{"id":11178,"date":"2018-08-13T12:00:34","date_gmt":"2018-08-13T10:00:34","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/?p=11178"},"modified":"2023-11-30T10:27:30","modified_gmt":"2023-11-30T09:27:30","slug":"nous-avons-rencontre-samir-amin","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2018\/08\/13\/nous-avons-rencontre-samir-amin\/","title":{"rendered":"La derni\u00e8re grande le\u00e7on de Samir Amin"},"content":{"rendered":"\n

Nous avons appris hier soir avec une immense tristesse le d\u00e9c\u00e8s de Samir Amin. \u00c9conomiste franco-\u00e9gyptien, il a \u00e9t\u00e9 l’une des grandes figures du marxisme du XXe si\u00e8cle qu’il a appliqu\u00e9 aux probl\u00e8mes du sous-d\u00e9veloppement. Nous ne chercherons pas \u00e0 retracer ici sa vie, faite d\u2019aventures intellectuelles et politiques aux quatre coins du monde, ni son \u0153uvre immense. Laissons lui tout simplement la parole.<\/em>
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Il nous avait re\u00e7us en avril dans son appartement du XIIIe arrondissement de Paris pour une longue conversation sur sa trajectoire, son \u0153uvre et ses analyses du monde contemporain. Il se portait bien alors et, pendant qu\u2019on appr\u00eatait les magn\u00e9tophones, trouvait d\u00e9j\u00e0 l\u2019occasion de se d\u00e9finir comme \u00ab un nomade qui partage son temps entre Paris, le Caire et Dakar \u00bb et de nous parler de son d\u00e9part imminent, \u00e0 l\u2019occasion du bicentenaire de Karl Marx, pour la Chine, o\u00f9 il nous assurait qu\u2019on \u00ab discute tr\u00e8s librement, s\u00fbrement plus librement qu\u2019aux Etats-Unis \u00bb \u2013 comme le lecteur pourra s\u2019en assurer, ce n\u2019\u00e9tait pas la premi\u00e8re de ses assertions surprenantes, voire provocatrices, mais elles m\u00e9ritent au moins le moment d\u2019une r\u00e9flexion, venant d\u2019un homme qui connaissait le monde si bien.<\/em>
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Que signifie, pour vous, \u00eatre marxiste ?<\/h3>\n\n\n\n

J\u2019\u00e9tais et je suis rest\u00e9 marxiste. \u00catre marxiste, pour moi, ce n\u2019est pas \u00eatre marxologue. C\u2019est partir de Marx et non pas le consid\u00e9rer comme la fin du chemin. Les grands probl\u00e8mes amorc\u00e9s par Marx concernent la vraie nature du capitalisme. Seul Marx a pos\u00e9 cette question dans tout le XIXe si\u00e8cle et m\u00eame au-del\u00e0. Personne d\u2019autre n\u2019a compris l\u2019essentiel du capitalisme, et pas seulement le capitalisme de son temps, mais le capitalisme de mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale. Comme je le souligne dans un chapitre de mon livre sur la R\u00e9volution d\u2019Octobre, bien que Marx f\u00fbt tr\u00e8s conscient, en homme intelligent et cultiv\u00e9, de l\u2019adaptation du syst\u00e8me aux circonstances de lieu et de temps, ce que le Capital <\/em>nous donne \u00e0 lire, ce n\u2019est pas une histoire du capitalisme, mais une th\u00e9orie du capitalisme, et c\u2019est cette lecture-l\u00e0 qui a \u00e9t\u00e9 essentielle dans ma vie.
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Le Centenaire de la R\u00e9volution d’Octobre 1917 (2017)<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

J\u2019ai \u00e9t\u00e9 un lecteur attentif de Marx dans ce sens que j\u2019ai lu tout Marx, pas seulement le Capital<\/em>, les Grundrisse<\/em>, etc. mais les \u0153uvres politiques, le Dix-huit Brumaire<\/em>, la Guerre civile<\/em>, etc. Tout Marx. C\u2019est amusant, je l\u2019ai lu quatre fois dans ma vie un peu syst\u00e9matiquement : \u00e0 vingt ans, quarante ans, soixante ans et quatre-vingts ans. Le hasard a fait correspondre ces lectures \u00e0 des moments de transformation importante dans le monde. \u00c0 vingt ans, c\u2019\u00e9tait la fin de la Seconde guerre mondiale. \u00c0 quarante, c\u2019\u00e9tait Bandung et la reconqu\u00eate des ind\u00e9pendances nationales. \u00c0 soixante, c\u2019\u00e9tait l\u2019effondrement de l\u2019URSS et la fin du mao\u00efsme. \u00c0 quatre-vingt, c\u2019\u00e9tait la grande crise actuelle. Je l\u2019ai lu \u00e0 chaque fois pour m\u2019en servir, pour voir comment il m\u2019aiderait \u00e0 comprendre mon temps. Marx n\u2019est ni un proph\u00e8te pr\u00e9scient, ni un g\u00e9nie qui aurait \u00e9crit une \u0153uvre pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9, mais tout simplement le meilleur \u2013 et je dirais m\u00eame le seul \u2013 analyste s\u00e9rieux et r\u00e9el du capitalisme, pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019il n\u2019\u00e9tait ni un \u00e9conomiste, ni un philosophe, ni un sociologue, mais tout cela en m\u00eame temps.
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Lorsque Marx \u00e9crit le Manifeste communiste<\/em>, en 1848, il n\u2019y avait pas que la Russie qui f\u00fbt arri\u00e9r\u00e9e, mais aussi l\u2019Allemagne, l\u2019Italie, l\u2019Espagne, la France du midi, etc. Le capitalisme recouvrait l\u2019Angleterre, un quart nord-est de la France, la Belgique, et un tout petit bout de l\u2019ouest de la Westphalie prussienne, c\u2019\u00e9tait loin d\u2019\u00eatre ne serait-ce que l\u2019Europe enti\u00e8re. Et c\u2019est \u00e0 partir de ces germes qu\u2019il a vu l\u2019essentiel, et qu\u2019il a r\u00e9pondu de mani\u00e8re magistrale \u00e0 cette question  : en quoi cette soci\u00e9t\u00e9 est-elle diff\u00e9rente de toutes les autres, pas seulement des soci\u00e9t\u00e9s d\u2019Asie, d\u2019Am\u00e9rique ou d\u2019Afrique noire, mais aussi des soci\u00e9t\u00e9s f\u00e9odales de l\u2019Europe elle-m\u00eame  ? En quoi cette soci\u00e9t\u00e9 est-elle qualitativement nouvelle  ? Je parle \u00e0 dessein de soci\u00e9t\u00e9, car il ne s\u2019agit pas seulement du mode de production, mais aussi de la politique, de la culture et de toutes les dimensions de la vie sociale.
<\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9ponse magistrale de Marx est de caract\u00e9riser le capitalisme comme le premier syst\u00e8me fond\u00e9 sur le march\u00e9 g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9. Le travail devient une marchandise, le capital lui-m\u00eame devient une marchandise sous forme financi\u00e8re. Il en va de m\u00eame de la nature, et notamment de la terre. Le travailleur, transform\u00e9 en marchandise, vend sa force de travail, mais, prisonnier de l\u2019ali\u00e9nation capitaliste, il croit vendre son travail lui-m\u00eame. S\u2019il travaille huit heures, il est formellement pay\u00e9 pour huit heures, mais ce salaire lui permet d\u2019acheter des produits ou des services qui n\u2019ont co\u00fbt\u00e9 \u00e0 la soci\u00e9t\u00e9 que quatre heures. C\u2019est le fondement de l\u2019exploitation.
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C\u2019est une forme nouvelle, dont l\u2019esclavage \u00e9tait tr\u00e8s diff\u00e9rent. Si un serf travaille trois jours sur sa terre pour lui-m\u00eame et trois jours pour donner le produit au seigneur, l\u2019exploitation est visible et claire. C\u2019est la raison pour laquelle \u2013 cela a \u00e9t\u00e9 mon interpr\u00e9tation tr\u00e8s pr\u00e9coce du marxisme \u2013 le rapport entre l\u2019infrastructure \u00e9conomique et la superstructure politique et id\u00e9ologique n\u2019est pas de m\u00eame nature dans le capitalisme que dans les syst\u00e8mes ant\u00e9rieurs. Dans le capitalisme, non seulement elle est d\u00e9terminante en dernier ressort, mais elle est dominante, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019elle soumet les autres instances aux exigences essentielles de son d\u00e9ploiement.
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L’Accumulation \u00e0 l’\u00e9chelle mondiale, 1970<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Enfin, on ne peut parler de Marx seulement comme un philosophe ou un \u00e9crivain, f\u00fbt-il de haute qualit\u00e9. Il \u00e9tait aussi un militant, il voulait donc que ses id\u00e9es deviennent, comme il l\u2019a \u00e9crit, des forces de transformation r\u00e9volutionnaire \u00e0 travers des \u00eatres humains actifs, les prol\u00e9taires. Des socialistes utopiques fran\u00e7ais, Marx a h\u00e9rit\u00e9 du communisme comme objectif historique. Le communisme n\u2019est pas seulement un mode de production plus efficace et plus juste, comme le consid\u00e8rent souvent les marxistes, mais aussi une \u00e9tape sup\u00e9rieure de la civilisation humaine. Marx citait Shakespeare : \u2018On peut \u00eatre p\u00eacheur le matin, tourner des boulons pendant deux heures et composer le soir de la po\u00e9sie.\u2019 C\u2019est une autre vision de l\u2019\u00eatre humain et de la soci\u00e9t\u00e9, qui prend la solidarit\u00e9 pour principe fondamental, solidarit\u00e9 entre les individus, les peuples ou les nations, au lieu de la concurrence qui commande le capitalisme, loin de la concurrence pure et parfaite des imb\u00e9ciles de l\u2019\u00e9conomie vulgaire, une concurrence faite de lutte et de conflit.<\/p>\n\n\n\n

\u00c0 partir de votre th\u00e8se de doctorat en France, vous avez \u00e9galement l\u2019ambition d\u2019apporter votre propre contribution au marxisme.
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Quand j\u2019\u00e9tais \u00e9tudiant en France, j\u2019ai eu la chance de travailler avec Fran\u00e7ois Perroux, qui \u00e9tait un homme remarquable et tr\u00e8s ouvert d\u2019esprit. Je lui ai expliqu\u00e9 que je voulais faire une th\u00e8se sur \u00ab l\u2019accumulation \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire les sp\u00e9cificit\u00e9s du capitalisme quand on le consid\u00e8re, non pas comme un mode de production localis\u00e9 \u00e0 un endroit ou \u00e0 un autre, mais \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale. Il m\u2019a dit \u00ab bravo, c\u2019est un tr\u00e8s beau sujet, sauf que ce n\u2019est pas un titre acad\u00e9mique \u00bb, d\u2019o\u00f9 le titre acad\u00e9mique de ma th\u00e8se qui n\u2019a pas grand int\u00e9r\u00eat : \u00ab les effets structurels de l\u2019int\u00e9gration des \u00e9conomies dites sous-d\u00e9velopp\u00e9es \u00bb. Cela veut dire la m\u00eame chose.<\/p>\n\n\n\n

Le capitalisme, dans son expansion mondiale, a toujours \u00e9t\u00e9 polarisant.
<\/p>Samir amin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Comment d\u00e9finiriez-vous l\u2019ambition de ce travail ?
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Ma lecture de Marx m\u2019a laiss\u00e9 sur ma faim parce que je n\u2019y ai pas trouv\u00e9 la question qui a \u00e9t\u00e9 la mienne, celle de ma vie, depuis deux tiers de si\u00e8cle maintenant : pourquoi, dans son d\u00e9veloppement mondialis\u00e9, le capitalisme n\u2019homog\u00e9n\u00e9ise-t-il pas le monde ? Grosso modo, <\/em>il a homog\u00e9n\u00e9is\u00e9 l\u2019Occident. Avec des in\u00e9galit\u00e9s, mais il l\u2019a fait en Europe occidentale et centrale, aux \u00c9tats-Unis, et au Japon un peu plus tard, qui sont des soci\u00e9t\u00e9s tr\u00e8s semblables au niveau de d\u00e9veloppement tr\u00e8s proche. Pourquoi ne l\u2019a-t-il pas fait pour le reste du monde ? Il s\u2019agit de la majorit\u00e9 de l\u2019humanit\u00e9, \u2013 85 % en termes de population \u00e0 l\u2019heure actuelle, qui deviendront bient\u00f4t 90 % \u2013, de toute l\u2019Asie, de l\u2019Afrique, l\u2019Am\u00e9rique du Sud, des Cara\u00efbes. C\u2019est un fait, le capitalisme n\u2019a pas homog\u00e9n\u00e9is\u00e9 le monde, au contraire, et c\u2019\u00e9tait mon id\u00e9e d\u00e8s 1947, alors que je n\u2019avais m\u00eame pas vingt ans. Plus tard, quand je suis devenu ami avec Andr\u00e9 Gunder Frank, il avait une formule qui rend bien ce probl\u00e8me : \u00ab d\u00e9veloppement et sous-d\u00e9veloppement sont l\u2019endroit et l\u2019envers de la m\u00eame m\u00e9daille \u00bb.
<\/p>\n\n\n\n

Comment cette polarisation a-t-elle fonctionn\u00e9 ?<\/h3>\n\n\n\n
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Le vaisseau n\u00e9grier, un des v\u00e9hicules de la premi\u00e8re mondialisation<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Le capitalisme, dans son expansion mondiale, a toujours \u00e9t\u00e9 polarisant. Les Europ\u00e9ens de l\u2019Atlantique ont fabriqu\u00e9 la p\u00e9riph\u00e9rie am\u00e9ricaine, et la p\u00e9riph\u00e9rie de la p\u00e9riph\u00e9rie : l\u2019Afrique o\u00f9 l\u2019on puisait les esclaves. Cela a \u00e9t\u00e9 une premi\u00e8re forme de la polarisation, dont ont \u00e9t\u00e9 b\u00e9n\u00e9ficiaires principalement les Pays-bas, l\u2019Angleterre, la France, et accessoirement, auparavant, l\u2019Espagne. Le reste de l\u2019Europe n\u2019en a profit\u00e9 qu\u2019indirectement. La deuxi\u00e8me \u00e9tape de la polarisation a \u00e9t\u00e9 le dix-neuvi\u00e8me si\u00e8cle, la conqu\u00eate de l\u2019Inde, l\u2019ouverture commerciale de la Chine \u00e0 coups de canons, et la conqu\u00eate coloniale africaine. Avec la reconqu\u00eate d\u2019une ind\u00e9pendance formelle par les pays arabes et africains et par les peuples de l\u2019Am\u00e9rique latine et des Cara\u00efbes, une nouvelle forme de polarisation voit le jour et ce qui est en voie de reconstruction \u00e0 l\u2019heure actuelle, c\u2019est une nouvelle forme de la polarisation.
<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est cette polarisation qui oppose le centre et la p\u00e9riph\u00e9rie. Je suis assez fier de l\u2019avoir \u00e9crit en 1954, et d\u2019avoir ainsi publi\u00e9 un anti-Rostow avant le livre de Rostow, Les \u00e9tapes de la croissance<\/em>, qui est paru en 1960 et qui est devenu le livre de chevet de tous les \u00e9tudiants. Pour moi, il n\u2019y a pas d\u2019\u00e9tapes de la croissance. La polarisation est dans les g\u00e8nes du capitalisme, c\u2019est un produit naturel et obligatoire de son expansion mondiale.
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Quelle est la forme contemporaine de cette polarisation ?
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J\u2019ai tent\u00e9 de la d\u00e9crire dans un \u00e9crit d\u2019il y a quarante ou cinquante ans sur les cinq monopoles. Je disais que la Triade (Etats-Unis, Europe occidentale et Japon) b\u00e9n\u00e9ficie de cinq monopoles. Le premier est celui de l\u2019acc\u00e8s \u2013 qui n\u2019implique pas n\u00e9cessairement la propri\u00e9t\u00e9 \u2013 aux ressources naturelles de la plan\u00e8te. Ce qui est insupportable pour les gens de la Triade, c\u2019est de ne pas avoir acc\u00e8s au p\u00e9trole ou \u00e0 une autre ressource, ici ou l\u00e0. Ensuite vient le monopole de la technologie, renforc\u00e9 par les pr\u00e9tendus droits intellectuels. La Triade ne tol\u00e8re pas que d\u2019autres s\u2019emparent de cette technologie, la repoduisent ou la d\u00e9veloppent par eux-m\u00eames. Le troisi\u00e8me monopole est celui de l\u2019information, qui permet le formatage par les m\u00e9dias. Le quatri\u00e8me monopole est financier, c\u2019est le march\u00e9 financier et mon\u00e9taire mondialis\u00e9. C\u2019est la raison pour laquelle la Chine et la Russie sont pour eux des pays insupportables, car elles ne rentrent pas dans cette mondialisation financi\u00e8re. Par contre, l\u2019Inde y rentre. Quant \u00e0 l\u2019Arabie saoudite, puisqu\u2019elle accepte cette mondialisation financi\u00e8re, on nous la pr\u00e9sente presque maintenant comme la R\u00e9publique d\u00e9mocratique mod\u00e8le d\u2019Arabie saoudite. Le cinqui\u00e8me monopole est celui des armes atomiques. Je n\u2019aime pas l\u2019arme atomique et les armes de destruction massive, mais la question n\u2019est pas l\u00e0. Si certains l\u2019ont, les autres ont le droit de l\u2019avoir. L\u2019histoire n\u2019a pas prouv\u00e9 que les autres \u00e9taient plus criminels que les uns.
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Mais ce pouvoir de la Triade n\u2019a pas emp\u00each\u00e9 le d\u00e9veloppement des pays \u00e9mergents ?<\/h3>\n\n\n\n

Cette structure de domination a permis ce que la Banque mondiale appelle l\u2019\u00e9mergence des march\u00e9s, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019\u00e9mergence de nouveaux march\u00e9s subalternis\u00e9s. C\u2019est amusant, parce que Bangalore a \u00e9t\u00e9 donn\u00e9e comme le mod\u00e8le du d\u00e9veloppement induit par cette forme nouvelle de l\u2019ind\u00e9pendance soumise, et il y a quelques jours j\u2019ai lu que Bangalore est la ville la plus pollu\u00e9e de toute l\u2019Inde \u2013 et Dieu sait s\u2019il y a de la pollution en Inde. C\u2019est devenu une ville invivable, on est oblig\u00e9 de mettre des rideaux devant ses fen\u00eatres, parce qu\u2019il y a dans l\u2019air des r\u00e9sidus qui volent.
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Quels sont les m\u00e9canismes \u00e9conomiques qui produisent le sous-d\u00e9veloppement ?
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Il faut citer deux m\u00e9canismes. Le premier d\u00e9termine le rapport entre le d\u00e9partement des moyens de production et celui des moyens de consommation. Pour le comprendre, il faut se souvenir que les p\u00e9riph\u00e9ries ont \u00e9t\u00e9 construites par le centre, elles se sont laiss\u00e9es contruire par leurs classes dirigeantes, ou alors elles ont \u00e9t\u00e9 battues dans leur r\u00e9sistance. Elles ont \u00e9t\u00e9 construites sur l\u2019articulation entre exportation et consommation de luxe. Le premier terme est l\u2019exportation des ressources, qui concerne, pour tout le XIXe si\u00e8cle et une bonne partie du XXe, les mati\u00e8res premi\u00e8res agricoles et min\u00e9rales, les produits tropicaux, les arbres de Sib\u00e9rie, et pour les min\u00e9raux le cuivre, le fer, l\u2019or, le charbon, ainsi que le p\u00e9trole et le gaz qui sont plus importants aujourd\u2019hui. Ces exportations sont contr\u00f4l\u00e9es par le capital du centre, en alliance avec les classes dirigeantes des anciens syst\u00e8mes locaux, sauf dans les colonies au sens le plus strict o\u00f9 l\u2019administration coloniale se substituait aux classes dirigeantes locales. De la sorte, ces exportations produisent des revenus pour une minorit\u00e9. Celle-ci est parfois infime, comme en Guin\u00e9e \u00e9quatoriale o\u00f9 il s\u2019agit du Pr\u00e9sident et de sa famille, et elle a certainement longtemps repr\u00e9sent\u00e9 autour de 5 % de la population pour l\u2019Afrique subsaharienne sortie de la colonisation. Aujourd\u2019hui, dans des pays comme l\u2019Inde, le Br\u00e9sil, l\u2019Am\u00e9rique latine, ou une bonne partie de l\u2019Afrique qui rattrape, ce chiffre atteint 20 %. Mais c\u2019est seulement 20 %, et cela signifie que 80 % ne tirent aucun b\u00e9n\u00e9fice de tout cela.
<\/p>\n\n\n\n

L\u2019autre m\u00e9canisme, qui repose sur le rapport entre secteurs directement et non directement capitalistes, peut \u00eatre repr\u00e9sent\u00e9 par un sch\u00e9ma. Le secteur capitaliste au nord est grand, mais il coexiste avec un secteur non capitaliste, qui comprend le travail non pay\u00e9 des femmes, et les paysans avant qu\u2019ils ne soit transform\u00e9s en agriculteurs capitalistes. Dans le sud, en termes d\u2019emploi, une fraction beaucoup plus petite de la population est capitaliste. L\u2019ensemble de ce sch\u00e9ma repr\u00e9sente bien le capitalisme, mais on peut distinguer les secteurs qu\u2019il ne g\u00e8re pas directement. Les transferts de valeur se font de ces secteurs vers les secteurs directement capitalistes, et du Sud vers le Nord.
<\/p>\n\n\n\n

Ce secteur non capitaliste, au Sud comme au Nord, joue un r\u00f4le structurel dans le capitalisme, il est reproduit par le capitalisme, mais est-il amen\u00e9 \u00e0 dispara\u00eetre ? <\/h3>\n\n\n\n

Il n\u2019est pas amen\u00e9 \u00e0 dispara\u00eetre. Il est amen\u00e9 \u00e0 \u00eatre entretenu et soumis. Au Nord, on peut dire qu\u2019une partie du travail qui \u00e9tait autrefois familial est aujourd\u2019hui remplac\u00e9, par exemple, par les produits tout faits qu\u2019on ach\u00e8te dans les cha\u00eenes ou les restaurants.<\/p>\n\n\n\n

Contrairement \u00e0 la th\u00e8se de Weber, ce n\u2019est pas le protestantisme qui a cr\u00e9\u00e9 le capitalisme, c\u2019est le capitalisme qui a conduit certains chr\u00e9tiens \u00e0 devenir protestants.<\/p>Samir amin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Au Sud, l\u2019agriculture est d\u00e9sormais r\u00e9ellement int\u00e9gr\u00e9e, mais pas encore compl\u00e8tement. Il reste une autoconsommation qui n\u2019est pas n\u00e9gligeable. L\u2019agriculteur capitaliste fran\u00e7ais, qu\u2019il fasse de la vigne, du bl\u00e9, des fruits et l\u00e9gumes, ou du cochon en Bretagne, pratique une autoconsommation insignifiante. En Afrique subsaharienne, ce n\u2019est pas encore insignifiant, cela repr\u00e9sente 30 % \u00e0 50 % de la production ; le reste est vendu et achet\u00e9 sur le march\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est donc par le concept de capitalisme qu\u2019il faut comprendre notre situation aujourd\u2019hui dans l\u2019histoire mondiale ?<\/h3>\n\n\n\n

L\u2019histoire du capitalisme est une histoire tr\u00e8s diff\u00e9rente de l\u2019histoire universelle des grands peuples civilis\u00e9s ou des civilisations ant\u00e9rieures. Elle commence par une tr\u00e8s longue incubation. Par eurocentrisme, les Europ\u00e9ens ont r\u00e9duit celle-ci aux trois si\u00e8cles de mercantilisme, de 1500 \u00e0 1800, mais en r\u00e9alit\u00e9 cette incubation commence en Chine cinq si\u00e8cles plus t\u00f4t, vers l\u2019an mille, avec des inventions g\u00e9niales comme l\u2019\u00c9tat la\u00efque non religieux et une fonction publique \u00e0 la place d\u2019emplois r\u00e9serv\u00e9s d\u2019une mani\u00e8re ou d\u2019une autre \u00e0 des aristocrates. L\u2019histoire se poursuit dans le monde musulman, au sein du califat qui \u00e9tait d\u2019apparence turque, mais arabo-iranien en r\u00e9alit\u00e9. L\u2019\u00e9tape suivante est dans les villes italiennes. Contrairement \u00e0 la th\u00e8se de Weber, ce n\u2019est pas le protestantisme qui a cr\u00e9\u00e9 le capitalisme, c\u2019est le capitalisme qui a conduit certains chr\u00e9tiens \u00e0 devenir protestants. Venise \u00e9tait g\u00e9r\u00e9e comme une soci\u00e9t\u00e9 anonyme de grands commer\u00e7ants. Les vingt-quatre familles les plus riches avaient tous les pouvoirs, y compris politiques \u00e9videmment. Et allez toujours dire \u00e0 un doge v\u00e9nitien qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pas catholique !
<\/p>\n\n\n\n

\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
Examen d’entr\u00e9e dans la bureaucratie imp\u00e9riale chinoise, \u00e0 Kaifeng, sous la dynastie Song. Peinture de la dynastie Ming<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

C\u2019est seulement apr\u00e8s tous ces \u00e9pisodes qu\u2019on en arrive \u00e0 une p\u00e9riode florissante, tr\u00e8s courte, le XIXe si\u00e8cle. C\u2019est le moment o\u00f9 l\u2019Europe s\u2019affirme r\u00e9ellement, suivie par les \u00c9tats-Unis, puis un peu plus tard, \u00e0 partir de l\u2019\u00e8re Meiji et de la fin du si\u00e8cle, par le Japon qui entre dans la danse. \u00c0 cette \u00e9poque, l\u2019Europe part \u00e0 la conqu\u00eate du monde, ou parfois pers\u00e9v\u00e8re dans ses conqu\u00eates ant\u00e9rieures comme un Inde. Elle s\u2019en prend ainsi \u00e0 la Chine avec la guerre de l\u2019opium, et colonise l\u2019Afrique. Les pays d\u2019Am\u00e9rique latine sont aussi plac\u00e9s sous tutelle, m\u00eame s\u2019ils \u00e9taient juridiquement s\u00e9par\u00e9s de l\u2019Espagne et du Portugal.
<\/p>\n\n\n\n

Cette p\u00e9riode d\u2019expansion est suivie d\u2019un long d\u00e9clin, tr\u00e8s long. Il faut distinguer entre les \u00ab crises dans le capitalisme \u00bb et les \u00ab crises du capitalisme \u00bb, comme je l\u2019ai fait dans un texte pour le bicentenaire de Karl Marx. Les crises dans le capitalisme, ou crises cycliques, sont une chose assez banale. On peut m\u00eame faire des mod\u00e8les tr\u00e8s simples si on veut s\u2019amuser, qui montrent l\u2019oscillation autour d\u2019une tendance montante. Au contraire, il ne faut parler de crises du<\/em> capitalisme qu\u2019\u00e0 partir du moment o\u00f9 il devient un syst\u00e8me s\u00e9nile, c\u2019est-\u00e0-dire un syst\u00e8me qui peut \u00eatre et qui doit \u00eatre d\u00e9pass\u00e9 \u2013 mais qui ne l\u2019est pas n\u00e9cessairement de fait, car il n\u2019y a pas de lois de l\u2019histoire, seulement des possibilit\u00e9s et des ouvertures. La premi\u00e8re grande crise du capitalisme commence \u00e0 la fin du XIXe si\u00e8cle. Les premiers monopoles apparaissent comme r\u00e9ponse \u00e0 cette crise du capitalisme. Ils sont analys\u00e9s par les sociaux-d\u00e9mocrates Hilferding et Hobson, et L\u00e9nine en tire les conclusions : nous sommes entr\u00e9s dans l\u2019\u00e8re de la possibilit\u00e9 des r\u00e9volutions socialistes. Cette s\u00e9nilit\u00e9 du syst\u00e8me signifie que nous sommes dans un monde, non plus de destruction cr\u00e9atrice \u00e0 la Schumpeter, mais de destruction destructrice. L\u2019\u00e9cologie le montre, mais elle n\u2019en est que l\u2019un des aspects.
<\/p>\n\n\n\n

Cette crise court de 1914 \u00e0 1955. J\u2019aime dire aux \u00e9conomistes que la r\u00e9ponse \u00e0 cette crise, ce sont un certain nombre d\u2019\u00e9v\u00e9nements insignifiants dans l\u2019histoire, comme la Premi\u00e8re guerre mondiale, la R\u00e9volution russe, la crise de 1929, le nazisme, l\u2019imp\u00e9rialisme japonais, la Deuxi\u00e8me guerre mondiale, et la reconqu\u00eate de leur ind\u00e9pendance par les peuples d\u2019Asie et d\u2019Afrique. La voil\u00e0, la r\u00e9ponse \u00e0 la crise. Et pas Keynes. Ce ne sont pas les \u00e9conomistes et les gouvernements qui auraient trouv\u00e9 une quelconque bonne solution \u00e9conomique. Keynes n\u2019a fait que s\u2019ins\u00e9rer, en Europe occidentale, au sein de la r\u00e9ponse politique de la social-d\u00e9mocratie de l\u2019apr\u00e8s-Seconde guerre mondiale, une social-d\u00e9mocratie que je ne m\u00e9prise pas du tout et qui a apport\u00e9 des gains gigantesques comme le plein emploi ou la S\u00e9curit\u00e9 sociale.<\/p>\n\n\n\n

La deuxi\u00e8me crise ne commence pas en 2007 avec l\u2019effondrement financier bien connu, elle commence en 1975. Nous n\u2019avons \u00e9t\u00e9 qu\u2019une poign\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9poque \u00e0 le voir. D\u2019abord Paul Sweezy, Harry Magdoff, et moi, rejoints quelques mois plus tard par Andr\u00e9 Gunder Frank et quelques camarades italiens de Rome. Nous avons constat\u00e9, \u00e0 l\u2019\u00e9poque (cela a \u00e9t\u00e9 publi\u00e9 en 1977 en anglais), que les taux de croissance \u00e9taient tomb\u00e9s \u00e0 la moiti\u00e9 de leur niveau de long terme dans les pays du centre, de 5 % \u00e0 2,5 % en moyenne. Cela a des cons\u00e9quences profondes, et les taux d\u2019investissement par rapport au PIB ne se sont jamais remis depuis. Aujourd\u2019hui, quand le taux de croissance allemand passe de 2,1 \u00e0 2,2 %, on dit que la crise est termin\u00e9e, mais c\u2019est \u00e0 mourir de rire. Quelles ont alors \u00e9t\u00e9 les r\u00e9ponses \u00e0 cette seconde longue crise syst\u00e9mique ? Jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, c\u2019est le chaos. L\u2019Union sovi\u00e9tique en est un cas tristement exemplaire. La construction europ\u00e9enne est \u00e9galement une r\u00e9ponse politique inepte. Alors qu\u2019il s\u2019agit de d\u00e9passer le syst\u00e8me, elle se propose de le sauver. D\u2019o\u00f9 le titre provocateur d\u2019un de mes livres r\u00e9cents, qui s\u2019appelle Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise. <\/em>Le d\u00e9fi, c\u2019est de sortir du capitalisme en crise, contrairement \u00e0 ce que pensent les gauches \u00e9lectorales \u00e0 98 %.<\/p>\n\n\n\n

Pourriez-vous revenir sur les causes \u00e9conomiques de cette seconde crise syst\u00e9mique ?
<\/h3>\n\n\n\n

On peut dire que la crise d\u00e9bute en 1971 avec la suspension de la convertibilit\u00e9 du dollar. Mais l\u2019essentiel, c\u2019est le d\u00e9veloppement du capitalisme des monopoles. Les monopoles existaient avant, mais nous sommes arriv\u00e9s \u00e0 un stade \u2013 c\u2019\u00e9tait l\u2019id\u00e9e principale de mon livre sur l\u2019Implosion du syst\u00e8me capitaliste<\/em> \u2013 que j\u2019ai appel\u00e9 celui des monopoles g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9s, o\u00f9 les monopoles ont r\u00e9duit au statut de sous-traitants de facto<\/em> toutes les formes de la production qu\u2019ils ne dirigent pas directement eux-m\u00eames.<\/p>\n\n\n\n

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Sur la crise. Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise (2009)<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Pourriez-vous revenir sur les effets politiques de cette crise ?
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L\u2019exemple par excellence, ce sont les paysans, pris en tenailles entre les monopoles de leurs fournisseurs de pesticides et d\u2019OGM en amont, et les grands monopoles de commercialisation en aval. Mais c\u2019est une situation g\u00e9n\u00e9rale. La voil\u00e0, la r\u00e9alit\u00e9 du soi-disant n\u00e9olib\u00e9ralisme. Contrairement \u00e0 ce que dit le Fonds Mon\u00e9taire International, les prix vrais sont des prix archifaux, ils sont le r\u00e9sultat de la dictature des monopoles g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9s sur l\u2019ensemble du syst\u00e8me productif. Le prix vrai de la carotte, dans ce syst\u00e8me, il est z\u00e9ro puisqu\u2019il permet un revenu z\u00e9ro \u00e0 l\u2019agriculteur qui l\u2019a produit.
Ce syst\u00e8me n\u2019est pas viable. Ce n\u2019est pas une question de go\u00fbts, il est incapable de se reproduire. L\u2019\u00e9cart entre la capacit\u00e9 th\u00e9orique de production et la demande solvable est grandissant, donc le syst\u00e8me est contraint \u00e0 une fuite en avant qu\u2019on appelle la sp\u00e9culation financi\u00e8re, et les actif qui repr\u00e9sentent le capital se trouvent sur\u00e9valu\u00e9s. Une machine qui co\u00fbte en r\u00e9alit\u00e9 mille heures de travail, est ainsi estim\u00e9e \u00e0 la Bourse \u00e0 trois fois sa valeur, parce qu\u2019elle permet un taux de profit de 2 % sup\u00e9rieur \u00e0 une autre.
<\/p>\n\n\n\n

Au-del\u00e0 de l\u2019\u00e9conomie, ces monopoles g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9s ont acquis l\u2019exclusivit\u00e9 de tous les pouvoirs. Une vingtaine de banques, qui sont toutes des pays du centre, contr\u00f4lent toutes les transactions sur le march\u00e9 financier mon\u00e9taire mondialis\u00e9. Les monopoles ont obtenu le ralliement n\u00e9olib\u00e9ral de la social-d\u00e9mocratie et m\u00eame des anciens partis communistes. Ils ont domestiqu\u00e9 les m\u00e9dias, que j\u2019appelle le clerg\u00e9 m\u00e9diatique au service de l\u2019aristocratie financi\u00e8re. C\u2019est une dictature unilat\u00e9rale. C\u2019est bien une forme de totalitarisme, m\u00eame si elle est tr\u00e8s diff\u00e9rente de l\u2019hitl\u00e9risme, qui \u00e9tait lui aussi au service du grand capital, mais du grand capital allemand de son \u00e9poque. C\u2019est cette nouvelle forme qu\u2019incarne l\u2019Union europ\u00e9enne.
Mais la manifestation politique la plus effrayante de la crise syst\u00e9mique, c\u2019est le fascisme, au Nord et au Sud. Ce fascisme peut \u00eatre religieux en un sens fondamentaliste, ce qui conduit facilement au terrorisme. Il s\u2019agit alors de fonder la soci\u00e9t\u00e9 sur l\u2019Islam, sur l\u2019hindouisme, ou sur le bouddhisme avec l\u2019ignoble dala\u00ef-lama.
<\/p>\n\n\n\n

En Europe, les fondamentalistes chr\u00e9tiens existent mais ils n\u2019ont pas une puissance de conviction terrible. Mais des formes fascistes existent aussi. Je dois pr\u00e9ciser que nous utilisons pour la pens\u00e9e sociale des termes d\u2019\u00e9poques pass\u00e9es, dans des sens renouvel\u00e9s. Le fascisme d\u2019aujourd\u2019hui est un fascisme soft<\/em>, ce n\u2019est pas celui de Hitler. Le racisme, antis\u00e9mite ou autre, est toujours utile pour les fascismes, mais il n\u2019est pas aujourd\u2019hui leur dimension principale. Ce que nous connaissons, c\u2019est un fascisme soft<\/em>, en pantoufles plut\u00f4t qu\u2019en bottes, qui affirme que nous sommes des individus libres, ind\u00e9pendants, qu\u2019on fait ce qu\u2019on veut, etc. Il s\u2019agit d\u2019un formatage dans le moule du faux individualisme et de la fausse libert\u00e9, qui sont assez conventionnels pour neutraliser tout ce qui pourrait mettre en danger le fonctionnement du syst\u00e8me.
<\/p>\n\n\n\n

Alors, que faire ?
<\/h3>\n\n\n\n

Le capitalisme est une br\u00e8ve parenth\u00e8se dans l\u2019histoire, car c\u2019est un syst\u00e8me qui cr\u00e9e les conditions de son propre d\u00e9passement n\u00e9cessaire. Les conditions mat\u00e9rielles tout d\u2019abord, par le progr\u00e8s technologique dans la production en un ou deux si\u00e8cles qui nous ont fait avancer plus qu\u2019on ne l\u2019avait fait en trente mille ans \u2013 c\u2019est une autre allure. Les conditions politiques ensuite par l\u2019id\u00e9e de d\u00e9mocratie, au-del\u00e0 du sens vulgaire des \u00e9lections et du pluripartisme. Les conditions culturelles enfin, avec l\u2019internationalisme comme universalisme. C\u2019est le capitalisme lui-m\u00eame qui a r\u00e9uni ces conditions en un temps record.<\/p>\n\n\n\n

Les \u00e9lections sont faites pour emp\u00eacher la soci\u00e9t\u00e9 d\u2019avancer.
<\/p>Samir Amin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Cela ne signifie pas qu\u2019il faut faire la r\u00e9volution, mais qu\u2019il faut conqu\u00e9rir des avanc\u00e9es r\u00e9volutionnaires. Je n\u2019utilise plus le mot R\u00e9volution depuis vingt ans, je parle d\u2019avanc\u00e9es r\u00e9volutionnaires, parce que le d\u00e9passement du capitalisme dans une perspective communiste est une route tr\u00e8s longue, qui nous m\u00e8ne peut-\u00eatre jusqu\u2019\u00e0 l\u2019an 3000. Ces avanc\u00e9es ne se manifestent pas seulement par de meilleurs taux de croissance \u2013 peut-\u00eatre que oui dans certains cas, mais peut-\u00eatre pas dans d\u2019autres.
<\/p>\n\n\n\n

Elles devront se manifester, par exemple, par le progr\u00e8s de la d\u00e9mocratie. Le progr\u00e8s de la d\u00e9mocratie n\u2019est pas celui du pluripartisme et des \u00e9lections. Pour moi, le slogan de 1968 \u2018\u00e9lections, pi\u00e8ge \u00e0 con\u2019<\/em> a toujours \u00e9t\u00e9 vrai. Les \u00e9lections sont faites pour emp\u00eacher la soci\u00e9t\u00e9 d\u2019avancer. La soci\u00e9t\u00e9 avance, et elle fait parfois des \u00e9lections apr\u00e8s, qui confortent les avanc\u00e9es, mais elle n\u2019avance pas par des \u00e9lections. Le pluripartisme, aujourd\u2019hui, n\u2019a plus de sens, puisque tout le monde accepte la loi du march\u00e9 : que l\u2019on vote rose, rouge, blanc ou vert, le lendemain les \u00e9lus disent \u00ab le march\u00e9 veut que… \u00bb. Cela ouvre, h\u00e9las, la porte au fascisme en m\u00eame temps.
<\/p>\n\n\n\n

Quelle attitude avoir, en Europe comme ailleurs \u2013 ce n\u2019est pas tr\u00e8s diff\u00e9rent ? C\u2019\u00e9tait la conclusion de mon livre sur l\u2019Implosion <\/em> : de l\u2019audace, encore de l\u2019audace, toujours de l\u2019audace. Il n\u2019y a pas d\u2019autre moyen d\u2019amorcer la transformation dans le bon sens que la nationalisation non pas du barbier du coin, mais des grands monopoles. L\u2019argument qu\u2019on oppose \u00e0 ce projet, c\u2019est que les gestionnaires feront la m\u00eame chose, mais en plus mal, parce que ce seront des bureaucrates au lieu d\u2019\u00eatre mus par le gain personnel. C\u2019est un danger r\u00e9el, mais c\u2019est la condition d\u2019une possible socialisation, qui prendra un si\u00e8cle ou plus. Le changement ne peut se faire que de cette mani\u00e8re, il ne se fera jamais par en haut, que ce soit \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale par une d\u00e9cision collective et gentille de tous les chefs d\u2019\u00c9tat r\u00e9unis \u00e0 l\u2019ONU, ou en Europe par un Conseil des pr\u00e9sidents et premiers ministres : c\u2019est inconcevable, quels qu\u2019ils soient. Si on veut \u00eatre m\u00e9chants, on peut dire que le changement se fera n\u00e9cessairement par l\u2019\u00e9clatement de ces structures. En tout cas, il ne peut pas se faire autrement que par des avanc\u00e9es in\u00e9gales.
Cette premi\u00e8re \u00e9tape, qu\u2019on peut qualifier de capitalisme d\u2019\u00c9tat, est incontournable. C\u2019est un capitalisme d\u2019\u00c9tat \u00e0 tendance sociale, c\u2019est-\u00e0-dire respectueux de donner aux travailleurs de meilleures conditions, de meilleures garanties \u2013 le contraire de la politique de Macron \u2013 mais en restant dans notre mode de production tel qu\u2019il est. Il pourra alors passer graduellement, avec la maturation des luttes et de la conscience, vers la socialisation.
<\/p>\n\n\n\n

Il faudrait donc une secousse r\u00e9volutionnaire pour mettre en marche ce processus graduel ?<\/h3>\n\n\n\n

Je suis peut-\u00eatre un optimiste inv\u00e9t\u00e9r\u00e9, mais je suis persuad\u00e9 que la France a un potentiel en ce sens, car elle a quand m\u00eame une histoire. Pour moi, il y a trois grandes r\u00e9volutions dans l\u2019histoire moderne : fran\u00e7aise, russe et chinoise. Quand je parle de grandes r\u00e9volutions, je veux dire qu\u2019elles se donnent des projets qui sont tr\u00e8s en avance sur leur temps. D\u2019o\u00f9 leur \u00e9chec, qui est leur r\u00e9ussite en m\u00eame temps, puisqu\u2019elles jettent la semence de l\u2019avenir. C\u2019est le contraire des fausses r\u00e9volutions, comme la r\u00e9volution am\u00e9ricaine faite par des esclavagistes comme George Washington, pour la propri\u00e9t\u00e9 et l\u2019in\u00e9galit\u00e9, ou la R\u00e9volution anglaise qui est une r\u00e9volution de palais, les aristocrates anglais acceptant qu\u2019un bon bourgeois puisse avoir acc\u00e8s \u00e0 quelques honneurs puisqu\u2019il a de l\u2019argent.
<\/p>\n\n\n\n

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Classe et nation dans l’histoire et la crise contemporaine (1979)<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Dans mon livre Classe et nation<\/em>, \u00e9crit en 1985 et publi\u00e9 en 1989, le chapitre conclusif s\u2019appelle \u00ab R\u00e9volution ou d\u00e9cadence \u00bb. J\u2019y affirme qu\u2019\u00e0 travers l\u2019histoire, les soci\u00e9t\u00e9s (pas seulement europ\u00e9ennes), se transforment de deux mani\u00e8res diff\u00e9rentes. La premi\u00e8re est la r\u00e9volution, lorsque les agents de la transformation ont un projet et sont aussi lucides qu\u2019on peut l\u2019\u00eatre. On peut discuter les effets de telle ou telle d\u00e9cision, mais c\u2019est du d\u00e9tail. C\u2019est la lucidit\u00e9 historique qui compte. Les r\u00e9volutions qui peuvent nous servir de mod\u00e8le sont ainsi accompagn\u00e9es de certaines conceptions intellectuelles. <\/p>\n\n\n\n

C\u2019est le cas de la France des Lumi\u00e8res et de l\u2019\u00c9cosse des Lumi\u00e8res au XVIIIe si\u00e8cle. Dans le cas russe, c\u2019est le marxisme et son interpr\u00e9tation bolch\u00e9vique, dans le cas chinois c\u2019est le marxisme et son interpr\u00e9tation mao\u00efste.<\/p>\n\n\n\n

Mais il y a une autre voie, lorsque les changements se font par la force des choses, sans agent et sans lucidit\u00e9. Par exemple on ne parle pas de la r\u00e9volution f\u00e9odale, mais de la d\u00e9cadence romaine dont est sorti le f\u00e9odalisme europ\u00e9en. C\u2019est une voie tr\u00e8s co\u00fbteuse. Le f\u00e9odalisme a parcouru une route \u00e9prouvante, remplie d\u2019invasions et de massacres, pour devenir un syst\u00e8me remarquable et la civilisation des cath\u00e9drales. Si nous rentrons dans une p\u00e9riode de d\u00e9passement du capitalisme par la d\u00e9cadence, avec les moyens actuels de destruction de la nature et de l\u2019humanit\u00e9, j\u2019ai peur que ce ne soit d\u00e9cisif dans le mauvais sens du terme. Nous avons besoin de Marx et de lucidit\u00e9 aujourd\u2019hui, bien plus encore qu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9poque de Marx lui-m\u00eame.
<\/em><\/p>\n\n\n\n


\n\n\n\n

Que pensez-vous de l\u2019h\u00e9g\u00e9monie des \u00c9tats-Unis aujourd\u2019hui ?<\/h3>\n\n\n\n

Elle est malade.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est l\u2019analyse<\/a> d\u2019Immanuel Wallerstein.<\/h3>\n\n\n\n
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Immanuel Wallerstein<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Je dis qu\u2019elle est malade. Wallerstein dit qu\u2019elle a m\u00eame disparu. Il va trop loin \u00e0 mon avis. H\u00e9las, ce n\u2019est pas encore le cas. Mais on voit bien des signes de faiblesse, m\u00eame dans l\u2019actualit\u00e9. Dans la dispute de Cor\u00e9e, Kim, qui ne me para\u00eet pas le personnage le plus sympathique de l\u2019univers, s\u2019est montr\u00e9 infiniment plus intelligent que Trump. Vous me direz, ce n\u2019est pas difficile. Mais avec Hillary, cela aurait \u00e9t\u00e9 pire : heureusement qu\u2019il y a un imb\u00e9cile aux commandes, c\u2019est parfois utile, m\u00eame si c\u2019est dangereux aussi. Les \u00c9tats-Unis sont aussi engag\u00e9s dans une bataille commerciale avec la Chine, qu\u2019ils vont perdre, parce que la Chine r\u00e9pond du tac au tac.<\/p>\n\n\n\n

Est-ce que cela signifie que les \u00c9tats-Unis ne sont plus l\u2019ennemi prioritaire pour les pays du Tiers Monde ?<\/h3>\n\n\n\n

Ils sont l\u2019ennemi prioritaire, mais un ennemi sur le d\u00e9clin. La France est rest\u00e9e l\u2019ennemi prioritaire du Vietnam jusqu\u2019\u00e0 \u00d0i\u1ec7n Bi\u00ean Ph\u1ee7, mais elle \u00e9tait en d\u00e9clin !<\/p>\n\n\n\n

Quels sont les principaux sympt\u00f4mes de ce d\u00e9clin de l\u2019h\u00e9g\u00e9monie am\u00e9ricaine que vous rep\u00e9rez ?<\/h3>\n\n\n\n

Ils sont tr\u00e8s nombreux, mais d\u2019abord leur incapacit\u00e9 \u00e0 mener et \u00e0 gagner une guerre. Ils peuvent bombarder et faire \u00e9norm\u00e9ment de morts. Ils ont conquis l\u2019Irak : l\u2019Irak est maintenant divis\u00e9 en guerres civiles permanentes et une bonne partie du pays se trouve maintenant sous la d\u00e9pendance de l\u2019Iran. C\u2019est une d\u00e9faite am\u00e9ricaine. La Syrie \u00e9galement. Les \u00c9tats-Unis pensaient, avec Isra\u00ebl, faire \u00e9clater la Syrie par la guerre islamiste dans toutes les provinces. Il s\u2019agissait de la faire \u00e9clater en cinq pseudo-\u00c9tats. Ils ont \u00e9chou\u00e9, gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019aide militaire russe, mais aussi parce que ne s\u2019est pas d\u00e9compos\u00e9e l\u2019arm\u00e9e de Bachar El-Assad (qui est un personnage que je ne consid\u00e8re \u00e9videmment pas comme un mod\u00e8le, loin de l\u00e0). La soi-disant Arm\u00e9e syrienne libre, dont les Europ\u00e9ens font tant de cas, c\u2019est dix personnes. Ils sont pass\u00e9s chez les islamistes parce qu\u2019ils \u00e9taient dix. Ils n\u2019existent pas. La bataille que gagne Bachar El-Assad est une chose positive \u00e0 mon avis, et une manifestation du d\u00e9clin am\u00e9ricain.<\/p>\n\n\n\n

Passons \u00e0 l\u2019Europe. Tout d\u2019abord, il faut rappeler que l\u2019orientation mondiale de vos recherches vous a amen\u00e9 \u00e0 vous opposer \u00e0 l\u2019eurocentrisme.
<\/h3>\n\n\n\n

En effet, le triomphe de l\u2019Europe au XIXe<\/sup> si\u00e8cle a engendr\u00e9 l\u2019eurocentrisme. Comme je l\u2019\u00e9cris dans mon livre sur le sujet, l\u2019eurocentrisme n\u2019est pas dans les g\u00e8nes des Europ\u00e9ens. Il a \u00e9t\u00e9 fabriqu\u00e9 au XIXe<\/sup> si\u00e8cle, \u00e0 partir d\u2019ant\u00e9c\u00e9dents \u00e9blouissants : la Renaissance, les Lumi\u00e8res et la R\u00e9volution fran\u00e7aise. Au cours de ce processus, les Europ\u00e9ens se sont donn\u00e9s un anc\u00eatre grec, et ont forg\u00e9 l\u2019id\u00e9e de la Gr\u00e8ce comme capitale de la culture europ\u00e9enne. Mais la Gr\u00e8ce \u00e9tait une capitale de la culture orientale ! L\u2019hell\u00e9nisme \u00e9tait la fusion de plusieurs grandes civilisations. L\u2019une d\u2019elle correspond g\u00e9ographiquement \u00e0 ce qu\u2019on appelle aujourd\u2019hui l\u2019Europe, mais c\u2019est elle que les Grecs appelaient barbare. Pour eux, les gens civilis\u00e9s \u00e9taient les Persans, les amis \u00e9taient les \u00c9gyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Ph\u00e9niciens. C\u2019\u00e9tait \u00e7a, l\u2019hell\u00e9nisme. Sur le plan de la civilisation, la M\u00e9diterran\u00e9e \u00e9tait divis\u00e9e entre l\u2019Est et l\u2019Ouest, mais les Europ\u00e9ens en ont fait une coupure Nord-Sud, ce qui leur a permis de rattacher la Gr\u00e8ce \u00e0 l\u2019Europe et de se donner cette civilisation pour anc\u00eatre. Dans cette fable, on imagine que la civilisation brillante serait pass\u00e9e de la Gr\u00e8ce \u00e0 l\u2019Empire romain, dont la population aurait aussi \u00e9t\u00e9 civilis\u00e9e par le christianisme. Selon la vision eurocentrique, la Renaissance et les Lumi\u00e8res \u00e9taient un retour, apr\u00e8s des si\u00e8cles noirs de f\u00e9odalisme barbare, aux anc\u00eatres grecs et gr\u00e9co-romains.
<\/p>\n\n\n\n

L\u2019autre version de l\u2019eurocentrisme, c\u2019est la christianophilie. Il se trouve que le christianisme, avant de se r\u00e9pandre en Am\u00e9rique et ailleurs, est rest\u00e9 presque exclusivement europ\u00e9en. On en a pris argument pour imaginer une sup\u00e9riorit\u00e9 du christianisme sur les autres religions, ce qui a g\u00e9n\u00e9r\u00e9 un germe d\u2019antis\u00e9mitisme.
<\/p>\n\n\n\n

La troisi\u00e8me version est raciste, et stipule que les peuples europ\u00e9ens ont de meilleurs g\u00e8nes que les autres peuples. Il est amusant de remarquer que Hitler mettait les Germains d\u2019Allemagne en t\u00eate, ensuite les Germains qui ne sont pas allemands, les Hollandais et les Scandinaves, puis d\u2019autres. Et il y a des \u00e9crits racistes anglais qui avancent la m\u00eame classification, sauf qu\u2019ils mettent les Anglais avant les Allemands, et pas l\u2019inverse. L\u2019eurocentrisme raciste est la version la plus vulgaire, mais c\u2019est aussi, h\u00e9las, celle qui a \u00e9t\u00e9 la plus criminelle, potentiellement puis r\u00e9ellement.
Quoi qu\u2019il en soit, l\u2019Europe vit encore sur l\u2019eurocentrisme. Ce n\u2019est plus \u00e0 la mode de dire \u00ab sup\u00e9rieur \u00bb : la mode est \u00e0 l\u2019\u00e9loge de la diff\u00e9rence et de la vari\u00e9t\u00e9, mais ce n\u2019est qu\u2019une mode, et les Europ\u00e9ens restent persuad\u00e9s que leur mode de vie est diff\u00e9rent et sup\u00e9rieur.
<\/p>\n\n\n\n

Voil\u00e0 sur le plan culturel. Mais politiquement, que faut-il faire de l\u2019Europe ?<\/h3>\n\n\n\n
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Fr\u00e9d\u00e9ric Bastiat (1801-1850), homme politique et penseur lib\u00e9ral fran\u00e7ais<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Contrairement aux discours de propagande faits pour plaire au grand public, la construction europ\u00e9enne n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 faite pour faire une Europe forte et capable de concurrencer les \u00c9tats-Unis. L\u2019Europe a \u00e9t\u00e9 faite par les \u00c9tats-Unis. C\u2019est le cas depuis le trait\u00e9 de Rome en 1957. Puis l\u2019Europe a connu le tournant dit n\u00e9olib\u00e9ral, que j\u2019appelle pal\u00e9olib\u00e9ral, car il ne s\u2019agit de rien d\u2019autre que de r\u00e9aliser les vieux r\u00eaves de Bastiat des ann\u00e9es 1820. Les patrons peuvent battre leurs ouvriers \u00e0 coups de b\u00e2ton s\u2019ils le souhaitent et les payer aussi bas que possible, voil\u00e0 qui n\u2019a d\u00e9cid\u00e9ment rien de nouveau.
<\/p>\n\n\n\n

En m\u00eame temps, elle a connu une capitulation d\u00e9mocratique. Car la d\u00e9mocratie, c\u2019est la socialisation, c\u2019est-\u00e0-dire la gestion collective r\u00e9elle de tous les aspects de la vie sociale, y compris bien entendu \u00e9conomique. Et cette gestion doit \u00eatre prise en main par les citoyens, de vrais citoyens, les producteurs si l\u2019on veut. Tout plut\u00f4t que les citoyens d\u2019aujourd\u2019hui, qu\u2019on formate pour qu\u2019ils soient des consommateurs et des spectateurs et non pas des acteurs. C\u2019est ainsi que, au-del\u00e0 m\u00eame du n\u00e9olib\u00e9ralisme, la d\u00e9mocratie est vid\u00e9e de tout son contenu.
<\/p>\n\n\n\n

Voil\u00e0 pourquoi je suis contre cette construction. L\u2019Europe a \u00e9t\u00e9 faite en b\u00e9ton arm\u00e9 pour ne pas pouvoir \u00eatre r\u00e9form\u00e9e. Giscard, en 1957, a dit : \u00ab le Trait\u00e9 de Rome a rendu le socialisme ill\u00e9gal \u00bb. De fait, comme aux \u00c9tats-Unis o\u00f9 elle est prot\u00e9g\u00e9e par la Cour supr\u00eame, la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e est devenue sacrosainte, plus importante que la libert\u00e9, qui est d\u00e9sormais avant tout la libert\u00e9 du propri\u00e9taire, m\u00eame s\u2019il en subsiste quelques autres. Mais la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e est n\u00e9cessairement celle d\u2019une minorit\u00e9.
<\/p>\n\n\n\n

Or le syst\u00e8me est rentr\u00e9 dans sa deuxi\u00e8me crise syst\u00e9mique, et j\u2019insiste que ce n\u2019est pas une crise conjoncturelle, que les termes de reprise et de r\u00e9cession n\u2019ont pas de sens ici. Cette crise du syst\u00e8me, l\u2019Europe est construite pour refuser de la reconna\u00eetre. Elle va donc devenir de moins en moins g\u00e9rable.
<\/p>\n\n\n\n

Politiquement, la construction europ\u00e9enne est, par nature, anti-travail et anti-d\u00e9mocratique.<\/p>Samir Amin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Je ne suis pas culturellement contre l\u2019Europe, cela me para\u00eet absurde, car si les Europ\u00e9ens ne sont pas meilleurs que les autres, ils ne sont pas pires non plus. Il faut aussi reconna\u00eetre que c\u2019est l\u2019Europe qui a invent\u00e9 la modernit\u00e9 : cela aurait pu \u00eatre ailleurs, mais cela a \u00e9t\u00e9 l\u00e0. Mais ce qui compte, politiquement, c\u2019est que la construction europ\u00e9enne, par nature, est anti-travail et anti-d\u00e9mocratique. C\u2019est un fascisme doux. Il n\u2019y a pas plus beau mod\u00e8le de totalitarisme que l\u2019Europe actuelle. C\u2019est la pens\u00e9e unique dans tous les domaines.<\/p>\n\n\n\n

Pourtant, dans Beyond US Hegemony<\/em>, vous souligniez le r\u00f4le g\u00e9opolitique que pourrait jouer une puissance europ\u00e9enne ind\u00e9pendante des \u00c9tats-Unis.<\/h3>\n\n\n\n

Oui. Je l\u2019ai r\u00e9sum\u00e9 en disant : il faut d\u00e9construire avant de reconstruire. Je ne crois pas du tout \u00e0 des r\u00e9formes progressistes de la part de cette Europe telle qu\u2019elle est construite, avec sa constitution, sa bureaucratie de Bruxelles, avec le ralliement de la gauche historique \u00e0 la droite historique, je n\u2019y crois pas du tout. Je crois que c\u2019est tr\u00e8s na\u00eff de le croire, mais beaucoup d\u2019Europ\u00e9ens ont cette na\u00efvet\u00e9. Le peuple grec, notamment, l\u2019avait.<\/p>\n\n\n\n

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Beyond US Hegemony  ? Assessing the prospects for a multipolar world [Au-del\u00e0 de l’h\u00e9g\u00e9monie des Etats-Unis ? Estimer les perspectives pour un monde multipolaire], 2006<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

En revanche, la d\u00e9construction peut \u00eatre une voie. Le Brexit avait des motifs tr\u00e8s divers. Il y avait des motifs de droite, notamment \u00e0 l\u2019\u00e9gard des immigr\u00e9s, avec un usage quasi fasciste de ce th\u00e8me, ainsi que des comportements nationalistes \u00e9troits, en particulier de la part des moyennes entreprises britanniques, face aux monopoles mondiaux. <\/p>\n\n\n\n

Mais il y avait aussi de bonnes raisons. Je l\u2019ai d\u00e9couvert en discutant avec des Anglais. Les Anglais n\u2019acceptent pas de marcher derri\u00e8re l\u2019Allemagne \u2013 ce que les Fran\u00e7ais acceptent. Je l\u2019ai dit \u00e0 un ambassadeur de France : \u00ab la France est vichyste \u00bb. Elle accepte d\u2019\u00eatre le second de l\u2019Allemagne, pas avec les formes violentes de l\u2019Allemagne hitl\u00e9rienne, mais sur le plan \u00e9conomique. L\u2019Angleterre, en revanche, c\u2019est Churchill. Il y a eu quelque chose de symbolique : les Anglais n\u2019ont jamais accept\u00e9 l\u2019Union Europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n

Ce sont des raisons de culture politique qui jouent ici ?<\/h3>\n\n\n\n

Oui. Comme je le dis toujours, c\u2019est l\u2019Arm\u00e9e rouge qui a battu les nazis mais cela ne r\u00e9duit pas la gloire du peuple anglais en 1940. La monarchie anglaise voulait c\u00e9der et n\u00e9gocier une paix s\u00e9par\u00e9e. C\u2019est Churchill (qui n\u2019\u00e9tait certes pas un homme de gauche) qui a dit non.<\/p>\n\n\n\n

C\u2019est donc apr\u00e8s avoir d\u00e9fait l\u2019Union europ\u00e9enne qu\u2019il faudrait construire une puissance europ\u00e9enne ind\u00e9pendante ?<\/h3>\n\n\n\n

Oui. \u00c0 partir d\u2019avanc\u00e9es in\u00e9gales la d\u00e9construction de cette Europe permettrait (je l\u2019ai dit, r\u00e9p\u00e9t\u00e9, je ne suis pas anti-culture europ\u00e9enne, loin de l\u00e0) une Europe qui ne rechercherait pas la concurrence commerciale avec les \u00c9tats-Unis, mais la concurrence civilisationnelle.<\/p>\n\n\n\n

S\u2019il ne faut pas mener la lutte \u00e0 l\u2019\u00e9chelle de l\u2019Union europ\u00e9enne, ce doit donc \u00eatre au niveau des diff\u00e9rentes nations ? C\u2019est ce que vous proposiez dans Classe et nation<\/em>.<\/h3>\n\n\n\n

Je sais que cette id\u00e9e est tr\u00e8s impopulaire en Europe. On met un signe d\u2019\u00e9galit\u00e9 entre la souverainet\u00e9 nationale et le nationalisme des abrutis chauvins, et on les rejette tous deux ensemble. Je comprends cela, parce que la souverainet\u00e9 nationale est invoqu\u00e9e dans l\u2019histoire de l\u2019Europe par les classes dominantes, c\u2019est-\u00e0-dire par les bourgeoisies, pour donner une l\u00e9gitimit\u00e9 apparente \u00e0 l\u2019exploitation de leur propre peuple ou \u00e0 leur expansion ext\u00e9rieure imp\u00e9rialiste ou coloniale. Cette souverainet\u00e9 dite nationale a conduit \u00e0 la guerre en 1914, et je comprends tr\u00e8s bien que les jeunes Europ\u00e9ens ne trouvent pas cela sympathique, si bien que tous ceux qui ont \u00e0 c\u0153ur la d\u00e9fense des int\u00e9r\u00eats des classes laborieuses voient dans la souverainet\u00e9 nationale l\u2019instrument des forces r\u00e9actionnaires.<\/p>\n\n\n\n

Mais, pour ma part, je parle de souverainet\u00e9 populaire, ce qui est diff\u00e9rent. Pourquoi faut-il en passer par l\u00e0 ? Parce que le monde ne va pas changer du jour au lendemain, il n\u2019y aura pas de r\u00e9volution mondiale comme les \u00e9coliers trotskystes ont pu le croire, qui commencerait aux \u00c9tats-Unis pour s\u2019emparer du monde. Je n\u2019ai jamais cru \u00e0 ces b\u00eatises-l\u00e0. Le monde se transforme par avanc\u00e9es in\u00e9gales, \u00e0 partir de la base. Or la base, que cela nous plaise ou non, c\u2019est l\u2019\u00c9tat. La France, elle existe ; l\u2019Allemagne existe ; l\u2019Europe, \u00e7a n\u2019existe pas. Il n\u2019y a pas de solidarit\u00e9 europ\u00e9enne. Un Fran\u00e7ais n\u2019acceptera jamais une assembl\u00e9e europ\u00e9enne o\u00f9 il serait totalement minoritaire, un Allemand pas plus, ni m\u00eame un Scandinave. C\u2019est-\u00e0-dire que la transformation ne peut se faire que dans les fronti\u00e8res des \u00c9tats tels qu\u2019ils sont, qu\u2019ils nous plaisent ou qu\u2019ils ne nous plaisent pas.<\/p>\n\n\n\n

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La R\u00e9volution fran\u00e7aise face \u00e0 ses ennemis<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Ce sont donc des avanc\u00e9es in\u00e9gales. \u00c0 ce moment-l\u00e0, la souverainet\u00e9 devient une souverainet\u00e9 populaire de d\u00e9fense de ces avanc\u00e9es face \u00e0 l\u2019offensive des forces r\u00e9actionnaires. Et on l\u2019a vu dans l\u2019histoire : ce n\u2019est pas la R\u00e9volution fran\u00e7aise qui a fait la guerre \u00e0 l\u2019Europe, c\u2019est l\u2019Europe qui a fait la guerre \u00e0 la R\u00e9volution fran\u00e7aise. Si par la suite Bonaparte en a profit\u00e9 pour essayer de soumettre l\u2019Europe \u00e0 ce qui restait de la R\u00e9volution fran\u00e7aise, c\u2019est autre chose, mais c\u2019est l\u2019Europe qui a engag\u00e9 la guerre. \u00c0 Valmy, ce ne sont pas les Fran\u00e7ais qui sont all\u00e9s attaquer les Autrichiens et les Prussiens, c\u2019est l\u2019inverse. C\u2019est la m\u00eame chose pour la Russie. Il n\u2019y a jamais eu de guerre civile. Apr\u00e8s octobre 1917, 80 % de la population a soutenu 1917. C\u2019est l\u2019intervention militaire \u00e9trang\u00e8re qui a sem\u00e9 le trouble, car une intervention militaire \u00e9trang\u00e8re trouve toujours des alli\u00e9s, comme l\u2019intervention contre la R\u00e9volution fran\u00e7aise a trouv\u00e9 les Vend\u00e9ens. Et c\u2019est \u00e0 ce moment-l\u00e0 qu\u2019on a besoin d\u2019une souverainet\u00e9 populaire pour d\u00e9fendre ces avanc\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n

Vous sugg\u00e9riez que la r\u00e9ticence \u00e0 l\u2019\u00e9chelle nationale est typiquement occidentale ?<\/h3>\n\n\n\n

Cette strat\u00e9gie, qui appara\u00eet comme inacceptable en Europe, est une chose tr\u00e8s banale dans le Sud. Elle structure d\u2019abord la reconqu\u00eate de l\u2019ind\u00e9pendance, qu\u2019elle soit militaire ou parfois moins violente. Et il faut ensuite la d\u00e9fendre pour pouvoir avancer, m\u00eame si cette avanc\u00e9e est modeste. Je donne toujours un exemple : en 1960, au Congo belge, il y avait neuf \u2013 pas dix ! \u2013 Congolais \u00e0 peau noire qui avaient fait des \u00e9tudes sup\u00e9rieures, six religieux et trois civils \u2013 je n\u2019ai jamais su, ou j\u2019ai oubli\u00e9, s\u2019ils \u00e9taient deux m\u00e9decins et un avocat ou deux avocats et un m\u00e9decin. Apr\u00e8s trente ans d\u2019un des plus odieux r\u00e9gimes de l\u2019Afrique et du monde, celui de Mobutu, aujourd\u2019hui, il n\u2019y en a pas neuf, mais trois millions. Donc le pire r\u00e9gime a fait des milliers de fois mieux que la belle colonisation.<\/p>\n\n\n\n

Ceux qui ont mon \u00e2ge et qui ont connu des parties du tiers-monde de l\u2019\u00e9poque de mon enfance savent que \u00e7a n\u2019a plus rien \u00e0 voir avec aujourd\u2019hui. Et ce qui existe aujourd\u2019hui, les peuples du Sud ont d\u00fb le conqu\u00e9rir, on ne le leur a pas donn\u00e9, rien n\u2019a \u00e9t\u00e9 donn\u00e9. La souverainet\u00e9 nationale est ambigu\u00eb, parce que c\u2019est celle des classes dirigeantes locales, mais ces classes dirigeantes peuvent \u00eatre \u00ab progressistes \u00bb, et le terme a un sens si elles font progresser le pays, si elles introduisent un changement utile et n\u00e9cessaire, m\u00eame partiel. Voil\u00e0 donc comment je d\u00e9finirais la souverainet\u00e9 populaire.<\/p>\n\n\n\n

Et je dis : il en sera de m\u00eame en Europe. <\/p>\n\n\n\n

Les Grecs ont \u00e9t\u00e9 \u00e0 un doigt de pouvoir le faire. Ils ont \u00e9chou\u00e9 \u00e0 cause d\u2019une contradiction interne : les Grecs \u00e9taient, et sont toujours, contre l\u2019aust\u00e9rit\u00e9 \u2013 cette aust\u00e9rit\u00e9 criminelle qui leur est impos\u00e9e avec des milliards de cadeaux aux banques europ\u00e9ennes du Nord \u2013, mais en m\u00eame temps ils se font des illusions sur l\u2019Europe. Les m\u00eames 70 % qui ont vot\u00e9, avec Tsipras et Syriza, contre l\u2019aust\u00e9rit\u00e9, croient qu\u2019il suffit de dire aux Europ\u00e9ens : \u00ab vous devez faire comme nous \u00bb, pour que les Europ\u00e9ens se mettent \u00e0 faire comme eux. Mais les Europ\u00e9ens n\u2019ont pas choisi de faire comme eux, ils ont choisi de les massacrer \u2013 et je ne parle pas seulement des Allemands, les Fran\u00e7ais ont \u00e9t\u00e9 complices, comme les Italiens et les autres. Mais il y a un pays qui, en Europe, \u00e0 mon avis, a de meilleures chances que la Gr\u00e8ce : je pense que la France pourrait amorcer un mouvement. \u00c0 condition qu\u2019une gauche radicale y renaisse.<\/p>\n\n\n\n

Cette strat\u00e9gie politique nationale a un versant \u00e9conomique que vous avez d\u00e9crit dans La D\u00e9connexion.<\/em><\/h3>\n\n\n\n
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La D\u00e9connexion. Pour sortir du syst\u00e8me mondial (1986)<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Oui, dans le Sud, cette strat\u00e9gie a un versant \u00e9conomique. Comme je le dis toujours, la pens\u00e9e sociale utilise des mots du langage commun et il faut faire attention au sens qui leur est donn\u00e9, car si on ne se donne pas cette peine, on pourrait penser que la d\u00e9connexion consiste \u00e0 couper tous les liens et \u00e0 s\u2019en aller sur la lune, \u00e0 couper tout commerce et toute relation avec tout le monde. Ce n\u2019est pas du tout ce que j\u2019entends. La d\u00e9connexion consiste \u00e0 tenter de renverser le rapport de la p\u00e9riph\u00e9rie au centre.<\/p>\n\n\n\n

Je l\u2019ai \u00e9crit tr\u00e8s t\u00f4t, c\u2019est m\u00eame dans ma th\u00e8se : le processus historique de polarisation p\u00e9riph\u00e9rie-centre est un processus d\u2019ajustement structurel (j\u2019ai utilis\u00e9 le terme cinquante ans avant la Banque mondiale !), un processus d\u2019ajustement structurel permanent des p\u00e9riph\u00e9ries aux exigences de l\u2019acc\u00e9l\u00e9ration et de l\u2019approfondissement de l\u2019accumulation dans les centres. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019on demande aux Congolais de s\u2019ajuster aux besoins des Am\u00e9ricains, mais pas aux \u00c9tats-Unis de s\u2019ajuster aux besoins des Congolais.<\/p>\n\n\n\n

La d\u00e9connexion, c\u2019est tenter de renverser le rapport, c\u2019est-\u00e0-dire contraindre le dominant, l\u2019imp\u00e9rialiste, \u00e0 reculer. Si on peut le battre, c\u2019est tant mieux, mais il s\u2019agit au moins de le contraindre \u00e0 reculer et \u00e0 s\u2019ajuster, m\u00eame partiellement, \u00e0 nos avanc\u00e9es \u00e0 nous.<\/p>Samir Amin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La d\u00e9connexion, c\u2019est tenter de renverser le rapport, c\u2019est-\u00e0-dire contraindre le dominant, l\u2019imp\u00e9rialiste, \u00e0 reculer. Si on peut le battre, c\u2019est tant mieux, mais il s\u2019agit au moins de le contraindre \u00e0 reculer et \u00e0 s\u2019ajuster, m\u00eame partiellement, \u00e0 nos avanc\u00e9es \u00e0 nous. C\u2019est cela, la d\u00e9connexion. Elle prend des formes historiques diff\u00e9rentes, selon l\u2019\u00e9poque o\u00f9 elle a eu lieu. On a connu par exemple la d\u00e9connexion sovi\u00e9tique et la d\u00e9connexion chinoise, qui ont \u00e9t\u00e9 d\u2019abord contraintes, puisque le blocus leur a \u00e9t\u00e9 impos\u00e9. Mais dans tous les cas, la d\u00e9connexion est un effort pour renverser la logique du syst\u00e8me, pour avancer, pour r\u00e9duire la polarisation et donc se donner des chances d\u2019avancer. La d\u00e9connexion aujourd\u2019hui consiste \u00e0 refuser le statut de sous-traitant, sous-traitant industriel pour certains pays d\u2019Am\u00e9rique latine, industriel aussi pour l\u2019Inde, mais pas seulement, puisque les services informatiques des \u00c9tats-Unis et de la Grande-Bretagne surtout sont transf\u00e9r\u00e9s en Inde.<\/p>\n\n\n\n

Donc la d\u00e9connexion n\u2019implique pas d\u2019interrompre les rapports commerciaux avec le centre ?<\/h3>\n\n\n\n

Pas du tout ! Mais \u00e7a implique d\u2019obtenir un certain degr\u00e9 de contr\u00f4le.<\/p>\n\n\n\n

Quelles sont alors les mesures prioritaires ?<\/h3>\n\n\n\n

Il n\u2019y a pas de recette toute faite. Il faut avoir un minimum de coh\u00e9rence et d\u2019efficacit\u00e9, et conna\u00eetre les limites du possible. Ces limites d\u00e9pendent de beaucoup de choses : de l\u2019histoire du pays, de la nature du bloc social dirigeant, de la taille du pays, etc. La Chine le fait aujourd\u2019hui. Contrairement \u00e0 ce qu\u2019on dit, la Chine n\u2019est pas compl\u00e8tement soumise \u00e0 la mondialisation. Elle y participe, mais pas \u00e0 la mondialisation financi\u00e8re. Elle contr\u00f4le la mondialisation, ou tente de la contr\u00f4ler, bien qu\u2019elle rencontre des limites. Le cas chinois est, par exemple, compl\u00e8tement diff\u00e9rent du cas \u00e9gyptien, puisque les deux pays n\u2019ont pas du tout la m\u00eame histoire.<\/p>\n\n\n\n

Vous faites r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 l\u2019\u00c9gypte actuelle ?<\/h3>\n\n\n\n
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Le Monde arabe dans la longue dur\u00e9e<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Oui. Un projet de politique alternative a \u00e9t\u00e9 \u00e9crit, pour rassembler au-del\u00e0 de la gauche, et cela serait une amorce de d\u00e9connexion partielle. J\u2019ai publi\u00e9, avec d\u2019autres, des articles entiers \u00e0 ce sujet, avec des propositions tr\u00e8s concr\u00e8tes. Le projet a \u00e9t\u00e9 longuement discut\u00e9 avec les syndicats. Il portait sur les niveaux de salaire, sur les droits des femmes, les droits \u00e0 une retraite modeste, mais r\u00e9elle, etc. Il a \u00e9t\u00e9 discut\u00e9 \u00e9galement avec la petite bourgeoisie, m\u00eame si je n\u2019aime pas le terme, avec les travailleurs ais\u00e9s des professions lib\u00e9rales, avec les syndicats et les organisations de m\u00e9decins, d\u2019avocats, d\u2019enseignants, etc. C\u2019est le c\u00f4t\u00e9 d\u00e9mocratique, celui des droits civils et humains, qui les int\u00e9resse davantage que la question \u00e9conomique. Un projet de cette nature doit donc articuler un ensemble de questions, et la d\u00e9connexion, c\u2019est l\u2019ensemble de ces choses.<\/p>\n\n\n\n

Dans le cas de l\u2019\u00c9gypte, qu\u2019impliquerait un tel projet pour les relations \u00e9conomiques internationales ?<\/h3>\n\n\n\n

Pour l\u2019\u00c9gypte, il faudrait peut-\u00eatre cesser de d\u00e9pendre des fonds de l\u2019Arabie Saoudite et des pays du Golfe. Il faudrait sans doute accueillir certaines industries sous-traitantes financ\u00e9es en partie par l\u2019Occident (particuli\u00e8rement europ\u00e9en, mais les Europ\u00e9ens sont trop b\u00eates pour le faire).<\/p>\n\n\n\n

Cela impliquerait de d\u00e9velopper une industrie manufacturi\u00e8re \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du pays ?<\/h3>\n\n\n\n

Bien s\u00fbr. \u00c7a implique toujours cela. Au moins pour les pays, disons, moyens. Peut-\u00eatre que pour les pays minuscules c\u2019est un peu diff\u00e9rent.<\/p>\n\n\n\n

Puisque vous parlez de l\u2019\u00c9gypte, pourriez-vous revenir sur la p\u00e9riode de votre enfance ?<\/h3>\n\n\n\n
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M\u00e9moires. L’\u00e9veil du Sud<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

J\u2019ai racont\u00e9 mon enfance et mon adolescence dans mes m\u00e9moires. La population scolaris\u00e9e de l\u2019\u00e9poque \u00e9tait partag\u00e9e. 40 %, dont j\u2019\u00e9tais, se proclamaient communistes, ce qui voulait dire : il faut foutre dehors le roi, les f\u00e9odaux, les Anglais et le capitalisme, et faire comme les Russes. 40 % se proclamaient nationalistes : il faut foutre dehors les Anglais, point final. Et 20 % n\u2019avaient pas d\u2019opinion : ces 20 % \u00e9taient consid\u00e9r\u00e9s par les 80 % comme des \u00eatres humains inf\u00e9rieurs, totalement m\u00e9pris\u00e9s. Entre communistes et nationalistes, on se bagarrait tous les jours : violence verbale, et parfois m\u00eame violence tout court. Voil\u00e0 ce qu\u2019\u00e9tait ma formation. \u00c9videmment, les communistes \u00e9gyptiens ont vu que j\u2019\u00e9tais m\u00fbr pour \u00eatre une recrue rapide, ce que j\u2019ai \u00e9t\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Plus tard, vous vous confrontez au nass\u00e9risme.<\/h3>\n\n\n\n

Je suis rentr\u00e9 en \u00c9gypte en 1957 apr\u00e8s avoir fini ma th\u00e8se. Il y avait alors une vraie lune de miel entre les communistes \u00e9gyptiens et Nasser. Il a cr\u00e9\u00e9 des institutions pour g\u00e9rer le secteur public \u00e0 partir de la nationalisation des capitaux fran\u00e7ais, britanniques et belges. J\u2019ai d\u00e9crit cela dans mes m\u00e9moires, et dans un autre livre paru sous le titre de Nass<\/em>\u00e9<\/em>risme et communisme<\/em>. J\u2019\u00e9tais tr\u00e8s critique de cette alliance, mais je l\u2019ai accept\u00e9e jusqu\u2019aux grandes arrestations. \u00c0 ce moment-l\u00e0, j\u2019\u00e9tais dans la forte minorit\u00e9 pro-mao\u00efste, et j\u2019ai d\u00fb m\u2019exiler pour \u00e9viter la prison.<\/p>\n\n\n\n

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\u00c9gypte, nass\u00e9risme et communisme<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Avec le recul, que pensez-vous aujourd\u2019hui du projet nass\u00e9rien ?<\/h3>\n\n\n\n

Je pense que le projet nass\u00e9rien s\u2019est \u00e9puis\u00e9 tr\u00e8s rapidement. La r\u00e9forme agraire a d\u00e9truit la grande propri\u00e9t\u00e9 fonci\u00e8re qui \u00e9tait un bastion de l\u2019ancienne bourgeoisie, mais a renforc\u00e9 le capitalisme agraire. Le secteur industriel d\u2019\u00c9tat a connu une croissance rapide, mais d\u00e9sordonn\u00e9e. Et tout cela \u00e9tait associ\u00e9 \u00e0 un manque de d\u00e9mocratie, non pas parce qu\u2019il n\u2019y avait pas d\u2019\u00e9lections, mais parce que les syndicats ont \u00e9t\u00e9 mis au bas et que le parti communiste et toutes les organisations populaires ont \u00e9t\u00e9 syst\u00e9matiquement r\u00e9prim\u00e9s. De cette mani\u00e8re, le nass\u00e9risme pr\u00e9parait sa propre d\u00e9faite. Il se rendait aussi incapable de faire face \u00e0 Isra\u00ebl, non seulement militairement mais aussi politiquement. C\u2019est le nass\u00e9risme lui-m\u00eame qui explique qu\u2019\u00e0 la mort de Nasser, Sadate a dit, dans ces termes, de fa\u00e7on tr\u00e8s vulgaire, qu\u2019il voulait jeter aux ordures le socialisme, les Russes et tout ce bataclan, et devenir l\u2019ami des Am\u00e9ricains et du capitalisme.<\/p>\n\n\n\n

Donc la bonne mani\u00e8re de prolonger les premi\u00e8res mesures de Nasser aurait \u00e9t\u00e9 une radicalisation socialiste ?<\/h3>\n\n\n\n

Oui. En 1967, apr\u00e8s la d\u00e9faite militaire, le mouvement \u2013 particuli\u00e8rement \u00e9tudiant, mais il y avait aussi les communistes, des embryons de partis syndicaux et des embryons de partis d\u00e9mocratiques \u2013 \u00e9tait pour la radicalisation. Nasser ne l\u2019a pas choisie. Il a pens\u00e9 qu\u2019on ne pouvait pas faire la guerre sur deux fronts, le front ext\u00e9rieur et le front interne. C\u2019\u00e9tait faux : il fallait faire la guerre sur les deux fronts, parce que les deux fronts sont solidaires.<\/p>\n\n\n\n

Comme les mao\u00efstes en Chine l\u2019avaient fait ?<\/h3>\n\n\n\n

Oui.<\/p>\n\n\n\n

Quelle est votre opinion sur les \u00e9v\u00e9nements r\u00e9cents, et notamment sur la chute du pr\u00e9sident Mohammed Morsi \u00e0 l\u2019\u00e9t\u00e9 2013 ?<\/h3>\n\n\n\n

Je n\u2019ai pas du tout accueilli Morsi de mani\u00e8re favorable. Les Fr\u00e8res musulmans sont et restent les alli\u00e9s fondamentaux des Occidentaux, des \u00c9tats-Unis et des Europ\u00e9ens. Ces Fr\u00e8res musulmans n\u2019ont pas gagn\u00e9 les \u00e9lections, car les \u00e9lections ont \u00e9t\u00e9 falsifi\u00e9es, mais l\u2019ambassade des \u00c9tats-Unis a proclam\u00e9 les r\u00e9sultats avant la commission \u00e9gyptienne. Les Nass\u00e9riens avaient soi-disant 200 000 ou 100 000 voix de moins que les Fr\u00e8res musulmans : ce n\u2019est pas vrai. Il faut ajouter que les Fr\u00e8res musulmans avaient des milliards de soutiens financiers, et les Nass\u00e9riens ont eu z\u00e9ro. Parvenus au pouvoir avec le soutien am\u00e9ricain, les Fr\u00e8res musulmans se sont mis \u00e0 dos le peuple \u00e9gyptien en quinze jours. La r\u00e9volte contre le syst\u00e8me th\u00e9ocratique musulman en \u00c9gypte a \u00e9t\u00e9 imm\u00e9diate et g\u00e9n\u00e9rale.<\/p>\n\n\n\n

La manifestation qui a eu la peau de Morsi, c\u2019\u00e9tait une manifestation de trente millions de personnes. Le chiffre est vrai. Ce qui est incroyable, c\u2019est que lorsque quatre cents Fr\u00e8res musulmans manifestaient en \u00c9gypte, les m\u00e9dias occidentaux disaient : \u00ab grande manifestation des Fr\u00e8res musulmans \u00bb ; et lorsqu\u2019il y a eu trente millions de manifestants, ils ne l\u2019ont pas m\u00eame mentionn\u00e9e. Il faut le faire ! \u00c0 ce moment-l\u00e0, l\u2019ambassadrice des \u00c9tats-Unis a t\u00e9l\u00e9phon\u00e9 au chef de l\u2019arm\u00e9e en lui disant qu\u2019il fallait soutenir Morsi. Sissi a \u00e9t\u00e9 assez intelligent pour comprendre qu\u2019il serait battu. Il a raccroch\u00e9 en disant : \u00ab je sais ce que je fais \u00bb. Et il a alors fait une proclamation publique : \u00ab Je suis avec vous, peuple \u00e9gyptien, et je vais d\u00e9poser militairement Morsi. \u00bb, ce que la manifestation civile ne pouvait pas accomplir.<\/p>\n\n\n\n

Bien s\u00fbr, il a gagn\u00e9 l\u00e0 une popularit\u00e9 fantastique. J\u2019ai vu venir la catastrophe : il allait devenir populaire, et il l\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0, ce qui \u00e9tait normal, car les gens se disaient \u00ab il a prouv\u00e9 qu\u2019il \u00e9tait avec nous, alors pourquoi ne pas lui laisser un chance ? \u00bb. Et je me disais \u00e0 l\u2019\u00e9poque : tu vas voir qu\u2019il va continuer la m\u00eame politique. Et de fait, il continue la m\u00eame politique de vassalit\u00e9, mais au profit de l\u2019arm\u00e9e sans les Fr\u00e8res musulmans.<\/p>\n\n\n\n

Du point de vue socio-\u00e9conomique et \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de l\u2019\u00c9gypte, quelle est l\u2019assise des Fr\u00e8res musulmans ?<\/h3>\n\n\n\n

Les Fr\u00e8res musulmans sont organis\u00e9s, on conna\u00eet leurs chiffres : ils sont 500 000 organis\u00e9s, dont 200 000 militairement. Et en dehors de cela, ils ont une influence morale \u00e0 travers un discours d\u00e9magogique pro-islamique, influence tr\u00e8s importante dans les campagnes sur les paysans riches qui sont vraiment leurs alli\u00e9s, et dans les villes sur les fractions arri\u00e9r\u00e9es de la petite bourgeoisie intellectuelle.<\/p>\n\n\n\n

Pensez-vous que l\u2019islam politique reconduit toujours en d\u00e9finitive \u00e0 un alignement sur l\u2019imp\u00e9rialisme ?<\/h3>\n\n\n\n

Oui.<\/p>\n\n\n\n

Vous ne pensez pas qu\u2019un anti-imp\u00e9rialisme islamiste est possible ?<\/h3>\n\n\n\n

Non. Jamais. Ils sont super lib\u00e9raux. Leur blabla est amusant \u00e0 lire. C\u2019est l\u2019Arabie saoudite qui est leur vrai exemple. Pour eux, le march\u00e9, c\u2019est une chose magnifique ; le march\u00e9 mondial, c\u2019est positif ; le lib\u00e9ralisme, c\u2019est magnifique ; il fabrique des pauvres, mais c\u2019est la faute des pauvres eux-m\u00eames. Il donne surtout des occasions de s\u2019enrichir par le travail. L\u2019ennemi, c\u2019est la culture et la religion chr\u00e9tiennes. Moi, j\u2019ai appel\u00e9 ce discours le fascisme des pauvres. C\u2019est une des versions du fascisme, mais c\u2019est la version pauvre.<\/p>\n\n\n\n

Le Hezbollah libanais ne constitue-t-il pas un contre-exemple ?<\/h3>\n\n\n\n

Alors, c\u2019est tr\u00e8s curieux, parce que le r\u00e9gime iranien et celui auquel aspire le Hezbollah ne valent pas mieux que celui des wahhabites d\u2019Arabie saoudite. Leur conception du monde et de la gestion de la soci\u00e9t\u00e9 ne vaut pas mieux, mais ils sont dans une g\u00e9o-strat\u00e9gie diff\u00e9rente. Ils se trouvent \u00eatre \u2013 peut-\u00eatre contre leur volont\u00e9 \u2013 les ennemis d\u2019Isra\u00ebl et des \u00c9tats-Unis. Alors, on les vilipende ; en revanche, ceux qui sont aux c\u00f4t\u00e9s d\u2019Isra\u00ebl et des \u00c9tats-Unis, ils sont merveilleux.<\/p>\n\n\n\n

Ils sont dans une situation ambigu\u00eb. Ils sont anti-imp\u00e9rialistes par la force des choses, parce que l\u2019imp\u00e9rialisme ne veut pas d\u2019eux. Si l\u2019imp\u00e9rialisme acceptait que l\u2019Iran soit la pi\u00e8ce ma\u00eetresse dans la r\u00e9gion, ce r\u00e9gime ne dirait pas non ! Mais on leur dit que la pi\u00e8ce ma\u00eetresse, c\u2019est l\u2019Arabie saoudite.<\/p>\n\n\n\n

Puisque vous parlez de l\u2019Iran, que pensez-vous de sa situation politique actuelle ?<\/h3>\n\n\n\n

Je ne sais pas ce qu\u2019il va s\u2019y passer. Le pire serait un coup d\u2019\u00c9tat pro-lib\u00e9ral et pro-occidental, qui n\u2019est pas impossible. Cela a toutefois peu de chances d\u2019arriver, parce que le Golfe est leur ennemi et emp\u00eache cela. Le nationalisme iranien est positif, car il offre une r\u00e9sistance \u00e0 cela. L\u2019autre option, c\u2019est celle d\u2019un adoucissement des m\u0153urs et des lois dans les faits tout en gardant les formes du r\u00e9gime islamique. C\u2019est un peu un choix \u00e0 la Brejnev, ce n\u2019est pas un choix qui conduit tr\u00e8s loin, mais c\u2019est sans doute le choix de la classe dirigeante au pouvoir \u00e0 l\u2019heure actuelle.<\/p>\n\n\n\n

Pour revenir \u00e0 la d\u00e9connexion, l\u2019exemple qui est aujourd\u2019hui dans tous les esprits, d\u2019un pays qui a voulu suivre une trajectoire \u00e9conomique originale, est celui du Venezuela.<\/h3>\n\n\n\n

Ah, le Venezuela ! Le Venezuela est une victime du p\u00e9trole. (Et cette d\u00e9pendance ne vient pas de Chavez, elle remonte bien avant.) C\u2019est le p\u00e9trole qui a d\u00e9truit le Venezuela comme soci\u00e9t\u00e9 et comme \u00e9conomie. Il n\u2019y avait plus rien, ni industrie ni agriculture. On vendait du p\u00e9trole, et avec la rente p\u00e9troli\u00e8re, on achetait tout. 80 % des produits manufactur\u00e9s sont import\u00e9s, et presque tous les produits alimentaires. Il n\u2019y a plus du tout de paysannerie, hormis quelques Colombiens \u00e0 la fronti\u00e8re avec la Colombie.<\/p>\n\n\n\n

Avant Chavez, les b\u00e9n\u00e9ficiaires de cette rente \u00e9taient principalement les riches locaux. J\u2019ai visit\u00e9 le Venezuela avant et apr\u00e8s Chavez, et je peux t\u00e9moigner. Chavez a h\u00e9rit\u00e9 d\u2019une situation, et si on consid\u00e8re la soci\u00e9t\u00e9 et l\u2019\u00e9conomie qu\u2019il a construites \u00e0 partir de l\u00e0, on peut dire qu\u2019il a fait des choses magnifiques et tr\u00e8s difficiles. Avec l\u2019aide de Cuba, ils ont d\u00e9velopp\u00e9 l\u2019\u00e9ducation, contre l\u2019illettrisme qui \u00e9tait dominant, ils ont d\u00e9velopp\u00e9 la construction immobili\u00e8re populaire et la sant\u00e9. Mais au niveau productif, ils ont tr\u00e8s peu avanc\u00e9. Ils n\u2019ont pas vraiment eu le temps. Il aurait fallu, pour qu\u2019un syst\u00e8me comme celui de Chavez puisse donner des r\u00e9sultats, vingt ans de paix, et on leur a livr\u00e9 une guerre permanente. Y compris en Europe, o\u00f9 l\u2019on a racont\u00e9 que ce n\u2019\u00e9tait pas une d\u00e9mocratie, patati patata, ce qu\u2019on ne reproche pas \u00e0 l\u2019Arabie Saoudite ou \u00e0 d\u2019autres pays.<\/p>\n\n\n\n

L\u2019\u00e9chec de la strat\u00e9gie de d\u00e9connexion du chavisme, c\u2019est donc de ne pas avoir utilis\u00e9 la rente p\u00e9troli\u00e8re pour d\u00e9velopper l\u2019appareil productif ?<\/h3>\n\n\n\n

On ne peut pas parler d\u2019\u00e9chec. On peut parler d\u2019avanc\u00e9es tr\u00e8s insuffisantes, parce qu\u2019elles ont \u00e9t\u00e9 faites dans des conditions tr\u00e8s difficiles et avec des ennemis tr\u00e8s puissants. D\u2019ailleurs, le Br\u00e9sil a jou\u00e9 un sale r\u00f4le l\u00e0-dedans, parce qu\u2019il \u00e9tait le seul pays \u00e0 pouvoir aider objectivement, et ne l\u2019a pas fait \u2013 il le fera encore moins aujourd\u2019hui, avec son r\u00e9gime actuel qui est ignoble.<\/p>\n\n\n\n

La d\u00e9connexion n\u2019a-t-elle pas plus de chances de fonctionner dans les grands pays ?<\/h3>\n\n\n\n

Elle est certainement beaucoup moins difficile pour un pays comme la Chine, elle serait beaucoup moins difficile pour un pays comme l\u2019Inde ou comme le Br\u00e9sil, que pour le S\u00e9n\u00e9gal ou la Gambie. C\u2019est presque une banalit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Mais alors, pour les nations isol\u00e9es, est-ce que cela n\u2019implique pas de chercher des alliances ? <\/h3>\n\n\n\n

Oui, il faut chercher des alliances. C\u2019est l\u00e0 que les non-align\u00e9s, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, ont \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s utiles. Tous les \u00c9tats africains avaient adh\u00e9r\u00e9 au non-alignement, et cela leur a rendu service. J\u2019en donne un exemple : gr\u00e2ce aux non-align\u00e9s, depuis L\u00e9on Mba, avant m\u00eame Omar Bongo, le Gabon a eu une part importante sur la rente issue de son p\u00e9trole. Il a fait de cette rente l\u2019usage qu\u2019il a voulu \u2013 y compris d\u2019acheter des politiciens fran\u00e7ais et de payer Giscard \u2013, mais il l\u2019a eue. Il aurait pu s\u2019en servir pour un autre d\u00e9veloppement, voire m\u00eame pour un d\u00e9veloppement r\u00e9gional et pas seulement gabonais.<\/p>\n\n\n\n

Pour faire fonctionner la d\u00e9connexion, il faut chercher des alliances.<\/p>Samir Amin<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

La preuve est donn\u00e9e a contrario <\/em> : le non-alignement ayant disparu, le Niger, troisi\u00e8me exportateur mondial d\u2019uranium, n\u2019a pas de rente. Il reste un des pays les plus pauvres. Un nouveau Bandung serait requis, une nouvelle grande alliance du Sud.<\/p>\n\n\n\n

Un exemple concret que vous avez \u00e9tudi\u00e9, c\u2019\u00e9tait le panarabisme.<\/h3>\n\n\n\n
\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
La Nation arabe. Nationalisme et luttes de classes (1976)<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

Le panarabisme, comme le panafricanisme, sont, en un sens, porteurs. Ce dont il faut se m\u00e9fier, c\u2019est des discours hypocrites des chefs d\u2019\u00c9tat qui se d\u00e9clarent tels et ne font rien du tout. L\u2019autre risque est identitaire, que le panafricanisme devienne pann\u00e9grisme et parle de \u00ab nous, les n\u00e8gres \u00bb. Je leur dis toujours : \u00ab nous, les n\u00e8gres, nous ne sommes pas pires, mais nous ne sommes pas meilleurs que les autres \u00bb. Et il en va de m\u00eame chose du panarabisme, qui est rapidement devenu le panislamisme en proclamant : \u00ab nous avons la meilleure religion \u00bb. Je leur r\u00e9ponds : \u00ab elle n\u2019est probablement pas meilleure, pas pire non plus, que d\u2019autres \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Quels doivent \u00eatre les principes de regroupement pour constituer ces alliances ?<\/h3>\n\n\n\n

D\u2019abord, il faudrait faire des petites choses tr\u00e8s concr\u00e8tes sur le plan \u00e9conomique. Par exemple, quand il y a eu l\u2019Union Mali-Guin\u00e9e-Ghana (qui n\u2019a jamais fonctionn\u00e9) en 1961-1962, Modibo, qui \u00e9tait le chef de l\u2019\u00c9tat malien, m\u2019a envoy\u00e9 personnellement n\u00e9gocier avec S\u00e9kou Tour\u00e9 et avec Nkrumah. Il s\u2019agissait de commencer par avoir une compagnie a\u00e9rienne commune, de se r\u00e9partir les industries par secteur, etc. \u00c7a a march\u00e9 sur le papier avec le Ghana, mais m\u00eame pas sur le papier avec la Guin\u00e9e, qui voulait ne rien faire et tout faire \u00e0 la fois.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
Kwame Nkrumah (Ghana), S\u00e9kou Tour\u00e9 (Guin\u00e9e) et Modibo Ke\u00efta (Mali) fondent l\u2019Union des \u00c9tats africains en 1961.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

\u00c7a n\u2019a pas march\u00e9, mais \u00e7a aurait pu, \u00e7a aurait d\u00fb marcher. Au moment de l\u2019ind\u00e9pendance des colonies fran\u00e7aises, il y avait eu un projet de grand Mali, qui devait regrouper le S\u00e9n\u00e9gal, le Mali, le Niger, la Haute Volta devenue le Burkina Faso. Cela aurait \u00e9t\u00e9 une r\u00e9gion capable d\u2019avancer. Mamadou Dia, qui \u00e9tait le premier ministre de Senghor, en \u00e9tait conscient, et c\u2019est pour cela qu\u2019il a \u00e9t\u00e9 en prison.<\/p>\n\n\n\n

Puisque vous parlez de l\u2019Afrique subsaharienne, que pensez-vous de sa situation aujourd\u2019hui ?<\/h3>\n\n\n\n

L\u2019Afrique subsaharienne \u00e0 l\u2019heure actuelle est dans une situation d\u2019ensemble lamentable, parce qu\u2019elle accepte la mondialisation inconditionnelle et n\u2019obtient rien en retour. Par exemple, malgr\u00e9 l\u2019inconditionnalit\u00e9 qui leur est offerte, les investissements en Afrique subsaharienne sont n\u00e9gligeables, inexistants, sauf dans les enclaves mini\u00e8res o\u00f9 les sols sont pill\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n

Vous avez \u00e9voqu\u00e9 la Chine. Comment caract\u00e9riseriez-vous sa position dans le capitalisme mondial aujourd\u2019hui ?<\/h3>\n\n\n\n

La Chine, sur le plan de ses structures r\u00e9form\u00e9es internes, est un capitalisme d\u2019\u00c9tat. (Cela n\u2019exclut pas l\u2019existence d\u2019un capitalisme priv\u00e9, mais celui-ci est mis sous le contr\u00f4le de l\u2019\u00c9tat.) C\u2019est un peu la vision de de Gaulle en 1945. Or le capitalisme d\u2019\u00c9tat fran\u00e7ais n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 si mauvais, c\u2019est lui qui a fait la reconstruction de la France et l\u2019a modernis\u00e9e \u2013 et non pas Giscard, et encore moins Macron ! Et cela a \u00e9t\u00e9 permis par un compromis historique avec les communistes, qui ont accept\u00e9 d\u2019entrer dans le jeu. C\u2019\u00e9tait la triade du Comit\u00e9 de lib\u00e9ration nationale : les gaullistes, la fraction de la bourgeoisie fran\u00e7aise qui pouvait dire qu\u2019elle n\u2019avait pas collabor\u00e9, et les communistes.<\/p>\n\n\n\n

La Chine est donc un capitalisme d\u2019\u00c9tat, \u00e0 tendance sociale. Je ne dis pas socialiste. Elle a conserv\u00e9 la propri\u00e9t\u00e9 d\u2019\u00c9tat de la terre, elle a conserv\u00e9 le principe de l\u2019acc\u00e8s au sol de toutes les familles paysannes th\u00e9oriquement sur un pied d\u2019\u00e9galit\u00e9, elle a conserv\u00e9 une planification r\u00e9elle assurant, avec des hauts et des bas, l\u2019\u00e9quilibre entre les villes et les campagnes et des niveaux de vie comparables, assurant le plein emploi m\u00eame avec des travailleurs urbains surexploit\u00e9s, assurant le contr\u00f4le par des politiques \u00e9conomiques (et pas par des moyens bureaucratiques et policiers) de la migration campagne-ville, etc. La Chine a construit en vingt ans la moiti\u00e9 de l\u2019Europe : 200 millions d\u2019habitants urbains. Et quand on va dans les villes chinoises qui ont con\u00e7u ces 200 millions, on trouve que ce n\u2019est pas si mal.<\/p>\n\n\n\n

Vous pensez que c\u2019est toujours dans cette direction de capitalisme \u00e0 tendance sociale qu\u2019avance la Chine actuellement ?<\/h3>\n\n\n\n

Je crois que c\u2019est vraiment, avec beaucoup de lucidit\u00e9, la vision de Xi Jinping. J\u2019en ai discut\u00e9 avec les Chinois. Dans le Parti communiste, il y a la gauche qui voudrait aller plus loin, il y a la droite qui, \u00e9videmment, est tr\u00e8s forte et qui voudrait aller vers un capitalisme classique, et il y a un centre tr\u00e8s puissant. C\u2019est sur ce centre que s\u2019appuie Xi Jinping.<\/p>\n\n\n\n

Dans Pour un monde multipolaire<\/em>, vous souligniez en effet que la Chine h\u00e9sitait entre ces trois sc\u00e9narios.<\/h3>\n\n\n\n

En effet, elle g\u00e8re une association contradictoire, et jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent elle ne le fait pas si mal. Elle participe \u00e0 la mondialisation commerciale, \u00e0 la mondialisation des investissements, mais pas \u00e0 la mondialisation financi\u00e8re. Les banques, en Chine, sont toutes des banques d\u2019\u00c9tat chinoises. Et le yuan n\u2019est pas une devise flexible sur le march\u00e9 : le taux est d\u00e9cid\u00e9 par la Chine. Le r\u00e9sultat, c\u2019est que, mesur\u00e9 en parit\u00e9 de pouvoir d\u2019achat, le PIB chinois fait 18 % du PIB mondial, et mesur\u00e9 en dollars courants ou en yuans courants, 16 %. La diff\u00e9rence est tr\u00e8s petite. L\u2019Inde, qui participe \u00e0 la financiarisation mondialis\u00e9e, p\u00e8se 8 % en parit\u00e9 de pouvoir d\u2019achat, mais seulement 1,2 % en dollars courants. Rentrer dans la mondialisation financi\u00e8re, c\u2019est accepter l\u2019accumulation par d\u00e9possession, \u00e0 travers des d\u00e9valuations permanentes et continues qui permettent d\u2019acheter pour une bouch\u00e9e de pain des actifs locaux.<\/p>\n\n\n\n

\n \n \t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\t\r\n\t\t\t\t\r\n\t<\/picture>\r\n \n
Pour un monde multipolaire (2005)<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

N\u2019est-il pas un peu \u00e9trange de parler de d\u00e9connexion pour la Chine, qui s\u2019est d\u00e9velopp\u00e9e en s\u2019ouvrant aux capitaux \u00e9trangers sous Deng Xiao Ping ?<\/h3>\n\n\n\n

Oui et non. Deng Xiao Ping pensait que le principal \u00e9tait la r\u00e9forme de l\u2019organisation rurale et son articulation \u00e0 l\u2019industrialisation, avec des villes ouvertes pour l\u2019exportation. La d\u00e9cennie qui a suivi Deng Xiao Ping, les ann\u00e9es 1990, a \u00e9t\u00e9 d\u00e9sastreuse. \u00c0 cette \u00e9poque, le taux de croissance des industries d\u2019exportation \u00e9tait tr\u00e8s sup\u00e9rieur au taux de croissance g\u00e9n\u00e9ral et au taux de croissance de l\u2019industrie d\u2019une mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale. Cela a commenc\u00e9 \u00e0 \u00eatre corrig\u00e9 \u00e0 partir de 2000, et cela l\u2019a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s bien \u00e0 partir de 2006 et de Xi Jinping. Les taux de croissance industriels des huit provinces du Centre et de l\u2019Ouest sont d\u00e9sormais sup\u00e9rieurs au taux de croissance de l\u2019industrie chinoise dans son ensemble, et m\u00eame de l\u2019industrie d\u2019exportation. L\u2019exportation permet un financement mondial, mais elle n\u2019est plus le moteur exclusif, ni m\u00eame le moteur principal.<\/p>\n\n\n\n

La Chine donne donc un exemple d\u2019ouverture \u00e9conomique ma\u00eetris\u00e9e ?<\/h3>\n\n\n\n

Oui, c\u2019est tr\u00e8s amusant \u00e0 voir : les capitaux \u00e9trangers vont en Chine, o\u00f9 on leur pose des conditions ; ils ne vont pas en Afrique, o\u00f9 ils seraient accueillis inconditionnellement. Airbus est un bel exemple. Le train \u00e0 grande vitesse en est un autre, avec Siemens. C\u2019est-\u00e0-dire que dans cinq ans les Chinois construiront eux-m\u00eames leur locomotive \u00e0 grande vitesse. Mais pendant cinq ans, Siemens fera de bons profits. Les Chinois font un calcul : on paye cher pendant quelques ann\u00e9es, et ensuite on sera beaucoup plus forts. Ils l\u2019ont fait dans l\u2019aviation et dans l\u2019automobile avec succ\u00e8s, ils sont en avance sur le solaire, ils sont \u00e0 \u00e9galit\u00e9 sur l\u2019informatique. Ce n\u2019est pas rien.<\/p>\n\n\n\n

Pour terminer : vous nous avez dit que vous vivez une partie de l\u2019ann\u00e9e \u00e0 Dakar. Quelles y sont vos activit\u00e9s ?<\/h3>\n\n\n\n

Je dirige \u00e0 Dakar le Forum du Tiers-monde. Comme son nom l\u2019indique, il n\u2019est pas seulement africain, mais aussi asiatique et latino-am\u00e9ricain. Mais c\u2019est une tr\u00e8s grande chance, et les S\u00e9n\u00e9galais l\u2019appr\u00e9cient, que son si\u00e8ge soit en Afrique et au S\u00e9n\u00e9gal. Cela permet de r\u00e9\u00e9quilibrer la position africaine au sein m\u00eame du Sud : l\u2019Afrique serait davantage marginalis\u00e9e sans le Forum du Tiers-monde.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

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