{"id":106245,"date":"2021-04-21T11:11:40","date_gmt":"2021-04-21T09:11:40","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=106245"},"modified":"2021-04-21T15:43:51","modified_gmt":"2021-04-21T13:43:51","slug":"geopolitique-du-climat-a-la-recherche-du-leadership-europeen","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/04\/21\/geopolitique-du-climat-a-la-recherche-du-leadership-europeen\/","title":{"rendered":"G\u00e9opolitique du climat : \u00e0 la recherche du leadership europ\u00e9en"},"content":{"rendered":"\n
Le Sommet du 22 avril consacre le retour am\u00e9ricain dans la lutte contre le changement climatique, enjeu global<\/a> dont l\u2019urgence est soulign\u00e9e depuis 30 ans par les rapports du GIEC. Mais les rares \u00c9tats \u00e0 avoir fait de la lutte contre le changement climatique une priorit\u00e9 politique n\u2019ont pas encore pris toute la mesure de ses cons\u00e9quences g\u00e9opolitiques. Il est pourtant urgent d\u2019anticiper cette g\u00e9opolitique du climat, \u00e0 l\u2019intersection de la politique int\u00e9rieure et de la politique \u00e9trang\u00e8re, et mobilisant de nombreux domaines habitu\u00e9s \u00e0 travailler en silos ainsi que de nombreux acteurs, au-del\u00e0 des seules puissances \u00e9tatiques. C\u2019est seulement \u00e0 cet aune que pourront se faire des avanc\u00e9es concr\u00e8tes, \u00e0 l\u2019horizon de la COP26 de Glasgow mais surtout au-del\u00e0. <\/p>\n\n\n\n L\u2019Union europ\u00e9enne a adopt\u00e9 au cours de l\u2019ann\u00e9e 2020 l\u2019une des politiques de lutte contre le changement climatique les plus ambitieuses au monde, le Pacte vert pour l\u2019Europe ou Green Deal<\/em> europ\u00e9en<\/a>, un plan multisectoriel d\u2019investissement de mille milliards d\u2019euros sur dix ans lanc\u00e9 par la Commission europ\u00e9enne fin 2019 \u2013 dont le plan Biden de \u00ab New Deal <\/a> \u00bb \u00e0 l\u2019ambition transformatrice sur le climat constitue aujourd\u2019hui le seul \u00e9quivalent.<\/p>\n\n\n\n Si le Green Deal europ\u00e9en int\u00e8gre des strat\u00e9gies sp\u00e9cifiques dans les domaines de l\u2019industrie, du climat, de la biodiversit\u00e9, de l\u2019alimentation, de l\u2019\u00e9nergie, de la mobilit\u00e9 et de la transition juste, nul volet ext\u00e9rieur n\u2019a \u00e9t\u00e9 d\u00e9fini et les cons\u00e9quences g\u00e9opolitiques du Green deal europ\u00e9en<\/a> commencent seulement \u00e0 \u00eatre \u00e9tudi\u00e9es. Dans la communication de la Commission europ\u00e9enne<\/a> \u00e0 l\u2019origine du Green deal<\/em>, la dimension internationale de la lutte contre le changement climatique est encore trop souvent r\u00e9duite \u00e0 la seule diplomatie climatique et aux actions de coop\u00e9ration men\u00e9es dans le cadre onusien, dont l\u2019Accord de Paris sur le climat conclu en 2015<\/a> constitue le paradigme. <\/p>\n\n\n\n Or, deux constats s\u2019imposent : d\u2019une part, celles-ci \u00e9chouent \u00e0 atteindre leurs objectifs, puisque trente ans de diplomatie climatique ont vu les \u00e9missions mondiales de GES augmenter de plus de 60 %<\/a> et que la disparition de la biodiversit\u00e9 et les cons\u00e9quences sociales du changement climatique ne sont pas prises en compte. D\u2019autre part et de mani\u00e8re plus fondamentale, la lutte contre le changement climatique est en train de devenir un enjeu g\u00e9opolitique \u00e0 part enti\u00e8re, int\u00e9gr\u00e9 aux rivalit\u00e9s de puissances<\/a>. Celle-ci affecte en effet de nombreux domaines : g\u00e9opolitique de l\u2019\u00e9nergie bien s\u00fbr, politique industrielle et commerciale, comp\u00e9tition strat\u00e9gique et s\u00e9curit\u00e9 nationale, mais aussi organisation sociale. Du fait de leur interconnexion, les politiques de transition ne peuvent se permettre de les aborder de mani\u00e8re sectorielle sous peine de voir changer les param\u00e8tres de l\u2019\u00e9quation ; autre complication, les cons\u00e9quences \u00e0 court terme ne pr\u00e9sagent pas toujours des cons\u00e9quences \u00e0 long terme des politiques choisies, comme le montre l\u2019exemple de la croissance \u00e0 court terme anticip\u00e9e de la demande de gaz naturel russe. La lutte contre le changement climatique est aussi un enjeu \u00e0 l\u2019intersection de la politique \u00e9trang\u00e8re et int\u00e9rieure. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur, la pr\u00e9occupation de la soci\u00e9t\u00e9 civile pour l\u2019environnement, notamment des jeunes g\u00e9n\u00e9rations, ne cesse de cro\u00eetre dans de nombreux pays, affectant les arbitrages politiques. Au niveau mondial, la lutte contre le changement climatique et pour la protection de la biodiversit\u00e9 est un enjeu de soft power<\/em> et de leadership<\/em>, mais aussi de comp\u00e9tition croissante, dans le cadre de la rivalit\u00e9 sino-am\u00e9ricaine en particulier.<\/p>\n\n\n\n Anticipant une victoire du candidat d\u00e9mocrate Joe Biden et un retour am\u00e9ricain sur la sc\u00e8ne climatique, le pr\u00e9sident chinois Xi Jinping cr\u00e9ait la surprise le 22 septembre dernier en annon\u00e7ant \u00e0 l\u2019Assembl\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale des Nations unies la d\u00e9cision de la Chine d\u2019atteindre la \u00ab neutralit\u00e9 carbone \u00bb en 2060<\/a>, et un pic d\u2019\u00e9mission de GES d\u2019ici 2030. Biden avait annonc\u00e9 d\u00e8s l\u2019\u00e9t\u00e9 2020 un objectif de neutralit\u00e9 carbone en 2050<\/a> similaire pour les \u00c9tats-Unis ; d\u00e8s sa prise de fonction, il a r\u00e9int\u00e9gr\u00e9 le pays dans l\u2019Accord de Paris, et fait de la lutte contre le changement climatique la priorit\u00e9 de son mandat. Si ces d\u00e9clarations sont prometteuses sur le plan climatique et constituent un v\u00e9ritable tournant, elles annoncent \u00e9galement des tensions g\u00e9opolitiques.<\/p>\n\n\n\n La Chine, l\u2019Union europ\u00e9enne et les \u00c9tats-Unis sont les trois plus gros pollueurs mondiaux et repr\u00e9sentent \u00e0 eux trois plus de 50 % des \u00e9missions mondiales de CO2<\/sub> en 2018<\/a>. La Chine en particulier est actuellement responsable de 28 % des \u00e9missions globales de CO2<\/sub>, soit l\u2019\u00e9quivalent de celles de l\u2019Union Europ\u00e9enne, des \u00c9tats-Unis et de l\u2019Inde r\u00e9unis. Bien qu\u2019en termes de stock, les \u00e9missions accumul\u00e9es de la Chine ne repr\u00e9sentent encore que la moiti\u00e9 du stock total de CO2<\/sub> \u00e9mis jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent par les \u00c9tats-Unis, le pays est depuis 2007 le premier pollueur mondial. Si la Chine, les \u00c9tats-Unis et l\u2019UE concr\u00e9tisent leurs annonces, l\u2019objectif de moins de 2\u00b0C de r\u00e9chauffement \u00e0 l\u2019horizon 2100 fix\u00e9 par l\u2019Accord de Paris pourrait encore \u00eatre atteint. Mais de nombreuses incertitudes p\u00e8sent sur la cr\u00e9dibilit\u00e9 des engagements chinois<\/a>, ainsi que sur la possibilit\u00e9 pour le pr\u00e9sident Biden de mettre en \u0153uvre<\/a> son programme climatique face aux contraintes politiques am\u00e9ricaines, notamment au Congr\u00e8s.<\/p>\n\n\n\n Les implications des engagements pris par les trois puissances d\u00e9passent pourtant la seule sph\u00e8re environnementale. La lutte contre le changement climatique est autant une question de survie \u00e0 long terme que de s\u00e9curit\u00e9 et de stabilit\u00e9 \u00e0 court et moyen terme. Selon la Banque mondiale, le nombre de d\u00e9plac\u00e9s climatiques internes est amen\u00e9 \u00e0 atteindre 140 millions de personnes en 2050<\/a>, et devient un facteur d\u2019instabilit\u00e9 politique majeur pour des r\u00e9gions d\u00e9j\u00e0 sujettes \u00e0 la pression d\u00e9mographique et au stress hydrique. La fourniture des infrastructures et des r\u00e9seaux n\u00e9cessaires \u00e0 la transition \u00e9nerg\u00e9tique<\/a> des pays les moins avanc\u00e9s est d\u00e9j\u00e0 un enjeu d\u2019influence et sera source de nouveaux rapports de d\u00e9pendance \u00e0 l\u2019\u00e9chelle globale. Si les enjeux li\u00e9s \u00e0 la pr\u00e9servation de la biodiversit\u00e9 demeurent souvent escamot\u00e9s par les chiffres des \u00e9missions de GES, ceux-ci ont des cons\u00e9quences g\u00e9opolitiques tout aussi cruciales, de l\u2019exploitation des ressources oc\u00e9aniques et amazoniennes \u00e0 l\u2019ouverture de nouvelles routes maritimes permanentes en Arctique\u2026 La d\u00e9corr\u00e9lation fr\u00e9quente entre politiques nationales et probl\u00e9matiques locales exacerbe enfin les tensions avec la soci\u00e9t\u00e9 civile, acteur \u00e0 part enti\u00e8re de la nouvelle g\u00e9opolitique du climat en gestation.<\/p>\n\n\n\n Dans le contexte de la rivalit\u00e9 politique et technologique sino-am\u00e9ricaine, la lutte contre le changement climatique risque surtout de devenir un nouveau terrain de comp\u00e9tition entre les deux puissances \u2013 soulevant la question du positionnement europ\u00e9en. La Chine occupe depuis plusieurs ann\u00e9es une position de leader<\/em> dans le secteur des technologies dites vertes \u00e0 plusieurs niveaux de la chaine de production. Il s\u2019agit du premier exportateur mondial de terres rares (62 % des importations de l\u2019UE de 2010 \u00e0 2014), mati\u00e8res premi\u00e8res entrant dans la composition des batteries \u00e9lectriques, des panneaux solaires et de nombreuses autres technologies vertes. Le pays est le premier producteur mondial de voitures \u00e9lectriques et de panneaux solaires, mais aussi le premier consommateur : en 2017, 21 % des ventes mondiales de v\u00e9hicules \u00e9lectriques \u00e9taient concentr\u00e9es dans six villes chinoises<\/a>. Le risque s\u2019accroit \u00e9galement de voir le d\u00e9veloppement des technologies vertes et de la g\u00e9oing\u00e9nierie faire l\u2019objet d\u2019une guerre sans merci o\u00f9 la r\u00e9tention de certaines technologies \u2013 comparable \u00e0 ce que l\u2019on peut observer aujourd\u2019hui dans le secteur des semi-conducteurs <\/a>\u2013 ralentira leur diffusion. Dans le domaine de la politique commerciale, la lutte contre le changement climatique pourrait aussi rapidement cr\u00e9er de nouvelles tensions. L\u2019Union europ\u00e9enne a d\u2019ores et d\u00e9j\u00e0 affich\u00e9 sa volont\u00e9 de mettre en place un m\u00e9canisme d\u2019ajustement carbone aux fronti\u00e8res<\/a> pour emp\u00eacher que la mise en \u0153uvre du Green deal europ\u00e9en ne p\u00e9nalise les entreprises europ\u00e9ennes sur les march\u00e9s mondiaux et ne favorise les \u00ab fuites de carbone \u00bb : il s\u2019agit aussi d\u2019inciter les pays partenaires \u00e0 adopter des politiques industrielles plus ambitieuses sur le plan climatique. Elle pourrait vouloir int\u00e9grer \u00e0 terme ses principaux partenaires \u00e9conomiques dans un \u00ab Club du climat \u00bb, caract\u00e9ris\u00e9 par des normes et des droits de douanes identiques en mati\u00e8re d\u2019\u00e9missions de GES. Si cette politique s\u2019av\u00e8re sans contexte n\u00e9cessaire, elle pourrait poser des difficult\u00e9s pour les Occidentaux ; en se superposant \u00e0 la relation transatlantique, un tel Club augmenterait les risques et le spectre de la guerre commerciale sino-am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n Cette rivalit\u00e9 croissante et ses manifestations sur les terrains climatiques et environnementaux feront forc\u00e9ment des perdants, \u00e0 commencer par l\u2019environnement lui-m\u00eame. La biodiversit\u00e9 est d\u00e9laiss\u00e9e des d\u00e9bats sur la lutte contre le changement climatique<\/a>, et les principales mesures annonc\u00e9es par les \u00c9tats-Unis et la Chine se concentrent sur la r\u00e9duction des \u00e9missions de CO2<\/sub> au d\u00e9triment de la lutte contre la sixi\u00e8me grande extinction en cours. La comp\u00e9tition climatique qui s\u2019annonce risque surtout de laisser les pays les moins avanc\u00e9s et en voie de d\u00e9veloppement sur la touche, d\u00e9pass\u00e9s par une escalade technologique et commerciale qui accroitra leurs d\u00e9pendances vis-\u00e0-vis de la Chine (terres rares, technologies propres) et des pays d\u00e9velopp\u00e9s (hydrog\u00e8ne vert, finance verte). Les pays qui ne pourront pas remplir les conditions n\u00e9cessaires \u00e0 l\u2019int\u00e9gration d\u2019un \u00ab Club du climat \u00bb centr\u00e9 autour de l\u2019Union europ\u00e9enne ou int\u00e9grer les nouvelles normes financi\u00e8res ESG verront leur d\u00e9veloppement commercial entrav\u00e9, de m\u00eame que leur acc\u00e8s \u00e0 l\u2019\u00e9nergie \u00e0 mesure que celui-ci d\u00e9pendra de plus en plus de technologies critiques \u2013 \u00e0 moins que les trois premiers pollueurs mondiaux ne s\u2019entendent pour accompagner la transition vers un d\u00e9veloppement soutenable du reste du monde, ce qui apparait \u00e0 l\u2019heure actuelle de plus en plus improbable. Dans un mod\u00e8le de politiques climatiques centr\u00e9es autour de la comp\u00e9tition technologique et commerciale, les revendications des soci\u00e9t\u00e9s civiles risquent \u00e9galement d\u2019\u00eatre escamot\u00e9es, et avec elle le lien revendiqu\u00e9 entre justice sociale et justice environnementale.<\/p>\n\n\n\n