Lorsque le Covid-19 a frapp\u00e9 et qu’Angela Merkel a chang\u00e9 de position, un changement de paradigme s’est produit, et un grand nombre des d\u00e9bats que j’observais entre les Moscos <\/em>et les fonctionnaires de la DG ECFIN ont ressurgi dans ce qui est aujourd’hui Next Generation EU<\/em>.<\/p>Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nMartin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\nQuelques le\u00e7ons pour l’avenir : je crois sinc\u00e8rement que \u00ab Commission politique \u00bb ne signifie pas, ne peut pas et ne doit pas signifier \u00ab Commission de la politique des partis \u00bb. Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand a avanc\u00e9 l’argument que, au sein du cabinet Moscovici, il y avait une certaine homog\u00e9n\u00e9it\u00e9 politique, mais je vous dirais que ni Jean-Claude Juncker ni moi ne connaissions quelles \u00e9taient les orientations politiques des membres de son cabinet. Il y avait 14 membres, mais leurs orientations politiques ne nous concernaient pas car ils \u00e9taient des fonctionnaires exp\u00e9riment\u00e9s de la Commission, les meilleurs des meilleurs, et ils servaient Juncker, leur dirigeant politique, avec comp\u00e9tence et rigueur, mais on ne leur demandait pas de suivre une orientation politique propre dans leur travail. Ils ont donn\u00e9 des conseils, fait des propositions et des suggestions, mais la direction politique venait de Juncker et personne d’autre. Voil\u00e0 ce qui distingue et devrait toujours distinguer les Commissaires des administrateurs qui les servent. Une Commission politique signifie que le niveau politique – ceux qui sont \u00e9lus par le Parlement et nomm\u00e9s par le Pr\u00e9sident de la Commission et les membres du Conseil – doit \u00eatre choisi sur des bases politiques, mais \u00e7a ne s’applique pas aux collaborateurs du pr\u00e9sident ou aux collaborateurs des commissaires. La Commission est une excellente institution qui fonctionne bien parce que les fonctionnaires ne peuvent et ne doivent pas \u00eatre choisis en fonction de leur orientation politique ou de leur nationalit\u00e9. C’est tr\u00e8s important parce que, si nous allons dans le sens de la politique des partis au sein de la Commission, nous discr\u00e9ditons son travail et l’excellence du service public europ\u00e9en.<\/p>\n\n\n\n
La Commission doit agir dans l’int\u00e9r\u00eat de l’Union dans son ensemble et en tant d’\u00e9quipe. Il ne peut donc y avoir \u00ab un seul commissaire politique \u00bb \u00e0 la Commission, comme le pr\u00e9tend M. Merand, de son point de vue d\u2019observateur avis\u00e9. Pour que la Commission r\u00e9ussisse, il doit y avoir 27 Commissaires politiques qui agissent en tant qu\u2019\u00e9quipe politique. Il est int\u00e9ressant de constater que les membres de la Commission qui ont travaill\u00e9 dans cet esprit, en tant que v\u00e9ritables membres d’une \u00e9quipe engag\u00e9e, ont \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9s pour un nouveau mandat au sein de la Commission von der Leyen, ind\u00e9pendamment de leur affiliation politique. Prenez Margrethe Vestager, Frans Timmermans, Valdis Dombrovskis. Chacun d’entre eux a \u00e9t\u00e9 reconnu pour sa capacit\u00e9 \u00e0 travailler en \u00e9quipe et \u00e0 \u00e9tablir des liens entre toutes les familles politiques et toutes les nationalit\u00e9s. La force d’une Commission politique ne r\u00e9side pas dans un comportement partisan, mais dans un travail d’\u00e9quipe qui d\u00e9passe les fronti\u00e8res des nationalit\u00e9s et des all\u00e9geances politiques. Ce processus doit \u00eatre organis\u00e9 de la communication \u00e0 la d\u00e9cision politique, en passant par le bon d\u00e9roulement des op\u00e9rations quotidiennes du coll\u00e8ge des commissaires, qui peut ainsi fonctionner comme un gouvernement. S’il veut r\u00e9ussir dans la dur\u00e9e, le pr\u00e9sident de la Commission doit \u00eatre le capitaine de cette \u00e9quipe.<\/p>\n\n\n\n
R\u00e9cemment, la commissaire Dubravka Suica a affirm\u00e9 que la Commission n\u2019a pas vocation \u00e0 proposer des changements dans le cadre de la Conf\u00e9rence sur le futur de l\u2019Europe. Si la Commission a pour ambition d\u2019\u00eatre la force motrice de l\u2019int\u00e9gration europ\u00e9enne, pourquoi pareille r\u00e9ticence ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\nFr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\nLa politique europ\u00e9enne a gagn\u00e9 en complexit\u00e9 au cours des 20-30 derni\u00e8res ann\u00e9es. Il n’y a pas si longtemps, l’opinion publique \u00e9tait \u00e0 peu pr\u00e8s divis\u00e9e entre ceux qui \u00e9taient \u00ab pour \u00bb et ceux qui \u00e9taient \u00ab contre \u00bb l’int\u00e9gration europ\u00e9enne. Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus compliqu\u00e9e car vous avez des fractures au niveau europ\u00e9en qui, dans une certaine mesure, reproduisent les divisions nationales. Par exemple, il y a des gens qui poussent pour plus d’int\u00e9gration europ\u00e9enne si celle-ci se fait dans une perspective plus conservatrice ou, au contraire, dans une perspective plus sociale-d\u00e9mocrate. Cela signifie que la Commission n’est plus un lieu o\u00f9 tout le monde est f\u00e9d\u00e9raliste et a la m\u00eame conception de ce que signifie plus d’Europe. Dire que les partis et la politique jouent un r\u00f4le \u00e0 la Commission ne signifie pas que la Commission se comporte comme un gouvernement majoritaire dans un syst\u00e8me comme celui de la France ou du Royaume-Uni. Il s’agit bien d’un syst\u00e8me fond\u00e9 sur le consensus, mais dans lequel l’affiliation partisane importe.<\/p>\n\n\n\n
Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\nJe pense que Mme Suica a dit quelque chose de sens\u00e9. Il n’y a pas de tendance favorable qui permette d\u2019aboutir \u00e0 la modification des trait\u00e9s avant les 5 \u00e0 10 prochaines ann\u00e9es. La modification des trait\u00e9s n’est certainement pas exclue, mais ce n’est pas ce qu’envisagent actuellement les 27 \u00c9tats membres. Dans le mandat donn\u00e9 \u00e0 la Conf\u00e9rence sur l’avenir de l’Europe, ceux-ci ont explicitement (et le Parlement a accept\u00e9) exclu l\u2019hypoth\u00e8se d’une modification des trait\u00e9s. Certains ont tendance \u00e0 trop vite oublier que nous avons r\u00e9guli\u00e8rement modifi\u00e9 les trait\u00e9s ces derni\u00e8res ann\u00e9es, m\u00eame pendant la crise financi\u00e8re – il suffit de se rappeler du nouvel Article 136(3), du trait\u00e9 sur le fonctionnement de l’Union ou du nouveau fonds de relance qui n\u00e9cessite une ratification dans les 27 \u00c9tats membres – mais la pr\u00e9paration d’une convention constitutionnelle est une tout autre histoire. Si, en tant que Commission, vous voulez \u00eatre le moteur de l’int\u00e9gration europ\u00e9enne, la modification des trait\u00e9s n’est peut-\u00eatre pas toujours le meilleur instrument pour y parvenir. La lourdeur de la proc\u00e9dure de modification des trait\u00e9s pourrait m\u00eame paralyser l’Union pendant une d\u00e9cennie, comme cela s’est produit la derni\u00e8re fois avec le trait\u00e9 constitutionnel. Mieux vaut donc consolider et r\u00e9former de l’int\u00e9rieur avant de modifier. De plus, les trait\u00e9s actuels contiennent de nombreux instruments et clauses qui ne sont pas encore utilis\u00e9s. Nous ne sommes qu’au d\u00e9but de la mise en \u0153uvre du potentiel du trait\u00e9 de Lisbonne. Nous devons donc arr\u00eater de dire que le progr\u00e8s ne peut se produire qu’avec un changement de trait\u00e9, parce qu’il n’y aura pas de progr\u00e8s rapide avec cette mentalit\u00e9. Nous pouvons accomplir beaucoup de choses en changeant de perspective, en augmentant la volont\u00e9 de travailler ensemble et en mobilisant les ressources de mani\u00e8re plus efficace.<\/p>\n\n\n\nLa lourdeur de la proc\u00e9dure de modification des trait\u00e9s pourrait paralyser l’Union pendant une d\u00e9cennie, comme cela s’est produit la derni\u00e8re fois avec le trait\u00e9 constitutionnel. Mieux vaut donc consolider et r\u00e9former de l’int\u00e9rieur avant de modifier.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nComment \u00e9valuez-vous la continuit\u00e9 entre la Commission Juncker et la Commission actuelle dirig\u00e9e par Ursula von der Leyen ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\nFr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\nMon point de vue est qu’il y a un retour \u00e0 la politique mais d\u2019une autre fa\u00e7on. Quel que soit le projet initial d’Ursula von der Leyen, la pand\u00e9mie, la crise \u00e9conomique et la politique de vaccination ram\u00e8nent in\u00e9vitablement la politique dans la construction europ\u00e9enne. <\/p>\n\n\n\n
Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\nChaque Commission a son propre moment. Je vois quelques diff\u00e9rences, mais aussi beaucoup de continuit\u00e9 entre Juncker et von der Leyen, de la politique \u00e0 la g\u00e9opolitique. La Commission est devenue plus politique et plus structur\u00e9e sous Juncker, ce qui lui permet maintenant de travailler avec le reste du monde et de mieux d\u00e9finir ses priorit\u00e9s ext\u00e9rieures. Entre autres choses, la Commission devra d\u00e9finir un nouvel \u00e9quilibre avec les \u00c9tats-Unis sous la pr\u00e9sidence Biden, et elle devra \u00e9galement trouver un moyen de travailler avec la Russie, avec Erdogan, avec la Chine, m\u00eame si c’est difficile. <\/p>\n\n\n\n
Il y a aussi beaucoup de continuit\u00e9 en ce qui concerne la tendance \u00e0 la centralisation au sein de la Commission. Je me souviens du transfert de pouvoir entre Barroso et Juncker : le principal conseil de Barroso \u00e9tait de toujours garder une vue \u00e0 360\u00b0 sur ce qui se passe \u00e0 l’int\u00e9rieur de la Commission, d’\u00eatre r\u00e9ellement \u00e0 la t\u00eate de toute la machinerie du Berlaymont. Je pense qu’Ursula von der Leyen a pr\u00e9serv\u00e9 cet \u00e9tat d’esprit que Juncker a initi\u00e9 sur les conseils de Barroso, pour faire en sorte que le niveau politique de la Commission soit vraiment en responsabilit\u00e9. Avant Juncker, toutes les d\u00e9cisions qui \u00e9taient prises par la Commission ne passaient pas forc\u00e9ment par le coll\u00e8ge des commissaires. En particulier, les actes d\u00e9l\u00e9gu\u00e9s et les actes d’ex\u00e9cution n’\u00e9taient pas d\u00e9cid\u00e9s sur une base politique – m\u00eame si ceux-ci peuvent \u00eatre extr\u00eamement politiques comme nous l’avons vu avec l’acte d’ex\u00e9cution concernant le Glyphosate. Jean-Claude Juncker a fait \u00e9voluer les choses parce qu’il suivait de tr\u00e8s pr\u00e8s tous les d\u00e9bats politiques qui se d\u00e9roulaient en Europe, via les m\u00e9dias et les r\u00e9seaux politiques qu’il avait tiss\u00e9s au cours d\u2019une longue carri\u00e8re politique. Juncker a chang\u00e9 le syst\u00e8me au sein de la Commission, il insistait pour que toutes les questions politiquement sensibles soient port\u00e9es \u00e0 l’attention du secr\u00e9taire g\u00e9n\u00e9ral et du cabinet du pr\u00e9sident afin qu\u2019il puisse les mettre \u00e0 l’ordre du jour des r\u00e9unions hebdomadaires du coll\u00e8ge des commissaires. Jean-Claude Juncker a \u00e9galement invent\u00e9 un instrument de politisation qui existe encore aujourd’hui dans la Commission von der Leyen, \u00e0 savoir les vice-pr\u00e9sidents qui jouissent de pouvoirs d\u00e9l\u00e9gu\u00e9s par le pr\u00e9sident et qui agissent en son nom. Il voulait que ceux-ci m\u00e8nent des projets sur des dossiers de premier ordre (par exemple sur le num\u00e9rique ou le climat, l’\u00e9nergie ou encore la migration). Cela signifie qu’il y avait une \u00e9quipe de commissaires, avec leurs cabinets, qui travaillaient sur un dossier sans intervention dans le processus de la part du pr\u00e9sident jusqu’au dernier moment, lorsque ce dossier figurait \u00e0 l’ordre du jour du coll\u00e8ge. Le travail d’\u00e9quipe et le leadership ne sont pas contradictoires, ils vont de pair dans une Commission politique bien structur\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n
Les vice-pr\u00e9sidents ex\u00e9cutifs sont diff\u00e9rents des vice-pr\u00e9sidents. Par exemple, Dombrovskis ou Vestager sont en charge de tr\u00e8s puissantes directions g\u00e9n\u00e9rales qui ont tendance \u00e0 agir de mani\u00e8re plus ou moins autonome. Cela pourrait les amener \u00e0 ne voir ce qui se passe en Europe que par leur propre prisme, sans transversalit\u00e9. Cela peut cr\u00e9er des probl\u00e8mes au sein de la Commission. Pourquoi le r\u00f4le des vice-pr\u00e9sidents est-il une bonne chose aujourd’hui selon vous ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\nMartin Semayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\nIl y a de nombreuses ann\u00e9es, nous n’avions qu’un seul vice-pr\u00e9sident, puis nous avons eu un nombre illimit\u00e9 de vice-pr\u00e9sidents. Juncker a choisi un nombre limit\u00e9 de vice-pr\u00e9sidents pour leur d\u00e9l\u00e9guer une partie de ses pouvoirs de d\u00e9finition de l’agenda et de coordination politique. Certains vice-pr\u00e9sidents \u00e9taient principalement des commissaires charg\u00e9s de la coordination des dossiers, mais d’autres – comme aujourd’hui au sein de la Commission von der Leyen – \u00e9taient des vice-pr\u00e9sidents ayant leur propre direction g\u00e9n\u00e9rale (DG). Je pense, par exemple, au vice-pr\u00e9sident charg\u00e9 du budget qui avait 6000 fonctionnaires travaillant directement sous ses ordres. Le vice-pr\u00e9sident HR\/VP avait bien s\u00fbr le service d’action ext\u00e9rieure, et enfin, Valdis Dombrovskis est peut-\u00eatre le meilleur exemple de quelqu’un qui a \u00e9volu\u00e9 d’un r\u00f4le de vice-pr\u00e9sident avec un simple r\u00f4le de coordination pendant la Commission Juncker \u00e0 celui de vice-pr\u00e9sident ex\u00e9cutif avec sa propre DG d\u00e9sormais. De fait, apr\u00e8s le d\u00e9part du commissaire britannique en 2016, il a pris en charge le dossier des services financiers et des march\u00e9s de capitaux : il n’est donc plus seulement vice-pr\u00e9sident charg\u00e9 de la coordination des affaires \u00e9conomiques et mon\u00e9taires, mais il b\u00e9n\u00e9ficie \u00e9galement de son propre service, la DG FISMA. Nous avons donc eu les deux types de vice-pr\u00e9sidents au sein de la Commission Juncker. En partie \u00e0 cause de l’intervention du Conseil europ\u00e9en dans l’organisation interne de la Commission – ce qui ne constitue probablement pas l\u2019\u00e9pisode le plus glorieux dans l’histoire des institutions europ\u00e9ennes – Ursula von der Leyen fa\u00e7onne maintenant la Commission avec trois vice-pr\u00e9sidents ex\u00e9cutifs. Ce que nous constatons \u00e0 partir de ces exemples, c\u2019est que l’organisation de la Commission est une question de gestion strat\u00e9gique qui \u00e9volue entre deux Commissions, en fonction des circonstances politiques du moment et, surtout, des pr\u00e9f\u00e9rences en mati\u00e8re de gestion du pr\u00e9sident de la Commission concern\u00e9e.<\/p>\n\n\n\nL’organisation de la Commission est une question de gestion strat\u00e9gique qui \u00e9volue entre deux Commissions, en fonction des circonstances politiques du moment et, surtout, des pr\u00e9f\u00e9rences en mati\u00e8re de gestion du pr\u00e9sident de la Commission concern\u00e9e.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nFr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\nTout d’abord, la centralisation qui se produit au sein de la Commission n’est pas propre \u00e0 l’Union. Elle se produit dans tous les gouvernements du monde. On observe une centralisation du pouvoir entre les mains des dirigeants pour diverses raisons. L’Union n’est pas diff\u00e9rente de ces gouvernements, mais on peut comprendre que cela suscite des r\u00e9actions de la part des personnes qui se voient d\u00e9poss\u00e9d\u00e9es de leur autorit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n
Ensuite, la Commission a toujours \u00e9t\u00e9 une organisation au sein de laquelle les DG ont beaucoup d’autonomie. Les commissaires font partie d’une \u00e9quipe, ils ont \u00e9t\u00e9 choisis par le pr\u00e9sident, mais surtout ils ont \u00e9t\u00e9 choisis par leur gouvernement et ils retourneront tr\u00e8s probablement dans leurs \u00c9tats membres respectifs par la suite. Leur loyaut\u00e9 est toujours moins \u00e9vidente qu’elle ne le serait dans un gouvernement national o\u00f9 les ministres sont v\u00e9ritablement choisis par les chefs de gouvernement, surtout dans les syst\u00e8mes majoritaires. Le troisi\u00e8me \u00e9l\u00e9ment est que la combinaison de multiples orientations nationales et partisanes a \u00e9t\u00e9 productive au sein de la Commission. Il \u00e9tait bien connu que les relations entre le commissaire Moscovici et le vice-pr\u00e9sident Dombrovskis \u00e9taient tendues, mais de cette tension sont sorties de bonnes choses. Moscovici \u00e9tait un socialiste issu d’un pays de l\u2019Ouest, presque m\u00e9diterran\u00e9en, tandis que Dombrovskis \u00e9tait un conservateur originaire d’un pays balte. Cela a bien s\u00fbr suscit\u00e9 des tensions, mais qui \u00e9taient r\u00e9gl\u00e9es \u00e0 l’int\u00e9rieur de la Commission avant qu’elles ne deviennent publiques. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de points de vue divergents au sein du cabinet d’un commissaire, parce que chaque membre du personnel a une formation diff\u00e9rente, une nationalit\u00e9 diff\u00e9rente, une fa\u00e7on particuli\u00e8re de comprendre l’id\u00e9ologie politique – m\u00eame s’ils sont tous de gauche et qu’ils ma\u00eetrisent bien la langue fran\u00e7aise, comme les Moscos.<\/p>\n\n\n\n
Martin Selmayr, vous avez \u00e9voqu\u00e9 les nouvelles comp\u00e9tences de la Commission europ\u00e9enne qui restent encore \u00e0 mobiliser pleinement. Quelles comp\u00e9tences et quelles nouvelles pr\u00e9rogatives pourraient \u00eatre utiles dans les ann\u00e9es \u00e0 venir pour r\u00e9pondre aux d\u00e9fis et montrer le caract\u00e8re politique de la Commission ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\nMartin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\nJe ne dirais pas comp\u00e9tences mais plut\u00f4t questions \u00e0 traiter dans le cadre des trait\u00e9s actuels. Par exemple, il y a dix ans, le changement climatique \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 un probl\u00e8me qui ne figurait pas au premier rang des priorit\u00e9s de l’Union. Aujourd’hui, la Commission europ\u00e9enne fait des propositions pour l\u00e9gif\u00e9rer dans ce domaine, de l’efficacit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique de votre aspirateur \u00e0 votre voiture, en passant par les multiples sources d’\u00e9mission de CO2. Cela n’a rien \u00e0 voir avec une question de comp\u00e9tences, mais avec la volont\u00e9 politique de reconna\u00eetre qu’il existe des questions importantes qui n\u00e9cessitent une solution europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n
Je crois qu’il y a dix ans, nous n’aurions pas non plus imagin\u00e9 de r\u00e9glementer les plateformes internet. D\u00e9sormais, avec le Digital Services Act et le Digital Markets Act, la Commission europ\u00e9enne fait deux propositions tr\u00e8s importantes, tourn\u00e9es vers l’avenir et qui sont r\u00e9alisables dans le cadre des trait\u00e9s actuels parce qu’elles sont con\u00e7ues d’une mani\u00e8re qui permet de le faire.<\/p>\n\n\n\n
Je suis personnellement convaincu que nous devons encore am\u00e9liorer notre cadre budg\u00e9taire, et c’est pourquoi les propositions actuelles pr\u00e9sent\u00e9es dans le cadre de Next Generation EU<\/em> sont si importantes, m\u00eame si elles ne sont pas encore enti\u00e8rement ratifi\u00e9es parce que certains \u00c9tats membres sont encore r\u00e9ticents. Je crois \u00e9galement que la gestion des crises est une question importante qui n\u00e9cessite davantage de travail. Nous avons vu lors des derni\u00e8res crises – de la crise financi\u00e8re \u00e0 la crise migratoire – que l’Union europ\u00e9enne \u00e9volue toujours consid\u00e9rablement, elle fait m\u00eame des bonds quantiques mais, au d\u00e9part, il y a une grande confusion parce qu’il n’y a pas d’instruments de gestion de crise \u00e0 disposition. Cela s’explique par le fait que, dans l’Union, nous estimons de mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale qu’une solution d\u00e9centralis\u00e9e ne doit pas \u00eatre centralis\u00e9e avant que la situation le justifie imp\u00e9rativement. M\u00eame l’Allemagne, un pays profond\u00e9ment f\u00e9d\u00e9ral, centralise \u00e0 pr\u00e9sent les politiques Covid-19 qui \u00e9taient auparavant confi\u00e9es \u00e0 ses r\u00e9gions. A contrario, l’Autriche f\u00e9d\u00e9rale se d\u00e9centralise au m\u00eame moment. Cela montre \u00e0 quel point l’Europe est diverse. Mais je pense qu’il serait utile que l’Union dispose d’un m\u00e9canisme, pr\u00eat \u00e0 \u00eatre activ\u00e9 en temps de crise, permettant temporairement de prendre des d\u00e9cisions de mani\u00e8re plus simple et plus rapide pour r\u00e9agir avec d\u00e9termination aux situations de crise. L’Union a eu raison de se mettre d’accord sur l’achat commun de vaccins. Mais si elle avait pris toutes ses d\u00e9cisions concernant l’achat de vaccins et leur financement total d\u00e8s le mois de juin 2020, je pense que nous nous trouverions dans une situation diff\u00e9rente aujourd’hui. Peut-\u00eatre devrions-nous permettre un transfert d\u00e9cisionnel temporaire au niveau de l’Union dans les situations de crise. Bien \u00e9videmment, rien ne dit que cela serait toujours appropri\u00e9. Mais le monde progresse trop vite pour prendre des d\u00e9cisions trop tardives. Je ne crois pas que nous devrions transf\u00e9rer toutes les comp\u00e9tences en mati\u00e8re de sant\u00e9 \u00e0 Bruxelles. Fermer les \u00e9coles \u00e0 Vienne ou ailleurs ne peut pas \u00eatre d\u00e9cid\u00e9 au niveau europ\u00e9en, mais, en temps de crise, nous devrions pouvoir centraliser de mani\u00e8re provisoire les \u00e9l\u00e9ments financiers et les d\u00e9cisions relatives \u00e0 l’achat d’\u00e9quipements m\u00e9dicaux. L’article 352 pourrait servir de base \u00e0 la cr\u00e9ation d’un m\u00e9canisme de crise europ\u00e9en qui s\u2019appliquerait \u00e0 toutes les crises futures, afin d’\u00eatre plus rapide et plus efficace.<\/p>\n\n\n\nPendant le Brexit, la Commission europ\u00e9enne a r\u00e9ussi \u00e0 pr\u00e9server l’unit\u00e9 des \u00c9tats membres tout au long des n\u00e9gociations. Combien de ce capital politique accumul\u00e9 va \u00eatre n\u00e9cessaire pour continuer \u00e0 parler d’une seule voix au sujet de la future relation avec le Royaume-Uni ? Jusqu’\u00e0 quel point cette unit\u00e9 peut-elle \u00eatre pr\u00e9serv\u00e9e ? Combien de capital politique faudra-t-il pour g\u00e9rer cette relation ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\nFr\u00e9deric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\nLe Brexit m’a montr\u00e9 \u00e0 quel point les Nord-Am\u00e9ricains ne comprennent absolument rien \u00e0 l’Union europ\u00e9enne et \u00e0 la Commission. Pendant le Brexit, ou plut\u00f4t au moment du r\u00e9f\u00e9rendum du 23 juin 2016, presque tout le monde au Canada – dans les milieux d’affaires, dans les universit\u00e9s, dans les m\u00e9dias – \u00e9tait absolument persuad\u00e9 que cela m\u00e8nerait \u00e0 l’implosion de l’Union et \u00e0 une victoire tr\u00e8s large du Royaume-Uni dans les n\u00e9gociations. C’\u00e9tait le point de vue dominant. Cela a chang\u00e9 au cours des mois suivants, en partie parce que Justin Trudeau a adopt\u00e9 une position ferme en faveur de l’Union europ\u00e9enne, mais l’id\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale \u00e9tait toujours que cette unit\u00e9 ne pourrait pas toujours durer et que le Royaume-Uni prendrait le dessus. Pourtant, cela fait maintenant cinq ans et, d’un point de vue ext\u00e9rieur, l’Union fait toujours preuve d\u2019unit\u00e9 face au Royaume-Uni. Au Canada, nous vivons \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des \u00c9tats-Unis, nous savons ce qu’est une relation asym\u00e9trique, nous savons ce que la d\u00e9pendance \u00e9conomique vis-\u00e0-vis de votre voisin signifie, nous savons que les n\u00e9gociations ne sont jamais termin\u00e9es – m\u00eame lorsqu\u2019il y a un accord commercial, vous ne savez jamais combien de temps il va tenir. Sur cette question, je trouve que la Commission europ\u00e9enne a \u00e9t\u00e9 extr\u00eamement efficace.<\/p>\n\n\n\n
Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\nCe succ\u00e8s est le fruit d’un travail extr\u00eamement difficile. Il s\u2019agissait d\u2019une situation exceptionnelle pour l’Union et l’unit\u00e9 des 27 \u00e9tait indispensable puisque si nous nous \u00e9tions disput\u00e9s tout au long de cette p\u00e9riode, nous aurions sombr\u00e9 dans l’autodestruction. C’\u00e9tait une situation exceptionnelle, qui, je l’esp\u00e8re, ne se r\u00e9p\u00e9tera pas. L’un des principaux secrets de la r\u00e9ussite de ces n\u00e9gociations a \u00e9t\u00e9 Michel Barnier, que Juncker avait charg\u00e9 de diriger les n\u00e9gociations sur le Brexit – une d\u00e9cision qui, \u00e0 l’\u00e9poque, \u00e9tait courageuse parce que de nombreux \u00c9tats membres et beaucoup de membres de la Commission y \u00e9taient oppos\u00e9s. Nombre d\u2019entre eux voulaient qu’un commissaire soit charg\u00e9 du Brexit, et nombreux \u00e9taient ceux qui voulaient assumer eux-m\u00eames cette responsabilit\u00e9, m\u00eame certains fonctionnaires du Conseil. Mais la d\u00e9cision de Juncker a permis de s’assurer que les probl\u00e8mes li\u00e9s au Brexit restaient s\u00e9par\u00e9s du reste des activit\u00e9s de la Commission et ne figuraient pas \u00e0 son ordre du jour g\u00e9n\u00e9ral. Gr\u00e2ce \u00e0 la Task Force Barnier sp\u00e9cifiquement mobilis\u00e9e sur le Brexit, ce sujet n’a pas contamin\u00e9 outre mesure les activit\u00e9s de l\u2019Union, que ce soit sur l’\u00e9nergie, le climat, le num\u00e9rique, le commerce ou le nouveau cadre financier pluriannuel. Il \u00e9tait \u00e9galement tr\u00e8s important – et c’est un autre indicateur de la Commission politique \u00e0 l’\u0153uvre – que Michel Barnier, un homme politique et non un technocrate, ait pris le relais et centralis\u00e9 le travail au nom du pr\u00e9sident, travaillant en \u00e9troite collaboration avec son cabinet.<\/p>\n\n\n\nL’un des ingr\u00e9dients du succ\u00e8s dans les n\u00e9gociations sur le Brexit a \u00e9t\u00e9 ce que certains appellent la m\u00e9thode Juncker-Barnier : l’id\u00e9e que, pour les questions existentielles centrales, il faut \u00eatre encore plus prudent que d’habitude, et faire attention aux diff\u00e9rents niveaux de l\u00e9gitimit\u00e9 du travail de la Commission.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nL’autre ingr\u00e9dient du succ\u00e8s a \u00e9t\u00e9 ce que certains appellent la m\u00e9thode Juncker-Barnier : l’id\u00e9e que, pour les questions existentielles centrales, il faut \u00eatre encore plus prudent que d’habitude, et faire attention aux diff\u00e9rents niveaux de l\u00e9gitimit\u00e9 du travail de la Commission. La Commission est \u00e9lue par le Parlement europ\u00e9en mais a \u00e9galement besoin de la confiance des 27 \u00c9tats membres pour \u00eatre l\u00e9gitime. Avec les n\u00e9gociations du Brexit, nous avons suivi cette d\u00e9marche dans les r\u00e8gles de l’art. Michel Barnier a syst\u00e9matiquement inform\u00e9 les membres du Parlement europ\u00e9en, mais aussi les \u00c9tats membres, les ambassadeurs du COREPER, etc. Cet engagement \u00e0 s\u2019adresser aux deux sources de l\u00e9gitimit\u00e9 a contribu\u00e9 au renforcement de la Commission europ\u00e9enne. Cela nous am\u00e8ne au Spitzenkandidat<\/em>. Le Spitzenkandidat<\/em> est mal compris comme une proc\u00e9dure que le Parlement europ\u00e9en impose aux \u00c9tats membres, mais le Spitzenkandidat<\/em> ne peut r\u00e9ussir que si le Parlement europ\u00e9en choisit un Spitzenkandidat<\/em> apr\u00e8s les \u00e9lections et trouve ensuite un accord avec le Conseil europ\u00e9en. M. Juncker est parvenu \u00e0 ce r\u00e9sultat en 2014 et j’esp\u00e8re vivement qu’en 2024, nous renouvellerons cette exp\u00e9rience, parce que c’est une bonne chose pour la d\u00e9mocratie europ\u00e9enne et pour une gestion politique efficace au niveau de l’Union. Le Spitzenkandidat<\/em>, un \u00e9l\u00e9ment important de la d\u00e9mocratie parlementaire europ\u00e9enne, est pour le moment endormi. Faisons en sorte de le r\u00e9veiller \u00e0 temps avant les prochaines \u00e9lections du Parlement europ\u00e9en. Nous le devons aux citoyens de l’Union.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"Dans cette conversation, Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand et Martin Selmayr reviennent longuement sur les exp\u00e9riences et les pratiques de prise de d\u00e9cision \u00e0 l’int\u00e9rieur de la Commission europ\u00e9enne. Le sociologue et le technocrate esquisse un portrait politique de cette institution technique per\u00e7ue comme tr\u00e8s opaque.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":106824,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1731],"tags":[],"geo":[534],"acf":[],"yoast_head":"\n
La Commission europ\u00e9enne : moteur politique de l'int\u00e9gration europ\u00e9enne, une conversation avec Martin Selmayr et Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand | Le Grand Continent<\/title>\n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n \n \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n