{"id":108002,"date":"2021-05-16T17:50:36","date_gmt":"2021-05-16T15:50:36","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=108002"},"modified":"2021-05-16T17:50:46","modified_gmt":"2021-05-16T15:50:46","slug":"lart-du-pouvoir-en-europe-portrait-de-mario-draghi","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/05\/16\/lart-du-pouvoir-en-europe-portrait-de-mario-draghi\/","title":{"rendered":"L’art du pouvoir en Europe, portrait de Mario Draghi"},"content":{"rendered":"\n
S’il y a une phrase, en Europe, au cours de la derni\u00e8re d\u00e9cennie, sur laquelle l’histoire a tourn\u00e9, c’est bien celle-ci. Apr\u00e8s un pr\u00e9ambule confus comparant l\u2019euro \u00e0 un bourdon qui vole alors qu\u2019il ne devrait pas en \u00eatre capable, Draghi cesse de lire son script et, pendant 16 secondes, regarde la cam\u00e9ra. \u00ab Dans le cadre de notre mandat, dans le cadre de notre mandat… la BCE est pr\u00eate \u00e0 faire tout ce qu’il faut<\/em> pour pr\u00e9server l’euro. \u00bb Il fait une pause, ajoutant, juste pour \u00eatre s\u00fbr : \u00ab Croyez-moi, ce sera suffisant \u00bb. En quelques secondes, la nouvelle est sur toutes les radios du monde ; les milliards de sp\u00e9culation contre l\u2019euro se retournent dans la direction oppos\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n Mario Draghi est maintenant pr\u00e9sident du Conseil italien. L’homme qui a \u00ab sauv\u00e9 l’euro \u00bb est sorti de sa retraite pour \u00ab sauver l’Italie \u00bb de la pand\u00e9mie. Il existe une Europe de l’esprit : celle de Beethoven, des vacances d’\u00e9t\u00e9 et de l’odeur du caf\u00e9. Et puis il y a l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’Europe de Mario Draghi. Cr\u00e9ature de l’Union europ\u00e9enne, comprenez-le et vous comprendrez comment vous faire des amis \u00e0 Bruxelles, comment gagner les batailles les plus importantes et comment \u00eatre, parmi 27 pays, vraiment europ\u00e9en. Mais, surtout, comprenez Draghi et vous comprendrez comment le pouvoir fonctionne dans l’Union. Il a construit une Europe technocratique et s’est hiss\u00e9 \u00e0 ses sommets.<\/p>\n\n\n\n Draghi a \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 \u00e0 Rome. Non pas la ville des vieillards qu’elle est aujourd’hui, mais la Rome de Fellini, des attaques des Brigades rouges et du miracle \u00e9conomique italien : un march\u00e9 \u00e9mergent en Europe, br\u00fblant d’agitation ouvri\u00e8re, d’une pouss\u00e9e communiste et de la joie de la jeunesse. Mais alors que sa g\u00e9n\u00e9ration \u00e9tait sauvage, flirtait avec l’extr\u00e9misme et r\u00eavait de nouveaux mondes sur les campus, Draghi \u00e9tait docile et accabl\u00e9 de responsabilit\u00e9s. Un outsider en mai 68.<\/p>\n\n\n\n Il existe une Europe de l’esprit : celle de Beethoven, des vacances d’\u00e9t\u00e9 et de l’odeur du caf\u00e9. Et puis il y a l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, l’Europe de Mario Draghi.<\/p>Ben Judah<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n \u00ab J’avais les cheveux assez longs, confesse-t-il \u00e0 Die Zeit<\/em>, mais pas tr\u00e8s longs. Et, cela mis \u00e0 part, je n’avais pas de parents contre lesquels j’aurais pu me rebeller. \u00bb Son p\u00e8re, le banquier \u00e2g\u00e9 et bien connect\u00e9 Carlo Draghi, n\u00e9 en 1895, meurt quand il a 15 ans. Sa m\u00e8re commence \u00e0 d\u00e9cliner rapidement peu apr\u00e8s. \u00c0 16 ans, il rentre de vacances et trouve une pile de factures impay\u00e9es qui l’attendent. Draghi est orphelin \u00e0 19 ans.<\/p>\n\n\n\n Ses amis se souviennent que son apparence pos\u00e9e cachait une v\u00e9ritable angoisse. Maurizio Franzini, un \u00e9conomiste, a partag\u00e9 un jour son bureau : \u00ab Il disait : \u00ab Je n’ai pas l’air anxieux. Mais je suis vraiment anxieux \u00bb. \u00bb Au moment d’entrer \u00e0 l’universit\u00e9, hant\u00e9 par les discussions avec son p\u00e8re et l’un de ses premiers souvenirs, un voyage en train avec le gouverneur de la Banque d’Italie, Draghi choisit l’\u00e9conomie \u00e0 La Sapienza \u00e0 Rome. Mais ce sont ses \u00e9tudes secondaires, et non son universit\u00e9, qui, selon ceux qui le connaissent le mieux, ont fait de lui ce qu’il est.<\/p>\n\n\n\n \u00ab Il a \u00e9t\u00e9 bien form\u00e9 par les j\u00e9suites \u00bb, d\u00e9clare Vincenzo Visco, qui a travaill\u00e9 main dans la main avec lui en tant que ministre italien des finances, puis du tr\u00e9sor. \u00ab Ils lui ont appris \u00e0 \u00eatre prudent, r\u00e9serv\u00e9 et \u00e0 \u00e9couter. C’est un catholique social. \u00bb Parler les j\u00e9suites a de multiples significations pour les Italiens. C’est un marqueur de classe qui le lie inexorablement \u00e0 Massimiliano Massimo, l\u2019\u00e9quivalent romain d\u2019Eton pour les j\u00e9suites, o\u00f9 Draghi a \u00e9tudi\u00e9 avec des fils de ministres et de magnats. C’est le signe d’une \u00e9ducation s\u00e9v\u00e8re et rigoureuse aux mains de pr\u00eatres \u00e9rudits ; et c’est un privil\u00e8ge. Pour les Europ\u00e9ens, c’est souvent une fa\u00e7on d’attirer l’attention sur ses mani\u00e8res : p\u00e9dagogiques, pr\u00e9cises, ombrageuses et, si n\u00e9cessaire, impitoyables.<\/p>\n\n\n\n Herman Van Rompuy, l’ancien pr\u00e9sident du Conseil europ\u00e9en et auteur de ha\u00efkus, trouvait cela amusant. Plus d’une fois, lors des pires nuits de la crise de l’euro, observant une table compos\u00e9e de Mario Monti et de Mariano Rajoy, alors premiers ministres italien et espagnol, assis \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de Draghi, l’ancien premier ministre belge plaisantait : \u00ab Nous sommes de bons \u00e9tudiants j\u00e9suites, nous essayons de trouver un compromis. \u00bb<\/p>\n\n\n\n Mais comme toute bonne blague, elle laissait entendre quelque chose de s\u00e9rieux : que ces hommes issus d’une fraternit\u00e9 secr\u00e8te fond\u00e9e pour sauver l’\u00c9glise \u00e9taient maintenant au service de l’Europe. \u00ab Peut-\u00eatre que vous ne savez pas \u00bb, d\u00e9clare Mario Tiberi, un vieux coll\u00e8gue du monde universitaire, \u00ab que les j\u00e9suites ont un mantra de leur fondateur Saint Ignace de Loyola sur le fait de servir la vision de Dieu : todo modo<\/em>. \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Alors qu’une vague d’assassinats politiques suit 1968, Draghi apprend la premi\u00e8re le\u00e7on de la vie politique. Il faut toujours trouver le bon mentor. Son nom sera Federico Caff\u00e8. Au milieu de la clameur, il vit, racontent ses \u00e9tudiants, \u00ab comme un moine \u00bb. Caff\u00e8 est influent : le grand \u00e9conomiste keyn\u00e9sien d’Italie. Convaincu que Draghi est brillant, il le pr\u00e9sente \u00e0 Franco Modigliani, l’\u00e9conomiste italien du MIT, qui l\u2019accepte comme \u00e9tudiant. Mais il doit encore terminer sa th\u00e8se. \u00ab C’\u00e9tait sur la monnaie unique et je concluais que la monnaie unique \u00e9tait une folie, quelque chose \u00e0 ne faire sous aucun pr\u00e9texte \u00bb, raconte Draghi, lors d’un \u00e9v\u00e9nement en l’honneur de son mentor.<\/p>\n\n\n\n Alors qu’une vague d’assassinats politiques suit 1968, Draghi apprend la premi\u00e8re le\u00e7on de la vie politique. Il faut toujours trouver le bon mentor. Son nom sera Federico Caff\u00e8.<\/p>Ben Judah<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ceux qui allaient fa\u00e7onner le discours \u00e9conomique de l’\u00e9poque ont enseign\u00e9 \u00e0 Draghi au MIT. Il souligne avec fiert\u00e9 que cinq de ses professeurs ont remport\u00e9 des prix Nobel \u2013 Paul Samuelson, Bob Solow, Franco Modigliani, Peter Diamond et Robert Engle. Ses pairs \u2013 Ben Bernanke, Paul Krugman, Kenneth Rogoff, Olivier Blanchard<\/a> \u2013 deviendront respectivement grands pr\u00eatres de la R\u00e9serve f\u00e9d\u00e9rale, du New York Times<\/em>, de l’aust\u00e9rit\u00e9 et du FMI. Alors que le nouveau monde des taux de change flottants, de la libre circulation des capitaux et des banquiers centraux habilit\u00e9s commence \u00e0 \u00e9merger, un cercle d’\u00e9conomistes s’est form\u00e9. Ensemble, ils fa\u00e7onnent l’\u00e8re n\u00e9olib\u00e9rale.<\/p>\n\n\n\n Draghi n’est pas \u00e0 la recherche de dogmes. Contrairement \u00e0 ses mentors, l’\u00e9conomie de Draghi ne s’est jamais enferm\u00e9e dans une th\u00e9orie, mais a continu\u00e9 d’avancer, toujours un point \u00e0 gauche de l’endroit o\u00f9 se trouve le centre. Pour lui, c’est du pragmatisme. \u00c0 quarante ans, il a d\u00e9\u00e7u son mentor de gauche. Draghi est d\u00e9sormais directeur \u00e0 la Banque mondiale. En avril 1987, accabl\u00e9 par le chagrin de voir le n\u00e9olib\u00e9ralisme triompher de la gauche en \u00e9conomie, ses disciples morts ou en voie de disparition, Caff\u00e8, le grand keyn\u00e9sien, dispara\u00eet. On ne le reverra jamais. Certains disent qu’il s’est suicid\u00e9, d’autres qu’il s’est retir\u00e9 dans un monast\u00e8re dans les Alpes, pour se cacher du monde qu’il voyait venir.<\/p>\n\n\n\n En f\u00e9vrier 1992, Draghi est dans la salle de Maastricht lorsque l’euro voit le jour : il est un conseiller cl\u00e9 du premier ministre italien, Giulio Andreotti, lorsqu’il signe le trait\u00e9. Il a depuis longtemps laiss\u00e9 derri\u00e8re lui Caff\u00e8, la gauche et sa th\u00e8se. L’ambiance est au beau fixe : la popularit\u00e9 et le succ\u00e8s de la nouvelle monnaie unique de l’Union vont tout balayer devant elle. \u00c0 tel point que lors de la conf\u00e9rence de presse, Helmut Kohl parie six bouteilles de vin allemand que la Grande-Bretagne rejoindra le projet en 1997. \u00ab Le gouvernement fait toujours ce que la City veut \u00bb, se vante-t-il. \u00ab La City fera en sorte que la Grande-Bretagne rejoigne l’union mon\u00e9taire \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Les Britanniques sont partis avec un \u00ab opt-out \u00bb ; les Italiens avec des conditions si dures que les Allemands ont \u00e9t\u00e9 surpris qu’ils les aient accept\u00e9es. Le second mentor de Draghi, Modigliani, est exc\u00e9d\u00e9. La d\u00e9cision de signer revient \u00e0 Draghi : il est l’un des deux Italiens ayant l’autorit\u00e9 ultime pour \u00e9valuer les conditions. Il avait conseill\u00e9 au Premier ministre de proc\u00e9der \u00e0 ce qu’il appelait dans sa th\u00e8se une \u00ab folie \u00bb : une union mon\u00e9taire sans union politique et \u00e9conomique. Pourquoi ? La r\u00e9ponse : sa th\u00e9orie n\u00e9olib\u00e9rale de la politique italienne.<\/p>\n\n\n\n Midi \u00e0 Rome. Dans les ann\u00e9es 1990, une ville de politique, de ruelles et de couloirs. Les cloches sonnent au S\u00e9nat. Les affaires sont ajourn\u00e9es au Palazzo Montecitorio. Les costumes se dispersent. Les journalistes crient des questions. Tout ce torrent d’activit\u00e9 semble se d\u00e9verser et envahir les rues autour de la Piazza Navona. Les n\u00e9gociations se poursuivent sous les parasols chez le glacier Giolitti. Les fonctionnaires rencontrent les ministres \u00e0 l’h\u00f4tel Forum. C’est l’habitat naturel de Draghi. \u00c0 la t\u00eate du Tr\u00e9sor depuis 1991, c’est ici que le fonctionnaire quadrag\u00e9naire a fait tout ce qu’il fallait pour faire adh\u00e9rer son pays \u00e0 la monnaie unique : r\u00e9guler les banques italiennes, g\u00e9rer la dette et privatiser plus de 100 milliards d’euros. Draghi est plus qu’indispensable. Il construit le n\u00e9olib\u00e9ralisme italien.<\/p>\n\n\n\n Il n’y a pas de meilleure \u00e9cole que Rome pour la politique de l’euro : c\u2019est d\u00e9j\u00e0 un jeu de politiciens faibles et de technocrates puissants. Une peinture italienne abstraite est accroch\u00e9e au-dessus de son bureau au Palazzo delle Finanze. Dehors, la \u00ab premi\u00e8re R\u00e9publique \u00bb s’effondre. Expos\u00e9s comme un fatras client\u00e9liste de connexions mafieuses et de pots-de-vin, les quatre partis du gouvernement \u00e9vinc\u00e9 en 1992 vont dispara\u00eetre.<\/p>\n\n\n\n La bureaucratie la plus solide dont dispose l’Italie permet de maintenir le pays en vie : les ing\u00e9nieurs financiers de la fonction publique sous la direction du premier pr\u00e9sident du Conseil technocrate du pays, Carlo Azeglio Ciampi. Draghi est dans son \u00e9l\u00e9ment. Le capitalisme, croit-il, a des r\u00e8gles. Tant que les politiciens s’\u00e9cartent du chemin et que les technocrates mettent en place la bonne structure, une croissance stable suit. C’est la philosophie du MIT. Sur un autre continent, ses anciens camarades \u00e9tudiants ne cessent de s’\u00e9lever. En tant qu’\u00e9conomistes, ils croient en l’intervention : pour aider le march\u00e9 \u00e0 fonctionner.<\/p>\n\n\n\n Draghi est plus qu’indispensable. Il construit le n\u00e9olib\u00e9ralisme italien.<\/p>Ben JUdah<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n C’est pourquoi l’euro est imp\u00e9ratif. Le capitalisme peut fournir les r\u00e8gles – et la structure – qui manquent \u00e0 l’Italie. Les politiciens sont d\u00e9sormais limit\u00e9s dans la politique macro\u00e9conomique. En adh\u00e9rant \u00e0 une monnaie unique, les leviers fondamentaux de la macro\u00e9conomie – les principales politiques budg\u00e9taires et mon\u00e9taires – \u00e9chappent \u00e0 la politique int\u00e9rieure. Cette strat\u00e9gie est connue sous le nom de vincolo esterno<\/em>, la contrainte ext\u00e9rieure.<\/p>\n\n\n\n L’Italie se porte si bien. Son \u00e9conomie est plus importante que celle de la Grande-Bretagne ; son niveau de vie se rapproche de celui de l’Allemagne. Le d\u00e9but des ann\u00e9es 1990 est l’heure de gloire de l’Italie : le vin toscan supplante le vin fran\u00e7ais aux \u00c9tats-Unis. Gucci et Prada conqui\u00e8rent le monde. Les magnats ne sont pas pr\u00eats \u00e0 risquer cela. Ils veulent de l’aide. En 1992, le jeune Draghi a attir\u00e9 l’attention de l’un des hommes les plus riches d’Italie, Carlo De Benedetti, alors propri\u00e9taire de La Repubblica<\/em>, de L’Espresso<\/em> et d’un grand nombre de journaux r\u00e9gionaux. Ils se rencontrent souvent et discutent de l’euro. \u00ab Si l’Italie n’avait pas fait partie de la zone euro, elle aurait \u00e9t\u00e9 comme l’\u00c9gypte ou l’Afrique du Nord \u00bb, se souvient De Benedetti. C’est ce que les \u00e9lites craignaient dans les ann\u00e9es 1990 : sans le vincolo<\/em>, un retour aux ann\u00e9es 1970.<\/p>\n\n\n\n Mais De Benedetti comprend vite que Draghi est un sphinx. Secret. Astucieux. Il ne donne jamais aucun indice. Mais que veut-il de lui ? \u00ab Une fois, je lui ai demand\u00e9 carr\u00e9ment : je profite de nos conversations. Mais vous, qu’est-ce que vous en retirez ? \u00bb Draghi sourit : \u00ab Il a dit qu’il aimait parler \u00e0 quelqu’un de la vie r\u00e9elle. \u00bb De Benedetti avait raison de demander. Parce que Rome avait d\u00e9j\u00e0 enseign\u00e9 \u00e0 Draghi des le\u00e7ons importantes. Ne jamais laisser quelqu’un savoir ce que vous pensez, sauf si vous y \u00eates oblig\u00e9. Et toujours, toujours se faire les bons amis : parmi les m\u00e9dias et les magnats. Un jour, vous aurez besoin de leurs faveurs.<\/p>\n\n\n\n La touche politique de Draghi ne passe pas inaper\u00e7ue. Au Parlement, il est souvent appel\u00e9 \u00ab M. Britannia \u00bb, en raison de ses r\u00e9unions interminables avec les banquiers londoniens. Salvatore Biasco, alors d\u00e9put\u00e9 de gauche, observe depuis sa commission Draghi arriver lentement \u00e0 ce qui va \u00eatre sa plus grande prise de conscience : c’est en tant que technocrate que l’on peut exercer le plus de pouvoir. \u00ab Il se comportait comme un ministre du Tr\u00e9sor et non comme un fonctionnaire \u00bb, se souvient Biasco. \u00ab Il \u00e9tait une sorte de ministre du Tr\u00e9sor fant\u00f4me \u00bb. C’est l\u00e0, en tant que politicien non \u00e9lu, qu’il affine la Draghipolitik technocratique qui va fa\u00e7onner l’Europe. <\/p>\n\n\n\n Toutes les histoires d\u2019argent europ\u00e9en finissent \u00e0 Londres. En 2002, Draghi devient vice-pr\u00e9sident de Goldman Sachs International. Les amis, les s\u00e9minaires, les magnats : tout cela avait port\u00e9 ses fruits. Tout comme sa strat\u00e9gie, semble-t-il. Certes, c\u2019est un populiste, Silvio Berlusconi, qui est redevenu pr\u00e9sident du Conseil en 2001. Et alors ? Il est pi\u00e9g\u00e9 par le vincolo<\/em> : ses mains sont loin des vrais leviers du pouvoir. Les ing\u00e9nieurs financiers de Rome sont d\u00e9tendus. L’Italie n’a pas \u00e9t\u00e9 prodigue : elle a accumul\u00e9 une importante dette nationale dans les ann\u00e9es 1980 en raison des int\u00e9r\u00eats \u00e9lev\u00e9s qu’elle avait impos\u00e9s, en grande partie pour faire baisser l’inflation et suivre le rythme du syst\u00e8me mon\u00e9taire europ\u00e9en qui avait pr\u00e9c\u00e9d\u00e9 l’euro. Le boom \u00e0 venir ne manquerait pas de l’\u00e9roder.<\/p>\n\n\n\n La g\u00e9n\u00e9ration de Draghi pense avoir tout juste. Jusqu\u2019\u00e0 2008. La crise financi\u00e8re r\u00e9v\u00e8le que ces ing\u00e9nieurs ont commis une terrible erreur. Ils ont bris\u00e9 un syst\u00e8me qu’ils vont d\u00e9sormais passer le reste de leur carri\u00e8re \u00e0 essayer de r\u00e9parer.<\/p>\n\n\n\n La g\u00e9n\u00e9ration de Draghi pense avoir tout juste. Jusqu\u2019\u00e0 2008. La crise financi\u00e8re r\u00e9v\u00e8le que ces ing\u00e9nieurs ont commis une terrible erreur. Ils ont bris\u00e9 un syst\u00e8me qu’ils vont d\u00e9sormais passer le reste de leur carri\u00e8re \u00e0 essayer de r\u00e9parer.<\/p>Ben Judah<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ainsi, les banquiers centraux, qui \u00e9taient les technocrates charg\u00e9s de fixer les r\u00e8gles du capitalisme, deviennent les gestionnaires politiques de la crise et, ce faisant, r\u00e9organisent le pouvoir dans l’Union pour toujours.<\/p>\n\n\n\n Draghi aura la chance de rejoindre ces nouveaux surhommes. Tout d’abord, un scandale de corruption lib\u00e8re le poste de gouverneur de la Banque d’Italie. Puis, refusant de cautionner la politique mon\u00e9taire peu orthodoxe de la BCE pour lutter contre la crise, le directeur de la Bundesbank, longtemps pressenti pour succ\u00e9der au Fran\u00e7ais Jean-Claude Trichet, renonce \u00e0 se pr\u00e9senter. Berlin n’ayant plus de candidat, le poste de chef de la BCE s’ouvre au banquier central d’un autre grand \u00c9tat.<\/p>\n\n\n\n La gestion des m\u00e9dias permet \u00e0 Draghi de l’obtenir en juin 2011. Les m\u00e9dias allemands d\u00e9testent l’id\u00e9e d’un Italien dans l’Eurotower. Angela Merkel h\u00e9site. De Benedetti re\u00e7oit un appel : la facture des petits-d\u00e9jeuners est enfin arriv\u00e9e. Selon lui, Mario, d\u2019ordinaire suave, est hyst\u00e9rique. \u00ab Il \u00e9tait devenu fou \u00bb, se souvient De Benedetti. Bild<\/em> a fait sa Une sur l’Italie. On peut y lire : \u00ab Mamma Mia, pour les Italiens, l’inflation est un mode de vie, comme la sauce tomate avec les spaghettis. \u00bb \u00ab Il m’a appel\u00e9 et m’a dit : \u00ab Que pouvez-vous faire pour moi ? \u00bb \u00bb se souvient De Benedetti, \u00ab Il \u00e9tait inquiet que cela nuise \u00e0 son image \u00bb. Une rencontre avec le propri\u00e9taire du tablo\u00efd est organis\u00e9e. Un portrait \u00e9logieux s’ensuit, avec une premi\u00e8re page de Draghi acceptant un casque prussien \u00e0 pointe de la part de Bild<\/em>. \u00ab Mario a toujours \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s reconnaissant \u00bb, dit De Benedetti. Cultiver son image technocratique a \u00e9t\u00e9 d\u00e8s le d\u00e9but au c\u0153ur de la Draghipoltik.<\/p>\n\n\n\n C\u2019est aussi de mani\u00e8re politique que Draghi a abord\u00e9 son poste de directeur. L\u00e0 encore, il a de la chance. Jean-Claude Trichet a si mal termin\u00e9 son mandat que tout successeur aurait fait bonne figure en comparaison. Selon l’historien Adam Tooze, \u00ab en quittant son poste, Trichet, en soutenant uniquement les gouvernements d’aust\u00e9rit\u00e9 sur le march\u00e9, a aid\u00e9 Berlin \u00e0 int\u00e9grer l’aust\u00e9rit\u00e9 dans le circuit imprim\u00e9 de l’Union. \u00bb De la mauvaise \u00e9conomie : c\u2019est ce qui conduit \u00e0 la d\u00e9pression de la consommation, qui prolonge la r\u00e9cession. Mais Draghi va aller plus loin. En ao\u00fbt 2011, il signe une lettre secr\u00e8te adress\u00e9e au gouvernement italien : une note d’aust\u00e9rit\u00e9 exhortant \u00e0 des coupes et \u00e0 des r\u00e9formes du travail. Rome est terrifi\u00e9e ; Berlin, ravie. En signalant que Francfort n\u2019est pr\u00eate \u00e0 mettre ses liquidit\u00e9s qu\u2019au service d’un certain type de politique, il ouvre la porte \u00e0 l’\u00e9viction de Berlusconi. Un gouvernement technocratique le remplace – ce que le dirigeant d\u00e9chu qualifie de \u00ab coup d’\u00c9tat \u00bb de l’Union.<\/p>\n\n\n\n L’entourage de Draghi continue entre temps \u00e0 fa\u00e7onner le capitalisme : Ben Bernanke dirige la Fed et Stanley Fischer est \u00e0 la t\u00eate de la Banque d’Isra\u00ebl. \u00c0 Francfort, Draghi traite l’Eurotower comme le Tr\u00e9sor \u00e0 Rome, se vantant : \u00ab Dans chaque conf\u00e9rence de presse depuis que je suis pr\u00e9sident de la BCE, j’ai termin\u00e9 la d\u00e9claration d’introduction par un appel \u00e0 acc\u00e9l\u00e9rer les r\u00e9formes structurelles en Europe. \u00bb Les banquiers centraux ont franchi la ligne : ils ne sont plus des technocrates, mais des politiciens.<\/p>\n\n\n\n Entrer dans la BCE \u00e0 Francfort, c\u2019est comme mettre un casque anti-bruit. Entre le verre bleu et les ascenseurs, tout est soudainement silencieux. Mais son froid glacial a \u00e9t\u00e9 le th\u00e9\u00e2tre de certaines des r\u00e9unions les plus importantes d’Europe. Peu apr\u00e8s \u00eatre devenu banquier central, Maurizio Franzini, un vieil ami, demande \u00e0 Draghi comment il g\u00e9rait l’anxi\u00e9t\u00e9 d’un si grand poste : \u00ab Il a r\u00e9pondu qu’il prenait encore des douches froides tous les matins, une technique pour tenir le coup, qu’il avait apprise aux \u00c9tats-Unis. \u00bb<\/p>\n\n\n\n \u00c0 Francfort, Draghi ma\u00eetrise les trois modes du pouvoir europ\u00e9en : le charismatique – la politique de la persuasion – avec lequel il revendique du pouvoir pour son institution ; le technique – la politique des r\u00e8gles – avec lequel il est l\u2019ex\u00e9cutant des politiques de l’Union en Gr\u00e8ce ; et l’analytique – la politique des chiffres – avec lequel il gagner la bataille pour guider les flux de capitaux avec l’assouplissement quantitatif (QE). L’ensemble de ces \u00e9l\u00e9ments forment la Draghipolitik – avec laquelle il fait bouger le cadran allemand. Le d\u00e9fi r\u00e9side dans la conception m\u00eame de ce que l’Allemagne a accept\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Fran\u00e7ois Mitterrand avait fait de l’euro le prix de l’unification. Il avait forc\u00e9 Kohl \u00e0 respecter de vagues engagements en faveur d’une monnaie unique, sur laquelle il temporisait, mena\u00e7ant le vice-chancelier Hans-Dietrich Genscher qu’\u00e0 d\u00e9faut d’engagement, l’Allemagne serait confront\u00e9e \u00e0 une \u00ab triple alliance \u00bb de la Grande-Bretagne, de la France et de l’URSS qui l’isolerait. Sur le plan rh\u00e9torique, ses emportements \u00e9taient extr\u00eames. \u00ab Nous retournerons dans le monde de 1913 \u00bb, adressait-il comme menace \u00e0 Bonn.<\/p>\n\n\n\n La France voulait l’euro pour limiter la puissance allemande. Mitterrand disait que le Deutsche Mark \u00e9tait \u00ab l’arme nucl\u00e9aire \u00bb de l’Allemagne. Il craignait qu’\u00e0 moins d’avoir son mot \u00e0 dire sur les taux d’int\u00e9r\u00eat allemands, Paris ne f\u00fbt \u00e0 jamais oblig\u00e9e de les suivre. Il s’\u00e9tait tromp\u00e9. Ce n’\u00e9tait pas la monnaie, mais le cr\u00e9dit allemand qui \u00e9tait l’arme nucl\u00e9aire. En acceptant une monnaie unique sans euro-obligation, un actif s\u00fbr dans lequel tous pouvaient puiser pour se financer en cas de probl\u00e8me, les obligations allemandes \u00e9taient devenues l’actif s\u00fbr de la zone euro. Berlin avait d\u00e9sormais un droit de veto de facto<\/em> sur la politique de la dette.<\/p>\n\n\n\n L’erreur de Mitterrand renfor\u00e7a la puissance allemande. Les exportations allemandes explos\u00e8rent ; la comp\u00e9titivit\u00e9 des exportations italiennes diminua, celle de la France stagna. L’euro avait rendu les produits allemands moins chers que s’ils avaient \u00e9t\u00e9 en deutschemarks<\/em> et les produits italiens plus chers que s’ils avaient \u00e9t\u00e9 en lires. Berlin pouvait contracter de nouvelles dettes sans trop de risques. Les autres pays n\u2019avaient pas cette chance. Apr\u00e8s 2008, les gouvernements les plus faibles eurent besoin de l’Union pour acheter leurs obligations, les renflouer et collectiviser leur dette. Mais Kohl avait accept\u00e9 l’euro \u00e0 condition qu’il n’y ait pas de dette collective, que la BCE ne finance pas directement les gouvernements. Il fallait convaincre Berlin. La politique de l’euro devient un jeu o\u00f9 tout le monde danse autour d\u2019Angela Merkel pour essayer de lui faire ouvrir les robinets. \u00c0 ce jeu-l\u00e0, Draghi est le roi.<\/p>\n\n\n\n Kohl avait accept\u00e9 l’euro \u00e0 condition qu’il n’y ait pas de dette collective, que la BCE ne finance pas directement les gouvernements. Il fallait convaincre Berlin. La politique de l’euro devient un jeu o\u00f9 tout le monde danse autour d\u2019Angela Merkel pour essayer de lui faire ouvrir les robinets. \u00c0 ce jeu-l\u00e0, Draghi est le roi.<\/p>Ben JUdah<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le probl\u00e8me de l’Union europ\u00e9enne n’est pas qu’elle est un super-\u00c9tat, c\u2019est qu’elle n’est pas un \u00c9tat. Une crise \u00e9tait apparue, dont la solution \u00e9tait claire. Mais aucune autorit\u00e9 centrale n’existait pour la mettre en \u0153uvre. De Podemos \u00e0 Syriza, des politiciens avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9lus pour construire une zone euro plus juste. Mais leurs mains \u00e9taient loin des v\u00e9ritables leviers du pouvoir. <\/p>\n\n\n\n C’est l\u00e0 que la Draghipolitik a pris tout son sens : l’art technocratique de d\u00e9placer Berlin. Draghi re\u00e7oit une invitation permanente \u00e0 s\u00e9gier au Conseil europ\u00e9en de la part de son pr\u00e9sident, Van Rompuy : un niveau d’acc\u00e8s bien sup\u00e9rieur \u00e0 celui du pr\u00e9sident de la Fed ou du gouverneur de la Banque d’Angleterre aupr\u00e8s des courtiers du pouvoir. C’est l\u00e0 qu’il commence \u00e0 faire de la BCE une v\u00e9ritable banque centrale et de lui-m\u00eame un acteur. Tout d’abord, Draghi utilise son pouvoir charismatique pour faire bouger Merkel et les march\u00e9s. Selon Nicolas V\u00e9ron<\/a>, l’un des principaux chercheurs sur la crise de l’euro, Draghi a jou\u00e9 un r\u00f4le historique en tant que \u00ab p\u00e9dagogue en chef \u00bb qui a persuad\u00e9 la chanceli\u00e8re d’accepter une union bancaire en 2012. \u00ab C’est l\u00e0 que Draghi a excell\u00e9, d\u00e9clare M. Van Rompuy. Il avait un grand pouvoir de persuasion : il parlait clairement, allait droit au but et avait une autorit\u00e9 naturelle. \u00bb Il explique \u00e0 Merkel : c’est dans l’int\u00e9r\u00eat de l’Allemagne et c’est le strict minimum que vous devez faire. Voil\u00e0 la force et les limites de Draghipolitk. C’est la politique qui, aujourd’hui encore, selon les personnes pr\u00e9sentes dans la salle \u00e0 l’\u00e9poque, le met extr\u00eamement mal \u00e0 l’aise : elle expose les termes flous de l'\u00a0\u00bbind\u00e9pendance \u00bb de la banque.<\/p>\n\n\n\n L’Union bancaire \u00e9tait juste assez cr\u00e9dible pour affirmer que Berlin \u00e9tait \u00e0 l’origine de la zone euro. Il l’a ensuite multipli\u00e9e. Regarder Draghi dire \u00ab whatever it takes \u00bb, c’\u00e9tait comme Hegel regardant Napol\u00e9on \u00e0 I\u00e9na. \u00ab C’est en effet une sensation merveilleuse \u00bb, \u00e9crivait Hegel, \u00ab de voir un tel individu qui, concentr\u00e9 en un seul point, \u00e0 califourchon sur un cheval, s’\u00e9tend sur le monde et le ma\u00eetrise. \u00bb <\/p>\n\n\n\n Mais qui \u00e9tait le cavalier ? \u00c9tait-ce Draghi ? Merkel ? Ou bien les march\u00e9s ? Selon le philosophe politique Luuk van Middelaar, alors conseiller de Van Rompuy, ces seize secondes contiennent tout. \u00ab Si vous \u00e9coutez attentivement ; il y a d’abord le technocrate. Il dit, ‘dans le cadre de notre mandat’. Ensuite, il y a le politique, ‘tout ce qu’il faut’. Et seulement ensuite, il y a l’autorit\u00e9 charismatique, ‘Et croyez-moi, ce sera suffisant’. Et c’est ce qui fait de lui le cavalier \u00bb. Le lendemain, Hollande et Merkel confirment. Il a ouvert la voie \u00e0 la BCE pour soutenir les march\u00e9s de la dette souveraine. Son autorit\u00e9 charismatique a convaincu les traders qu\u2019un pouvoir se cache derri\u00e8re l’euro : utiliser le strict minimum.<\/p>\n\n\n\n En tant que ministre grec des finances, Yanis Varoufakis<\/a> a \u00e9t\u00e9 confront\u00e9 \u00e0 une autre des qualit\u00e9s politiques de Draghi : l’impitoyabilit\u00e9. Vu de Francfort, un d\u00e9faut de paiement de la Gr\u00e8ce suivi d’un effondrement du syst\u00e8me bancaire europ\u00e9en se profilait \u00e0 l’horizon, \u00e0 moins qu’elle ne parvienne \u00e0 ma\u00eetriser la situation. Lorsqu’Ath\u00e8nes tente de faire peser une plus grande partie de la charge sur les cr\u00e9anciers, en soumettant le plan de sauvetage \u00e0 un vote en 2015, Draghi signale qu’il mettra fin \u00e0 l’aide d’urgence accord\u00e9e \u00e0 ses banques. \u00ab La m\u00eal\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale contre nous \u00e9tait dirig\u00e9e par Mario Draghi \u00bb, se souvient Varoufakis dans ses m\u00e9moires. C’\u00e9tait la politique europ\u00e9enne des r\u00e8gles dans sa forme la plus brutale. Mais en punissant les \u00c9tats les plus prodigues de l’Union par des plans d’aust\u00e9rit\u00e9, il gagne la confiance de Berlin pour poursuivre la Draghipolitik.<\/p>\n\n\n\n Enfin, Draghi ma\u00eetrise le pouvoir analytique, c’est-\u00e0-dire la politique des chiffres. Sur un powerpoint, pendant un Conseil des gouverneurs, Giuseppe Ragusa, ancien \u00e9conomiste senior de la BCE, l’a vu vaincre la frugale Bundesbank pour lancer l’assouplissement quantitatif en 2014. \u00ab La fa\u00e7on dont il a pu convaincre les gens de faire ce qu’il a fait, dit Ragusa, c’est en d\u00e9pla\u00e7ant le d\u00e9bat politique vers les chiffres r\u00e9els. \u00bb <\/p>\n\n\n\n Ces rencontres vont \u00e0 nouveau changer le capitalisme europ\u00e9en. Les march\u00e9s v\u00e9ritablement libres, qui s’\u00e9taient ouverts dans les ann\u00e9es 1970 avec la lev\u00e9e des contr\u00f4les des capitaux, se sont ferm\u00e9s. Le capitalisme dirig\u00e9 arrive en Europe avec la BCE qui incite les march\u00e9s \u00e0 acheter des actifs plus risqu\u00e9s en achetant plus de 2 800 milliards de dollars d’actifs s\u00fbrs jusqu\u2019\u00e0 2018. C\u2019est l’acte ultime d’intervention sans redistribution. Draghi \u00e9tait convaincu que l’euro ne survivrait pas \u00e0 la d\u00e9flation et \u00e0 une troisi\u00e8me r\u00e9cession sans cela. Mais ses erreurs aggravent le probl\u00e8me m\u00eame qu’il essayait de r\u00e9soudre avec l’aust\u00e9rit\u00e9, prolongeant la douleur dans le sud.<\/p>\n\n\n\n Un murmureur, un ex\u00e9cutant, un calculateur. Ce ne sont pas les qualit\u00e9s que l’on attend d’un grand homme. Mais c’est mal comprendre le fonctionnement de l’Union. Sa machine a \u00e9t\u00e9 construite pour d\u00e9politiser la politique ; et ceux qui y parviennent le mieux prosp\u00e8rent ; un bureaucrate sans pr\u00e9tention devient Napol\u00e9on. Gr\u00e2ce \u00e0 Merkel, aux m\u00e9dias et aux donn\u00e9es, la Draghipolitik a eu raison de Jens Weidmann, le directeur de la Bundesbank. \u00ab Draghi consid\u00e9rait Weidmann comme son ennemi personnel \u00bb, a d\u00e9clar\u00e9 De Benedetti. C\u2019est surtout une affaire sourde. Mais une fois, au cours d’un d\u00eener, raconte Salvatore Bragantini, un ami, sa femme Maria Serenella Cappello, laisse \u00e9chapper la chose au grand jour : \u00ab ‘Vous \u00eates donc l’ennemi de mon mari’, a-t-elle dit, le prenant de court. \u00bb <\/p>\n\n\n\n Alors que la crise avait rendu l’\u00c9tat plus d\u00e9pendant de la finance, la finance devient plus d\u00e9pendante de l’\u00c9tat. Et des hommes comme Draghi y ont jou\u00e9 un r\u00f4le central. Ces victoires r\u00e9v\u00e8lent une \u00e9norme habilet\u00e9. Elles ont fait de la BCE une institution encore plus puissante que la Banque d’Angleterre. Mais elles soulignent \u00e9galement \u00e0 quel point sa g\u00e9n\u00e9ration s’est tromp\u00e9e. Ils avaient pari\u00e9 sur une maison \u00e0 moiti\u00e9 construite pour l’Europe comme cl\u00e9 de la stabilit\u00e9. Mais une union mon\u00e9taire sans union fiscale a apport\u00e9 l’instabilit\u00e9. Ils avaient pari\u00e9 sur l’\u00e9tablissement de r\u00e8gles n\u00e9olib\u00e9rales pour le capitalisme et sur un retour en arri\u00e8re : cela a explos\u00e9. Ils avaient pari\u00e9 sur l’aust\u00e9rit\u00e9 : ils ont ensuite \u00e9t\u00e9 confront\u00e9s \u00e0 une d\u00e9pression. Ces erreurs les ont rendus \u2013 l’\u00e9lite des banquiers centraux du monde qui devait alors tout r\u00e9parer \u2013 plus puissants que la plupart des hommes politiques.<\/p>\n\n\n\n