{"id":11128,"date":"2018-07-18T13:04:43","date_gmt":"2018-07-18T11:04:43","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/?p=11128"},"modified":"2019-06-24T01:37:19","modified_gmt":"2019-06-23T23:37:19","slug":"bresil-la-democratie-contre-le-peuple","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2018\/07\/18\/bresil-la-democratie-contre-le-peuple\/","title":{"rendered":"Br\u00e9sil : la d\u00e9mocratie contre le peuple ?"},"content":{"rendered":"\n
M\u00eame s’il est emprisonn\u00e9 depuis avril dernier et que sa candidature \u00e0 l’\u00e9lection pr\u00e9sidentielle d’octobre 2018 est au mieux tr\u00e8s incertaine, l’ex-Pr\u00e9sident Lula demeure au centre de l’attention au Br\u00e9sil. Trouvera-t-il un moyen de sortir de prison avant les \u00e9lections g\u00e9n\u00e9rales ? Lui qui est encore populaire, a-t-il le pouvoir de d\u00e9cider, en accordant son soutien, de la victoire d’un autre candidat ? Difficile de se prononcer au vu de la volatilit\u00e9 de la conjoncture politique et judiciaire du pays : beaucoup de Br\u00e9siliens ont par exemple cru l’espace du 8 juillet dernier \u00e0 la lib\u00e9ration de leur ex-pr\u00e9sident. Cependant, il est possible, et m\u00eame n\u00e9cessaire, de proposer une analyse de l’emprisonnement de Lula allant au-del\u00e0 du contexte imm\u00e9diat : en effet, les ennuis judiciaires de l’ancien mandataire seraient avant tout le r\u00e9v\u00e9lateur d’une mutation de la violence politique structurelle du Br\u00e9sil : elle passerait d\u00e9sormais par le canal d\u00e9mocratique de la justice.<\/em><\/p>\n\n\n\n \u00ab Je suis plus que jamais candidat. \u00bb Le 27 mai 2018, Luiz In\u00e1cio Lula da Silva, ancien pr\u00e9sident du Br\u00e9sil de 2003 \u00e0 2011, a annonc\u00e9 sa candidature aux prochaines \u00e9lections pr\u00e9sidentielles depuis la prison f\u00e9d\u00e9rale de Curitiba o\u00f9 il a \u00e9t\u00e9 incarc\u00e9r\u00e9 le 7 avril dernier. L\u2019ancien m\u00e9tallurgiste a \u00e9t\u00e9 condamn\u00e9 par la justice br\u00e9silienne suite \u00e0 des accusations de corruption passive : Lula aurait re\u00e7u un duplex en \u00e9change de l\u2019attribution de contrats \u00e0 l\u2019entreprise de construction OAS.<\/p>\n\n\n\n L\u2019affaire divise le pays. Alors que la lutte contre la corruption est pr\u00e9sent\u00e9e par les m\u00e9dias et certaines personnalit\u00e9s politiques comme un signe de la vitalit\u00e9 d\u00e9mocratique br\u00e9silienne, la gauche se pr\u00e9occupe de la tendance autoritaire du pouvoir judiciaire ainsi que de son manque apparent d\u2019impartialit\u00e9. Selon ces derniers, il s\u2019agirait de la derni\u00e8re \u00e9tape d\u2019une strat\u00e9gie mise en place par les \u00ab vieux pouvoirs \u00bb visant \u00e0 se d\u00e9faire des forces progressistes. Connue sous le nom de lawfare<\/em> ou de judiciarisation de la politique, cette strat\u00e9gie aurait \u00e9t\u00e9 mise en place d\u00e8s 2014 lorsque les premiers scandales de corruption ont commenc\u00e9 \u00e0 toucher toute la classe politique br\u00e9silienne.<\/p>\n\n\n\n Utilis\u00e9 pour la premi\u00e8re fois en 2001 par le g\u00e9n\u00e9ral am\u00e9ricain Charles Dunlap, le terme d\u00e9signe une strat\u00e9gie judiciaire qui implique la mauvaise utilisation et l\u2019abus de la loi \u00e0 des fins politiques et militaires. Cette strat\u00e9gie consiste d\u2019abord \u00e0 persuader l\u2019opinion publique de la culpabilit\u00e9 d\u2019une personnalit\u00e9 publique dans le but de la priver de tout soutien et de l\u2019affaiblir. Par la suite, en faisant pression sur la justice, et tout en r\u00e9pondant \u00e0 une demande d\u00e9sormais populaire, l\u2019objectif est la condamnation par la loi de cette personnalit\u00e9 afin de mettre un terme \u00e0 sa pr\u00e9sence sur la sc\u00e8ne politique.<\/p>\n\n\n\n Le Lawfare Institute, cr\u00e9\u00e9 en 2017 \u00e0 la suite des nombreux cas de lawfare au Br\u00e9sil, se consacre d\u00e9sormais \u00e0 l’analyse de situations similaires \u00e0 travers le monde. L\u2019utilisation de cette strat\u00e9gie au Br\u00e9sil a notamment \u00e9t\u00e9 d\u00e9nonc\u00e9e lors de la destitution, par vote du S\u00e9nat, de la pr\u00e9sidente Dilma Roussef (\u00e9lue en 2011 et r\u00e9\u00e9lue en 2014), accus\u00e9e de masquer la r\u00e9alit\u00e9 du d\u00e9ficit budg\u00e9taire du pays. En effet, pour beaucoup de ses soutiens, cette accusation n\u2019\u00e9tait qu\u2019un pr\u00e9texte pour rendre l\u00e9gitime ce qui appara\u00eet comme un \u00ab coup d\u2019\u00c9tat parlementaire \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Selon cette lecture, le peuple br\u00e9silien est aujourd\u2019hui confront\u00e9 \u00e0 un retour de la violence politique, sous une forme renouvel\u00e9e, celle de la judiciarisation de la politique. Le 17 mai 2018 est parue dans Le Monde une tribune sign\u00e9e par diff\u00e9rentes figures politiques europ\u00e9ennes telles que Fran\u00e7ois Hollande, Enrico Letta Jos\u00e9 ou Luis Rodriguez Zapatero, d\u00e9fendant la candidature de Lula aux \u00e9lections br\u00e9siliennes. Elle fait suite \u00e0 une autre tribune, parue la veille et sign\u00e9e par Lula, dans laquelle l\u2019ancien m\u00e9tallurgiste clame son innocence et rappelle le danger que repr\u00e9senterait la victoire de la droite br\u00e9silienne pour le maintien des acquis sociaux obtenus sous les gouvernements successifs du Parti des Travailleurs (Partido dos Trabalhadores, abr\u00e9g\u00e9 en PT). Cette prise de parole traduit la pr\u00e9occupation d\u2019une partie de la communaut\u00e9 internationale face \u00e0 l\u2019affaiblissement d\u00e9mocratique auquel le pays est actuellement confront\u00e9. L\u2019analyse du retour de la violence politique au Br\u00e9sil par le biais de la politisation de la justice n\u00e9cessite une prise en compte du contexte \u00e9conomique, politique, historique et social du pays. Cette grille de lecture est essentielle pour saisir les enjeux g\u00e9opolitiques propres au Br\u00e9sil et \u00e9viter la projection d\u2019une r\u00e9alit\u00e9 europ\u00e9enne du fonctionnement des institutions politiques et judiciaires qui biaiserait l\u2019analyse<\/p>\n\n\n\n \u00ab Je ne fuirai pas. Je ne me tuerai pas. Je resterai ici. \u00bb La voix tremblante de rage, Lula r\u00e9pond devant des milliers de sympathisants aux accusations dont il fait l\u2019objet, par une r\u00e9f\u00e9rence historique implicite au suicide du \u00ab p\u00e8re des pauvres \u00bb, Getulio Vargas, pr\u00e9sident br\u00e9silien de 1930 \u00e0 1945 et de 1951 \u00e0 1954. Apr\u00e8s dix-neuf jours d\u2019une campagne m\u00e9diatique \u00e0 charge l\u2019accusant d\u2019avoir particip\u00e9 \u00e0 une tentative d\u2019assassinat contre le journaliste br\u00e9silien Carlos Lacerda, le pr\u00e9sident Getulio Vargas s\u2019\u00e9tait tir\u00e9 une balle dans le c\u0153ur. Il n\u2019avait alors laiss\u00e9 au peuple br\u00e9silien que ces derniers mots : \u00ab Je vous ai donn\u00e9 ma vie, je vous donne \u00e0 pr\u00e9sent ma mort. \u00bb<\/p>\n\n\n\n De m\u00eame, des comparaisons sont \u00e9tablies avec l\u2019ancien pr\u00e9sident Joao Goulart, dit \u00ab Jango \u00bb, pr\u00e9sident progressiste qui gouverna de 1961 \u00e0 1964 avant d\u2019\u00eatre renvers\u00e9 en 1964 par la droite conservatrice et anti-communiste pour instaurer une dictature militaire. Le coup d\u2019\u00c9tat fut rendu possible par l\u2019appui attest\u00e9 du gouvernement am\u00e9ricain ainsi que par l\u2019aide des m\u00e9dias br\u00e9siliens qui particip\u00e8rent de la d\u00e9l\u00e9gitimation des politiques redistributrices de Joao Goulart et de la formation d\u2019une opinion publique favorable \u00e0 sa destitution.<\/p>\n\n\n\n La condamnation de Lula ne fait que rappeler une r\u00e9alit\u00e9 bien pr\u00e9sente depuis la naissance de la R\u00e9publique br\u00e9silienne en 1889. Les diff\u00e9rents gouvernements de gauche ont successivement subi des actions militaires et des accusations diverses afin d\u2019\u00eatre destitu\u00e9s. Cependant, le contexte socio-politique national et international dans lequel les derniers gouvernements du Partido dos Trabalhadores ont \u00e9volu\u00e9 semblait pr\u00e9venir de pareils renversements. Si la fin de la guerre froide, la transition vers la d\u00e9mocratie \u00e0 partir de 1985, le soutien multilat\u00e9ral des puissances occidentales au Br\u00e9sil et la prise de pouvoir de nombreux gouvernements socialistes dans la r\u00e9gion constituaient autant de facteurs favorables \u00e0 l\u2019ancrage de la gauche br\u00e9silienne dans le pays, la multiplication des crises sociales et \u00e9conomiques a conduit \u00e0 un retour de l\u2019instabilit\u00e9 politique.<\/p>\n\n\n\n Le Br\u00e9sil a d\u00e9clar\u00e9 son ind\u00e9pendance en 1822 pour devenir un empire : il est alors dirig\u00e9 par Dom Pedro, le fils de Jean VI, roi du Portugal. Il est trompeur de penser cette ind\u00e9pendance politique comme une lib\u00e9ration du peuple face au joug de la puissance coloniale : elle n\u2019a que tr\u00e8s peu chang\u00e9 le quotidien de la grande majorit\u00e9 de la population br\u00e9silienne et a en premier lieu b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 aux grands propri\u00e9taires terriens, majoritairement descendants d\u2019Europ\u00e9ens, les \u00ab criollos<\/em> \u00bb. Ceux-ci poss\u00e9daient d\u00e9j\u00e0 un monopole \u00e9conomique dans le pays (cultures du cacao, du caf\u00e9, du caoutchouc) et cherchaient \u00e0 \u00e9tendre ce dernier \u00e0 la sph\u00e8re politique, alors entre les mains de la couronne portugaise. Une fois au pouvoir, les \u00e9lites \u00e9conomiques br\u00e9siliennes fa\u00e7onn\u00e8rent des institutions politiques afin de p\u00e9renniser leur domination. La proclamation de la R\u00e9publique en 1889 ne modifia pas non plus la structure \u00e9conomique et sociale du pays.<\/p>\n\n\n\n Le Congr\u00e8s br\u00e9silien constitue une parfaite illustration de cette r\u00e9alit\u00e9. La Chambre basse est constitu\u00e9e, depuis 1824, de 513 si\u00e8ges de d\u00e9put\u00e9s r\u00e9partis \u00e0 la proportionnelle, selon la d\u00e9mographie des 27 unit\u00e9s f\u00e9d\u00e9rales repr\u00e9sent\u00e9es. N\u00e9anmoins, il existe une limite minimale (8 d\u00e9put\u00e9s) et maximale (70 d\u00e9put\u00e9s) de repr\u00e9sentation en fonction de la densit\u00e9 de population des diff\u00e9rents \u00c9tats. La proportionnalit\u00e9 suppos\u00e9e n\u2019est donc au Br\u00e9sil aucunement gage de repr\u00e9sentativit\u00e9. Une telle r\u00e9alit\u00e9 favorise les grands propri\u00e9taires qui, habitant les \u00c9tats les moins dens\u00e9ment peupl\u00e9s, se voient ainsi surrepr\u00e9sent\u00e9s au Parlement. Le pouvoir l\u00e9gislatif est alors majoritairement compos\u00e9 d\u2019une \u00e9lite masculine, blanche et fortun\u00e9e, que Lula a d\u2019ailleurs ironiquement caract\u00e9ris\u00e9e de \u00ab trois cents picaretas (bandits) avec des titres de docteur \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Le syst\u00e8me \u00e9lectoral br\u00e9silien est caract\u00e9ris\u00e9 par la tenue simultan\u00e9e des \u00e9lections pr\u00e9sidentielles et l\u00e9gislatives. Ces derni\u00e8res suivent un syst\u00e8me proportionnel de listes, ouvertes \u00e0 un seul tour. Pour obtenir une majorit\u00e9 parlementaire, il est alors n\u00e9cessaire que des coalitions souvent instables se constituent. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne que les Br\u00e9siliens caract\u00e9risent de \u00ab pr\u00e9sidentialisme de coalition \u00bb explique pourquoi Dilma Rousseff s\u2019est vue dans l\u2019obligation de d\u00e9signer, d\u00e8s le d\u00e9but de son deuxi\u00e8me mandat, Michel Temer, membre conservateur du parti Movimento Democr\u00e1tico Brasileiro (abr\u00e9g\u00e9 en MDB), comme vice-pr\u00e9sident. De plus, il existe au Br\u00e9sil un principe connu sous le nom de \u00ab quotient \u00e9lectoral \u00bb qui consiste \u00e0 d\u00e9signer les vainqueurs des \u00e9lections l\u00e9gislatives par un calcul de la somme des voix obtenues par les candidats, divis\u00e9e par le nombre de si\u00e8ges impartis \u00e0 la circonscription. Ainsi, le candidat le plus populaire permet aux autres d\u00e9put\u00e9s de sa liste de si\u00e9ger au Parlement, et ce, m\u00eame si ces derniers n\u2019ont r\u00e9colt\u00e9 que peu de voix. \u00c9videmment, ce syst\u00e8me incite \u00e0 l\u2019incorporation dans les listes \u00e9lectorales de c\u00e9l\u00e9brit\u00e9s locales, parfois hautes en couleur, comme certains sportifs, et autres stars de telenovela<\/em>. Enfin, la r\u00e8gle politique br\u00e9silienne ne d\u00e9finit pas de plancher minimum de voix pour \u00eatre \u00e9lu au Parlement. Ce dernier se remplit alors des dizaines de formations poss\u00e9dant une faible repr\u00e9sentativit\u00e9, vingt-cinq aujourd\u2019hui. Une telle r\u00e9alit\u00e9 impose la constitution de coalitions pr\u00e9alables \u00e0 toute prise de d\u00e9cisions. Les institutions politiques br\u00e9siliennes sont donc le reflet de la construction, depuis l\u2019ind\u00e9pendance, de structures favorisant les int\u00e9r\u00eats de l\u2019oligarchie br\u00e9silienne et qui, bien qu\u2019ayant \u00e9volu\u00e9 durant la p\u00e9riode de d\u00e9mocratisation apr\u00e8s 1985, demeurent encore aujourd\u2019hui profond\u00e9ment discriminantes.<\/p>\n\n\n\n Cette structure politique a par ailleurs renforc\u00e9 le d\u00e9veloppement d\u2019in\u00e9galit\u00e9s \u00e9conomiques, sociales et ethniques qui existaient d\u00e9j\u00e0 en 1822. Le Br\u00e9sil est le troisi\u00e8me pays le plus in\u00e9gal d’Am\u00e9rique latine, r\u00e9gion elle-m\u00eame parmi les r\u00e9gions les plus in\u00e9galitaires au monde. \u00c0 S\u00e3o Paulo vivent \u2013 sans se croiser \u2013 des multimillionnaires se d\u00e9pla\u00e7ant en h\u00e9licopt\u00e8re pour \u00e9chapper aux embouteillages, au-dessus des favelas (bidonvilles br\u00e9siliens) o\u00f9 s\u2019entassent les populations les plus pauvres. Ces r\u00e9alit\u00e9s sociales sont aussi souvent associ\u00e9es \u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 ethnique. Lorsque Lula prend place au palais du Planalto en 2003, 75,9 millions de Br\u00e9siliens vivent sous le seuil de pauvret\u00e9, dont 36,4 millions en situation d\u2019extr\u00eame pauvret\u00e9, soit pr\u00e8s de 20 % d\u2019une population d\u2019environ 183 millions d\u2019habitants. En parall\u00e8le, les 10 % des plus riches poss\u00e8dent 50 % des revenus alors que 50 % des plus pauvres se partagent 10 % des revenus. Dans ce contexte, la violence sociale v\u00e9cue par les populations les plus vuln\u00e9rables se traduit par une violence physique omnipr\u00e9sente. En effet, le Br\u00e9sil demeure aujourd\u2019hui l\u2019un des pays les plus meurtriers au monde, avec le triste chiffre, en 2016, de sept homicides par heure.<\/p>\n\n\n\n Luiz In\u00e1cio da Silva est un leader populaire. Il est n\u00e9 dans le Nordeste, la r\u00e9gion la plus pauvre du Br\u00e9sil. C\u2019est \u00e0 travers sa profession de m\u00e9tallurgiste qu\u2019il arrive \u00e0 s\u2019immiscer en politique en devenant leader syndical. Lula est \u00e9lu pr\u00e9sident de la R\u00e9publique du Br\u00e9sil le 27 octobre 2002. Il met rapidement en place des politiques de redistribution en faveur des plus d\u00e9munis. C\u2019est dans cette lign\u00e9e que voient le jour les programmes \u00ab Fome 0 \u00bb et \u00ab Bolsa Familia \u00bb (11,9 milliards de dollars, 11 millions de familles touch\u00e9es) en 2004, visant \u00e0 \u00e9radiquer la faim et l\u2019extr\u00eame pauvret\u00e9. En retour, les familles doivent inscrire leurs enfants \u00e0 l\u2019\u00e9cole, les vacciner et suivre des formations visant \u00e0 l\u2019am\u00e9lioration de leur alimentation. Lula a \u00e9galement doubl\u00e9 le salaire minimum et augment\u00e9 les retraites. Il est important de souligner que la r\u00e9alisation de ces programmes est en grande partie attribuable \u00e0 la conjoncture favorable de l\u2019\u00e9conomie elle-m\u00eame expliqu\u00e9e par les prix \u00e9lev\u00e9s des mati\u00e8res premi\u00e8res. De ce fait, sans toucher v\u00e9ritablement \u00e0 la structure \u00e9conomique br\u00e9silienne, Lula a pu financer des programmes de redistribution \u00e0 partir de la richesse nouvellement cr\u00e9\u00e9e et capt\u00e9e par l\u2019\u00c9tat. Il d\u00e9cide \u00e9galement de d\u00e9velopper le service public alors embryonnaire \u2013 comme cela est souvent le cas chez les nations latino-am\u00e9ricaines \u2013 et de mettre \u00e0 mal l\u2019hyper-privatisation de la majorit\u00e9 des services d\u2019int\u00e9r\u00eat g\u00e9n\u00e9ral. \u00c0 la fin de la pr\u00e9sidence du m\u00e9tallurgiste, 28 millions de Br\u00e9siliens \u00e9taient sortis de la pauvret\u00e9 et 36 millions avaient int\u00e9gr\u00e9 la classe moyenne.<\/p>\n\n\n\n Cependant, Lula a r\u00e9duit la pauvret\u00e9 sans r\u00e9ellement toucher \u00e0 ses d\u00e9terminants structurels. D\u00e8s le d\u00e9but de son gouvernement, Lula se voit oblig\u00e9 de jouer la carte de la n\u00e9gociation avec les \u00e9lites \u00e9conomiques et de la mod\u00e9ration afin de se maintenir au pouvoir. En effet, en plus d\u2019\u00eatre priv\u00e9 de majorit\u00e9 parlementaire, Lula a cherch\u00e9 \u00e0 industrialiser le pays. Il renoue donc des liens importants avec des champions industriels nationaux tels que les industries Odebrecht (constructions) ou JBS (agro-alimentaire) dont les projets sont financ\u00e9s par la banque publique de d\u00e9veloppement (BNDES). Le pr\u00e9sident Lula, ne pouvant pas se permettre de contrarier le grand patronat et le secteur financier br\u00e9siliens, adoucit son discours pro-pauvres. Pendant ses premi\u00e8res ann\u00e9es, Lula \u00ab enchantait autant la Bourse que les favelas \u00bb (A. Vigna).<\/p>\n\n\n\n Lorsque la m\u00e9t\u00e9o \u00e9conomique se fit moins cl\u00e9mente, d\u00e8s l\u2019ann\u00e9e 2014 (-3,8 % de croissance en 2014-2015), Lula a d\u00e9j\u00e0 laiss\u00e9 la place \u00e0 sa prot\u00e9g\u00e9e Dilma Rousseff qui vient alors d\u2019\u00eatre r\u00e9\u00e9lue de justesse pour un second mandat. L\u2019heure n’est alors plus \u00e0 la redistribution et aux programmes sociaux mais aux \u00e9conomies et aux programmes de privatisation et de flexibilisation dans le but de regagner de la comp\u00e9titivit\u00e9 et de redonner confiance aux investisseurs. Le gouvernement du PT ne peut plus continuer \u00e0 contenter \u00e0 la fois les \u00e9lites et le reste des citoyens br\u00e9siliens d\u2019autant que certaines forces conservatrices font leur retour dans la vie politique. En parall\u00e8le, les politiques progressistes du PT permettent l’essor d\u2019une classe moyenne grandissante dont l\u2019identification partisane est changeante. Objectivement plus proche des classes populaires et bien que premi\u00e8re b\u00e9n\u00e9ficiaire des programmes sociaux du PT, cette classe moyenne tend \u00e0 s\u2019identifier \u00e0 la bourgeoisie \u00e0 laquelle elle r\u00eave d\u2019appartenir. Les nouvelles classes moyennes se font donc de plus en plus sensibles au discours conservateur. \u00c0 la veille de la Coupe du Monde de football se tenant \u00e0 Rio de Janeiro en 2014 surgissent d’importantes mobilisations des classes moyennes et sup\u00e9rieures contre la politique de la pr\u00e9sidente Dilma Rousseff. Le MBL, anim\u00e9 par des jeunes, sous la direction de Kim Kataguri devient la figure de proue de ces mobilisations en v\u00e9hiculant un discours haineux, \u00e9litiste et raciste contre le PT. Ils m\u00e9prisent l\u2019origine modeste de Lula et l\u2019associent volontiers au st\u00e9r\u00e9otype br\u00e9silien du malandro, figure nationale du m\u00e9tisse, pauvre et fain\u00e9ant, qui par son charisme et sa malhonn\u00eatet\u00e9, parvient \u00e0 s\u2019en sortir. Viennent alors s\u2019ajouter les r\u00e9v\u00e9lations d\u2019importants scandales de corruption touchant l\u2019entreprise publique p\u00e9troli\u00e8re Petrobras, qui contribuent \u00e0 la d\u00e9fiance grandissante envers la pr\u00e9sidente et participent au consentement du Parlement \u00e0 sa destitution en 2016.<\/p>\n\n\n\n D\u00e8s 2014, un scandale de corruption \u00e9clate au Br\u00e9sil, impliquant Petrobras et d\u00e9voilant l\u2019implication de nombreuses personnalit\u00e9s politiques. Est alors r\u00e9v\u00e9l\u00e9 un syst\u00e8me de financement massif et ill\u00e9gal des diff\u00e9rents partis politiques par un conglom\u00e9rat d\u2019entreprises du BTP br\u00e9silien dont la fameuse Odebrecht, entreprise aux multiples sp\u00e9cialit\u00e9s (construction, p\u00e9trochimie, armement). L\u2019op\u00e9ration judiciaire visant \u00e0 d\u00e9manteler ce syst\u00e8me de corruption g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9 prend le nom de Lava Jato<\/em> (\u00ab Lavage \u00e0 haute pression \u00bb) et est men\u00e9e par le juge, Sergio Moro, aujourd\u2019hui vedette nationale. L\u2019op\u00e9ration Lava Jato<\/em> prend une nouvelle ampleur en 2016, lorsque la justice f\u00e9d\u00e9rale \u00e9tats-unienne impose une amende de pr\u00e8s de 3 500 millions de dollars \u00e0 Odebrecht \u2013 seuls 2 600 millions de dollars seront pay\u00e9s en 2017 \u2013 pour avoir vers\u00e9 des pots-de-vin pour pr\u00e8s de 780 millions de dollars, entre 2001 et 2016, dans le but d\u2019obtenir des contrats dans plus de dix pays de la zone latino-am\u00e9ricaine. La sanction est possible car certaines op\u00e9rations de ce gigantesque syst\u00e8me de corruption se r\u00e9alisaient par le biais de comptes domicili\u00e9s sur le territoire am\u00e9ricain. Les d\u00e9buts du syst\u00e8me de corruption g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e d\u2019Odebrecht remontent toutefois au moins \u00e0 l\u2019ann\u00e9e 1995 et ont b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 \u00e0 la grande majorit\u00e9 des principaux partis br\u00e9siliens. Cependant, le juge Moro et les conglom\u00e9rats de la presse se focalisent majoritairement sur la culpabilit\u00e9 des membres du Parti des Travailleurs pour lesquels ils n\u2019ont jamais cach\u00e9 un certain m\u00e9pris.<\/p>\n\n\n\n Profitant de ces tensions, et bien que le nom de la pr\u00e9sidente n\u2019apparaisse \u00e0 aucun moment dans les investigations de corruption, l\u2019opposition exige la destitution de Dilma Rousseff, l\u2019accusant d\u2019\u00eatre \u00e0 l\u2019origine d\u2019irr\u00e9gularit\u00e9s dans la pr\u00e9sentation du budget de 2014. Les attaques se concentrent sur une technique qui s\u2019est maintes fois vu mise en place mais qui n\u2019avait, jamais auparavant, m\u00e9rit\u00e9 aux yeux du Parlement une attention particuli\u00e8re. Rousseff est inculp\u00e9e pour \u00ab crime de responsabilit\u00e9 \u00bb, ce qui permet sa destitution en cas d\u2019acceptation de la proc\u00e9dure par le Parlement. La Pr\u00e9sidente \u00e9tant priv\u00e9e de majorit\u00e9 parlementaire, le Parlement peut librement voter en faveur de son impeachment, un \u00e9v\u00e9nement auquel le Br\u00e9sil tout entier a pu assister en direct \u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision le 31 ao\u00fbt 2016. Le vice-pr\u00e9sident de Dilma Rousseff, le conservateur Michel Temer assume depuis le pouvoir et m\u00e8ne d\u00e8s lors une politique n\u00e9olib\u00e9rale agressive assum\u00e9e : aust\u00e9rit\u00e9, r\u00e9formes du droit des travailleurs, r\u00e9formes de la retraite, etc.<\/p>\n\n\n\n Ce retournement politique constitue la premi\u00e8re victoire des cercles conservateurs et signe le retour dans le pays de l\u2019hyper-lib\u00e9ralisme \u00e9conomique. D\u00e9tail non n\u00e9gligeable, en juin 2017, le Tribunal Sup\u00e9rieur \u00c9lectoral absout finalement Dilma Rousseff de ses accusations, mais il est d\u00e9j\u00e0 trop tard. Autre signe que la justice au Br\u00e9sil tend dangereusement vers une s\u00e9lectivit\u00e9 anti-d\u00e9mocratique, des enregistrements de conversations entre Michel Temer et Joesley Batista, pr\u00e9sident d\u2019une des multinationales les plus importantes du Br\u00e9sil, la JBS, seront diffus\u00e9s. On y entend le Pr\u00e9sident donner son accord pour acheter le silence d\u2019un \u00e9lu, sans qu\u2019aucune proc\u00e9dure judiciaire ne soit entam\u00e9e contre lui. La presse br\u00e9silienne fut \u00e9galement cl\u00e9mente lorsqu\u2019en 2016 les Panama Papers r\u00e9v\u00e8lent le nom de 57 politiciens br\u00e9siliens, dont la majorit\u00e9 fait partie du gouvernement actuel de Michel Temer.<\/p>\n\n\n\n Une premi\u00e8re convocation est envoy\u00e9e \u00e0 Lula, d\u00e8s janvier 2016, par le juge Moro qui l’accusait d\u2019avoir re\u00e7u un appartement \u00e0 Guaruja, commune baln\u00e9aire pr\u00e8s de Sao Paulo, en contrepartie de l\u2019octroi de contrats d\u2019ouvrages publics entre OAS et Petrobras. Cette accusation vient s’ajouter aux 1434 proc\u00e9dures judiciaires en cours dont une bonne partie vise les proches du gouvernement Temer. Cependant, une attention et une rapidit\u00e9 toutes particuli\u00e8res sont accord\u00e9es au cas de l\u2019ex-mandataire et ce, m\u00eame si les faits reproch\u00e9s paraissent d\u00e9risoires au regard de la majorit\u00e9 des autres accusations en cours.<\/p>\n\n\n\n Pour illustrer le traitement d\u2019exception dont fait l\u2019objet l\u2019ancien pr\u00e9sident, on pourra citer les \u00e9v\u00e9nements du 4 mars 2016, lorsque Lula est appr\u00e9hend\u00e9 chez lui au petit matin devant toutes les t\u00e9l\u00e9visions du pays, forc\u00e9 \u00e0 venir t\u00e9moigner dans un commissariat. La surm\u00e9diatisation de l\u2019\u00e9v\u00e9nement, souhait\u00e9e par le juge Moro, ne fit que rendre plus \u00e9vidente la logique politique dictant la conduite des proc\u00e9dures judiciaires. En juillet 2017, Sergio Moro d\u00e9clare Lula coupable de corruption passive et de blanchiment d\u2019argent et le condamne \u00e0 9 ans et demi de prison, bien qu\u2019\u00e0 nouveau, aucun des 63 t\u00e9moins ayant d\u00e9clar\u00e9 devant la justice n\u2019ait permis de confirmer cette accusation. Lula d\u00e9cide alors de faire appel. En janvier 2018, un tribunal de deuxi\u00e8me instance confirme la condamnation de Lula et augmente la peine \u00e0 12 ans et un mois de prison ferme. Lula fait de nouveau appel, mais la justice \u00e9met la possibilit\u00e9 de son incarc\u00e9ration en prison pr\u00e9ventive. Le 4 avril 2018, la Cour Supr\u00eame br\u00e9silienne rejette la demande de Lula et sa d\u00e9fense d\u2019habeas corpus qui lui permettait d’appeler au droit de ne pas \u00eatre emprisonn\u00e9 avant l\u2019\u00e9puisement de tous les recours judiciaires. Le 5 avril, Sergio Moro ordonne la d\u00e9tention de Lula, qui doit se rendre \u00e0 la justice avant le 6 avril.<\/p>\n\n\n\n Lula aura b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 d\u2019un traitement prioritaire en passant avant six autres cas de condamnation dans l\u2019op\u00e9ration Lava Jato. La justice invoqua comme pr\u00e9texte qu\u2019elle n\u2019\u00e9tait pas oblig\u00e9e de proc\u00e9der par ordre de causes. L’action du juge Moro appara\u00eet alors tendancieusement plus motiv\u00e9e par des objectifs politiques que mue par un devoir d\u2019impartialit\u00e9. En effet, face \u00e0 la s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 de la condamnation de Lula, il faut mettre en perspective le cas de Marcelo Odebrecht, PDG et principal instigateur de la g\u00e9n\u00e9ralisation de la corruption de l\u2019entreprise qui a pu, apr\u00e8s deux ann\u00e9es pass\u00e9es en prison, b\u00e9n\u00e9ficier pour le reste de sa peine d\u2019une incarc\u00e9ration \u00e0 domicile. \u00c0 l\u2019inverse, l\u2019Amiral Othon Luiz Pinheiro da Silva, ancien pr\u00e9sident d\u2019Electronuclear sous la pr\u00e9sidence de Lula, entreprise \u00e9tatique de production \u00e9lectrique, a \u00e9t\u00e9 condamn\u00e9 \u00e0 43 ans de prison. L\u2019histoire de la violence politique au Br\u00e9sil a longtemps \u00e9t\u00e9 marqu\u00e9e par l\u2019intervention de l\u2019arm\u00e9e dans la vie politique avec l\u2019aide d\u2019une partie de l\u2019\u00e9lite \u00e9conomique. Cet interventionnisme culmine durant la p\u00e9riode de la dictature militaire qui s\u2019\u00e9tend de 1964 \u00e0 1985. Cependant, trente ans apr\u00e8s, le retour de l\u2019intervention de l\u2019arm\u00e9e dans la vie politique br\u00e9silienne est rendu difficile par le poids pris par le Br\u00e9sil sur la sc\u00e8ne internationale et la consolidation de la d\u00e9mocratie. Il devient alors n\u00e9cessaire, pour l\u2019oligarchie br\u00e9silienne de r\u00e9inventer sa strat\u00e9gie pour continuer \u00e0 d\u00e9fendre ses int\u00e9r\u00eats dans un contexte d\u2019ancrage d\u00e9mocratique. Cette nouvelle strat\u00e9gie se structure autour de l\u2019emploi du lawfare<\/em>. L\u2019objectif est \u00ab d\u2019embarrasser l’ennemi au point qu\u2019il devient extr\u00eamement vuln\u00e9rable aux accusations sans fondement. Une fois affaiblis, il perd le soutien populaire et tout pouvoir de r\u00e9action. \u00bb (Lawfare Institute<\/em>). Cette strat\u00e9gie peut \u00eatre comprise comme une d\u00e9viation de la d\u00e9mocratie par des forces conservatrices \u00e0 des fins non d\u00e9mocratiques. Elle fonde sa r\u00e9ussite sur deux \u00e9l\u00e9ments essentiels : la fabrication du consentement et la politisation du syst\u00e8me judicaire. Par cette instrumentalisation de la presse, il est donc possible d\u2019imposer un r\u00e9cit dans l\u2019imaginaire collectif. L\u2019opinion publique devient alors avant tout l\u2019opinion publi\u00e9e. Il est ainsi relativement ais\u00e9 de donner une visibilit\u00e9 aux accusations touchant les fonctionnaires des gouvernements dits progressistes, permettant alors \u00e0 l\u2019opinion publique d\u2019en faire les premiers responsables d\u2019une situation pourtant end\u00e9mique. Les principaux v\u00e9hicules de cette narration sont les plus grands m\u00e9dias br\u00e9siliens, propri\u00e9t\u00e9s des familles les plus fortun\u00e9es.<\/p>\n\n\n\n En effet, au Br\u00e9sil, les m\u00e9dias sont concentr\u00e9s entre les mains d\u2019une minorit\u00e9 de la population repr\u00e9sentant les secteurs les plus riches. Pour le politologue Emir Sader, \u00ab les m\u00e9dias se sont substitu\u00e9s aux partis politiques d\u2019opposition aux gouvernements progressistes \u00bb, au lieu d\u2019informer de fa\u00e7on impartiale. Selon le rapport de 2013 \u00ab Le Pays aux Trente Berlusconi \u00bb de RSF sur le Br\u00e9sil, \u00ab dix principaux groupes \u00e9conomiques, issus d\u2019autant de familles, se partagent toujours le march\u00e9 de la communication de masse. \u00bb Ces groupes sont dirig\u00e9s par \u00ab les colonels<\/em> br\u00e9siliens, ces grands propri\u00e9taires ou industriels qui se retrouvent \u00e0 la fois gouverneurs ou parlementaires et, directement ou indirectement, multipropri\u00e9taires de m\u00e9dias, sont ma\u00eetres des supports d\u2019opinion sur leur territoire. La cons\u00e9quence \u00e9tant \u00e9videmment une forte d\u00e9pendance des m\u00e9dias vis-\u00e0-vis des centres de pouvoir. \u00bb<\/p>\n\n\n\n C\u2019est notamment le cas du groupe m\u00e9diatique O Globo, consid\u00e9r\u00e9 comme le quatri\u00e8me plus gros conglom\u00e9rat de presse au monde. O Globo est n\u00e9 du soutien apport\u00e9 par la dictature d\u00e8s 1970 aux m\u00e9dias d\u00e9fendant les int\u00e9r\u00eats de l\u2019oligarchie. Il s\u2019est rapidement impos\u00e9 comme le g\u00e9ant de l\u2019information dans le pays en s\u2019appuyant sur la cr\u00e9ation de dizaines de cha\u00eenes r\u00e9gionales. Cette implantation r\u00e9gionale a permis la r\u00e9alisation de pactes entre les repr\u00e9sentants politiques r\u00e9gionaux et le consortium de presse. Ainsi, en \u00e9change de campagne m\u00e9diatique favorable \u00e0 un certain candidat r\u00e9gional par la TV Globo, ce dernier promet de d\u00e9fendre les int\u00e9r\u00eats du groupe de presse contre une possible ouverture du march\u00e9 de la communication qui menacerait le monopole du g\u00e9ant de l\u2019information.<\/p>\n\n\n\n Le timing politique est aussi important dans l\u2019utilisation du lawfare<\/em>. C\u2019est dans un contexte d\u2019insatisfaction grandissante de la population que le lynchage m\u00e9diatique est plus efficace et le ralentissement de l\u2019\u00e9conomie d\u00e8s 2014 se pr\u00eate dans le cas br\u00e9silien \u00e0 la mont\u00e9e des revendications.<\/p>\n\n\n\n Cependant, la manipulation m\u00e9diatique est insuffisante. Il est aussi n\u00e9cessaire de d\u00e9vier la justice de sa mission d\u00e9mocratique d\u2019impartialit\u00e9 et du principe r\u00e9publicain d\u2019\u00e9quilibre des pouvoirs. Cette politisation de la justice s’op\u00e8re autour de deux principes-cl\u00e9s. D\u2019un c\u00f4t\u00e9, le principe de \u00ab loi en mouvement \u00bb qui \u00e9tablit le principe d\u2019exception derri\u00e8re l\u2019argumentaire d\u2019un contexte exceptionnel, donnant une libert\u00e9 accentu\u00e9e au pouvoir judicaire qui, rappelons-le, demeure le seul pouvoir qui ne r\u00e9pond pas directement de la d\u00e9cision populaire. La justice d\u00e9tourne la loi pour abuser de son pouvoir. Les avocats de Lula d\u00e9pos\u00e8rent d\u2019ailleurs d\u00e8s 2016 une plainte pour abus de pouvoir contre le juge Moro pour avoir forc\u00e9 le m\u00e9tallurgiste \u00e0 t\u00e9moigner le 4 mars 2016. Cette collusion entre le pouvoir ex\u00e9cutif, l\u00e9gislatif et judiciaire fut nette \u00e0 la suite de l\u2019accession \u00e0 la pr\u00e9sidence du conservateur Michel Temer. L\u2019une des premi\u00e8res lois adopt\u00e9es par le Parlement fut une revalorisation de 40 % du salaire des juges\u2026 Les juges au Br\u00e9sil sont issus d\u2019un concours de la fonction publique, mais pour ce qui est de la d\u00e9signation des membres du Tribunal Supr\u00eame F\u00e9d\u00e9ral (STF) – instance supr\u00eame dans le pays – la Constitution br\u00e9silienne d\u00e9finit que les 11 membres sont d\u00e9sign\u00e9s, apr\u00e8s l\u2019aval du S\u00e9nat, par le pr\u00e9sident de la R\u00e9publique, la liste des noms \u00e9tant par la suite soumise au Parlement. Se forme dans le pays un \u00ab double standard \u00bb dans l\u2019application de la loi qui consiste \u00e0 donner de la visibilit\u00e9 \u00e0 certains cas plut\u00f4t qu\u2019\u00e0 d\u2019autres. On pourra citer pour pr\u00e9ciser cette id\u00e9e l\u2019hyperm\u00e9diatisation de l\u2019arrestation de Lula, au petit matin, suivie par toutes les t\u00e9l\u00e9visions du pays.<\/p>\n\n\n\n Le deuxi\u00e8me outil judiciaire utilis\u00e9, \u00e0 des fins politiques, par les pouvoirs de la justice est connu sous le nom de \u00ab th\u00e9orie du domaine de facto \u00bb. Ce principe de droit \u00e9dict\u00e9 par Claus Roxin, juriste allemand, dans un article intitul\u00e9 \u00ab Auteur et domaine de facto en droit p\u00e9nal \u00bb permet au judiciaire br\u00e9silien de l\u00e9gitimer les jugements sans preuves sur la base de suspicions des membres du Parti des Travailleurs. Il d\u00e9termine par cette doctrine que, m\u00eame sans preuve de la participation \u00e0 l\u2019infraction p\u00e9nale, il est possible de poursuivre un agent pour participation passive. Ainsi, au Br\u00e9sil, l’instrumentalisation de l\u2019opinion publique et la politisation du domaine judiciaire \u00e9cartent de la vie politique des personnalit\u00e9s progressistes populaires.<\/p>\n\n\n\n L\u2019emprisonnement de Lula exprime le renouvellement de la violence politique au Br\u00e9sil par un nouveau moyen : la judiciarisation de la politique. L\u2019\u00e9lite \u00e9conomique, profitant d\u2019un contexte politique difficile pour le Parti des Travailleurs, emploie des armes judiciaires en utilisant des institutions d\u00e9mocratiques au service de ses int\u00e9r\u00eats. Cette situation met en p\u00e9ril la d\u00e9mocratie br\u00e9silienne qui, rappelons-le, gr\u00e2ce \u00e0 l\u2019efficacit\u00e9 de cette strat\u00e9gie, est gouvern\u00e9e depuis deux ans par un homme qui n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 \u00e9lu et m\u00e8ne pourtant de nombreuses r\u00e9formes, souvent jug\u00e9es agressives. L\u2019emprisonnement de Lula, qui remet s\u00e9rieusement en cause sa participation aux prochaines \u00e9lections, laisse le champ libre \u00e0 son dauphin dans les sondages, Jair Bolsonario, ayant par ailleurs exprim\u00e9 il y a peu sa complaisance envers l\u2019utilisation de la torture. La loi dite de la Ficha Limpa approuv\u00e9e sous le gouvernement de Lula interdit \u00e0 un candidat condamn\u00e9 en deuxi\u00e8me instance de se pr\u00e9senter. Le candidat le plus \u00e0 m\u00eame de succ\u00e9der \u00e0 Lula dans la course \u00e0 la pr\u00e9sidentielle semble \u00eatre Gilberto Boulos, le repr\u00e9sentant du PSOL (Partido Socialismo e Liberdade), une aile de la gauche qui, bien que critique, est toujours rest\u00e9e fid\u00e8le \u00e0 Lula. Cette situation est extr\u00eamement alarmante et m\u00e9rite une prise de conscience internationale du danger qui p\u00e8se sur la d\u00e9mocratie br\u00e9silienne d\u2019autant plus que les \u00e9v\u00e8nements survenus au Br\u00e9sil se sont historiquement reproduits dans le reste du continent.<\/p>\n\n\n\n Plus r\u00e9cemment, un acte surr\u00e9aliste a confirm\u00e9 les motivations animant la campagne judiciaire contre l’ex-pr\u00e9sident. En effet Lula, qui \u00e9tait convoqu\u00e9 lors du proc\u00e8s d\u2019un gouverneur, s\u2019est vu proposer par l\u2019un des juges du Tribunal Supr\u00eame F\u00e9d\u00e9ral la possibilit\u00e9 d\u2019\u00eatre remis en libert\u00e9 en cas d\u2019abandon de sa candidature \u00e0 l’\u00e9lection pr\u00e9sidentielle. Les intentions du pouvoir judiciaire dans l\u2019affaire du m\u00e9tallurgiste semblent ainsi se d\u00e9voiler et l\u2019hypoth\u00e8se de son statut de prisonnier politique se confirmer.<\/p>\n\n\n\n Une lueur d\u2019espoir est r\u00e9apparue pour Lula lorsque le Tribunal Supr\u00eame F\u00e9d\u00e9ral (STF) a \u00e9mis un jugement contre les pratiques utilis\u00e9es par le juge Moro dans l\u2019Op\u00e9ration Lava Jato le 15 juin. L\u2019instance supr\u00eame du pays pointe du doigt le caract\u00e8re coercitif de certaines pratiques telles que l\u2019utilisation de la force pour obliger le suspect \u00e0 t\u00e9moigner, comme le 4 mars 2016 lorsque Lula fut accompagn\u00e9 par 500 policiers en se rendant au commissariat. Lula pourrait alors \u00eatre lib\u00e9r\u00e9 si Raquel Dodge, la procureur g\u00e9n\u00e9rale, se pronon\u00e7ait en faveur d\u2019une telle d\u00e9cision et ouvrait alors un vote au sein du TSF pour d\u00e9cider du sort de Lula.<\/p>\n\n\n\n Un autre retournement de situation est intervenu le dimanche 8 juillet lorsque tout le Br\u00e9sil a cru, l\u2019espace d\u2019une journ\u00e9e, que l\u2019ancien m\u00e9tallurgiste est sur le point d’\u00eatre remis en libert\u00e9. Un peu apr\u00e8s neuf heures du matin, le juge Rogerio Favreto \u2013 ancien membre des gouvernements Lula et Roussef et d\u00e9sormais affili\u00e9 au Tribunal R\u00e9gional F\u00e9d\u00e9ral n\u00b04 de Porto Alegre (TRF4) \u2013 d\u00e9cide d\u2019accepter une demande d\u2019habeas corpus envoy\u00e9e par les d\u00e9put\u00e9s Paulo Pimenta et Wadih Damous \u2013 tous deux membres du PT \u2013 et exige la lib\u00e9ration \u00ab au plus vite \u00bb de l\u2019ex-mandataire. Deux heures plus tard, le juge Moro envoie une d\u00e9claration officielle rejetant la d\u00e9cision. Cette prise de position d\u00e9cha\u00eene les partisans du leader progressiste qui d\u00e9noncent l\u2019ill\u00e9galit\u00e9 d\u2019une telle intervention. Au Br\u00e9sil, un juge ne peut se permettre d\u2019ignorer une mesure prise par une cour d\u2019appel. Le mouvement de ce dernier appara\u00eet alors comme une preuve suppl\u00e9mentaire de la logique r\u00e9pressive et \u00e9minemment politique guidant \u00ab le h\u00e9ros \u00bb de l\u2019op\u00e9ration Lava Jato.<\/p>\n\n\n\n Autour de 16 heures, le juge Favreto fait front et ordonne \u00e0 la Police F\u00e9d\u00e9rale de lib\u00e9rer Lula dans l\u2019heure sous peine de se retrouver en infraction face \u00e0 la loi. Imm\u00e9diatement, le juge Moro s\u2019y oppose et demande le maintien de l\u2019emprisonnement, ce que confirme par la suite le juge Joao Pedro Gebran Neto membre du Tribunal F\u00e9d\u00e9ral R\u00e9gional n\u00b04 de Porto Alegre. En fin de journ\u00e9e finalement, le responsable du TRF4, Carlos Eduardo Thompson Flores ordonne le maintien de l\u2019incarc\u00e9ration de Lula et met fin \u00e0 une folle journ\u00e9e d\u2019espoirs pour ses soutiens nationaux comme internationaux. Cette d\u00e9cision est confirm\u00e9e le mardi 11 juin par le Tribunal F\u00e9d\u00e9ral de Justice (STJ).<\/p>\n\n\n\n Rien ne semble moins incertain que l\u2019avenir de l\u2019enfant du Nordeste. La justice a montr\u00e9 qu\u2019elle n\u2019\u00e9tait pas totalement acquise \u00e0 la cause du juge Moro et les \u00e9v\u00e9nements r\u00e9cents n\u2019ont fait qu\u2019accro\u00eetre les soup\u00e7ons pesant sur sa suppos\u00e9e impartialit\u00e9.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Que nous r\u00e9v\u00e8lent les ennuis judiciaires et l’emprisonnement de Lula des mutations de la violence politique au Br\u00e9sil, pays de plus en plus enclin \u00e0 la \u00ab judiciarisation de la politique \u00bb ? <\/p>\n","protected":false},"author":4,"featured_media":41484,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-angles.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1731],"tags":[],"geo":[525],"class_list":["post-11128","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-politique","staff-anne-dominique-correa","staff-baptiste-albertone","geo-ameriques"],"acf":[],"yoast_head":"\n
L\u2019incarc\u00e9ration de Lula intervient au milieu de la campagne pr\u00e9sidentielle qui d\u00e9terminera, le 28 octobre prochain, l\u2019identit\u00e9 du nouveau chef d\u2019Etat du g\u00e9ant latino-am\u00e9ricain. L\u2019ancien mandataire faisait jusqu\u2019alors la course en t\u00eate dans les sondages, devan\u00e7ant de plus de 14 % son dauphin, le candidat du Parti Social Chr\u00e9tien (Partido Social Crist\u00e3o, abr\u00e9g\u00e9 en PSC) Jair Bolsonaro, aussi connu au Br\u00e9sil comme le \u00ab Trump Tropical \u00bb en raison de la r\u00e9currence de propos sexistes, homophobes et violents dans son argumentaire.<\/p>\n\n\n\nLes racines structurelles de la violence politique au Br\u00e9sil<\/h2>\n\n\n\n
La violence politique : un ph\u00e9nom\u00e8ne r\u00e9current<\/h3>\n\n\n\n
La structure politique, sociale et \u00e9conomique br\u00e9silienne<\/h3>\n\n\n\n
Le retour de la violence politique : la judiciarisation de la politique<\/h2>\n\n\n\n
La fin de l\u2019\u00e2ge d\u2019or du Partido dos Trabalhadores<\/em><\/h3>\n\n\n\n
Une justice \u00e0 g\u00e9om\u00e9trie variable<\/h3>\n\n\n\n
Il semble se d\u00e9gager dans l\u2019exercice de la justice br\u00e9silienne une forme d\u2019impunit\u00e9. Les plus corrompus ne sont pas les plus durement punis. Se dessine bien plus une forme de pers\u00e9cution judiciaire envers les proches de l\u2019ex-mandataire qui s\u2019inscrit dans une strat\u00e9gie g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019\u00e9lite br\u00e9silienne pour emp\u00eacher Lula de se pr\u00e9senter aux \u00e9lections 2018.<\/p>\n\n\n\nLa strat\u00e9gie du lawfare<\/em><\/h3>\n\n\n\n
La fabrication du consentement commence par une intense et agressive campagne m\u00e9diatique pour d\u00e9truire l\u2019image du PT en l\u2019accusant d\u2019\u00eatre le responsable de la g\u00e9n\u00e9ralisation de la corruption dans le pays, et ce, bien que ce ph\u00e9nom\u00e8ne gangr\u00e8ne les secteurs publics comme priv\u00e9s depuis des d\u00e9cennies. En r\u00e9alit\u00e9, la corruption au Br\u00e9sil repose principalement sur trois racines structurelles qui vont au-del\u00e0 des alternances politiques :<\/p>\n\n\n\nConclusion : le retournement de la d\u00e9mocratie contre le peuple<\/h2>\n\n\n\n
Par ailleurs, le retour du conservatisme au pouvoir fait renouer le Br\u00e9sil avec une violence sociale et symbolique, raciste et \u00e9litiste, dont le pays s\u2019\u00e9tait d\u00e9barrass\u00e9 sous les pr\u00e9sidences successives de Lula et de Dilma. Pour ne citer que les cas les plus importants du retour de cette violence contre les milieux progressistes, on mentionnera le meurtre de la militante noire, f\u00e9ministe et pro-LGBT pour les droits de l\u2019homme, Marielle Franco le 14 mars 2018. Une semaine plus tard, alors que le Br\u00e9sil s’appr\u00eate \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer les 130 ans de l\u2019abolition de l’esclavage, des paysans du Mouvement Sans Terres attendent le passage de la caravane de Lula, lorsque des propri\u00e9taires terriens de la r\u00e9gion s\u2019en prennent violemment \u00e0 eux \u00e0 l\u2019aide de fouets en cuir, symbole de la sombre p\u00e9riode esclavagiste. Cinq jours plus tard, c\u2019est la caravane de l\u2019ex-pr\u00e9sident qui est la cible de deux coups de feu.<\/p>\n\n\n\n