{"id":106799,"date":"2021-04-27T11:40:48","date_gmt":"2021-04-27T09:40:48","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=106799"},"modified":"2021-04-27T18:15:00","modified_gmt":"2021-04-27T16:15:00","slug":"la-commission-europeenne-moteur-politique-de-lintegration-europeenne-une-conversation-avec-martin-selmayr-et-frederic-merand","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/04\/27\/la-commission-europeenne-moteur-politique-de-lintegration-europeenne-une-conversation-avec-martin-selmayr-et-frederic-merand\/","title":{"rendered":"La Commission europ\u00e9enne : moteur politique de l’int\u00e9gration europ\u00e9enne, une conversation avec Martin Selmayr et Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand"},"content":{"rendered":"\n

Cet entretien est \u00e9galement disponible en version anglaise<\/a> sur le site du Groupe d’\u00e9tudes g\u00e9opolitiques.<\/em><\/p>\n\n\n\n

Le r\u00f4le politique de la Commission europ\u00e9enne n\u2019est pas nouveau. Il existait d\u00e9j\u00e0 en tant qu’id\u00e9e, en tant que concept, d\u00e8s les premiers jours de l’int\u00e9gration europ\u00e9enne. Jean Monnet, le p\u00e8re fondateur de l’int\u00e9gration europ\u00e9enne, \u00e9tait tr\u00e8s clair sur la n\u00e9cessit\u00e9 pour la Haute Autorit\u00e9 d’\u00eatre un acteur explicitement politique afin d\u2019\u00eatre investi d\u2019une responsabilit\u00e9 politique. Il affirmait : \u00ab la coop\u00e9ration entre les nations, si importante soit-elle, ne r\u00e9sout rien. Ce qu’il faut rechercher, c’est une fusion des int\u00e9r\u00eats des peuples europ\u00e9ens, et non pas seulement le maintien de l’\u00e9quilibre de ces int\u00e9r\u00eats<\/em> \u00bb Alors, comment r\u00e9aliser une telle fusion des int\u00e9r\u00eats et de la responsabilit\u00e9 politique en pratique ? Ceux d’entre nous qui s’int\u00e9ressent au r\u00f4le des organisations et des institutions dans la vie politique savent que les id\u00e9es et les processus de mise en \u0153uvre sont souvent d\u00e9connect\u00e9s dans les structures organisationnelles. La Commission europ\u00e9enne a \u00e9t\u00e9 d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment con\u00e7ue comme un organe technocratique afin d’\u00e9viter une forte exposition publique et favoriser la fusion des int\u00e9r\u00eats. On lui a n\u00e9anmoins souvent reproch\u00e9 son manque de responsabilit\u00e9 politique et de l\u00e9gitimit\u00e9 d\u00e9mocratique. Les id\u00e9es initiales de Monnet sont toujours pertinentes. On peut m\u00eame dire que leur importance s’est accrue dans une Union qui touche pratiquement tous les aspects de la vie des Europ\u00e9ens. Alors, que signifie concr\u00e8tement aujourd’hui le r\u00f4le politique \u00e9mergeant et croissant de la Commission europ\u00e9enne ? Pourquoi consid\u00e9rez-vous que la Commission est politique<\/em> ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
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Fr\u00e9deric M\u00e9rand est directeur de C\u00c9RIUM, Centre d’\u00e9tudes et de recherches internationales \u00e0 Montr\u00e9al, et professeur de sciences politiques \u00e0 l’Universit\u00e9 de Montr\u00e9al. Il est titulaire d’un doctorat en sociologie de l’Universit\u00e9 de Californie, Berkeley. Entre 2015 et 2019, il a effectu\u00e9 plusieurs s\u00e9jours \u00e0 la Commission europ\u00e9enne au sein du cabinet Moscovici. Son livre, \u200bUn sociologue \u00e0 la commission europ\u00e9enne<\/em>, est paru au Presses de Sciences Po<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

La notion de \u00ab Commission politique \u00bb \u00e9voque la Commission Juncker. La Commission Juncker \u00e9tait en fait une exp\u00e9rimentation men\u00e9e dans le cadre d\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne plus large : la politisation de l’Union. Pour comprendre ce qu’est une Commission politique, il y a de nombreux \u00e9l\u00e9ments \u00e0 prendre en compte mais, l’id\u00e9e primordiale \u00e9tait que la Commission devait se comporter comme un ex\u00e9cutif, sensible \u00e0 l’opinion publique et responsable devant le Parlement. Pendant le mandat de Jean-Claude Juncker, deux facteurs cl\u00e9s ont rendu cette exp\u00e9rimentation possible. D’abord, le processus des Spitzenkandidaten<\/em> qui a donn\u00e9 au pr\u00e9sident de la Commission et \u00e0 son coll\u00e8ge une l\u00e9gitimit\u00e9 d\u00e9mocratique, acquise dans les urnes. Deuxi\u00e8mement, mais cela \u00e9tait tout aussi important, la grande coalition au sein du Parlement europ\u00e9en (PE) sur laquelle la Commission pouvait s\u2019appuyer, le fait que le centre-gauche et le centre-droit avaient ensemble la majorit\u00e9 des si\u00e8ges et \u00e9taient en mesure de soutenir la politique de Jean-Claude Juncker et de sa Commission. <\/p>\n\n\n\n

Cette Commission s\u2019inscrivait dans un contexte d’int\u00e9r\u00eats et d’opposition croissants, de clivages de plus en plus marqu\u00e9s \u00e0 propos des politiques europ\u00e9ennes au sein de l’opinion publique europ\u00e9enne et parmi les partis politiques. Cette politisation a \u00e9t\u00e9 largement \u00e9tudi\u00e9e par les politologues au cours des vingt derni\u00e8res ann\u00e9es. Elle d\u00e9coule de la prise de conscience que l’int\u00e9gration europ\u00e9enne cr\u00e9e des \u00ab gagnants \u00bb et des \u00ab perdants \u00bb. Les citoyens en sont conscients et ont de plus en plus tendance \u00e0 voter en fonction de cela. Dans mon livre, je m’int\u00e9resse \u00e0 la mani\u00e8re dont les membres de la Commission Juncker ont syst\u00e9matiquement tent\u00e9 de repousser les limites du politique : comment ils ont essay\u00e9 de cr\u00e9er un environnement dans lequel il serait possible d’effectuer des arbitrages politiques entre des valeurs contradictoires.<\/p>\n\n\n\n

Ce que je qualifie de travail politique consiste \u00e0 accro\u00eetre la place donn\u00e9e \u00e0 la politique. Cela n’est pas facile au sein de l’Union qui est caract\u00e9ris\u00e9e – comme toutes les autres organisations internationales – par des contraintes juridico-institutionnelles (les trait\u00e9s) et diplomatiques (la dynamique intergouvernementale au Conseil) tr\u00e8s fortes. Ce que Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici<\/a> ont essay\u00e9 de faire, c\u2019\u00e9tait d’accro\u00eetre le champ au sein duquel il serait possible de faire le genre de choix qui sont faits au niveau national, par exemple entre la gauche et la droite. Cela n’a pas toujours fonctionn\u00e9 et beaucoup de gens ont critiqu\u00e9 cette politisation de la Commission, mais c’est leur h\u00e9ritage.<\/p>\n\n\n\n

Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n
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Martin Selmayr est l’ambassadeur en Autriche pour la Commission europ\u00e9enne. Il a \u00e9tudi\u00e9 au sein des universit\u00e9s de Gen\u00e8ve, de Passau, au King’s College de Londres et \u00e0 l’universit\u00e9 de Californie, Berkeley. Il est titulaire d’un doctorat en droit de l’universit\u00e9 de Passau. Fonctionnaire au sein de la Commission depuis 2004, il est devenu le directeur de campagne de Jean-Claude Juncker en 2014 lorsqu\u2019il \u00e9tait candidat du PPE au Spitzenkandidat pour la pr\u00e9sidence de la Commission. Il a d’abord \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9 chef de l’\u00e9quipe de transition de Juncker, puis chef de cabinet de 2014 \u00e0 2018, avant d’\u00eatre nomm\u00e9 en 2018 secr\u00e9taire g\u00e9n\u00e9ral de la Commission sur d\u00e9cision des 27 membres de la Commission europ\u00e9enne. Martin Selmayr a \u00e9t\u00e9 d\u00e9crit comme l’une des personnalit\u00e9s les plus influentes au sein de l’Union europ\u00e9enne. Il est \u00e9galement professeur de droit \u00e9conomique et financier europ\u00e9en \u00e0 l’universit\u00e9 de Sarrebruck, directeur du centre de droit europ\u00e9en \u00e0 l’universit\u00e9 de Passau et ma\u00eetre de conf\u00e9rences en droit institutionnel de l’UE et en droit de l’Union \u00e9conomique et mon\u00e9taire \u00e0 l’universit\u00e9 du Danube \u00e0 Krems (Autriche). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le droit europ\u00e9en et vient de publier un premier bilan de la Commission politique dirig\u00e9e par le pr\u00e9sident Juncker, \u00e9dit\u00e9 par Robert St\u00fcwe et Thomas Panayotopoulos (The Juncker Commission. Politicizing EU Politics, Nomos, Baden-Baden 2020). Dans cet entretien, Martin Selmayr s’exprime \u00e0 titre personnel et acad\u00e9mique, sans forc\u00e9ment repr\u00e9senter le point de vue officiel de la Commission.<\/figcaption>\n <\/a>\n<\/figure>\n\n\n\n\n

La Commission a toujours \u00e9t\u00e9 un organe oscillant entre technocratie et politique<\/a>. Depuis le d\u00e9but, il y avait les f\u00e9d\u00e9ralistes qui voulaient que la Commission \u00e9volue en gouvernement europ\u00e9en et les souverainistes, qui voulaient que la Commission reste une organisation purement technocratique. De nombreux d\u00e9bats actuels sont li\u00e9s \u00e0 cette tension. Selon les trait\u00e9s, le Parlement europ\u00e9en \u00e9lit le pr\u00e9sident de la Commission, mais les commissaires ne sont pas appel\u00e9s ministres afin de les faire para\u00eetre moins l\u00e9gitimes d\u00e9mocratiquement que les ministres des gouvernements nationaux, m\u00eame s’ils sont soumis \u00e0 un processus de contr\u00f4le d\u00e9mocratique beaucoup plus rigoureux.<\/p>\n\n\n\n

Apr\u00e8s presque vingt ans au sein de la Commission, mon exp\u00e9rience m’a appris que la Commission oscille toujours entre ces diff\u00e9rents p\u00f4les de sa nature. Parfois – et cela d\u00e9pend beaucoup des circonstances historiques – elle se tourne davantage vers son p\u00f4le technocratique et parfois elle s’oriente plut\u00f4t vers son p\u00f4le politique.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Apr\u00e8s presque vingt ans au sein de la Commission, mon exp\u00e9rience m’a appris que la Commission oscille toujours entre ces diff\u00e9rents p\u00f4les de sa nature. Parfois – et cela d\u00e9pend beaucoup des circonstances historiques – elle se tourne davantage vers son p\u00f4le technocratique et parfois elle s’oriente plut\u00f4t vers son p\u00f4le politique. Jean-Claude Juncker, lorsqu’il est devenu pr\u00e9sident de la Commission, voulait que sa Commission soit \u00ab une Commission politique, tr\u00e8s politique. \u00bb En 2014, il y avait trois raisons pour cela :<\/p>\n\n\n\n

a) La premi\u00e8re raison \u00e9tait intrins\u00e8que \u00e0 Jean-Claude Juncker lui-m\u00eame. Jean-Claude Juncker a fait de la politique toute sa vie. Il a commenc\u00e9 comme ministre du gouvernement luxembourgeois avant ses 30 ans, et il a \u00e9t\u00e9 Premier ministre de son pays pendant pr\u00e8s de 19 ans. Il \u00e9tait donc \u00e9vident que lorsqu’il a eu \u00e0 sa charge une organisation appel\u00e9e Commission europ\u00e9enne, celle-ci devait \u00eatre une institution politique et non une institution technocratique. Cela d\u00e9coulait en grande partie de sa personnalit\u00e9 : Juncker \u00e0 la t\u00eate d’une institution technocratique aurait \u00e9t\u00e9 un paradoxe en soi. Jean-Claude Juncker \u00e9tait et demeure un animal politique qui lit une quantit\u00e9 \u00e9norme de journaux du monde entier au sortir du lit pour comprendre ce qui se passe dans la politique contemporaine. Juncker consomme de l’information en permanence. Il consid\u00e9rait la Commission comme un gouvernement, sans jamais l’appeler ainsi. Manfred Weber (le chef du groupe PPE au Parlement europ\u00e9en) lui a dit un jour qu’il devrait qualifier la Commission de gouvernement europ\u00e9en, mais Juncker a r\u00e9pondu qu’il \u00e9tait trop politique pour cela. Il \u00e9tait parfaitement clairvoyant sur les complications inutiles que cela aurait cr\u00e9\u00e9, notamment en ouvrant la voie aux attaques des souverainistes. Son exp\u00e9rience en tant que Premier ministre a \u00e9galement influenc\u00e9 son style de gouvernance. En effet, Jean-Claude Juncker \u00e9tait quelqu’un de tr\u00e8s impliqu\u00e9 sur des sujets pr\u00e9cis. Il devait imp\u00e9rativement garder le contr\u00f4le et tout devait passer par son bureau. Il \u00e9tait bien trop politicien pour laisser des d\u00e9cisions cl\u00e9s aux mains des technocrates. Il insistait toujours pour prendre lui-m\u00eame toutes les d\u00e9cisions. <\/p>\n\n\n\n

b) La deuxi\u00e8me raison rel\u00e8ve du fait que Juncker \u00e9tait Spitzenkandidat<\/em> : on ne peut pas mener une campagne \u00e0 l’\u00e9chelle europ\u00e9enne en promettant que l’Union devienne plus d\u00e9mocratique et ensuite agir en parfait technocrate. Cela aurait \u00e9t\u00e9 illogique et non conforme \u00e0 sa pens\u00e9e ainsi qu\u2019au mandat qui \u00e9tait le sien.<\/p>\n\n\n\n

c) La troisi\u00e8me raison est, elle aussi, tr\u00e8s circonstancielle : Jean-Claude Juncker est devenu pr\u00e9sident apr\u00e8s les ann\u00e9es de la crise financi\u00e8re. Il s\u2019agit \u00e9galement d\u2019un pr\u00e9sident qui savait d\u00e9j\u00e0 pendant sa campagne qu’il aurait \u00e0 g\u00e9rer le Brexit – ou au moins les n\u00e9gociations pour \u00e9viter le Brexit. En 2014, le principal argument de tous ceux qui critiquaient l’Union europ\u00e9enne pour ses actions pendant la crise financi\u00e8re \u00e9tait de dire que des technocrates non \u00e9lus avaient d\u00e9cr\u00e9t\u00e9 l’aust\u00e9rit\u00e9. Du c\u00f4t\u00e9 britannique, le Premier ministre Cameron d\u00e9clarait qu’il ne voulait pas \u00eatre gouvern\u00e9 depuis Bruxelles par des bureaucrates non \u00e9lus. Il \u00e9tait donc tr\u00e8s important pour Juncker d’insister sur le fait qu’il avait rassembl\u00e9 une majorit\u00e9 \u00e0 la fois au Parlement europ\u00e9en et au Conseil europ\u00e9en, qu’il \u00e9tait aussi l\u00e9gitime d\u2019un point de vue d\u00e9mocratique que ses coll\u00e8gues si\u00e9geant \u00e0 la table du au Conseil europ\u00e9en. Ceci \u00e9tait extr\u00eamement important pour sa propre interpr\u00e9tation du r\u00f4le de pr\u00e9sident de la Commission politique.<\/p>\n\n\n\n

Quelles sont des illustrations empiriques du r\u00f4le politique de la Commission ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Mon livre est con\u00e7u comme un t\u00e9moignage ethnographique du cabinet Moscovici. Les \u00ab Moscos \u00bb, comme je les appelle, avaient une identit\u00e9 : ils n’\u00e9taient pas tous fran\u00e7ais mais ils connaissaient tous tr\u00e8s bien la France et la politique fran\u00e7aise. Ils \u00e9taient tous plus ou moins de gauche, comme le commissaire lui-m\u00eame. Je vais vous donner deux illustrations de la mani\u00e8re qu\u2019ils avaient de faire de la politique.<\/p>\n\n\n\n

La gestion de la crise grecque en est un premier exemple. Nous connaissons la version de l\u2019histoire<\/a> pr\u00e9sent\u00e9e par Varoufakis<\/a>, mais plusieurs facteurs sont entr\u00e9s en jeu. Il y avait la logique institutionnelle des m\u00e9morandums ainsi que le r\u00f4le du FMI et de la BCE (la tro\u00efka). Il y avait aussi la logique diplomatique de l’Eurogroupe, qui a lourdement pes\u00e9 dans les n\u00e9gociations. Les deux ont conduit \u00e0 imposer \u00e0 la Gr\u00e8ce ce que l’on peut consid\u00e9rer comme un programme d’aust\u00e9rit\u00e9 s\u00e9v\u00e8re. D’autre part, il y avait aussi ce qui rel\u00e8ve de la politique grecque, de la d\u00e9mocratie grecque et d\u2019un syst\u00e8me relativement dysfonctionnel pilot\u00e9 depuis Ath\u00e8nes. S’il y avait de fortes tensions entre la Commission et Ath\u00e8nes, il y\u2019avait toutefois une volont\u00e9 commune de faire une place \u00e0 la politique. Pour les Moscos, il s’agissait de bien respecter les institutions tout en trouvant une marge de man\u0153uvre suffisante pour que le gouvernement grec puisse mettre en \u0153uvre ses propres priorit\u00e9s politiques (sur la base du fait qu’il a \u00e9t\u00e9 \u00e9lu en tant que gouvernement d\u00e9mocratique). Le r\u00e9sultat de ce travail politique est mitig\u00e9, mais sans le travail politique de la Commission, le r\u00e9sultat final aurait \u00e9t\u00e9 bien diff\u00e9rent.<\/p>\n\n\n\n

Les \u00ab Moscos \u00bb, comme je les appelle, avaient une identit\u00e9 : ils n’\u00e9taient pas tous fran\u00e7ais mais ils connaissaient tous tr\u00e8s bien la France et la politique fran\u00e7aise. Ils \u00e9taient tous plus ou moins de gauche, comme le commissaire lui-m\u00eame.<\/p>Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Le deuxi\u00e8me exemple que je cite dans mon livre est celui de la fiscalit\u00e9. La Commission Juncker a d\u00e9but\u00e9 en 2014 avec le scandale des \u00ab Lux Leaks \u00bb qui \u00e9tait li\u00e9 au pr\u00e9sident Juncker. En d\u00e9finitive, ce scandale s’est av\u00e9r\u00e9 \u00eatre une v\u00e9ritable chance pour le travail politique, car il a mobilis\u00e9 l’opinion publique, galvanis\u00e9 le Parlement europ\u00e9en et oblig\u00e9 la Commission \u00e0 agir. \u00c0 mon avis, cela a \u00e9t\u00e9 une occasion qui a permis aux Moscos d’aller beaucoup plus loin que ce que l’on aurait pu imaginer en mati\u00e8re de lutte contre l\u2019\u00e9vasion fiscale. Pendant un moment, le Conseil a sembl\u00e9 paralys\u00e9, incapable de bloquer les propositions venant du Berlaymont. Mais cette situation n’a pas dur\u00e9 longtemps. Les Moscos avaient des aspirations plus ambitieuses pour les r\u00e9formes de la fiscalit\u00e9 en Europe, pour une assiette commune de l’imp\u00f4t sur les soci\u00e9t\u00e9s, pour la fiscalit\u00e9 num\u00e9rique (certains \u00c9tats membres, comme la France, faisaient \u00e9galement pression pour cela), mais ils se sont finalement heurt\u00e9s au veto de certains \u00c9tats membres au sein du Conseil et ont perdu la partie au profit de l’OCDE, qui semble d\u00e9sormais \u00eatre le principal lieu o\u00f9 se d\u00e9roulent les n\u00e9gociations sur ce sujet.<\/p>\n\n\n\n

Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Je pourrais donner de nombreuses illustrations mais, je citerais surtout un moment pr\u00e9cis lors des n\u00e9gociations avec la Gr\u00e8ce en 2015. C’est l’ann\u00e9e o\u00f9 les n\u00e9gociations les plus difficiles avec la Gr\u00e8ce ont eu lieu (au d\u00e9but, Alexis Tsipras et le nouveau gouvernement ne voulaient rien faire jusqu’\u00e0 ce que nous arrivions \u00e0 une situation o\u00f9 le Grexit a failli se produire). Juncker estimait qu’il fallait \u00e9viter le Grexit \u00e0 tout prix, car cela aurait \u00e9t\u00e9, selon lui (et je partageais enti\u00e8rement son analyse), la fin de la monnaie commune et la fin du projet le plus int\u00e9gr\u00e9 de l’Union. Ensemble, nous avons lutt\u00e9 de toutes nos forces contre le Grexit. Juncker connaissait la Gr\u00e8ce et c’est pourquoi il a toujours pr\u00f4n\u00e9 le d\u00e9ploiement de politiques mod\u00e9r\u00e9es et r\u00e9alistes en s\u2019opposant aux mesures drastiques et aux coupes excessives. Lorsque Juncker est arriv\u00e9 \u00e0 la pr\u00e9sidence et qu’il a \u00e9t\u00e9 confront\u00e9 \u00e0 cette crise, il a d\u00e9couvert que ce type de n\u00e9gociations, sous la Commission pr\u00e9c\u00e9dente, \u00e9taient men\u00e9es essentiellement par des technocrates. Juncker a mis fin \u00e0 cette situation d\u00e8s le premier jour. Il a exig\u00e9 de se faire transmettre des rapports quotidiens, matin et soir, par les fonctionnaires charg\u00e9s des n\u00e9gociations en Gr\u00e8ce. Par \u00e9crit d’abord, puis directement par t\u00e9l\u00e9phone. S’il a \u00e9t\u00e9 confront\u00e9 \u00e0 une certaine r\u00e9sistance au d\u00e9but, les fonctionnaires ont ensuite suivi les directives qui leur ont \u00e9t\u00e9 donn\u00e9es. Avec beaucoup de patience, M. Juncker a expliqu\u00e9 aux fonctionnaires \u00e0 de multiples reprises qu’il ne s’agissait pas simplement d’une d\u00e9cision technique banale consistant \u00e0 demander \u00e0 la Gr\u00e8ce de r\u00e9duire ses d\u00e9penses dans le domaine de la sant\u00e9 alors qu\u2019elle pouvait plut\u00f4t le faire pour son budget de d\u00e9fense excessif, mais une d\u00e9cision qu’il souhaitait prendre lui-m\u00eame en tant que pr\u00e9sident de la Commission. Il avait l\u2019habitude de dire \u00e0 ses fonctionnaires : \u00ab Cette d\u00e9cision n’est pas de votre ressort, elle est pour moi \u00bb. Cette m\u00e9thode politique n’a pas plu \u00e0 tout le monde. Un jour, un ministre des finances tr\u00e8s influent a t\u00e9l\u00e9phon\u00e9 \u00e0 Juncker pour lui dire – non sans une certaine agressivit\u00e9 – de ne pas intervenir dans ces n\u00e9gociations. Juncker lui a r\u00e9pondu que les trait\u00e9s eux-m\u00eames, y compris le trait\u00e9 sur le m\u00e9canisme europ\u00e9en de stabilit\u00e9, stipulent de mani\u00e8re explicite que c’est le r\u00f4le de la Commission de mener les n\u00e9gociations. Le ministre des finances influent a alors pouss\u00e9 un soupir d\u2019exasp\u00e9ration et r\u00e9pondu :  \u00ab Jean-Claude, cela fait r\u00e9f\u00e9rence aux experts de la Commission, pas \u00e0 vous ! \u00bb. Juncker a alors r\u00e9pondu r\u00e9solument : \u00ab Mais je suis le patron de ces experts, et je suis politiquement responsable de ce qu’ils font, devant le Parlement europ\u00e9en, et devant le public en g\u00e9n\u00e9ral. C\u2019est pourquoi je dois absolument \u00eatre directement impliqu\u00e9 \u00bb. Ce qui est tr\u00e8s r\u00e9v\u00e9lateur dans cet \u00e9pisode, c’est que beaucoup de gens percevaient la Commission ainsi : \u00ab Quand la d\u00e9cision vous semble appropri\u00e9e, laissez la technocratie s’en occuper \u00bb. Pourtant, en r\u00e9alit\u00e9, les d\u00e9cisions doivent passer par le Coll\u00e8ge des Commissaires et par le Pr\u00e9sident, car il s\u2019agit d\u2019un ensemble de d\u00e9cisions fond\u00e9es sur l’expertise juridique mais aussi sur le jugement politique discr\u00e9tionnaire, dont l’exercice est encadr\u00e9 juridiquement, mais qui rel\u00e8ve au final de la responsabilit\u00e9 des hommes politiques \u00e0 la t\u00eate de la Commission.<\/p>\n\n\n\n

Pour conclure sur ce point, je crois que juillet 2018 a \u00e9t\u00e9 un moment cl\u00e9 lors duquel la Commission politique a \u00e9t\u00e9 accept\u00e9e pour la premi\u00e8re fois par tous les \u00c9tats membres, durant la guerre commerciale que Donald Trump avait entam\u00e9e. Tous les \u00c9tats membres ont accord\u00e9 leur confiance au pr\u00e9sident Juncker lorsqu’il menait les n\u00e9gociations avec Trump \u00e0 Washington, \u00e0 l\u2019issue desquelles il est parvenu \u00e0 un compromis lors d’une r\u00e9union historique \u00e0 la Maison Blanche. C’\u00e9tait la premi\u00e8re fois qu’un pr\u00e9sident de la Commission n\u00e9gociait face \u00e0 face avec un pr\u00e9sident des \u00c9tats-Unis. A l\u2019issue de cette s\u00e9quence, Juncker a d\u00e9clar\u00e9 : \u00ab Ils m’ont donn\u00e9 un mandat tout simplement parce qu’ils estimaient que c’\u00e9tait une mission impossible et que j’allais \u00e9chouer. Mais ce ne fut pas le cas \u00bb. Voil\u00e0 ce qui est important pour une Commission politique. Ne pas \u00e9chouer politiquement au moment du rendez-vous d\u00e9terminant avec l’Histoire.<\/p>\n\n\n\n

Sur la question de la dette grecque, M. Juncker a expliqu\u00e9 aux fonctionnaires \u00e0 de multiples reprises qu’il ne s’agissait pas simplement d’une d\u00e9cision technique banale consistant \u00e0 demander \u00e0 la Gr\u00e8ce de r\u00e9duire ses d\u00e9penses dans le domaine de la sant\u00e9 alors qu\u2019elle pouvait plut\u00f4t le faire pour son budget de d\u00e9fense excessif, mais une d\u00e9cision qu’il souhaitait prendre lui-m\u00eame en tant que pr\u00e9sident de la Commission.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Le r\u00f4le politique de la Commission a-t-il \u00e9volu\u00e9 ? Si oui, de quelle mani\u00e8re ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Dans mon livre, je consid\u00e8re qu’il y a trois forces derri\u00e8re le travail politique : la volont\u00e9 de faire de la politique, la capacit\u00e9 de trouver des amis\/alli\u00e9s\/r\u00e9seaux qui soutiennent votre action et la capacit\u00e9 \u00e0 communiquer de mani\u00e8re efficace. Si les Moscos ont \u00e9t\u00e9 en mesure de faire de la politique, c’est parce qu’ils ont \u00e9t\u00e9 capables de mobiliser ces trois forces. C’est aussi gr\u00e2ce \u00e0 cela que Jean-Claude Juncker a pu agir sur le plan politique. \u00c0 mes yeux, la situation actuelle est passionnante, car elle r\u00e9v\u00e8le deux choses. Premi\u00e8rement, qu’il y a un \u00e9l\u00e9ment nouveau par rapport \u00e0 l’analyse que je propose dans le livre : la force d’un choc externe. Politiquement, la r\u00e9forme de la zone euro a \u00e9t\u00e9 un \u00e9chec sous Jean-Claude Juncker et Pierre Moscovici. Mais ensuite, le Covid-19 a frapp\u00e9, Angela Merkel a chang\u00e9 de position, un changement de paradigme s’est produit, et un grand nombre des d\u00e9bats que j’observais entre les Moscos <\/em>et les fonctionnaires de la DG ECFIN ont ressurgi dans ce qui est aujourd’hui Next Generation EU<\/em>.<\/p>\n\n\n\n

Pour donner un autre exemple : lorsque Ursula von der Leyen est entr\u00e9e en fonction, elle n’a pas dit qu’elle ne voulait pas diriger une Commission politique, mais elle a insist\u00e9 sur le fait qu’elle dirigerait une Commission g\u00e9opolitique<\/a>. On peut consid\u00e9rer que c’\u00e9tait une fa\u00e7on de dire qu’elle ne croyait pas que la formule Juncker pouvait r\u00e9ussir. Dans la mesure o\u00f9 elle n’a pas \u00e9t\u00e9 \u00e9lue selon le processus de Spitzenkandidaten<\/em>, elle n’a pas dispos\u00e9 d’une majorit\u00e9 claire au Parlement (qui \u00e9tait beaucoup plus fragment\u00e9 apr\u00e8s les \u00e9lections de 2019). Il s’agissait donc peut-\u00eatre de la fin de la politique ou la fin d’une Commission politique. Mais, la pand\u00e9mie l’a ramen\u00e9e \u00e0 des enjeux profond\u00e9ment politiques (comme la vaccination ou Next Generation EU<\/em>). Ces enjeux sont fondamentaux parce que le public y est particuli\u00e8rement attentif, parce que ces situations cr\u00e9ent des \u00ab gagnants \u00bb et des \u00ab perdants \u00bb, et tant qu’il en sera ainsi, il y aura une place pour le travail politique.<\/p>\n\n\n\n

Lorsque le Covid-19 a frapp\u00e9 et qu’Angela Merkel a chang\u00e9 de position, un changement de paradigme s’est produit, et un grand nombre des d\u00e9bats que j’observais entre les Moscos <\/em>et les fonctionnaires de la DG ECFIN ont ressurgi dans ce qui est aujourd’hui Next Generation EU<\/em>.<\/p>Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Quelques le\u00e7ons pour l’avenir : je crois sinc\u00e8rement que \u00ab Commission politique \u00bb ne signifie pas, ne peut pas et ne doit pas signifier \u00ab Commission de la politique des partis \u00bb. Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand a avanc\u00e9 l’argument que, au sein du cabinet Moscovici, il y avait une certaine homog\u00e9n\u00e9it\u00e9 politique, mais je vous dirais que ni Jean-Claude Juncker ni moi ne connaissions quelles \u00e9taient les orientations politiques des membres de son cabinet. Il y avait 14 membres, mais leurs orientations politiques ne nous concernaient pas car ils \u00e9taient des fonctionnaires exp\u00e9riment\u00e9s de la Commission, les meilleurs des meilleurs, et ils servaient Juncker, leur dirigeant politique, avec comp\u00e9tence et rigueur, mais on ne leur demandait pas de suivre une orientation politique propre dans leur travail. Ils ont donn\u00e9 des conseils, fait des propositions et des suggestions, mais la direction politique venait de Juncker et personne d’autre. Voil\u00e0 ce qui distingue et devrait toujours distinguer les Commissaires des administrateurs qui les servent. Une Commission politique signifie que le niveau politique – ceux qui sont \u00e9lus par le Parlement et nomm\u00e9s par le Pr\u00e9sident de la Commission et les membres du Conseil – doit \u00eatre choisi sur des bases politiques, mais \u00e7a ne s’applique pas aux collaborateurs du pr\u00e9sident ou aux collaborateurs des commissaires. La Commission est une excellente institution qui fonctionne bien parce que les fonctionnaires ne peuvent et ne doivent pas \u00eatre choisis en fonction de leur orientation politique ou de leur nationalit\u00e9. C’est tr\u00e8s important parce que, si nous allons dans le sens de la politique des partis au sein de la Commission, nous discr\u00e9ditons son travail et l’excellence du service public europ\u00e9en.<\/p>\n\n\n\n

La Commission doit agir dans l’int\u00e9r\u00eat de l’Union dans son ensemble et en tant d’\u00e9quipe. Il ne peut donc y avoir \u00ab un seul commissaire politique \u00bb \u00e0 la Commission, comme le pr\u00e9tend M. Merand, de son point de vue d\u2019observateur avis\u00e9. Pour que la Commission r\u00e9ussisse, il doit y avoir 27 Commissaires politiques qui agissent en tant qu\u2019\u00e9quipe politique. Il est int\u00e9ressant de constater que les membres de la Commission qui ont travaill\u00e9 dans cet esprit, en tant que v\u00e9ritables membres d’une \u00e9quipe engag\u00e9e, ont \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9s pour un nouveau mandat au sein de la Commission von der Leyen, ind\u00e9pendamment de leur affiliation politique. Prenez Margrethe Vestager, Frans Timmermans, Valdis Dombrovskis. Chacun d’entre eux a \u00e9t\u00e9 reconnu pour sa capacit\u00e9 \u00e0 travailler en \u00e9quipe et \u00e0 \u00e9tablir des liens entre toutes les familles politiques et toutes les nationalit\u00e9s. La force d’une Commission politique ne r\u00e9side pas dans un comportement partisan, mais dans un travail d’\u00e9quipe qui d\u00e9passe les fronti\u00e8res des nationalit\u00e9s et des all\u00e9geances politiques. Ce processus doit \u00eatre organis\u00e9 de la communication \u00e0 la d\u00e9cision politique, en passant par le bon d\u00e9roulement des op\u00e9rations quotidiennes du coll\u00e8ge des commissaires, qui peut ainsi fonctionner comme un gouvernement. S’il veut r\u00e9ussir dans la dur\u00e9e, le pr\u00e9sident de la Commission doit \u00eatre le capitaine de cette \u00e9quipe.<\/p>\n\n\n\n

R\u00e9cemment, la commissaire Dubravka Suica a affirm\u00e9 que la Commission n\u2019a pas vocation \u00e0 proposer des changements dans le cadre de la Conf\u00e9rence sur le futur de l\u2019Europe. Si la Commission a pour ambition d\u2019\u00eatre la force motrice de l\u2019int\u00e9gration europ\u00e9enne, pourquoi pareille r\u00e9ticence ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

La politique europ\u00e9enne a gagn\u00e9 en complexit\u00e9 au cours des 20-30 derni\u00e8res ann\u00e9es. Il n’y a pas si longtemps, l’opinion publique \u00e9tait \u00e0 peu pr\u00e8s divis\u00e9e entre ceux qui \u00e9taient \u00ab pour \u00bb et ceux qui \u00e9taient \u00ab contre \u00bb l’int\u00e9gration europ\u00e9enne. Aujourd’hui, la situation est beaucoup plus compliqu\u00e9e car vous avez des fractures au niveau europ\u00e9en qui, dans une certaine mesure, reproduisent les divisions nationales. Par exemple, il y a des gens qui poussent pour plus d’int\u00e9gration europ\u00e9enne si celle-ci se fait dans une perspective plus conservatrice ou, au contraire, dans une perspective plus sociale-d\u00e9mocrate. Cela signifie que la Commission n’est plus un lieu o\u00f9 tout le monde est f\u00e9d\u00e9raliste et a la m\u00eame conception de ce que signifie plus d’Europe. Dire que les partis et la politique jouent un r\u00f4le \u00e0 la Commission ne signifie pas que la Commission se comporte comme un gouvernement majoritaire dans un syst\u00e8me comme celui de la France ou du Royaume-Uni. Il s’agit bien d’un syst\u00e8me fond\u00e9 sur le consensus, mais dans lequel l’affiliation partisane importe.<\/p>\n\n\n\n

Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Je pense que Mme Suica a dit quelque chose de sens\u00e9. Il n’y a pas de tendance favorable qui permette d\u2019aboutir \u00e0 la modification des trait\u00e9s avant les 5 \u00e0 10 prochaines ann\u00e9es. La modification des trait\u00e9s n’est certainement pas exclue, mais ce n’est pas ce qu’envisagent actuellement les 27 \u00c9tats membres. Dans le mandat donn\u00e9 \u00e0 la Conf\u00e9rence sur l’avenir de l’Europe, ceux-ci ont explicitement (et le Parlement a accept\u00e9) exclu l\u2019hypoth\u00e8se d’une modification des trait\u00e9s. Certains ont tendance \u00e0 trop vite oublier que nous avons r\u00e9guli\u00e8rement modifi\u00e9 les trait\u00e9s ces derni\u00e8res ann\u00e9es, m\u00eame pendant la crise financi\u00e8re – il suffit de se rappeler du nouvel Article 136(3), du trait\u00e9 sur le fonctionnement de l’Union ou du nouveau fonds de relance qui n\u00e9cessite une ratification dans les 27 \u00c9tats membres – mais la pr\u00e9paration d’une convention constitutionnelle est une tout autre histoire. Si, en tant que Commission, vous voulez \u00eatre le moteur de l’int\u00e9gration europ\u00e9enne, la modification des trait\u00e9s n’est peut-\u00eatre pas toujours le meilleur instrument pour y parvenir. La lourdeur de la proc\u00e9dure de modification des trait\u00e9s pourrait m\u00eame paralyser l’Union pendant une d\u00e9cennie, comme cela s’est produit la derni\u00e8re fois avec le trait\u00e9 constitutionnel. Mieux vaut donc consolider et r\u00e9former de l’int\u00e9rieur avant de modifier. De plus, les trait\u00e9s actuels contiennent de nombreux instruments et clauses qui ne sont pas encore utilis\u00e9s. Nous ne sommes qu’au d\u00e9but de la mise en \u0153uvre du potentiel du trait\u00e9 de Lisbonne. Nous devons donc arr\u00eater de dire que le progr\u00e8s ne peut se produire qu’avec un changement de trait\u00e9, parce qu’il n’y aura pas de progr\u00e8s rapide avec cette mentalit\u00e9. Nous pouvons accomplir beaucoup de choses en changeant de perspective, en augmentant la volont\u00e9 de travailler ensemble et en mobilisant les ressources de mani\u00e8re plus efficace.<\/p>\n\n\n\n

La lourdeur de la proc\u00e9dure de modification des trait\u00e9s pourrait paralyser l’Union pendant une d\u00e9cennie, comme cela s’est produit la derni\u00e8re fois avec le trait\u00e9 constitutionnel. Mieux vaut donc consolider et r\u00e9former de l’int\u00e9rieur avant de modifier.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Comment \u00e9valuez-vous la continuit\u00e9 entre la Commission Juncker et la Commission actuelle dirig\u00e9e par Ursula von der Leyen ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Mon point de vue est qu’il y a un retour \u00e0 la politique mais d\u2019une autre fa\u00e7on. Quel que soit le projet initial d’Ursula von der Leyen, la pand\u00e9mie, la crise \u00e9conomique et la politique de vaccination ram\u00e8nent in\u00e9vitablement la politique dans la construction europ\u00e9enne. <\/p>\n\n\n\n

Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Chaque Commission a son propre moment. Je vois quelques diff\u00e9rences, mais aussi beaucoup de continuit\u00e9 entre Juncker et von der Leyen, de la politique \u00e0 la g\u00e9opolitique. La Commission est devenue plus politique et plus structur\u00e9e sous Juncker, ce qui lui permet maintenant de travailler avec le reste du monde et de mieux d\u00e9finir ses priorit\u00e9s ext\u00e9rieures. Entre autres choses, la Commission devra d\u00e9finir un nouvel \u00e9quilibre avec les \u00c9tats-Unis sous la pr\u00e9sidence Biden, et elle devra \u00e9galement trouver un moyen de travailler avec la Russie, avec Erdogan, avec la Chine, m\u00eame si c’est difficile. <\/p>\n\n\n\n

Il y a aussi beaucoup de continuit\u00e9 en ce qui concerne la tendance \u00e0 la centralisation au sein de la Commission. Je me souviens du transfert de pouvoir entre Barroso et Juncker : le principal conseil de Barroso \u00e9tait de toujours garder une vue \u00e0 360\u00b0 sur ce qui se passe \u00e0 l’int\u00e9rieur de la Commission, d’\u00eatre r\u00e9ellement \u00e0 la t\u00eate de toute la machinerie du Berlaymont. Je pense qu’Ursula von der Leyen a pr\u00e9serv\u00e9 cet \u00e9tat d’esprit que Juncker a initi\u00e9 sur les conseils de Barroso, pour faire en sorte que le niveau politique de la Commission soit vraiment en responsabilit\u00e9. Avant Juncker, toutes les d\u00e9cisions qui \u00e9taient prises par la Commission ne passaient pas forc\u00e9ment par le coll\u00e8ge des commissaires. En particulier, les actes d\u00e9l\u00e9gu\u00e9s et les actes d’ex\u00e9cution n’\u00e9taient pas d\u00e9cid\u00e9s sur une base politique – m\u00eame si ceux-ci peuvent \u00eatre extr\u00eamement politiques comme nous l’avons vu avec l’acte d’ex\u00e9cution concernant le Glyphosate. Jean-Claude Juncker a fait \u00e9voluer les choses parce qu’il suivait de tr\u00e8s pr\u00e8s tous les d\u00e9bats politiques qui se d\u00e9roulaient en Europe, via les m\u00e9dias et les r\u00e9seaux politiques qu’il avait tiss\u00e9s au cours d\u2019une longue carri\u00e8re politique. Juncker a chang\u00e9 le syst\u00e8me au sein de la Commission, il insistait pour que toutes les questions politiquement sensibles soient port\u00e9es \u00e0 l’attention du secr\u00e9taire g\u00e9n\u00e9ral et du cabinet du pr\u00e9sident afin qu\u2019il puisse les mettre \u00e0 l’ordre du jour des r\u00e9unions hebdomadaires du coll\u00e8ge des commissaires. Jean-Claude Juncker a \u00e9galement invent\u00e9 un instrument de politisation qui existe encore aujourd’hui dans la Commission von der Leyen, \u00e0 savoir les vice-pr\u00e9sidents qui jouissent de pouvoirs d\u00e9l\u00e9gu\u00e9s par le pr\u00e9sident et qui agissent en son nom. Il voulait que ceux-ci m\u00e8nent des projets sur des dossiers de premier ordre (par exemple sur le num\u00e9rique ou le climat, l’\u00e9nergie ou encore la migration). Cela signifie qu’il y avait une \u00e9quipe de commissaires, avec leurs cabinets, qui travaillaient sur un dossier sans intervention dans le processus de la part du pr\u00e9sident jusqu’au dernier moment, lorsque ce dossier figurait \u00e0 l’ordre du jour du coll\u00e8ge. Le travail d’\u00e9quipe et le leadership ne sont pas contradictoires, ils vont de pair dans une Commission politique bien structur\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Les vice-pr\u00e9sidents ex\u00e9cutifs sont diff\u00e9rents des vice-pr\u00e9sidents. Par exemple, Dombrovskis ou Vestager sont en charge de tr\u00e8s puissantes directions g\u00e9n\u00e9rales  qui ont tendance \u00e0 agir de mani\u00e8re plus ou moins autonome. Cela pourrait les amener \u00e0 ne voir ce qui se passe en Europe que par leur propre prisme, sans transversalit\u00e9. Cela peut cr\u00e9er des probl\u00e8mes au sein de la Commission. Pourquoi le r\u00f4le des vice-pr\u00e9sidents est-il une bonne chose aujourd’hui selon vous ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Martin Semayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Il y a de nombreuses ann\u00e9es, nous n’avions qu’un seul vice-pr\u00e9sident, puis nous avons eu un nombre illimit\u00e9 de vice-pr\u00e9sidents. Juncker a choisi un nombre limit\u00e9 de vice-pr\u00e9sidents pour leur d\u00e9l\u00e9guer une partie de ses pouvoirs de d\u00e9finition de l’agenda et de coordination politique. Certains vice-pr\u00e9sidents \u00e9taient principalement des commissaires charg\u00e9s de la coordination des dossiers, mais d’autres – comme aujourd’hui au sein de la Commission von der Leyen – \u00e9taient des vice-pr\u00e9sidents ayant leur propre direction g\u00e9n\u00e9rale (DG). Je pense, par exemple, au vice-pr\u00e9sident charg\u00e9 du budget qui avait 6000 fonctionnaires travaillant directement sous ses ordres. Le vice-pr\u00e9sident HR\/VP avait bien s\u00fbr le service d’action ext\u00e9rieure, et enfin, Valdis Dombrovskis est peut-\u00eatre le meilleur exemple de quelqu’un qui a \u00e9volu\u00e9 d’un r\u00f4le de vice-pr\u00e9sident avec un simple r\u00f4le de coordination pendant la Commission Juncker \u00e0 celui de vice-pr\u00e9sident ex\u00e9cutif avec sa propre DG d\u00e9sormais. De fait, apr\u00e8s le d\u00e9part du commissaire britannique en 2016, il a pris en charge le dossier des services financiers et des march\u00e9s de capitaux : il n’est donc plus seulement vice-pr\u00e9sident charg\u00e9 de la coordination des affaires \u00e9conomiques et mon\u00e9taires, mais il b\u00e9n\u00e9ficie \u00e9galement de son propre service, la DG FISMA. Nous avons donc eu les deux types de vice-pr\u00e9sidents au sein de la Commission Juncker. En partie \u00e0 cause de l’intervention du Conseil europ\u00e9en dans l’organisation interne de la Commission – ce qui ne constitue probablement pas l\u2019\u00e9pisode le plus glorieux dans l’histoire des institutions europ\u00e9ennes – Ursula von der Leyen fa\u00e7onne maintenant la Commission avec trois vice-pr\u00e9sidents ex\u00e9cutifs. Ce que nous constatons \u00e0 partir de ces exemples, c\u2019est que l’organisation de la Commission est une question de gestion strat\u00e9gique qui \u00e9volue entre deux Commissions, en fonction des circonstances politiques du moment et, surtout, des pr\u00e9f\u00e9rences en mati\u00e8re de gestion du pr\u00e9sident de la Commission concern\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

L’organisation de la Commission est une question de gestion strat\u00e9gique qui \u00e9volue entre deux Commissions, en fonction des circonstances politiques du moment et, surtout, des pr\u00e9f\u00e9rences en mati\u00e8re de gestion du pr\u00e9sident de la Commission concern\u00e9e.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Tout d’abord, la centralisation qui se produit au sein de la Commission n’est pas propre \u00e0 l’Union. Elle se produit dans tous les gouvernements du monde. On observe une centralisation du pouvoir entre les mains des dirigeants pour diverses raisons. L’Union n’est pas diff\u00e9rente de ces gouvernements, mais on peut comprendre que cela suscite des r\u00e9actions de la part des personnes qui se voient d\u00e9poss\u00e9d\u00e9es de leur autorit\u00e9.<\/p>\n\n\n\n

Ensuite, la Commission a toujours \u00e9t\u00e9 une organisation au sein de laquelle les DG ont beaucoup d’autonomie. Les commissaires font partie d’une \u00e9quipe, ils ont \u00e9t\u00e9 choisis par le pr\u00e9sident, mais surtout ils ont \u00e9t\u00e9 choisis par leur gouvernement et ils retourneront tr\u00e8s probablement dans leurs \u00c9tats membres respectifs par la suite. Leur loyaut\u00e9 est toujours moins \u00e9vidente qu’elle ne le serait dans un gouvernement national o\u00f9 les ministres sont v\u00e9ritablement choisis par les chefs de gouvernement, surtout dans les syst\u00e8mes majoritaires. Le troisi\u00e8me \u00e9l\u00e9ment est que la combinaison de multiples orientations nationales et partisanes a \u00e9t\u00e9 productive au sein de la Commission. Il \u00e9tait bien connu que les relations entre le commissaire Moscovici et le vice-pr\u00e9sident Dombrovskis \u00e9taient tendues, mais de cette tension sont sorties de bonnes choses. Moscovici \u00e9tait un socialiste issu d’un pays de l\u2019Ouest, presque m\u00e9diterran\u00e9en, tandis que Dombrovskis \u00e9tait un conservateur originaire d’un pays balte. Cela a bien s\u00fbr suscit\u00e9 des tensions, mais qui \u00e9taient r\u00e9gl\u00e9es \u00e0 l’int\u00e9rieur de la Commission avant qu’elles ne deviennent publiques. Il ne faut pas oublier qu’il y a aussi beaucoup de points de vue divergents au sein du cabinet d’un commissaire, parce que chaque membre du personnel a une formation diff\u00e9rente, une nationalit\u00e9 diff\u00e9rente, une fa\u00e7on particuli\u00e8re de comprendre l’id\u00e9ologie politique – m\u00eame s’ils sont tous de gauche et qu’ils ma\u00eetrisent bien la langue fran\u00e7aise, comme les Moscos.<\/p>\n\n\n\n

Martin Selmayr, vous avez \u00e9voqu\u00e9 les nouvelles comp\u00e9tences de la Commission europ\u00e9enne qui restent encore \u00e0 mobiliser pleinement. Quelles comp\u00e9tences et quelles nouvelles pr\u00e9rogatives pourraient \u00eatre utiles dans les ann\u00e9es \u00e0 venir pour r\u00e9pondre aux d\u00e9fis et montrer le caract\u00e8re politique de la Commission ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Je ne dirais pas comp\u00e9tences mais plut\u00f4t questions \u00e0 traiter dans le cadre des trait\u00e9s actuels. Par exemple, il y a dix ans, le changement climatique \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 un probl\u00e8me qui ne figurait pas au premier rang des priorit\u00e9s de l’Union. Aujourd’hui, la Commission europ\u00e9enne fait des propositions pour l\u00e9gif\u00e9rer dans ce domaine, de l’efficacit\u00e9 \u00e9nerg\u00e9tique de votre aspirateur \u00e0 votre voiture, en passant par les multiples sources d’\u00e9mission de CO2. Cela n’a rien \u00e0 voir avec une question de comp\u00e9tences, mais avec la volont\u00e9 politique de reconna\u00eetre qu’il existe des questions importantes qui n\u00e9cessitent une solution europ\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n

Je crois qu’il y a dix ans, nous n’aurions pas non plus imagin\u00e9 de r\u00e9glementer les plateformes internet. D\u00e9sormais, avec le Digital Services Act et le Digital Markets Act, la Commission europ\u00e9enne fait deux propositions tr\u00e8s importantes, tourn\u00e9es vers l’avenir et qui sont r\u00e9alisables dans le cadre des trait\u00e9s actuels parce qu’elles sont con\u00e7ues d’une mani\u00e8re qui permet de le faire.<\/p>\n\n\n\n

Je suis personnellement convaincu que nous devons encore am\u00e9liorer notre cadre budg\u00e9taire, et c’est pourquoi les propositions actuelles pr\u00e9sent\u00e9es dans le cadre de Next Generation EU<\/em> sont si importantes, m\u00eame si elles ne sont pas encore enti\u00e8rement ratifi\u00e9es parce que certains \u00c9tats membres sont encore r\u00e9ticents. Je crois \u00e9galement que la gestion des crises est une question importante qui n\u00e9cessite davantage de travail. Nous avons vu lors des derni\u00e8res crises – de la crise financi\u00e8re \u00e0 la crise migratoire – que l’Union europ\u00e9enne \u00e9volue toujours consid\u00e9rablement, elle fait m\u00eame des bonds quantiques mais, au d\u00e9part, il y a une grande confusion parce qu’il n’y a pas d’instruments de gestion de crise \u00e0 disposition. Cela s’explique par le fait que, dans l’Union, nous estimons de mani\u00e8re g\u00e9n\u00e9rale qu’une solution d\u00e9centralis\u00e9e ne doit pas \u00eatre centralis\u00e9e avant que la situation le justifie imp\u00e9rativement. M\u00eame l’Allemagne, un pays profond\u00e9ment f\u00e9d\u00e9ral, centralise \u00e0 pr\u00e9sent les politiques Covid-19 qui \u00e9taient auparavant confi\u00e9es \u00e0 ses r\u00e9gions. A contrario, l’Autriche f\u00e9d\u00e9rale se d\u00e9centralise au m\u00eame moment. Cela montre \u00e0 quel point l’Europe est diverse. Mais je pense qu’il serait utile que l’Union dispose d’un m\u00e9canisme, pr\u00eat \u00e0 \u00eatre activ\u00e9 en temps de crise, permettant temporairement de prendre des d\u00e9cisions de mani\u00e8re plus simple et plus rapide pour r\u00e9agir avec d\u00e9termination aux situations de crise.  L’Union a eu raison de se mettre d’accord sur l’achat commun de vaccins. Mais si elle avait pris toutes ses d\u00e9cisions concernant l’achat de vaccins et leur financement total d\u00e8s le mois de juin 2020, je pense que nous nous trouverions dans une situation diff\u00e9rente aujourd’hui. Peut-\u00eatre devrions-nous permettre un transfert d\u00e9cisionnel temporaire au niveau de l’Union dans les situations de crise. Bien \u00e9videmment, rien ne dit que cela serait toujours appropri\u00e9. Mais le monde progresse trop vite pour prendre des d\u00e9cisions trop tardives. Je ne crois pas que nous devrions transf\u00e9rer toutes les comp\u00e9tences en mati\u00e8re de sant\u00e9 \u00e0 Bruxelles. Fermer les \u00e9coles \u00e0 Vienne ou ailleurs ne peut pas \u00eatre d\u00e9cid\u00e9 au niveau europ\u00e9en, mais, en temps de crise, nous devrions pouvoir centraliser de mani\u00e8re provisoire les \u00e9l\u00e9ments financiers et les d\u00e9cisions relatives \u00e0 l’achat d’\u00e9quipements m\u00e9dicaux. L’article 352 pourrait servir de base \u00e0 la cr\u00e9ation d’un m\u00e9canisme de crise europ\u00e9en qui s\u2019appliquerait \u00e0 toutes les crises futures, afin d’\u00eatre plus rapide et plus efficace.<\/p>\n\n\n\n

Pendant le Brexit, la Commission europ\u00e9enne a r\u00e9ussi \u00e0 pr\u00e9server l’unit\u00e9 des \u00c9tats membres tout au long des n\u00e9gociations. Combien de ce capital politique accumul\u00e9 va \u00eatre n\u00e9cessaire pour continuer \u00e0 parler d’une seule voix au sujet  de la future relation avec le Royaume-Uni ? Jusqu’\u00e0 quel point cette unit\u00e9 peut-elle \u00eatre pr\u00e9serv\u00e9e ? Combien de capital politique faudra-t-il pour g\u00e9rer cette relation ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n

Fr\u00e9deric M\u00e9rand<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Le Brexit m’a montr\u00e9 \u00e0 quel point les Nord-Am\u00e9ricains ne comprennent absolument rien \u00e0 l’Union europ\u00e9enne et \u00e0 la Commission. Pendant le Brexit, ou plut\u00f4t au moment du r\u00e9f\u00e9rendum du 23 juin 2016, presque tout le monde au Canada – dans les milieux d’affaires, dans les universit\u00e9s, dans les m\u00e9dias – \u00e9tait absolument persuad\u00e9 que cela m\u00e8nerait \u00e0 l’implosion de l’Union et \u00e0 une victoire tr\u00e8s large du Royaume-Uni dans les n\u00e9gociations. C’\u00e9tait le point de vue dominant. Cela a chang\u00e9 au cours des mois suivants, en partie parce que Justin Trudeau a adopt\u00e9 une position ferme en faveur de l’Union europ\u00e9enne, mais l’id\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale \u00e9tait toujours que cette unit\u00e9 ne pourrait pas toujours durer et que le Royaume-Uni prendrait le dessus. Pourtant, cela fait maintenant cinq ans et, d’un point de vue ext\u00e9rieur, l’Union fait toujours preuve d\u2019unit\u00e9 face au Royaume-Uni. Au Canada, nous vivons \u00e0 c\u00f4t\u00e9 des \u00c9tats-Unis, nous savons ce qu’est une relation asym\u00e9trique, nous savons ce que la d\u00e9pendance \u00e9conomique vis-\u00e0-vis de votre voisin signifie, nous savons que les n\u00e9gociations ne sont jamais termin\u00e9es – m\u00eame lorsqu\u2019il y a un accord commercial, vous ne savez jamais combien de temps il va tenir. Sur cette question, je trouve que la Commission europ\u00e9enne a \u00e9t\u00e9 extr\u00eamement efficace.<\/p>\n\n\n\n

Martin Selmayr<\/strong><\/h4>\n\n\n\n

Ce succ\u00e8s est le fruit d’un travail extr\u00eamement difficile. Il s\u2019agissait d\u2019une situation exceptionnelle pour l’Union et l’unit\u00e9 des 27 \u00e9tait indispensable puisque si nous nous \u00e9tions disput\u00e9s tout au long de cette p\u00e9riode, nous aurions sombr\u00e9 dans l’autodestruction. C’\u00e9tait une situation exceptionnelle, qui, je l’esp\u00e8re, ne se r\u00e9p\u00e9tera pas. L’un des principaux secrets de la r\u00e9ussite de ces n\u00e9gociations a \u00e9t\u00e9 Michel Barnier, que Juncker avait charg\u00e9 de diriger les n\u00e9gociations sur le Brexit – une d\u00e9cision qui, \u00e0 l’\u00e9poque, \u00e9tait courageuse parce que de nombreux \u00c9tats membres et beaucoup de membres de la Commission y \u00e9taient oppos\u00e9s. Nombre d\u2019entre eux voulaient qu’un commissaire soit charg\u00e9 du Brexit, et nombreux \u00e9taient ceux qui voulaient assumer eux-m\u00eames cette responsabilit\u00e9, m\u00eame certains fonctionnaires du Conseil. Mais la d\u00e9cision de Juncker a permis de s’assurer que les probl\u00e8mes li\u00e9s au Brexit restaient s\u00e9par\u00e9s du reste des activit\u00e9s de la Commission et ne figuraient pas \u00e0 son ordre du jour g\u00e9n\u00e9ral. Gr\u00e2ce \u00e0 la Task Force Barnier sp\u00e9cifiquement mobilis\u00e9e sur le Brexit, ce sujet n’a pas contamin\u00e9 outre mesure les activit\u00e9s de l\u2019Union, que ce soit sur l’\u00e9nergie, le climat, le num\u00e9rique, le commerce ou le nouveau cadre financier pluriannuel.  Il \u00e9tait \u00e9galement tr\u00e8s important – et c’est un autre indicateur de la Commission politique \u00e0 l’\u0153uvre – que Michel Barnier, un homme politique et non un technocrate, ait pris le relais et centralis\u00e9 le travail au nom du pr\u00e9sident, travaillant en \u00e9troite collaboration avec son cabinet.<\/p>\n\n\n\n

L’un des ingr\u00e9dients du succ\u00e8s dans les n\u00e9gociations sur le Brexit a \u00e9t\u00e9 ce que certains appellent la m\u00e9thode Juncker-Barnier : l’id\u00e9e que, pour les questions existentielles centrales, il faut \u00eatre encore plus prudent que d’habitude, et faire attention aux diff\u00e9rents niveaux de l\u00e9gitimit\u00e9 du travail de la Commission.<\/p>Martin Selmayr<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n

L’autre ingr\u00e9dient du succ\u00e8s a \u00e9t\u00e9 ce que certains appellent la m\u00e9thode Juncker-Barnier : l’id\u00e9e que, pour les questions existentielles centrales, il faut \u00eatre encore plus prudent que d’habitude, et faire attention aux diff\u00e9rents niveaux de l\u00e9gitimit\u00e9 du travail de la Commission. La Commission est \u00e9lue par le Parlement europ\u00e9en mais a \u00e9galement besoin de la confiance des 27 \u00c9tats membres pour \u00eatre l\u00e9gitime. Avec les n\u00e9gociations du Brexit, nous avons suivi cette d\u00e9marche dans les r\u00e8gles de l’art. Michel Barnier a syst\u00e9matiquement inform\u00e9 les membres du Parlement europ\u00e9en, mais aussi les \u00c9tats membres, les ambassadeurs du COREPER, etc. Cet engagement \u00e0 s\u2019adresser aux deux sources de l\u00e9gitimit\u00e9 a contribu\u00e9 au renforcement de la Commission europ\u00e9enne. Cela nous am\u00e8ne au Spitzenkandidat<\/em>. Le Spitzenkandidat<\/em> est mal compris comme une proc\u00e9dure que le Parlement europ\u00e9en impose aux \u00c9tats membres, mais le Spitzenkandidat<\/em> ne peut r\u00e9ussir que si le Parlement europ\u00e9en choisit un Spitzenkandidat<\/em> apr\u00e8s les \u00e9lections et trouve ensuite un accord avec le Conseil europ\u00e9en. M. Juncker est parvenu \u00e0 ce r\u00e9sultat en 2014 et j’esp\u00e8re vivement qu’en 2024, nous renouvellerons cette exp\u00e9rience, parce que c’est une bonne chose pour la d\u00e9mocratie europ\u00e9enne et pour une gestion politique efficace au niveau de l’Union. Le Spitzenkandidat<\/em>, un \u00e9l\u00e9ment important de la d\u00e9mocratie parlementaire europ\u00e9enne, est pour le moment endormi. Faisons en sorte de le r\u00e9veiller \u00e0 temps avant les prochaines \u00e9lections du Parlement europ\u00e9en. Nous le devons aux citoyens de l’Union.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

Dans cette conversation, Fr\u00e9d\u00e9ric M\u00e9rand et Martin Selmayr reviennent longuement sur les exp\u00e9riences et les pratiques de prise de d\u00e9cision \u00e0 l’int\u00e9rieur de la Commission europ\u00e9enne. 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