{"id":118929,"date":"2021-09-02T14:49:01","date_gmt":"2021-09-02T12:49:01","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=118929"},"modified":"2025-04-05T17:19:39","modified_gmt":"2025-04-05T15:19:39","slug":"inter-pacem-et-bellum-nihil-medium","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/09\/02\/inter-pacem-et-bellum-nihil-medium\/","title":{"rendered":"\u00ab Inter pacem et bellum nihil medium \u00bb"},"content":{"rendered":"\n

Dans ce texte paru en octobre 1939 dans les Schriften der Akademie f\u00fcr Deutsches Recht, Carl Schmitt expose certaines de ses th\u00e8ses ma\u00eetresses tout en donnant des gages clairs aux nazis. <\/em><\/p>\n\n\n\n

Depuis qu\u2019il avait pris sa carte au parti national-socialiste, six ans plus t\u00f4t, Schmitt soutenait ouvertement le gouvernement d\u2019Hitler. On sait qu\u2019il \u00e9tait devenu l\u2019un des porte-paroles les plus \u00e9minents du r\u00e9gime. Quand il tomba en disgr\u00e2ce aux yeux de la SS \u00e0 partir de 1936, certains de ses coll\u00e8gues fid\u00e8les au r\u00e9gime, comme l\u2019influent Gustav Adolf Walz, le soup\u00e7onn\u00e8rent d\u2019\u00eatre trop \u00e9tatiste pour \u00eatre un alli\u00e9 sinc\u00e8re du gouvernement. Dans cet essai, Schmitt expose plusieurs de ses id\u00e9es cl\u00e9s sur la guerre et le droit international, mais il cherche aussi, de toute \u00e9vidence, \u00e0 lever les doutes que nourrit une partie de son entourage sur sa loyaut\u00e9 vis-\u00e0-vis du r\u00e9gime hitl\u00e9rien. Alors que l\u2019Allemagne vient tout juste d\u2019envahir la Pologne et de faire basculer l\u2019Europe dans la Seconde Guerre mondiale, il ose imputer la responsabilit\u00e9 de la crise europ\u00e9enne au droit international et \u00e0 l\u2019inad\u00e9quation de ses concepts de guerre et de paix. Sa critique du juriste Hans Wehberg, \u00e9tiquet\u00e9 syst\u00e9matiquement comme \u00ab  pacifiste  \u00bb, et ses r\u00e9f\u00e9rences complaisantes au juriste nazi Gustav Adolf Walz (avec lequel il vient pourtant d\u2019avoir un diff\u00e9rend th\u00e9orique, qu\u2019il ne mentionne pas) sont autant de signaux clairs  : Schmitt veut faire bonne figure aupr\u00e8s des cercles au pouvoir et renouveler son all\u00e9geance au national-socialisme.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Cic\u00e9ron avait-il raison d\u2019affirmer qu\u2019il n\u2019existe pas d\u2019\u00e9tat interm\u00e9diaire entre la paix et la guerre, dans une c\u00e9l\u00e8bre formule qui fut reprise par Grotius  ? <\/em><\/p>\n\n\n\n

Schmitt ne donne pas de r\u00e9ponse \u00e0 cette question, du moins en ce qui concerne \u00ab  les temps normaux  \u00bb. Il se contente de montrer que dans la situation \u00ab  anormale  \u00bb qui celle de l\u2019Europe depuis les Trait\u00e9s de Versailles et la fondation de la SDN, Cic\u00e9ron a tort  : il est devenu impossible de distinguer la guerre et la paix. D\u2019une part, parce que la guerre s\u2019est \u00e9tendue \u00e0 des domaines extra-militaires, comme \u00ab  l\u2019\u00e9conomie et la propagande  \u00bb, et qu\u2019un boycott peut devenir un acte de guerre. D\u2019autre part, parce que la criminalisation de la guerre d\u2019agression par le nouveau droit international conduit les fauteurs de guerre \u00e0 d\u00e9guiser leurs actes d\u2019hostilit\u00e9 en actes pacifiques ou d\u00e9fensifs. Dans cette situation, identifier tout ce qui n\u2019est pas la guerre \u00e0 la paix, c\u2019est s\u2019accrocher \u00e0 un ordre des choses qui ne vaut plus. D\u2019apr\u00e8s Schmitt, le nouveau droit international sombre dans la fiction quand il continue \u00e0 concevoir classiquement la guerre et la paix comme des \u00ab  \u00e9tats  \u00bb bien indentifiables. Du reste, ce n\u2019est pas contre l\u2019inefficience de ces fictions que le juriste vitup\u00e8re, mais contre leur efficacit\u00e9, car elles augmentent le chaos. La SDN est \u00ab  pire que rien  \u00bb, \u00e9crivait-il un an plus t\u00f4t <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/em><\/p>\n\n\n\n

Selon Schmitt, loin d\u2019\u00eatre le fruit d\u2019une confusion passag\u00e8re, l\u2019obscurcissement du concept de guerre et la multiplication des \u00e9tats interm\u00e9diaires entre guerre et paix r\u00e9sultent d\u2019un changement profond de l\u2019ordre mondial, un changement de \u00ab  nomos  \u00bb, ou, pour reprendre le titre d\u2019un texte qu\u2019il publiera en 1943, un \u00ab  changement de structure du droit international  \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Cette intuition, Schmitt la verra confirm\u00e9e par la mont\u00e9e de la guerre froide, comme il l\u2019\u00e9crira en 1962 dans \u00ab  L\u2019ordre du monde apr\u00e8s la Seconde guerre mondiale  \u00bb <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. <\/em><\/p>\n\n\n\n

Replac\u00e9 dans le corpus schmittien, \u00ab  Inter pacem et bellum nihil medium  \u00bb pr\u00e9sente deux singularit\u00e9s. Premi\u00e8rement, il semble qu\u2019il s\u2019agisse du seul texte de Schmitt dans lequel le terme \u00ab  d\u00e9cisionnisme  \u00bb est employ\u00e9 en un sens p\u00e9joratif. Le \u00ab  d\u00e9cisionnisme  \u00bb y est en effet d\u00e9nonc\u00e9 comme la possibilit\u00e9, pour les parties au conflit, de d\u00e9signer la r\u00e9alit\u00e9 de fa\u00e7on \u00ab  enti\u00e8rement subjective et volontariste  \u00bb, dans la situation d\u2019anarchie s\u00e9mantique qui est celle du premier apr\u00e8s-guerre aux yeux de Schmitt. La seconde singularit\u00e9 du texte est qu\u2019il se cl\u00f4t sur un appel \u00ab  \u00e0 la paix v\u00e9ritable  \u00bb, appel \u00e9tonnant sous la plume du juriste.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Notons enfin que l\u2019\u00e9dition critique allemande dans lequel le texte est paru (l\u2019imposant volume Frieden oder Pazifismus  ? pr\u00e9sent\u00e9 par G\u00fcnter Maschke, Berlin, Duncker & Humblot, 2005) a elle-m\u00eame suscit\u00e9 une pol\u00e9mique outre-Rhin jusque dans les cercles schmittiens. Notamment parce que le titre que G\u00fcnter Maschke a donn\u00e9 au volume (\u00ab  Paix ou pacifisme  ?  \u00bb) n\u2019est pas de Schmitt lui-m\u00eame et qu\u2019il met en exergue une id\u00e9e avec laquelle, certes, Schmitt joue sans cesse, comme on le voit dans ce texte, mais qu\u2019il a l\u2019habilet\u00e9 de ne pas formuler de fa\u00e7on aussi directe. <\/em><\/p>\n\n\n\n

Chamberlain, le premier ministre anglais, d\u00e9clarait il y a quelques mois devant la Chambre des Communes, le 26 avril 1939, \u00e0 l\u2019occasion de l\u2019introduction du service militaire obligatoire  : \u00ab  Nous ne sommes pas en guerre, mais nous ne sommes pas non plus en paix  \u00bb. Comment d\u00e8s lors qualifier la situation actuelle ?<\/p>\n\n\n\n

Par le pass\u00e9, la question de savoir quand commence une guerre consistait plut\u00f4t \u00e0 d\u00e9terminer un moment pr\u00e9cis dans le temps qu\u2019\u00e0 poser le probl\u00e8me de la d\u00e9finition m\u00eame du concept de guerre. Le combat militaire d\u2019entit\u00e9s organis\u00e9es est en g\u00e9n\u00e9ral un ph\u00e9nom\u00e8ne qui ne passe pas inaper\u00e7u et m\u00eame qui se voit de loin, et si nous partons de l\u2019id\u00e9e que la guerre au sens du droit international est un \u00ab  combat militaire entre \u00c9tats  \u00bb, alors on peut se demander si l\u2019emploi unilat\u00e9ral de la violence arm\u00e9e est d\u00e9j\u00e0 une guerre et si l\u2019on peut \u00e9galement parler de guerre lorsque l\u2019adversaire ne se d\u00e9fend pas, comme cela a \u00e9t\u00e9 le cas des Bulgares face aux Roumains en 1913. Mais entretemps, le concept de guerre a subi une transformation profonde. D\u2019une part, parce qu\u2019il ne recouvre plus seulement le combat arm\u00e9, proprement militaire, d\u2019autre part, parce que l\u2019hostilit\u00e9 peut \u00eatre activ\u00e9e dans un cadre extramilitaire, dans la mesure o\u00f9 la guerre devient guerre \u00e9conomique, guerre au moyen de la propagande, etc. Gustav Adolf Walz a fait ressortir le caract\u00e8re guerrier du boycott national dans un article paru r\u00e9cemment qui s\u2019intitule \u00ab  Boycott national et droit international  \u00bb <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il a rep\u00e9r\u00e9 dans \u00ab  le boycott national impos\u00e9 aux ennemis l\u2019autonomisation d\u2019une forme sp\u00e9ciale de la guerre  \u00bb <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Cette possibilit\u00e9 d\u2019activer l\u2019hostilit\u00e9 dans un cadre extramilitaire est un probl\u00e8me important que pose le nouveau concept de guerre, mais ce n\u2019est pas de cela dont nous voulons parler ici. Nous traiterons ici uniquement des actions qui, bien qu\u2019\u00e9tant ouvertement militaires, ne ressortissent pas de la guerre au sens que ce terme a en droit international.<\/p>\n\n\n\n

Une question a \u00e9t\u00e9 intens\u00e9ment discut\u00e9e ces derni\u00e8res ann\u00e9es, qu\u2019on peut formuler ainsi  : peut-on assimiler des repr\u00e9sailles militaires \u00e0 des mesures pacifiques, de sorte qu\u2019on ne puisse pas les qualifier de \u00ab  guerre  \u00bb au sens o\u00f9 le droit international l\u2019entend  ? Cette question re\u00e7oit souvent une r\u00e9ponse positive. C\u2019est en particulier l\u2019invasion de la Chine par le Japon en 1931-1932 qui a mis au jour la probl\u00e9matique nouvelle inh\u00e9rente au concept de guerre. Hans Wehberg, professeur de droit international pacifiste, pouvait affirmer alors, en janvier 1932, en s\u2019appuyant sur de nombreux juristes internationalistes, que des repr\u00e9sailles militaires \u00e9taient possibles en temps de paix, que par cons\u00e9quent l\u2019action des Japonais n\u2019\u00e9tait pas assimilable \u00e0 une guerre et que les Japonais n\u2019avaient pas \u00ab  recouru \u00e0 la guerre  \u00bb au sens de l\u2019article 16 du pacte de la SDN, ce qui retirait tout fondement \u00e0 une sanction de la Soci\u00e9t\u00e9 des Nations, les conditions n\u2019\u00e9tant pas r\u00e9unies pour cela <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En revanche, on sait que l\u2019invasion de l\u2019Italie contre l\u2019Abyssinie \u00e0 l\u2019automne 1935 fut per\u00e7ue comme un \u00ab  recours \u00e0 la guerre  \u00bb auquel il fallait r\u00e9pondre par des sanctions. Wehberg a ensuite modifi\u00e9 sa conception juridique, mais il n\u2019a pas saisi la logique propre de la relation entre la guerre et la paix, ni son concept <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Il ne s\u2019agit pas pour nous de pr\u00e9senter des th\u00e9ories subjectives ou objectives de la guerre, mais de poser la question de la paix v\u00e9ritable<\/em>. Il est caract\u00e9ristique du pacifisme de Gen\u00e8ve et de son syst\u00e8me de pr\u00e9vention de la guerre de faire de la paix une fiction juridique d\u00e9finie n\u00e9gativement  : la paix est tout ce qui n\u2019est pas la guerre. Mais le concept de guerre est devenu si probl\u00e9matique qu\u2019une paix qu\u2019on d\u00e9finit ainsi n\u00e9gativement ne peut \u00eatre qu\u2019un leurre assez triste. Cela vaut sans doute la peine d\u2019aborder cet aspect du probl\u00e8me de la guerre parce qu\u2019il met en \u00e9vidence les raisons v\u00e9ritables et profondes de la confusion qui r\u00e8gne actuellement autour du concept de guerre. Disons en guise de remarque pr\u00e9liminaire qu\u2019on ne s\u2019en tirera pas simplement en r\u00e9p\u00e9tant les moqueries usuelles \u00e0 l\u2019\u00e9gard du droit international et de sa pr\u00e9tendue faillite. Le probl\u00e8me sous-jacent \u00e0 la situation pr\u00e9sente est en fait des plus s\u00e9rieux <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Dans les situations o\u00f9 la guerre et l\u2019hostilit\u00e9 sont des faits bruts, donn\u00e9s, qu\u2019on peut rep\u00e9rer sans incertitude, alors tout ce qui n\u2019est pas la guerre est eo ipso<\/em> la paix et tout ce qui n\u2019est pas un ennemi est eo ipso<\/em> un ami. Et inversement, dans les situations o\u00f9 la guerre et l\u2019amiti\u00e9 sont des faits \u00e9vidents, on peut appeler \u00ab  guerre  \u00bb tout ce qui n\u2019est pas la paix et \u00ab  hostilit\u00e9  \u00bb tout ce qui n\u2019est pas l\u2019amiti\u00e9. Dans le premier cas, c\u2019est la paix, dans le second la guerre qui est d\u00e9termin\u00e9e n\u00e9gativement \u00e0 partir d\u2019un donn\u00e9 d\u00e9termin\u00e9, ce qui, selon les r\u00e8gles de la logique juridique, est tout \u00e0 fait possible. La notion d\u2019\u00ab  actions hostiles contre des \u00c9tats amis  \u00bb qu\u2019on trouve dans le droit p\u00e9nal (quatri\u00e8me section de la deuxi\u00e8me partie du Code p\u00e9nal du Reich allemand, \u00a7 102 \u00e0 104) pr\u00e9suppose par exemple que l\u2019ami n\u2019est que le non-ennemi. D\u2019apr\u00e8s cette logique, tout \u00c9tat avec lequel notre \u00c9tat n\u2019est pas en guerre est un \u00c9tat ami. Selon les cas, il est possible que cela soit juste, mais il est \u00e9galement possible que cela soit faux, ce que montre par exemple le fait que si l\u2019on suit ce raisonnement, l\u2019\u00c9tat tch\u00e9coslovaque, et Benes, son pr\u00e9sident, \u00e9taient en mai et en septembre 1938 un ami du Reich allemand. Un exemple important du cas contraire est pr\u00e9sent\u00e9 dans un article de 1915 de l\u2019italien Arrigo Cavaglieri, article souvent cit\u00e9 dans lequel le juriste internationaliste affirme en substance que tous les actes de violence militaire, parce qu\u2019ils violent le droit \u00e0 la paix et le droit \u00e0 l\u2019int\u00e9grit\u00e9 territoriale, sont incompatibles avec l\u2019\u00e9tat de paix et sont donc des actes de guerre. Plus tard, Cavaglieri a r\u00e9vis\u00e9 son jugement face \u00e0 la pratique du droit international qui lui donnait tort <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ce qui est remarquable dans l\u2019argumentation de ce texte de 1915, c\u2019est que la paix y est con\u00e7ue comme un ordre concret et ferm\u00e9. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, pour Cavaglieri, la paix \u00e9tait le concept le plus puissant, celui dont il fallait partir, tandis que le pacifiste de Gen\u00e8ve d\u00e9finit la paix \u00e0 partir de la guerre <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n

Que l\u2019on voie la guerre dans l\u2019absence de paix, ou que l\u2019on voie la paix dans l\u2019absence de guerre, dans les deux cas, on pr\u00e9suppose que l\u2019alternative entre guerre et paix est ind\u00e9passable et n\u00e9cessaire et qu\u2019entre la guerre et la paix, aucun interm\u00e9diaire, aucun troisi\u00e8me terme n\u2019est pensable. \u00ab  Inter pacem et bellum nihil est medium <\/em> \u00bb. Cette phrase de Cic\u00e9ron qui est tir\u00e9e de la huiti\u00e8me Philippique a toujours \u00e9t\u00e9 cit\u00e9e comme une sorte de dogme. Hugo Grotius l\u2019a reprise dans De jure belli ac pacis<\/em> (livre 3, chapitre 21, \u00a7 1) et on lit encore dans l\u2019une des derni\u00e8res synth\u00e8ses parues sur le th\u00e8me du droit de la guerre et de la neutralit\u00e9 que \u00ab  du point de vue du droit positif, il n\u2019y a que la guerre ou la paix, il ne saurait y avoir d\u2019interm\u00e9diaire  \u00bb <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>. On a sans cesse utilis\u00e9 cette m\u00eame m\u00e9canique conceptuelle simple \u00e0 propos de l\u2019invasion japonaise en Chine  : ce qui n\u2019est pas la guerre est la paix. Ce \u00ab  nihil medium  \u00bb est justement la question qu\u2019il faut poser au sujet de la situation pr\u00e9sente. Il faudrait d\u2019abord se demander si dans la situation objective qui est la n\u00f4tre un \u00e9tat interm\u00e9diaire est vraiment exclu. Une telle possibilit\u00e9, une telle situation interm\u00e9diaire entre guerre et paix serait \u00e9videmment une situation anormale, mais il existe aussi des situations anormales.<\/p>\n\n\n\n

En effet, depuis des ann\u00e9es cette situation anormale perdure, cet \u00e9tat interm\u00e9diaire dans lequel se m\u00e9langent la guerre et la paix. Il y a trois causes \u00e0 cela  : en premier lieu le diktat<\/em> de la paix de Versailles, ensuite le syst\u00e8me de pr\u00e9vention de la guerre que la Soci\u00e9t\u00e9 des nations et le Pacte Briand-Kellog repr\u00e9sentent depuis la fin de la guerre <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>, enfin l\u2019extension de la guerre \u00e0 des domaines non militaires (l\u2019\u00e9conomie, la propagande, etc.), domaines o\u00f9 s\u2019enclenche aussi l\u2019hostilit\u00e9 <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ces trois causes sont \u00e9troitement li\u00e9es entre elles et proviennent toutes d\u2019une m\u00eame cause fondamentale  : Versailles. Le diktat<\/em> de la paix de Versailles voulait faire de la paix une \u00ab  continuation de la guerre par d\u2019autres moyens  \u00bb. Il a \u00e0 tel point \u00e9largi le concept d\u2019ennemi qu\u2019il \u00e9tait par suite impossible de distinguer non seulement le combattant du non-combattant, mais aussi la guerre de la paix. Mais il a cherch\u00e9 en m\u00eame temps \u00e0 l\u00e9galiser par des pactes cet \u00e9tat interm\u00e9diaire entre guerre et paix, \u00e9tat ind\u00e9termin\u00e9 qu\u2019on avait laiss\u00e9 b\u00e9ant intentionnellement  ; il a tent\u00e9 de le construire juridiquement comme un statu quo<\/em> pacifique, normal et d\u00e9finitif. La logique juridique propre \u00e0 la paix et les pr\u00e9somptions l\u00e9gales dont tout juriste peut et doit faire usage dans une situation v\u00e9ritablement pacifi\u00e9e ont \u00e9t\u00e9 greff\u00e9es \u00e0 cette situation interm\u00e9diaire anormale. Dans un premier temps, cela sembla avantageux aux vainqueurs parce qu\u2019ils pouvaient jouer \u00e0 deux mains<\/em> <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span> et selon qu\u2019ils supposaient qu\u2019on se trouvait en guerre ou en paix, dans tous les cas ils avaient la l\u00e9galit\u00e9 de Gen\u00e8ve de leur c\u00f4t\u00e9 et ils pouvaient planter dans le dos de leurs adversaires les concepts qui lui sont propres (\u00ab  agression  \u00bb, \u00ab  pacte viol\u00e9  \u00bb, \u00ab  sanction  \u00bb, etc.). Les pays membres de la Soci\u00e9t\u00e9 des Nations ne faisaient pas la \u00ab  guerre  \u00bb, ils prenaient des \u00ab  sanctions  \u00bb. Par ce biais la fameuse technique anglaise des \u00ab  m\u00e9thodes indirectes  \u00bb triomphait \u00e0 nouveau <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Toute caract\u00e9risation distinguant les actions militaires des actions non-militaires, les qualifiant de \u00ab  pacifiques  \u00bb ou de \u00ab  guerri\u00e8res  \u00bb devint ainsi absurde parce que les actions non militaires pouvaient se r\u00e9v\u00e9ler \u00eatre les actions d\u2019hostilit\u00e9 les plus efficaces, les plus imm\u00e9diates et les plus intenses, alors qu\u2019inversement on d\u00e9niait solennellement \u00e0 certaines op\u00e9rations militaires bien r\u00e9elles toute intention belliqueuse et tout animus belligerandi<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Dans une situation interm\u00e9diaire de ce type, l\u2019opposition de la guerre et de la paix prend une signification nouvelle et inattendue. D\u00e9sormais, en effet, tout devient pr\u00e9somption et fiction juridique, que l\u2019on suppose que tout ce qui n\u2019est pas la paix est la guerre ou, \u00e0 l\u2019inverse, que tout ce qui n\u2019est pas la guerre est n\u00e9cessairement la paix. Dans cette situation, toutes les tentatives de d\u00e9finition de la guerre doivent aboutir \u00e0 un d\u00e9cisionnisme enti\u00e8rement subjectif et volontariste. Il s\u2019agit d\u2019une guerre quand une partie au conflit devenue active veut<\/em> la guerre. Une monographie publi\u00e9e r\u00e9cemment qui porte sur le concept de guerre en droit international formule ainsi cette id\u00e9e : \u00ab  Le seul crit\u00e8re s\u00fbr qu\u2019il nous reste est la volont\u00e9 des parties au conflit. Si celle-ci aspire \u00e0 donner l\u2019allure d\u2019une guerre aux op\u00e9rations violentes, alors c\u2019est la guerre, sinon c\u2019est la paix  \u00bb <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ce \u00ab  sinon c\u2019est la paix  \u00bb est malheureusement la question fondamentale. Le d\u00e9cisionnisme propre \u00e0 ces d\u00e9finitions refl\u00e8te \u00e0 vrai dire la situation qui est la n\u00f4tre. Il se montre par analogie dans le fait par exemple qu\u2019en droit international le caract\u00e8re politique d\u2019un diff\u00e9rend n\u2019est plus d\u00e9termin\u00e9 que par la volont\u00e9 de chaque partie au conflit et donc qu\u2019une fois de plus \u00ab  la volont\u00e9 devient le crit\u00e8re imm\u00e9diat du politique  \u00bb <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Quelle cons\u00e9quence faut-il en tirer pour la question qui nous occupe, celle de la relation entre guerre et paix  ? Cela met en \u00e9vidence le primat du concept d\u2019hostilit\u00e9<\/em>, d\u2019animus hostilis<\/em>, par rapport \u00e0 la guerre. On peut en d\u00e9duire que les th\u00e9ories subjectives ou volontaristes du concept de guerre ont un autre sens dans une situation interm\u00e9diaire entre guerre et paix qu\u2019en temps normal. De tous temps, il y a eu des \u00ab  demi  \u00bb guerres, des guerres \u00ab  partielles  \u00bb, \u00ab  inachev\u00e9es  \u00bb, \u00ab  retenues  \u00bb, \u00ab  localis\u00e9es  \u00bb, des \u00ab  wars sub modo<\/em>  \u00bb <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>, et m\u00eame l\u2019expression qu\u2019utilise le rapport Lytton \u00e0 propos de l\u2019invasion japonaise, celle de \u00ab  war disguised <\/em> \u00bb ne repr\u00e9sente rien de neuf en soi. Ce qui est neuf, c\u2019est la construction juridique et l\u2019institutionnalisation par la SDN de Gen\u00e8ve et par le pacte Briand-Kellog d\u2019un \u00e9tat interm\u00e9diaire entre la guerre et la paix qui rendent impossibles les d\u00e9finitions n\u00e9gatives dont nous parlions \u2013 que ce soit celles qui identifient l\u2019absence de paix \u00e0 la guerre ou celles qui, de l\u2019absence de guerre concluent \u00e0 la paix.<\/p>\n\n\n\n

Seule une observation concr\u00e8te de la relation entre guerre et paix permet de percevoir pleinement le sens qu\u2019a eu le renversement de l\u2019ancien ordre juridique par l\u2019injustice de Versailles pour le droit international et le fait qu\u2019aucun ordre nouveau n\u2019ait \u00e9t\u00e9 introduit \u00e0 la place de l\u2019ancien. Les auteurs et les d\u00e9fenseurs du syst\u00e8me de Versailles sont responsables de cet \u00e9tat interm\u00e9diaire et anormal, qui, d\u2019un c\u00f4t\u00e9, n\u2019est ni la guerre ni la paix, mais qui, d\u2019un autre c\u00f4t\u00e9, est aussi bien la guerre que la paix. Un chaos de ce type est trop profond pour que de simples \u00ab  r\u00e9visions  \u00bb puissent ramener l\u2019ordre. Le Trait\u00e9 de Versailles et le leurre du pacifisme de Gen\u00e8ve qu\u2019on a construit \u00e0 partir de lui ont transform\u00e9 la paix en une fiction trompeuse et ils ont ainsi d\u00e9truit le principe le plus fondamental de tout droit international et de tout ordre. C\u2019est seulement quand l\u2019absence de paix qui caract\u00e9rise le syst\u00e8me de Versailles sera supprim\u00e9e dans son fondement m\u00eame et quand elle aura fait place \u00e0 un ordre pacifique v\u00e9ritable que sera d\u00e9pass\u00e9 ce funeste \u00e9tat interm\u00e9diaire entre guerre et paix. Le vrai probl\u00e8me n\u2019est donc pas le probl\u00e8me du concept de guerre, mais celui de la paix v\u00e9ritable.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Est-il possible de tracer une fronti\u00e8re qui s\u00e9pare l’\u00e9tat de paix de l’\u00e9tat de guerre, ce \u00ab  nihil medium<\/em>  \u00bb qu’\u00e9voquait Cic\u00e9ron  ? Si les terrains des conflits se sont d\u00e9plac\u00e9s des champs de bataille au cyber, au domaine de l\u2019information et au big data<\/em>, la question li\u00e9e \u00e0 l’absence d’une s\u00e9paration nette, responsable de cet \u00ab  \u00e9tat interm\u00e9diaire  \u00bb, se posait d\u00e9j\u00e0 \u00e0 la fin des ann\u00e9es 1930. 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