{"id":115139,"date":"2021-08-02T07:27:00","date_gmt":"2021-08-02T05:27:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=115139"},"modified":"2021-09-28T17:25:47","modified_gmt":"2021-09-28T15:25:47","slug":"grand-tour-gilles-kepel","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/08\/02\/grand-tour-gilles-kepel\/","title":{"rendered":"\u00ab Il y a un humour tch\u00e8que dont j’ai d\u00e9couvert que j’\u00e9tais l’h\u00e9ritier inconscient \u00bb, conversation avec Gilles Kepel"},"content":{"rendered":"\n

Auteur de nombreux ouvrages de r\u00e9f\u00e9rence sur le Moyen-Orient et l\u2019islam, vous travaillez actuellement \u00e0 un livre qui vous conduit vers un tout autre terrain : la R\u00e9publique tch\u00e8que. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Apr\u00e8s avoir pass\u00e9 ma vie \u00e0 \u00e9tudier le Moyen-Orient, je me suis demand\u00e9 pourquoi j\u2019avais appris l\u2019arabe, ce \u00e0 quoi rien a priori<\/em> ne me pr\u00e9destinait, si ce n\u2019est le fait que j\u2019avais rat\u00e9 le concours d\u2019entr\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00c9cole normale sup\u00e9rieure avec des notes lamentables en philosophie, histoire et fran\u00e7ais : j\u2019avais obtenu 4 sur 20 dans chaque discipline. J\u2019\u00e9tais finalement parti cet \u00e9t\u00e9 1974 faire un voyage au Moyen-Orient pour d\u00e9couvrir les contr\u00e9es figurant sur la carte de l\u2019empire romain qui \u00e9tait suspendue sur les murs de la kh\u00e2gne (une carte que j\u2019ai r\u00e9install\u00e9e dans mon bureau de l\u2019ENS, o\u00f9 je finis ma carri\u00e8re l\u00e0 o\u00f9 j\u2019aurais voulu la commencer, apr\u00e8s avoir tourn\u00e9 tout au long de ma vie des dizaines de fois autour de cette M\u00e9diterran\u00e9e en une Odyss\u00e9e r\u00e9p\u00e9titive et toujours inachev\u00e9e). \u00c0 mon retour, ma vie personnelle avait un tour peu agr\u00e9able : outre mon \u00e9chec scolaire, ma m\u00e8re \u00e9tait d\u00e9c\u00e9d\u00e9e dans un accident de voiture tandis que ma copine, qui n\u2019avait pas vocation de P\u00e9n\u00e9lope bien qu\u2019elle f\u00fbt d\u2019origine grecque, lasse de mon absence m\u2019avait quitt\u00e9 pour un autre. Dans cette esp\u00e8ce de marasme, ne sachant trop que faire, le seul endroit qui me semblait chaleureux \u00e9tait le Moyen-Orient o\u00f9 j\u2019avais \u00e9t\u00e9 accueilli un peu comme Ulysse chez Circ\u00e9. C\u2019est ainsi que, par curiosit\u00e9 au d\u00e9part, j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 suivre des cours d\u2019arabe \u00e0 Censier.<\/p>\n\n\n\n

R\u00e9trospectivement, je me suis toutefois demand\u00e9 si mon apprentissage de cette langue n\u2019\u00e9tait pas une forme de compensation, comme on dirait en psychanalyse, pour le fait qu\u2019il y a une langue que je n\u2019ai pas apprise, celle de mon p\u00e8re, le tch\u00e8que. Le livre auquel je travaille actuellement suit l\u2019histoire de ma famille paternelle \u00e0 partir de la naissance de mon a\u00efeul dans un petit village sylvestre de Boh\u00eame m\u00e9ridionale en 1876. Mon intention n\u2019est pas de faire \u00e0 partir de cela \u0153uvre universitaire mais d\u2019effectuer un retour sur mon aventure propre. Cela correspond \u00e0 mon prochain passage \u00e0 la retraite et \u00e0 mon d\u00e9sir d\u2019envisager ce qui me reste \u00e0 vivre, c\u2019est-\u00e0-dire la litt\u00e9rature et non plus la recherche, m\u00eame si je conserverai quelques activit\u00e9s d\u2019enseignement.<\/p>\n\n\n\n

R\u00e9trospectivement, je me suis toutefois demand\u00e9 si mon apprentissage de l’arabe n\u2019\u00e9tait pas une forme de compensation, comme on dirait en psychanalyse, pour le fait qu\u2019il y a une langue que je n\u2019ai pas apprise, celle de mon p\u00e8re, le tch\u00e8que. <\/p>Gilles Kepel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Comment expliquez-vous ce d\u00e9sint\u00e9r\u00eat, dans votre jeunesse, pour la langue du p\u00e8re ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Lui n\u2019avait jamais pens\u00e9 \u00e0 me l\u2019apprendre. Pas seulement parce que l\u2019assimilation avait une pr\u00e9gnance beaucoup plus \u00ab dogmatique \u00bb \u00e0 l\u2019\u00e9poque, mais parce qu\u2019il le parlait assez mal, et ma m\u00e8re azur\u00e9enne pas du tout. Il \u00e9tait n\u00e9 \u00e0 Prague en janvier 1928 d\u2019un p\u00e8re francophile absolu, qui \u00e9tait lui-m\u00eame arriv\u00e9 \u00e0 Paris en 1908, o\u00f9 il fut notamment le premier traducteur d\u2019Apollinaire en tch\u00e8que. Il y tenait pour la presse tch\u00e8que une rubrique sur Montparnasse o\u00f9 il vivait et fr\u00e9quentait notamment Picasso et Matisse, il a aussi organis\u00e9 en 1910 une exposition des peintres \u00ab ind\u00e9pendants \u00bb parisiens \u00e0 Prague \u2014 il en reste dans la Galerie Nationale les Baigneuses<\/em> de 1908 de Derain qu\u2019il avait apport\u00e9s l\u00e0. Il est demeur\u00e9 pendant la guerre \u00e0 Paris o\u00f9 il a cr\u00e9\u00e9 sous les auspices de Masaryk (futur premier pr\u00e9sident de la Tch\u00e9coslovaquie), la premi\u00e8re revue ind\u00e9pendantiste en fran\u00e7ais, La nation tch\u00e8que<\/em>. Il collaborait avec Ernest Denis, le grand slavisant de la Sorbonne, dont l\u2019ancien h\u00f4tel particulier, rue Michelet, est \u00e0 pr\u00e9sent l\u2019Institut d\u2019\u00e9tudes slaves. Le si\u00e8ge de la revue \u00e9tait chez mon grand-p\u00e8re, rue Boissonade, dans le quatorzi\u00e8me arrondissement, en plein c\u0153ur de Montparnasse, o\u00f9 j\u2019ai grandi. Toute cette histoire, je ne la connaissais pas tr\u00e8s bien et elle m\u2019int\u00e9ressait moyennement. Les relations avec mon p\u00e8re \u00e9taient compliqu\u00e9es par le gauchisme dont j\u2019\u00e9tais un adepte fanatique \u00e0 l\u2019adolescence. Lui-m\u00eame fut dans sa jeunesse le secr\u00e9taire de la cellule communiste de Montparnasse puis apr\u00e8s 1956 \u2014 la Hongrie et la Pologne \u2014 fit un rejet violent du communisme et passa tr\u00e8s \u00e0 droite. Pour moi, cela repr\u00e9sentait l\u2019horreur… \u00e0 l\u2019\u00e9poque !<\/p>\n\n\n\n

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Pl\u00e2tre repr\u00e9sentant le grand-p\u00e8re de Gilles Kepel. \u00a9Tous droits r\u00e9serv\u00e9s.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Dans quelles circonstances vous \u00eates-vous finalement int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 ce pass\u00e9 familial ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Il y a une dizaine d\u2019ann\u00e9es, mon p\u00e8re a \u00e9t\u00e9 atteint de la maladie d\u2019Alzheimer. \u00c9tant son seul enfant, j\u2019ai pass\u00e9 beaucoup de temps avec lui. Il perdait la m\u00e9moire r\u00e9cente mais conservait une m\u00e9moire ancienne exacerb\u00e9e. Il y a un moment de bascule dans cette maladie o\u00f9 l\u2019on se souvient avec beaucoup de pr\u00e9cision de ce qui s\u2019est pass\u00e9 il y a un demi-si\u00e8cle mais o\u00f9 l\u2019on oublie ce qu\u2019on a bu une heure plus t\u00f4t. J\u2019ai donc appris \u00e9norm\u00e9ment de choses de mon histoire familiale \u00e0 l\u2019occasion de ces conversations d\u00e9cousues. C\u2019\u00e9tait \u00e9galement une p\u00e9riode o\u00f9 j\u2019\u00e9tais de plus en plus lass\u00e9 par ce qui advenait dans le monde arabe vis-\u00e0-vis duquel je cherchais \u00e0 prendre un peu de distance \u2014 Daesh m\u2019ayant condamn\u00e9 \u00e0 mort en 2016 ; puis la mouvance islamo-gauchiste universitaire ayant pris le relais en me poursuivant en justice, me contraignant \u00e0 aller jusqu\u2019en cour d\u2019appel… In fine<\/em>, avec la soixantaine, arrivait un moment propice pour m\u2019interroger sur mon parcours et mes choix de vie. J\u2019ai ainsi accumul\u00e9 des informations sur son enfance \u00e0 Prague mais surtout \u00e0 Gen\u00e8ve o\u00f9 mon grand-p\u00e8re \u00e9tait devenu le responsable du bureau de presse tch\u00e9coslovaque \u00e0 la Soci\u00e9t\u00e9 des Nations. C\u2019est l\u00e0 que mon p\u00e8re a grandi et c\u2019est ce qui explique que son tch\u00e8que \u00e9tait assez moyen car il a \u00e9t\u00e9 \u00e9duqu\u00e9 en fran\u00e7ais dans la cit\u00e9 de Rousseau. Il en conserva du reste par coquetterie des helv\u00e9tismes : il disait \u00ab septante \u00bb et \u00ab nonante \u00bb. Ils sont ensuite retourn\u00e9s deux ans en Boh\u00eame, puis sont venus \u00e0 Paris pendant la dr\u00f4le de guerre. Mon p\u00e8re a \u00e9t\u00e9 admis en sixi\u00e8me au lyc\u00e9e Montaigne en octobre 1938, trois jours apr\u00e8s le retour de Daladier de Munich. Son professeur lui ayant demand\u00e9 de pr\u00e9parer \u00e0 la maison une proposition contenant l\u2019adjectif \u00ab in\u00e9vitable \u00bb, il avait demand\u00e9 conseil \u00e0 mon a\u00efeul qui lui avait sugg\u00e9r\u00e9 : \u00ab on dit que la guerre est in\u00e9vitable \u00bb. Il a lev\u00e9 la main tr\u00e8s fier, a prononc\u00e9 cette phrase en classe, et les autres gamins lui sont tomb\u00e9s dessus : \u00ab sales Tch\u00e8ques, c\u2019est \u00e0 cause de vous qu\u2019on va avoir la guerre \u00bb. Comme durant l\u2019ann\u00e9e qu\u2019il venait de passer en Boh\u00eame, il avait fait du bucheronnage, il a su se d\u00e9fendre \u00e0 la r\u00e9cr\u00e9ation qui a suivi.<\/p>\n\n\n\n

Ensuite, ils ont v\u00e9cu le Blitz <\/em>en Angleterre o\u00f9 ils avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9vacu\u00e9s avec le personnel de la L\u00e9gation tch\u00e8que que les nazis voulaient r\u00e9cup\u00e9rer. Il a poursuivi sa scolarit\u00e9 au lyc\u00e9e fran\u00e7ais, d\u00e9localis\u00e9 dans le district des lacs. Apr\u00e8s la guerre, ils sont revenus en France. Mon p\u00e8re a \u00e9t\u00e9 naturalis\u00e9 en 1954 et pour \u00e9viter qu\u2019il n\u2019e\u00fbt \u00e0 partir combattre en Alg\u00e9rie, j\u2019ai \u00e9t\u00e9 fabriqu\u00e9 en h\u00e2te, il devenait ainsi soutien de famille. Ma m\u00e8re \u00e9tait \u00e2g\u00e9e de 21 ans, ils n\u2019avaient pas de quoi \u00e9lever leur marmot, et j\u2019ai \u00e9t\u00e9 envoy\u00e9 passer toute ma petite enfance \u00e0 Nice, chez ma grand-m\u00e8re directrice d\u2019\u00e9cole \u2014 une initiation charnelle autant qu\u2019instructrice \u00e0 l\u2019univers m\u00e9diterran\u00e9en. C\u2019est peut-\u00eatre aussi le m\u00e9lange de tout cela qui a d\u00e9cid\u00e9 de ma vocation arabisante : ma venue au monde l\u2019an 1955, que la fac\u00e9tie du fatum a fait co\u00efncider avec le 30 juin (anniversaire de la naissance de la Tch\u00e9coslovaquie \u00e0 Darney, dans les Vosges, o\u00f9 Poincar\u00e9 remet l\u2019an 1918 son drapeau au r\u00e9giment de chasseurs tch\u00e9coslovaques qui prendra Prague aux Austro-Hongrois), a permis \u00e0 mon p\u00e8re d\u2019\u00e9viter de se faire tuer par des Arabes ou d\u2019en tuer. C\u2019est en France que mon grand-p\u00e8re est d\u00e9c\u00e9d\u00e9 en 1958 et que mon p\u00e8re a r\u00e9sid\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 sa mort en mars 2019. Je n\u2019ai pas vraiment connu mon a\u00efeul paternel qui m\u2019a vu na\u00eetre mais dont je ne conserve pas de souvenirs conscients. Je me suis donc int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 cette histoire familiale sur le tard. Je l\u2019ai fait avec les instruments cognitifs dont je disposais par ma profession et avec un gros handicap : je ne connais pas la langue tch\u00e8que. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 lire ce qui \u00e9tait disponible en fran\u00e7ais, notamment les brillants travaux de St\u00e9phane Reznikow sur la francophilie tch\u00e8que. J\u2019ai \u00e9galement fait la connaissance d\u2019Antoine Mar\u00e8s, le \u00ab pape \u00bb des \u00e9tudes slaves en France et qui avait d\u2019ailleurs rencontr\u00e9 autrefois mon p\u00e8re pour l\u2019interviewer. Ma tante (la s\u0153ur de mon p\u00e8re) est entre temps d\u00e9c\u00e9d\u00e9e en \u00c9cosse o\u00f9 je me suis rendu. J\u2019ai alors trouv\u00e9 chez elle des bo\u00eetes pleines de correspondance familiale en tch\u00e8que et un peu en fran\u00e7ais. Cela repr\u00e9sentait pour moi comme un \u00ab manuscrit de la mer Morte \u00bb que je ne pouvais pas d\u00e9chiffrer. Et puis j\u2019ai \u00e9t\u00e9 guid\u00e9 par mon coll\u00e8gue et ami Jacques Rupnik, le meilleur connaisseur de la R\u00e9publique Tch\u00e8que actuelle, dont un destin propice avait fait mon voisin de bureau quand j\u2019\u00e9tais chercheur au CERI (Centre de Recherches Internationales de Sciences Po) dans les derni\u00e8res d\u00e9cennies du si\u00e8cle pass\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Je n\u2019ai pas vraiment connu mon a\u00efeul paternel qui m\u2019a vu na\u00eetre mais dont je ne conserve pas de souvenirs conscients. Je me suis donc int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 cette histoire familiale sur le tard. Je l\u2019ai fait avec les instruments cognitifs dont je disposais par ma profession et avec un gros handicap : je ne connais pas la langue tch\u00e8que. <\/p>Gilles Kepel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Vous avez fr\u00e9quent\u00e9 t\u00f4t la R\u00e9publique tch\u00e8que ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

J\u2019y suis all\u00e9 d\u00e8s l\u2019enfance, mais de mani\u00e8re infr\u00e9quente, car c\u2019\u00e9tait toute une affaire de traverser le rideau de fer. Mon p\u00e8re avait traduit un certain nombre de pi\u00e8ces de th\u00e9\u00e2tre tch\u00e8ques en fran\u00e7ais, dont celles de Vaclav Havel. Mon grand-p\u00e8re traduisait du fran\u00e7ais vers le tch\u00e8que, son fils du tch\u00e8que vers le fran\u00e7ais. Or, Havel lui avait donn\u00e9 les droits exclusifs de ses pi\u00e8ces en fran\u00e7ais afin d\u2019\u00e9viter que l\u2019agence communiste Dilia ne r\u00e9cup\u00e8re ses droits pour les lui reverser en couronnes tch\u00e8ques, la monnaie de singe du socialisme r\u00e9el. Ce dernier lui apportait donc ses droits d\u2019auteurs en devises quand il allait en Tch\u00e9coslovaquie, ce qui permettait \u00e0 Havel de s\u2019approvisionner dans les magasins pour \u00e9trangers o\u00f9 on trouvait du bon saucisson et des chaussures solides. J\u2019accompagnais mon p\u00e8re dans certains de ces voyages avec pour mission de dissimuler les francs suisses, belges, ou fran\u00e7ais dans mes sous-v\u00eatements car on ne fouillait pas les enfants \u00e0 la douane. J\u2019y suis ensuite retourn\u00e9 seul \u00e0 l\u2019adolescence. Je garde un souvenir extraordinaire de la Prague communiste : c\u2019\u00e9tait une cit\u00e9 totalement vide de visiteurs \u00e9trangers dont les monuments extraordinaires semblaient flotter dans l\u2019espace et le temps. Auparavant la ville avait \u00e9t\u00e9 transform\u00e9e en une sorte de conservatoire par les nazis qui avaient extermin\u00e9 les juifs et d\u00e9truit les synagogues partout, mais avaient maintenu intact le quartier juif (Josefov) \u2014 celui du Golem \u2014 pour en faire une sorte de mus\u00e9e d\u2019une civilisation an\u00e9anti. J\u2019ai des souvenirs d\u2019adolescence troublants avec une jeune fille sur laquelle j\u2019avais rimaill\u00e9 dans le cimeti\u00e8re juif de Prague d\u00e9sert\u00e9, qui contraste beaucoup avec le Luna Park Loubavitch qu\u2019il est devenu. Mais je n\u2019y allais pas tr\u00e8s souvent et ne me sentais gu\u00e8re proche de la famille tch\u00e8que de cousins qui me restait. D\u2019autant qu\u2019\u00e9tant toujours gauchiste dans la d\u00e9cennie 1970, ils me regardaient \u2014 eux qui vivaient au quotidien la monstruosit\u00e9 communiste \u2014 comme un cingl\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
Quelques uns des livres traduit par Milan Kepel. \u00a9Tous droits r\u00e9serv\u00e9s.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

J\u2019y suis retourn\u00e9 de mani\u00e8re un peu plus int\u00e9ressante en 1989 \u2014 je m\u2019\u00e9tais enfin affranchi de ces inepties de jeunesse \u2014 quand j\u2019ai pr\u00e9par\u00e9 mon livre La revanche de Dieu<\/em> et un film pour la t\u00e9l\u00e9vision qui l\u2019accompagnait. Le r\u00e9gime communiste venait de tomber et c\u2019est \u00e0 cette occasion que j\u2019ai fait connaissance d\u2019un certain nombre de gens, notamment Michel Fleischmann \u2014 le fils du meilleur ami de mon p\u00e8re qui dirigeait alors la radio Europe 2 cr\u00e9\u00e9e par Lagard\u00e8re dans les pays de l\u2019Est \u2014 aujourd\u2019hui l\u2019ambassadeur tch\u00e8que \u00e0 Paris. J\u2019ai \u00e9galement nou\u00e9 des relations dans les milieux catholiques, notamment avec Monseigneur Duka, un dominicain francophone emprisonn\u00e9 avec Havel et aujourd\u2019hui archev\u00eaque de Prague. Ensuite, je me suis replong\u00e9 dans le monde arabe et j\u2019ai donc un peu perdu le contact avec la R\u00e9publique tch\u00e8que o\u00f9 je n\u2019ai recommenc\u00e9 \u00e0 me rendre r\u00e9guli\u00e8rement que depuis la mort de mon p\u00e8re. Je me fais accompagner d\u2019amis bilingues qui me servent aimablement d\u2019interpr\u00e8tes et je m\u2019installe dans un appartement de location dans le quartier Art D\u00e9co de Smihov, au bord du fleuve. J\u2019ai maintenant tout un r\u00e9seau \u00e0 Prague. J\u2019ai notamment rencontr\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 Laurence Campa, formidable biographe d\u2019Apollinaire, l\u2019une de ses \u00e9tudiantes, Sophie Ireland, qui a \u00e9crit une th\u00e8se sur le surr\u00e9alisme tch\u00e8que et ses liens avec la France. Avec le fils de St\u00e9phane Reznikow, qui est professeur d\u2019histoire au Lyc\u00e9e fran\u00e7ais de Prague, ils m\u2019ont traduit une large partie de cette correspondance familiale qui m\u2019\u00e9tait inaccessible \u2014 ma d\u00e9couverte du Graal en quelque sorte. Ils sont \u00e9galement all\u00e9s fouiller dans les archives o\u00f9 ils ont retrouv\u00e9 de nombreuses lettres de mon grand-p\u00e8re qui correspondait avec le pr\u00e9sident Masaryk, avec son successeur Edouard Bene\u0161, avec Victor Dyk (un \u00e9crivain et po\u00e8te conservateur qui \u00e9tait le parrain de mon p\u00e8re et le confident de mon a\u00efeul ), ainsi que ses articles de journaliste r\u00e9dig\u00e9s depuis le Paris de la Belle \u00c9poque. Ils ont \u00e9galement traduit la correspondance torrentueuse entre mon grand-p\u00e8re et sa future tr\u00e8s jeune femme. Celui-ci, quinquag\u00e9naire quand mon p\u00e8re est n\u00e9, lui avait envoy\u00e9 depuis sa petite enfance des cartes postales de partout o\u00f9 il voyageait, pour l\u2019\u00e9duquer, comme une sorte d\u2019encyclop\u00e9die par livraisons, d\u2019\u00c9tretat aux cath\u00e9drales gothiques. Sur ces cartes, mon grand-p\u00e8re explique \u00e0 son fils tout juste \u00e2g\u00e9 de trois ans et qui ne peut donc ni les lire ni m\u00eame les comprendre, ce que sont les vraies valeurs, culminant dans l\u2019exaltation de la France comme beaut\u00e9 et institutrice du monde. J\u2019ai m\u00eame retrouv\u00e9 au lyc\u00e9e de Tabor les bulletins scolaires de mon grand-p\u00e8re lorsqu\u2019il passait sa maturitas \u2014 son bachot \u2014 la Kakania \u00e9tait une double-monarchie scrupuleusement organis\u00e9e ! J\u2019ai par ailleurs d\u00e9couvert qu\u2019il \u00e9tait fascin\u00e9 par l\u2019Afrique du Nord o\u00f9 il a accompli un voyage spirituel, en Alg\u00e9rie et en Tunisie, en 1924, antidote aux exc\u00e8s des ann\u00e9es folles auxquels il participait \u00e0 corps perdu \u00e0 Montparnasse. Il a rapport\u00e9 d\u2019Alg\u00e9rie des vases kabyles qui ont ensuite \u00e9t\u00e9 chez mon p\u00e8re et qui demeurent aujourd\u2019hui chez moi. Ce sont d\u00e9sormais des monuments familiaux, nos dieux lares. Il \u00e9tait tr\u00e8s li\u00e9 avec un peintre orientaliste aujourd\u2019hui tomb\u00e9 dans l\u2019oubli, Lucien Mainssieux, son t\u00e9moin de mariage en 1927 et dont j\u2019ai acquis quelques toiles.<\/p>\n\n\n\n

Sur ces cartes, mon grand-p\u00e8re explique \u00e0 son fils tout juste \u00e2g\u00e9 de trois ans et qui ne peut donc ni les lire ni m\u00eame les comprendre, ce que sont les vraies valeurs, culminant dans l\u2019exaltation de la France comme beaut\u00e9 et institutrice du monde. <\/p>Gilles Kepel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
Une \u0153uvre de Lucien Mainssieux. \u00a9Tous droits r\u00e9serv\u00e9s.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Quels \u00e9taient les rapports de votre p\u00e8re avec le grand \u00e9crivain tch\u00e8que parisien Milan Kundera ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Kundera et mon p\u00e8re, tous deux pr\u00e9nomm\u00e9s Milan, avaient aussi en commun un patronyme commen\u00e7ant par la lettre K et \u00e9taient \u00e0 l\u2019identique des Tch\u00e8ques agissant dans le Paris litt\u00e9raire. Il y en a bien s\u00fbr un qui a \u00e9clips\u00e9 l\u2019autre, et ce dernier en \u00e9tait passablement jaloux… J\u2019ai cherch\u00e9 \u00e0 rencontrer Kundera dont l\u2019\u0153uvre m\u2019int\u00e9resse beaucoup, d\u2019abord sans doute pour l\u2019\u00e9trange miroir qu\u2019elle me tend, mais il est aujourd\u2019hui \u00e2g\u00e9. J\u2019ai bon espoir toutefois d\u2019y parvenir. Un peu comme mon grand-p\u00e8re, il a projet\u00e9 son identit\u00e9 litt\u00e9raire dans la langue fran\u00e7aise (chez mon grand-p\u00e8re, c\u2019est rest\u00e9 davantage vell\u00e9itaire\u2026) et la version originale de ses livres, a-t-il d\u00e9cid\u00e9, c\u2019est l\u2019\u00e9dition de la Biblioth\u00e8que de la Pl\u00e9iade. Comme mon anc\u00eatre \u00e9galement, il a eu des relations complexes avec la patrie tch\u00e8que qu\u2019il a quitt\u00e9e et dont il estime qu\u2019elle ne l\u2019a pas reconnu comme il aurait d\u00fb l\u2019\u00eatre.<\/p>\n\n\n\n

Vous vous \u00eates vous-m\u00eames int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 la litt\u00e9rature tch\u00e8que ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

J\u2019aime beaucoup Bohumil Hrabal, notamment Trains \u00e9troitement surveill\u00e9s<\/em> et Moi qui ai servi le roi d\u2019Angleterre<\/em>. Il y a un humour tch\u00e8que qui est extr\u00eamement puissant dont j\u2019ai d\u00e9couvert que j\u2019\u00e9tais l\u2019h\u00e9ritier inconscient. Je ne parle pas le tch\u00e8que mais je me suis aper\u00e7u qu\u2019il y a beaucoup de la Boh\u00eame qui s\u2019est infiltr\u00e9 en moi \u2014 par atavisme ? Mon ascendance est faite de chasseurs de sangliers. Maurice Genevoix, apr\u00e8s l\u2019horreur de la guerre de 1914, s\u2019est install\u00e9 dans le Loiret \u2014 o\u00f9 mon p\u00e8re a acquis en 1968 une long\u00e8re qui lui rappelait sa maison d\u2019enfance en Boh\u00eame \u2014 pour se consacrer \u00e0 la litt\u00e9rature animali\u00e8re. Genevoix a \u00e9crit un tr\u00e8s beau roman intitul\u00e9 La for\u00eat perdue<\/em>, dans lequel le cerf est la d\u00e9it\u00e9 supr\u00eame des for\u00eats. Pour nous en Boh\u00eame, c\u2019est le sanglier. Il se trouve que ma m\u00e8re, mentonnaise, \u00e9tait aussi issue d\u2019un petit village de l\u2019arri\u00e8re-pays o\u00f9 la chasse au suid\u00e9 sauvage est l\u2019arcature de l\u2019identit\u00e9. D\u2019une certaine mani\u00e8re, je suis le rejeton de deux lign\u00e9es rurales de chasseurs de sangliers, nous avons d\u00fb nous en impr\u00e9gner depuis des si\u00e8cles d\u2019ingestion de leur chair, et \u00e7a m\u2019a probablement structur\u00e9. Ce n\u2019\u00e9tait pas inutile pour survivre dans la sauvagerie des universitaires sp\u00e9cialistes du Moyen-Orient\u2026 Du reste, le mot \u00ab sanglier \u00bb (comme l\u2019italien cinghiale<\/em>) est une corruption du latin singularis <\/em>puisque le verrat, quand il est \u00e2g\u00e9, devient solitaire et ne rejoint la harde que pour la saillie. En espagnol, on l\u2019appelle jabali<\/em>, qui vient de l\u2019arabe jebel<\/em>, la montagne, puisque c\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019est r\u00e9fugi\u00e9 apr\u00e8s l\u2019invasion de la p\u00e9ninsule ib\u00e9rique par les musulmans qui exterminaient ces c\u00e9tartiodactyles apparent\u00e9s au hallouf<\/em>, et donc anath\u00e9matis\u00e9s comme haram<\/em>. Je retrouve finalement m\u00eame dans la culture du sanglier, qui est celle de ma nation tch\u00e8que imaginaire, des \u00e9chos de mon parcours d\u2019arabisant.<\/p>\n\n\n\n

Il y a un humour tch\u00e8que qui est extr\u00eamement puissant dont j\u2019ai d\u00e9couvert que j\u2019\u00e9tais l\u2019h\u00e9ritier inconscient. Je ne parle pas le tch\u00e8que mais je me suis aper\u00e7u qu\u2019il y a beaucoup de la Boh\u00eame qui s\u2019est infiltr\u00e9 en moi \u2014 par atavisme ? Mon ascendance est faite de chasseurs de sangliers. <\/p>Gilles Kepel<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Vous avez \u00e9voqu\u00e9 l\u2019amiti\u00e9 entre votre a\u00efeul et le peintre Lucien Mainssieux. Vous-m\u00eame vous-\u00eates vous int\u00e9ress\u00e9 aux Beaux-Arts tch\u00e8ques ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Passionn\u00e9ment. D\u2019autant plus que, priv\u00e9 de la connaissance de la langue et n\u2019ayant acc\u00e8s \u00e0 la litt\u00e9rature que par les traductions, j\u2019ai eu en revanche \u00e0 la peinture et la sculpture un lien direct \u2014 et de plus d\u00e8s la seconde moiti\u00e9 du XIX\u00e8me <\/sup>si\u00e8cle, les artistes tch\u00e8ques sont en dialogue privil\u00e9gi\u00e9 avec Paris, voire et plus pr\u00e9cis\u00e9ment avec Montparnasse\u2026 ce dont mon a\u00efeul a tiss\u00e9 sa vie. Comme je suis relativement familier avec le terme fran\u00e7ais de ce dialogue, j\u2019ai pu ainsi vibrer en syntonie avec des artistes qui vont, pour le dire vite, du symbolisme au surr\u00e9alisme par leur mode d\u2019expression, mais qui b\u00e2tissaient leur exp\u00e9rience sur le v\u00e9cu de la Boh\u00eame\u2026 en miroir de la Boh\u00e8me. Mon grand-p\u00e8re \u00e9tait tr\u00e8s li\u00e9 \u00e0 Kupka \u2014 une amiti\u00e9 forg\u00e9e durant la Premi\u00e8re Guerre mondiale en France, o\u00f9 tous deux \u0153uvraient de conserve pour l\u2019ind\u00e9pendance \u2014 l\u2019un comme l\u2019autre sont du reste demeur\u00e9s ensuite \u00e0 Paris car ils \u00e9taient d\u00e9\u00e7us par la \u00ab petitesse \u00bb de la nation qu\u2019ils avaient contribu\u00e9 \u00e0 accoucher\u2026 Nous poss\u00e9dions de ses toiles \u2014 mais mon p\u00e8re, lorsqu\u2019il a commenc\u00e9 \u00e0 perdre ses facult\u00e9s, a \u00e9t\u00e9 marabout\u00e9 par une cr\u00e9ature qui lui a fait tout vendre \u00e0 la sauvette et \u00e0 vil prix avant que je ne m\u2019en rende compte. Otakar Kubin \u2014 qui a francis\u00e9 son nom en Coubine \u2014 \u00e9tait aussi un familier, et le mod\u00e8le de son plus grand tableau \u00e0 la Galerie Nationale de Prague n\u2019est autre que ma future grand-m\u00e8re \u2014 peinte selon toute vraisemblance \u00e0 Simiane, dans les Basses-Alpes, au printemps 1927\u2026 Frantisek Simon, Hugo Boettinger, Vera Jisinska, et tant d\u2019autres qui peuplent la correspondance de mon a\u00efeul, dont les noms sont inconnus en France alors que Paris et la Bretagne \u00e9taient leurs Mecque et M\u00e9dine, sont v\u00e9ritablement \u00e0 red\u00e9couvrir.<\/p>\n\n\n\n

Ce mois de juillet 2021, on vient de restaurer au cimeti\u00e8re parisien de Thiais la tombe de Joseph Sima, tr\u00e8s bon peintre surr\u00e9aliste tch\u00e8que de Paris (d\u00e9c\u00e9d\u00e9 en juillet 1971), puis l\u2019un des membres du \u00ab Grand Jeu \u00bb avec Ren\u00e9 Daumal et Roger Vailland au d\u00e9but des ann\u00e9es 1930. Le tombeau est l\u2019\u0153uvre de Vladimir Skoda, un sculpteur puissant n\u00e9 \u00e0 Prague en 1942, dont la Tch\u00e9coslovaquie communiste avait fait un tourneur-fraiseur et qui \u00e9migre en France en 1968, suit les cours de C\u00e9sar, puis construit une \u0153uvre extraordinaire autour de billes d\u2019acier notamment. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 boulevers\u00e9 par la beaut\u00e9 de la s\u00e9pulture, une sph\u00e8re dont une gousse est enlev\u00e9e et pos\u00e9e \u00e0 terre, \u00e0 la fois la vie qui s\u2019est d\u00e9tach\u00e9e et aussi un th\u00e8me que l\u2019on trouve en \u00e9cho dans l\u2019\u0153uvre peinte de Sima.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
Vladimir Skoda en 2011, photographi\u00e9e par Marie-Lan Nguyen. \u00a9Marie-Lan Nguyen<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Le d\u00e9veloppement r\u00e9cent d\u2019un capitalisme tch\u00e8que dynamique a conduit certains m\u00e9c\u00e8nes \u00e0 constituer des collections, \u00e0 l\u2019instar de Daniel Kretinsky, un homme infiniment cultiv\u00e9 doubl\u00e9 d\u2019un parfait francophone : les m\u00e9canismes du march\u00e9 de l\u2019art sont en train de faire monter les cotes et devraient permettre de r\u00e9introduire dans le circuit mondial une peinture que je trouve pour ma part remarquable\u2026 m\u00eame si je suis peut-\u00eatre subjectivement sous influence ! J\u2019ai tent\u00e9 en vain d\u2019int\u00e9resser les mus\u00e9es fran\u00e7ais \u00e0 une r\u00e9trospective picturale tch\u00e8que pour 2022 : le 30 juin en effet \u2014 jour anniversaire de la remise du drapeau au r\u00e9giment de chasseurs tch\u00e9coslovaques par Raymond Poincar\u00e9 \u00e0 Darney en 1918 \u2014 ce sera aussi la passation de la pr\u00e9sidence de l\u2019Union europ\u00e9enne de la France \u00e0 la R\u00e9publique Tch\u00e8que, et l\u2019occasion de red\u00e9couvrir les liens intimes, profonds, entre les deux peuples jusqu\u2019\u00e0 l\u2019oblit\u00e9ration communiste, suivie d\u2019un tropisme envahissant pour la fast-food culture am\u00e9ricaine qui a plong\u00e9 ces relations dans l\u2019oubli. Mais je n\u2019ai trouv\u00e9 qu\u2019indiff\u00e9rence ou m\u00e9pris chez nos \u00e9narques omniscients \u2026 et incultes. <\/p>\n\n\n\n

Pour terminer, pouvez-vous nous \u00e9voquer un lieu tch\u00e8que qui vous est particuli\u00e8rement cher ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Ce serait bien s\u00fbr le village natal de mon a\u00efeul, Nadejkov, pr\u00e8s de Tabor. J\u2019y ai visit\u00e9 la maison foresti\u00e8re o\u00f9 son g\u00e9niteur \u00e9tait l\u2019intendant des chasses de la comtesse Kokorova, l\u2019aristocrate locale. Il vendait d\u2019ailleurs les terres au fur et \u00e0 mesure pour satisfaire les pulsions de la comtesse qui passait sa vie dans les villes d\u2019eau.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
La maison familiale de Nadejkov. \u00a9Tous droits r\u00e9serv\u00e9s.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

La demeure familiale \u00e9tait un peu tomb\u00e9e en ruine mais les voisins l\u2019ont rachet\u00e9e \u2026 qui vont en faire un Airbnb dont je serai l\u2019un des premiers clients\u2026 pour revivre les sensations primales et ancestrales \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 mon grand-p\u00e8re a \u00e9t\u00e9 con\u00e7u, aux abords d\u2019une for\u00eat pleine de sangliers et de champignons qui \u00e9tait la grande passion de son fils, mycologue dilettante.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Gilles Kepel est le sixi\u00e8me invit\u00e9 de notre s\u00e9rie d’\u00e9t\u00e9 Grand Tour<\/em>. Le politologue sp\u00e9cialiste du Moyen-Orient ne nous emm\u00e8ne pas en M\u00e9diterran\u00e9e mais en R\u00e9publique tch\u00e8que, \u00e0 la recherche d’un pass\u00e9 familial. De son ascendance compos\u00e9e de chasseurs de sangliers en Boh\u00eame \u00e0 l’h\u00e9ritage laiss\u00e9 par son p\u00e8re, intellectuel et homme de lettres, il dessine l’itin\u00e9raire d’une red\u00e9couverte, en rupture avec l’image attendue du sp\u00e9cialiste de l’islamisme.<\/p>\n","protected":false},"author":1623,"featured_media":115280,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[2984],"tags":[],"geo":[1917],"person":[],"acf":[],"yoast_head":"\n\u00ab Il y a un humour tch\u00e8que dont j'ai d\u00e9couvert que j'\u00e9tais l'h\u00e9ritier inconscient \u00bb, conversation avec Gilles Kepel | Le Grand Continent<\/title>\n<meta name=\"robots\" content=\"index, follow, max-snippet:-1, max-image-preview:large, max-video-preview:-1\" \/>\n<link rel=\"canonical\" href=\"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/08\/02\/grand-tour-gilles-kepel\/\" \/>\n<meta property=\"og:locale\" content=\"fr_FR\" \/>\n<meta property=\"og:type\" content=\"article\" \/>\n<meta property=\"og:title\" content=\"\u00ab Il y a un humour tch\u00e8que dont j'ai d\u00e9couvert que j'\u00e9tais l'h\u00e9ritier inconscient \u00bb, conversation avec Gilles Kepel | Le Grand Continent\" \/>\n<meta property=\"og:description\" content=\"Gilles Kepel est le sixi\u00e8me invit\u00e9 de notre s\u00e9rie d'\u00e9t\u00e9 Grand Tour. 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