr\u00e9sident. 224 d\u00e9put\u00e9s du PiS et quelques autres issus des partis d\u2019extr\u00eame droite ont permis d\u2019atteindre le score de 237 pour, et 179 contre. Parmi les voix d\u2019opposition se trouvent celles de la Coalition civique et de la Gauche, dont certains d\u00e9put\u00e9s ont pass\u00e9 plusieurs jours \u00e0 la fronti\u00e8re avant la date fatidique du 2 septembre (en particulier Maciej Konieczny de Lewica Razem\/Gauche et Franciszek Sterczewski de Coalition civique). <\/p>\n\n\n\n La sc\u00e8ne politique polonaise, du c\u00f4t\u00e9 des partis au pouvoir, continue \u00e0 faire fi de tous les standards moraux, comme le montre une s\u00e9rie de publications r\u00e9centes dans la presse (Rzeczpospolita, Oko.press<\/em>). Le \u00ab capitalisme de connivence \u00bb, mis en place \u00e0 travers les r\u00e9seaux de postes \u00e0 responsabilit\u00e9s distribu\u00e9s parmi les membres des nouvelles \u00e9lites conservatrices <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>, conduit \u00e0 l\u2019effondrement du mythe fondateur du parti Droit et Justice (PiS), celui de la lutte contre les \u00e9lites lib\u00e9rales (au sens \u00e9conomique). On vient notamment de d\u00e9couvrir le r\u00e9seau d\u2019influence du Premier ministre Morawiecki, ancien directeur de banque, qui est parvenu \u00e0 cr\u00e9er des fonds d\u2019investissement profitant \u00e0 ses proches \u00e0 partir d\u2019argent public <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n En septembre 2021, gr\u00e2ce \u00e0 un rapport mis en ligne par le Minist\u00e8re de la justice, le public a pu apprendre que le ministre Zbigniew Ziobro a d\u00e9cid\u00e9 de financer (\u00e0 hauteur de plus de 600 000 euros) un rapport sur les pr\u00e9tendues \u00ab discriminations antichr\u00e9tiennes \u00bb en Pologne. Ce texte, compos\u00e9 de 110 pages de m\u00e8mes (caricatures) et de 3 pages d\u2019analyse et de statistiques <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>, sugg\u00e8re de fa\u00e7on fantasque que l\u2019immense majorit\u00e9 (les chr\u00e9tiens) sont en Pologne les destinataires principaux d\u2019un discours haineux, alors m\u00eame que des migrants musulmans meurent aux fronti\u00e8res du pays.<\/p>\n\n\n\n L\u2019extr\u00eame fragilisation de la s\u00e9paration des pouvoirs fait qu\u2019il devient difficile de faire fonctionner les m\u00e9canismes de contr\u00f4le habituels. Cette absence de s\u00e9paration des pouvoirs a \u00e9t\u00e9 prouv\u00e9e une fois de plus \u00e0 travers la d\u00e9cision du Tribunal Constitutionnel instrumentalis\u00e9 par le parti au pouvoir. Le 7 octobre 2021, celui-ci a d\u00e9clar\u00e9 \u2013 suite \u00e0 une requ\u00eate du Premier ministre \u2013 que le principe de sup\u00e9riorit\u00e9 du droit europ\u00e9en sur le droit polonais est contraire \u00e0 la Constitution <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>, ce qui a \u00e9t\u00e9 interpr\u00e9t\u00e9 par certains comme un premier pas vers le Polexit. Cette interpr\u00e9tation est probablement erron\u00e9e : dans un pays o\u00f9 en septembre 2021, 81 % de citoyens veulent que leur pays reste membre de l\u2019Union Europ\u00e9enne <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>, cette suggestion est intenable. On peut la comprendre diff\u00e9remment : face aux critiques re\u00e7ues lors de ces derni\u00e8res ann\u00e9es (la r\u00e9forme contest\u00e9e du syst\u00e8me judiciaire, l\u2019interdiction de l\u2019avortement par le m\u00eame Tribunal en octobre 2020, la violence symbolique et politique extr\u00eame \u00e0 l\u2019\u00e9gard des personnes LGBT et, enfin, le traitement actuel des personnes migrantes), la jeune Pologne boude. Ce qui permet \u00e0 ses dirigeants de jouer un spectacle nationaliste qui couvre des probl\u00e8mes r\u00e9els auxquels ils n\u2019ont pas de r\u00e9ponse. Mais le jeu politique irresponsable avec le droit peut conduire, sans que ce soit l\u2019intention initiale, \u00e0 un point de non-retour.<\/p>\n\n\n\n Le jeu politique irresponsable avec le droit peut conduire, sans que ce soit l’intention initiale, \u00e0 un point de non-retour.<\/p>anna C. zielinska<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le philosophe et psychiatre martiniquais Frantz Fanon, en parlant en 1961 des dangers qui guettaient les jeunes pays affirmant leur ind\u00e9pendance face aux colonies, ne pensait pas aux pays de l\u2019Europe centrale. Quand il parlait de \u00ab l’incapacit\u00e9 de la bourgeoisie nationale des pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s \u00e0 rationaliser la praxis populaire, c’est-\u00e0-dire \u00e0 en extraire la raison \u00bb <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>, il ne pouvait certainement pas imaginer que ses analyses allaient pouvoir s\u2019appliquer \u00e0 un contexte europ\u00e9en. Et pourtant, son diagnostic, selon lequel la \u00ab conscience nationale \u00bb, dans sa vacuit\u00e9 fragile et donc grossi\u00e8re, risquera de passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ce qu\u2019elle devait avoir de plus pr\u00e9cieux \u2013 \u00ab la cristallisation coordonn\u00e9e des aspirations les plus intimes de l’ensemble du peuple \u00bb \u2013 semble correct. D\u2019autant plus quand il ajoute que \u00ab Les failles que l’on y d\u00e9couvre expliquent amplement la facilit\u00e9 avec laquelle, dans les jeunes pays ind\u00e9pendants, on passe de la nation \u00e0 l’ethnie, de l’\u00c9tat \u00e0 la tribu \u00bb <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/p>\n\n\n\nAux fronti\u00e8res est de l\u2019Europe<\/h2>\n\n\n\n
L\u2019\u00e9tat d\u2019exception et l\u2019impossibilit\u00e9 de l\u2019information <\/h2>\n\n\n\n
\u00ab L\u2019incapacit\u00e9 de la bourgeoisie nationale des pays sous-d\u00e9velopp\u00e9s \u00e0 rationaliser la praxis<\/em> populaire \u00bb<\/h2>\n\n\n\n
Schaffen wir das ? <\/em><\/h2>\n\n\n\n