Apr\u00e8s un an de querelles entre les institutions de l’Union ayant entra\u00een\u00e9 son report, la Conf\u00e9rence sur l’avenir de l’Europe a finalement \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9e \u00e0 Strasbourg dimanche 9 mai, \u00e0 l\u2019occasion de la Journ\u00e9e de l’Europe, g\u00e9n\u00e9rant peu d\u2019attention de la part du public et des m\u00e9dias.<\/p>\n\n\n\n
Il pourrait en effet \u00eatre tentant de disqualifier d\u2019office la Conf\u00e9rence sur l’avenir de l’Europe comme un \u00e9ni\u00e8me gadget de Bruxelles : un exercice descendant et superficiel avec un parti pris pro-Union et une seule figure tut\u00e9laire, le pr\u00e9sident fran\u00e7ais Emmanuel Macron. Pourtant, ce serait au mieux pr\u00e9matur\u00e9, au pire fallacieux.<\/p>\n\n\n\n
Voici pourquoi.<\/p>\n\n\n\n
Tout d’abord, cette conf\u00e9rence marque la premi\u00e8re fois depuis 2007 que l’Union europ\u00e9enne s’engage dans un processus de r\u00e9forme institutionnelle. Le faire alors que l\u2019Europe traverse un moment g\u00e9opolitique sans pr\u00e9c\u00e9dent, tant \u00e0 l’int\u00e9rieur qu’\u00e0 l’ext\u00e9rieur de l’Union, peut sembler tout \u00e0 fait remarquable ; certains pourraient m\u00eame qualifier cela de courageux, ou m\u00eame comme un signe d’imprudence. Pourtant, en raison de la visibilit\u00e9 croissante des dysfonctionnements de l’Europe d’aujourd’hui, cette conf\u00e9rence s\u2019explique d\u2019abord comme une n\u00e9cessit\u00e9 in\u00e9luctable, rendue m\u00eame urgente par la liste interminable des d\u00e9fis auxquels l’Union est confront\u00e9e. Le Covid-19 n’est que le dernier exemple en date qui a permis de faire la lumi\u00e8re et de susciter des moments de r\u00e9flexion dans de larges couches de la population. Aujourd’hui, le d\u00e9calage entre l’impact de l’Union sur la vie des citoyens et leur capacit\u00e9 \u00e0 fa\u00e7onner l’action de l’UE est de plus en plus visible. Par cons\u00e9quent, de plus en plus de personnes – et pas seulement les N\u00e9erlandais – se rendent compte qu’il y a un \u00e9l\u00e9phant europ\u00e9en dans la pi\u00e8ce.<\/p>\n\n\n\n Cette conf\u00e9rence marque la premi\u00e8re fois depuis 2007 que l’Union europ\u00e9enne s’engage dans un processus de r\u00e9forme institutionnelle.<\/p>Alberto Alemanno<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Deuxi\u00e8mement, cette conf\u00e9rence diff\u00e8re grandement de la pr\u00e9c\u00e9dente Convention de 2003 sur l’avenir de l’Europe, qui avait r\u00e9dig\u00e9 la constitution jamais ratifi\u00e9e de l’UE. Cette nouvelle conf\u00e9rence n\u2019a pas pour mandat de pr\u00e9parer directement des modifications du trait\u00e9. Elle se veut plut\u00f4t un processus pr\u00e9paratoire qui pourrait amener le Conseil europ\u00e9en \u00e0 les initier dans un deuxi\u00e8me temps. En outre, contrairement \u00e0 la Convention europ\u00e9enne , cette initiative est cens\u00e9e \u00eatre \u00ab un exercice ascendant o\u00f9 les citoyens europ\u00e9ens sont \u00e9cout\u00e9s et o\u00f9 leurs voix contribuent aux d\u00e9bats sur l’avenir de l’Europe \u00bb. Cela sugg\u00e8re que les dirigeants de l’UE pourraient avoir tir\u00e9 davantage de le\u00e7ons du pass\u00e9 que ce que beaucoup laissent entendre. Plut\u00f4t que de s\u2019enchev\u00eatrer dans des th\u00e8mes controvers\u00e9s et abstraits, tels que la modification du trait\u00e9, la conf\u00e9rence mettra au c\u0153ur des questions politiques de fond touchant les citoyens de l\u2019UE. Si ces probl\u00e8mes n\u00e9cessitent des solutions que l\u2019Union ne peut pas offrir dans le cadre constitutionnel actuel, alors une modification du trait\u00e9 sera soudainement motiv\u00e9e par la demande des citoyens (et non par une imposition verticale).<\/p>\n\n\n\n Troisi\u00e8mement, cette initiative est sans pr\u00e9c\u00e9dent en termes de conception, de m\u00e9thodes et d’\u00e9chelle. Elle a \u00e9t\u00e9 con\u00e7ue comme le tout premier exercice paneurop\u00e9en de consultation publique, organis\u00e9 conjointement par ses institutions, et comportant une structure pyramidale organis\u00e9e en trois \u00e9tapes :<\/p>\n\n\n\n La plateforme<\/strong>. Au bas de la pyramide, on trouve la toute premi\u00e8re plateforme transnationale cr\u00e9\u00e9e, ouverte \u00e0 toute personne d\u00e9sireuse de partager des id\u00e9es, d’organiser ou de participer \u00e0 un \u00e9v\u00e9nement. Elle d\u00e9finira – par le biais d’un syst\u00e8me mod\u00e9r\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 l’Intelligence artificielle – l’agenda des deux niveaux suivants.<\/p>\n\n\n\n Les premi\u00e8res assembl\u00e9es de citoyens europ\u00e9ens<\/strong>. Le deuxi\u00e8me niveau implique pour la premi\u00e8re fois la cr\u00e9ation d\u2019assembl\u00e9es de citoyens tant au niveau transnational qu\u2019au niveau local – compos\u00e9es de citoyens tir\u00e9s au sort, charg\u00e9s de d\u00e9lib\u00e9rer entre autres sur certaines des questions pr\u00e9c\u00e9demment d\u00e9finies via la plateforme.<\/p>\n\n\n\n La pl\u00e9ni\u00e8re<\/strong>. Au sommet de la pyramide, enfin, se trouve une pl\u00e9ni\u00e8re compos\u00e9e de 433 membres, m\u00e9langeant pour la premi\u00e8re fois non seulement des membres du Parlement europ\u00e9en et des \u00e9lus provenant des parlements nationaux, mais \u00e9galement des citoyens provenant des assembl\u00e9es, ainsi que les partenaires sociaux. Elle est charg\u00e9e d’examiner, de d\u00e9lib\u00e9rer et de conclure sur les propositions, qui devront ensuite \u00eatre approuv\u00e9es par consensus entre les repr\u00e9sentants du Parlement europ\u00e9en, du Conseil et de la Commission europ\u00e9enne, ainsi que les repr\u00e9sentants de tous les parlements nationaux, et ce sur un pied d’\u00e9galit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n Si les probl\u00e8mes soulev\u00e9s n\u00e9cessitent des solutions que l\u2019Union ne peut pas offrir dans le cadre constitutionnel actuel, alors une modification du trait\u00e9 sera soudainement motiv\u00e9e par la demande des citoyens (et non impos\u00e9e verticalement).<\/p>Alberto Alemanno<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ce faisant, la pl\u00e9ni\u00e8re est appel\u00e9e \u00e0 agir comme un v\u00e9ritable pouvoir \u00ab constituant \u00bb. En derni\u00e8re instance, il appartiendra au conseil ex\u00e9cutif (executive board<\/em>), compos\u00e9 de repr\u00e9sentants des trois institutions (Parlement europ\u00e9en, Conseil et Commission), de tirer ses propres conclusions sur les recommandations re\u00e7ues par la pl\u00e9ni\u00e8re, mais, ce faisant, le conseil sera tenu de les fonder sur les propositions issues de la pl\u00e9ni\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n Aucun de ces m\u00e9canismes n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 essay\u00e9 auparavant, ni individuellement, ni collectivement, au sein de l\u2019Union et jamais au niveau transnational.<\/p>\n\n\n\n Quatri\u00e8mement, il ne fait aucun doute qu’une plateforme g\u00e9r\u00e9e par l’Union v\u00e9hicule un parti pris pro-UE qui r\u00e9duit intrins\u00e8quement la diversit\u00e9 des voix en g\u00e9n\u00e9rant une auto-s\u00e9lection parmi les participants. Cependant, les panels de citoyens europ\u00e9ens, du fait de leur s\u00e9lection al\u00e9atoire parmi tous les citoyens de l’UE, peuvent partiellement compenser la repr\u00e9sentativit\u00e9 limit\u00e9e des contributions de la plateforme. Cela d\u00e9pendra en grande partie de l\u2019identit\u00e9 des citoyens qui, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 tir\u00e9s au sort, accepteront de faire partie des panels. Des m\u00e9canismes incitatifs, tels que le paiement des frais quotidiens et les autorisations de travail, doivent \u00eatre envisag\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Le parti pris pro-UE pourra \u00eatre encore plus compens\u00e9 par les plus de 100 repr\u00e9sentants des panels de citoyens en pl\u00e9ni\u00e8re, ainsi que par les repr\u00e9sentants politiques de tous les partis politiques, tant du Parlement europ\u00e9en que des parlements nationaux. Le caract\u00e8re hybride de la pl\u00e9ni\u00e8re est cependant limit\u00e9 dans la mesure o\u00f9 les citoyens ne sont que de simples participants et non des co-d\u00e9cideurs lorsqu’il s’agira d’approuver les propositions \u00e0 envoyer au niveau politique, c’est-\u00e0-dire au conseil ex\u00e9cutif.<\/p>\n\n\n\n Cinqui\u00e8mement, en l’absence d’objectifs, de m\u00e9thodes et de processus clairement d\u00e9finis, chaque niveau de la Conf\u00e9rence est appel\u00e9 \u00e0 rester assez libre dans l’interpr\u00e9tation de son mandat afin de s’adapter aux circonstances. Cette conception exp\u00e9rimentale qui est int\u00e9gr\u00e9e \u00e0 la Conf\u00e9rence est \u00e9trang\u00e8re \u00e0 l’int\u00e9gration europ\u00e9enne, notamment \u00e0 sa conception institutionnelle, qui se caract\u00e9rise par des formes de contr\u00f4le de la part des \u00c9tats membres. En tant que telle, cette conf\u00e9rence pourra agir comme un cheval de Troie pour l’\u00e9mergence, et donc l\u2019acceptation, d\u2019id\u00e9es et de dynamiques nouvelles au sein de l’Union. En l’absence de contr\u00f4le de la part des \u00c9tats membres, ces id\u00e9es, m\u00e9canismes et dynamiques sont susceptibles en de rester en place, et donc de d\u00e9passer la date d’expiration de 8 mois qui a \u00e9t\u00e9 impos\u00e9e par les \u00c9tats membres, notamment la France, qui prendra la pr\u00e9sidence de l\u2019Union en janvier. Des appels ont d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 lanc\u00e9s en faveur d’une \u00e9ventuelle institutionnalisation de certaines des innovations d\u00e9mocratiques int\u00e9gr\u00e9es dans la conf\u00e9rence, non seulement la plateforme mod\u00e9r\u00e9e par l’IA, mais aussi les assembl\u00e9es de citoyens. Quant \u00e0 l’int\u00e9gration de ces processus de conception institutionnelle dans le d\u00e9bat public, cela a d\u00e9j\u00e0 eu lieu, comme le d\u00e9montre la conception m\u00eame de la Conf\u00e9rence. Non seulement les institutions europ\u00e9ennes, mais \u00e9galement les \u00c9tats pourraient avoir cr\u00e9\u00e9 un m\u00e9canisme dont pour la premi\u00e8re fois ils n\u2019auront pas le contr\u00f4le. D\u2019o\u00f9 la forte r\u00e9sistance du Conseil, ainsi que de la Commission, \u00e0 cet exercise in\u00e9dit.<\/p>\n\n\n\n En l’absence d’objectifs, de m\u00e9thodes et de processus clairement d\u00e9finis, chaque niveau de la Conf\u00e9rence est appel\u00e9 \u00e0 rester assez libre dans l’interpr\u00e9tation de son mandat afin de s’adapter aux circonstances. Cette conception exp\u00e9rimentale qui est int\u00e9gr\u00e9e \u00e0 la Conf\u00e9rence est \u00e9trang\u00e8re \u00e0 l’int\u00e9gration europ\u00e9enne, notamment \u00e0 sa conception institutionnelle, qui se caract\u00e9rise par des formes de contr\u00f4le de la part des \u00c9tats membres.<\/p>Alberto Alemanno<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Ces cinq caract\u00e9ristiques t\u00e9moignent \u00e0 elles seules du potentiel d\u00e9mocratique de la conf\u00e9rence. Sa capacit\u00e9 \u00e0 provoquer une r\u00e9forme institutionnelle provenant du bas, son adh\u00e9sion \u00e0 l’innovation d\u00e9mocratique, sa recherche pour davantage de repr\u00e9sentativit\u00e9 sugg\u00e8rent que, quelle que soit son issue, cet exercice devrait \u00eatre propice \u00e0 provoquer une dynamique nouvelle et permanente qui transcende la Conf\u00e9rence.<\/p>\n\n\n\n Il reste que la Conf\u00e9rence sur l’avenir de l’Europe n’entrera pas dans l’histoire comme un moment constitutionnel, sous l’impulsion de millions de citoyens pr\u00e9sents sur la plateforme. C’est pourquoi, contrairement aux id\u00e9es re\u00e7ues, le succ\u00e8s de la conf\u00e9rence ne doit pas \u00eatre uniquement mesur\u00e9 \u00e0 l’aune de sa capacit\u00e9 \u00e0 provoquer un changement de trait\u00e9. Son succ\u00e8s d\u00e9pendra plut\u00f4t de sa capacit\u00e9 \u00e0 int\u00e9grer de nouvelles solutions \u00e0 des d\u00e9fis r\u00e9els et \u00e0 institutionnaliser les innovations d\u00e9mocratiques, telles que les assembl\u00e9es de citoyens, qui ont permis d\u2019identifier ces solutions, et de faire cela au niveau transnational.<\/p>\n\n\n\n En d’autres termes, une fois le g\u00e9nie hors de la lampe, il sera difficile de l\u2019y faire rentrer. Imagin\u00e9e \u00e0 l’origine par les Fran\u00e7ais, accept\u00e9e par les Allemands, tol\u00e9r\u00e9e par les autres, la Conf\u00e9rence sur l’avenir de l’Europe appara\u00eet comme le sous-produit d\u2019une Europe inachev\u00e9e : elle appartient \u00e0 tout le monde, et en m\u00eame temps \u00e0 personne.<\/p>\n\n\n\n La v\u00e9ritable t\u00e2che de la Conf\u00e9rence est de faire en sorte que l’Europe commence \u00e0 \u00eatre reconnue, et donc prot\u00e9g\u00e9e, comme le bien public ultime. Dans la mesure o\u00f9 l’Europe appartient \u00e0 toutes et \u00e0 tous, elle appelle tout le monde \u00e0 l\u2019aimer et \u00e0 la prot\u00e9ger.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Il est facile et tentant de disqualifier d’office la Conf\u00e9rence sur l’avenir de l’Europe, en la consid\u00e9rant comme un \u00e9ni\u00e8me gadget bruxellois. Pourtant, elle pourrait bien \u00eatre porteuse de r\u00e9els changements, tant par sa m\u00e9thodologie audacieuse que par son cahier des charges. C’est ce qu’explique, en cinq points, Alberto Alemanno.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":107764,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-angles.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1731],"tags":[],"geo":[1917],"class_list":["post-107757","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-politique","staff-alberto-alemanno","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\nPremier processus pr\u00e9-constituant <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Plus repr\u00e9sentatif qu’il n’y para\u00eet <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Une conception institutionnelle de nature exp\u00e9rimentale <\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Le fabuleux destin de la CoFoE<\/strong><\/h2>\n\n\n\n