1848<\/a> en Pologne. Et vice versa : les combattants des mouvements des nationalit\u00e9s europ\u00e9ennes vont se battre en Italie. L\u2019hymne national italien compare d\u2019ailleurs le combat des Italiens \u00e0 celui des Polonais. Il y a une dimension transnationale ind\u00e9niable dans l\u2019unit\u00e9 italienne. Les Fran\u00e7ais y ont particip\u00e9, le mouvement y est celui de la r\u00e9ciprocit\u00e9. Au XIXe si\u00e8cle, il n\u2019y a pas d\u2019antinomie entre le combat pour les nationalit\u00e9s et l\u2019internationalisme, qui ne se pense positivement qu\u2019en tant qu\u2019europ\u00e9en. L\u2019Unit\u00e9 italienne est donc un moment transnational europ\u00e9en.<\/p>\n\n\n\nComment, en jouant d\u2019un anachronisme bien ma\u00eetris\u00e9, peut-on rapprocher l\u2019unit\u00e9 europ\u00e9enne de l\u2019unit\u00e9 Italienne ?<\/h3>\n\n\n\n En prenant appui sur ce que firent les Italiens eux-m\u00eames. Ils ont rapproch\u00e9 les deux unit\u00e9s en 1961. Pour le premier centenaire de l\u2019Unit\u00e9 – proclam\u00e9e en mars 1861 – la comm\u00e9moration est lanc\u00e9e par le d\u00e9mocrate chr\u00e9tien Fanfani. Les Italiens d’alors voulaient dire, en quelque sorte, qu’ils c\u00e9l\u00e9braient le centenaire de l\u2019Unit\u00e9 comme un centenaire europ\u00e9en. Le cinquantenaire en 1911 ayant \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s nationaliste, on affirme, un demi-si\u00e8cle plus tard, pour l\u2019inauguration de la grande exposition en 1961, qu\u2019il y a une parent\u00e9 entre les id\u00e9es qui ont pr\u00e9sid\u00e9 \u00e0 la formation de l\u2019Italie il y a cent ans et celles qui viennent d’\u00e9clairer la construction de l\u2019Europe. Cavour pensait en son temps que si les Italiens prenaient Rome, ils seraient certains de rappeler \u00e0 l\u2019Europe que leur jeune pays avait une vocation m\u00e9diterran\u00e9enne.<\/p>\n\n\n\n
Il faut rappeler que nous sommes quelques ann\u00e9es seulement apr\u00e8s 1957 et le Trait\u00e9 de Rome, dans une Italie apais\u00e9e et confiante. La fa\u00e7on dont Fanfani use de cette rh\u00e9torique lui permet de dire que l\u2019Italie est vraiment un pays europ\u00e9en, un grand pays moderne, d\u00e9mocratique, industriel, etc. C\u2019est une id\u00e9e qui, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, ne va pas de soi pour le reste de l\u2019Europe. Il veut \u00e9tablir une analogie entre le processus de construction d\u2019un \u00c9tat progressiste et lib\u00e9ral Italien et celui d\u2019une d\u2019une union continentale aux id\u00e9es semblablement progressistes et lib\u00e9rales. Les Italiens ont voulu comparer leur destin \u00e0 celui de l\u2019Europe.<\/p>\n\n\n\n
L\u2019Unit\u00e9 italienne pr\u00e9figure donc celle de l\u2019Europe ?<\/h3>\n\n\n\n Ce syst\u00e8me d\u2019ad\u00e9quation et d’analogie a fonctionn\u00e9, en particulier en 1961. Mais historiquement on juge aussi d\u2019une unit\u00e9 \u00e9tatique par son ambition, par son projet. Dans le cas de l\u2019unit\u00e9 italienne, il s’agissait de mettre fin une organisation territoriale morcel\u00e9e, cette unit\u00e9 n\u2019avait donc de sens que comme ind\u00e9pendance<\/em>. L\u2019unit\u00e9 europ\u00e9enne a-t-elle le m\u00eame sens d\u2019\u00e9mancipation politique, en tant que projet int\u00e9gr\u00e9 d\u2019unit\u00e9 des gouvernements et des territoires ? L\u2019unit\u00e9 italienne n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 un accident de l\u2019histoire, contrairement \u00e0 ce qui a pu \u00eatre affirm\u00e9. Il y a derri\u00e8re un vrai projet int\u00e9gr\u00e9 : premi\u00e8rement, lib\u00e9rer l\u2019Italie de la pr\u00e9sence \u00e9trang\u00e8re ; deuxi\u00e8mement, cr\u00e9er une homog\u00e9n\u00e9isation des gouvernements de la p\u00e9ninsule vers l\u2019unit\u00e9 politique. L\u2019internationalisation de la p\u00e9ninsule a aussi \u00e9t\u00e9 le r\u00e9sultat de sa domination.<\/p>\n\n\n\nEn Europe, le projet d\u2019int\u00e9gration politique s\u2019est-il d\u00e9fini contre les autres continents, comme l\u2019Italie s\u2019est d\u00e9finie contre les autres puissances de l\u2019\u00e9poque ? L\u2019Italie, elle, s\u2019est b\u00e2tie contre le syst\u00e8me g\u00e9opolitique europ\u00e9en de Vienne. Or l\u2019Europe ne se b\u00e2tit pas contre un syst\u00e8me g\u00e9opolitique, mais contre la guerre. Ou alors, on pourrait dire que l\u2019Europe se b\u00e2tit, jusqu’en 1989, contre le communisme, mais on entre l\u00e0 dans une pens\u00e9e binaire, et on fait pencher l’Europe du c\u00f4t\u00e9 atlantiste.<\/p>\n\n\n\n
Il nous faut distinguer l\u2019usage que font les acteurs politiques d’un h\u00e9ritage historique et la r\u00e9alit\u00e9 de deux processus, l\u2019unit\u00e9 italienne et l\u2019unit\u00e9 europ\u00e9enne, qui ne sont pas vraiment historiquement comparables. Il n’en reste pas moins indispensable de rappeler que l’unit\u00e9 italienne fut d\u00e9j\u00e0 un processus europ\u00e9en, malgr\u00e9 toutes les reconstructions id\u00e9ologiques qui aiment \u00e0 mettre l’accent sur la sp\u00e9cificit\u00e9 nationale italienne.<\/p>\n\n\n\n
Certes, il est une formule historique li\u00e9e \u00e0 l’Unit\u00e9 des Italiens : \u00ab L\u2019Italia far\u00e0 da s\u00e9. <\/em> \u00bb. On pourrait la traduire par \u00ab L\u2019Italie se fera seule. \u00bb, \u00ab L’Italie se d\u00e9brouillera toute seule. \u00bb Or on sait bien que l\u2019Italie ind\u00e9pendante et unie ne s\u2019est pas forg\u00e9e toute seule. C\u2019est l\u00e0 une formule qui eut son utilit\u00e9 historique mais qui fut largement r\u00e9utilis\u00e9e par les fascistes, qui ont diffus\u00e9 l\u2019id\u00e9e fausse d\u2019un Risorgimento \u00ab endog\u00e8ne \u00bb nationaliste plus que national. Cette vision, loin d’\u00e9puiser la r\u00e9alit\u00e9, la fausse. En effet, les intellectuels, les patriotes et les r\u00e9volutionnaires Italiens \u00e9taient tr\u00e8s p\u00e9r\u00e9grins. Il y a toujours, nous l\u2019avons vu, une dimension transnationale europ\u00e9enne \u00e0 la r\u00e9volution Italienne au XIXe si\u00e8cle.<\/p>\n\n\n\nPensez vous donc que c\u2019est parce que l\u2019Italie \u00e9tait morcel\u00e9e qu\u2019elle \u00e9tait europ\u00e9enne ?<\/h3>\n\n\n\n Paradoxalement, le fait qu\u2019elle ait \u00e9t\u00e9 domin\u00e9e par l\u2019\u00e9tranger a favoris\u00e9 la circulation des id\u00e9es. Je ne cultive pas le paradoxe et je ne dis pas que c\u2019est l\u2019int\u00e9gration de l’Italie aux empires de l’\u00e9poque qui a \u00e9t\u00e9 un vecteur de son \u00e9mancipation, mais l\u2019internationalisation de la p\u00e9ninsule a aussi \u00e9t\u00e9 le r\u00e9sultat de sa domination. L\u2019\u00c9tat du pape (que l\u2019on appelle en France les<\/em> \u00c9tats du Pape), qui s\u00e9pare le Royaume des Deux-Siciles du nord de l’Italie, est certes conservateur, archa\u00efque, mais aussi un territoire \u00e9minemment cosmopolite. Le Royaume des Deux-Siciles abrite Naples, une des principales capitales culturelles europ\u00e9ennes.<\/p>\n\n\n\nQue signifie donc le mot d\u2019unit\u00e9, quel est son usage historique ?<\/h3>\n\n\n\n Au cours de la construction d’un \u00c9tat se pose n\u00e9cessairement le double probl\u00e8me de l\u2019unification du territoire et de l’int\u00e9gration de ses habitants. C’est dire que l’on travaille dans le temps court qui est militaire et diplomatique et dans un temps plus long qui est politique, social et culturel. Pour l\u2019Europe, cette vision des deux chronologies imbriqu\u00e9es n’\u00e9tait pas \u00e9vidente et s’est impos\u00e9e r\u00e9cemment. Et le temps court fut d’abord \u00e9conomique et diplomatique. Dans l\u2019Union, on pense le temps institutionnel ponctuellement : typiquement la m\u00e9thode consiste \u00e0 signer des trait\u00e9s et \u00e0 voir ce qu’ils donnent. Il y a quelques ann\u00e9es, un \u00e9diteur m\u2019avait demand\u00e9 d\u2019aller interroger Jean Boissonnat, grand Europ\u00e9en et ami de Delors. Selon Boissonnat, Monnet r\u00e9p\u00e9tait continuellement que l\u2019Europe \u00e9conomique \u00e9tait une fa\u00e7on d\u2019avancer masqu\u00e9 : Monnet avait un agenda politique. C\u2019est d\u2019ailleurs tr\u00e8s int\u00e9ressant d\u2019avoir un agenda politique cach\u00e9 derri\u00e8re l\u2019argument \u00e9conomique, alors que c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment cet argument \u00e9conomique qui est le plus difficile \u00e0 \u00ab vendre \u00bb en politique. <\/p>\n\n\n\n
Or c’est masqu\u00e9, les \u00ab yeux band\u00e9s \u00bb, que Cavour a progress\u00e9 pour convaincre la maison de Savoie, mais son projet politique est, pour lui aussi, clair depuis le d\u00e9but. Il a toujours souhait\u00e9 Rome comme capitale pour parfaire l\u2019unit\u00e9 du pays, et il est depuis le d\u00e9but un centralisateur. Je ne suis pas particuli\u00e8rement partisan d’une histoire uniquement centr\u00e9e sur de grands personnages, mais c\u2019est Cavour qui parvient \u00e0 rallier les mod\u00e9r\u00e9s et les radicaux sur un projet d\u2019int\u00e9gration territoriale. Mieux, Cavour songe d\u00e9j\u00e0 \u00e0 un grand pays ouvert sur la M\u00e9diterran\u00e9e : s\u2019il veut Rome comme capitale, ce n\u2019est pas \u00e0 cause de la grandeur et de la mythologie de la Rome de l’Antiquit\u00e9 et de la Renaissance. Il pense que si les Italiens prennent Rome, ils seront certains de rappeler \u00e0 l\u2019Europe que leur jeune pays a une vocation m\u00e9diterran\u00e9enne. D\u2019ailleurs, Cavour ne veut pas Naples comme capitale. En effet, la ville est trop au Sud et appartient aux Bourbons. Avec Rome, les Savoie s\u2019assurent qu\u2019ils occupent la ville des papes et qu\u2019ils s\u2019ouvrent \u00e0 l\u2019Italie toute enti\u00e8re. Le projet de Cavour et des Savoie est g\u00e9opolitique et il permet l\u2019insertion de l\u2019Italie dans l\u2019espace m\u00e9diterran\u00e9en. En 1870-1871, la propagande patriotique italienne met en avant une co\u00efncidence chronologique entre l\u2019instauration de Rome comme capitale et l\u2019inauguration du Canal de Suez. L\u2019Europe s\u2019ouvre \u00e0 la M\u00e9diterran\u00e9e et Rome est \u00e0 eux.<\/p>\n\n\n\n
Pour atteindre cette victoire \u00e9clatante, la classe politique des artisans du Risorgimento<\/em> a-t-elle progress\u00e9 dans l’improvisation ou en masquant ses intentions ? Certainement pas de fa\u00e7on improvis\u00e9e. Mais en alternant des phases r\u00e9volutionnaires et militaires et des phases diplomatiques. Et en concevant qu’il fallait entre 1859 et 1870 privil\u00e9gier une action progressive et graduelle pour deux raisons : d’abord, r\u00e9aliser l’union des deux Risorgimento<\/em>, celui des d\u00e9mocrates de Mazzini et Garibaldi et celui des lib\u00e9raux mod\u00e9r\u00e9s de Cavour et du roi Victor-Emmanuel ; et ensuite ne pas effrayer l’Europe.<\/p>\n\n\n\nPour Monnet et les p\u00e8res de l’Europe, il fallait agir vite dans le domaine \u00e9conomique, au d\u00e9but, parce que toute autre action \u00e9tait impossible, comme le rappelle l’\u00e9chec de la communaut\u00e9 de d\u00e9fense. Puis il s\u2019agissait de cr\u00e9er l\u2019unit\u00e9 politique d\u2019un continent : pour cela on pense le politique d\u2019abord, mais on ne le dit pas et on parle d\u2019\u00e9conomie. Cette conception semble banale en perspective, mais tr\u00e8s audacieuse et habile \u00e0 l’\u00e9poque.<\/p>\n\n\n\n\u00ab Pour Monnet et les p\u00e8res de l’Europe, il fallait agir vite dans le domaine \u00e9conomique, au d\u00e9but, parce que toute autre action \u00e9tait impossible… \u00bb<\/p>Gilles P\u00e9cout<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\nMais la culture dans tout cela ? C’est \u00e0 une rectrice de Paris, illustre de mes pr\u00e9d\u00e9cesseurs, qu’incombe la responsabilit\u00e9 d’un c\u00e9l\u00e8bre apocryphe de Monnet. H\u00e9l\u00e8ne Ahrweiler ouvrant les \u00c9tats g\u00e9n\u00e9raux des \u00e9tudiants europ\u00e9ens \u00e0 la Sorbonne en 1987 risqua cette proposition, usant d’un irr\u00e9el du pr\u00e9sent : \u00ab Jean Monnet pourrait s’\u00e9crier, si c’\u00e9tait \u00e0 refaire, je commencerais par la culture. \u00bb La formule a \u00e9t\u00e9 imm\u00e9diatement attribu\u00e9e \u00e0 Monnet et transport\u00e9e et exploit\u00e9e \u00e0 l’envi.<\/p>\n\n\n\n
Alors, \u00e0 partir de l\u00e0, la question que vous me permettez de me poser comme historien et comme responsable d’une politique publique d’\u00e9ducation est certes simple mais lancinante : la culture et l’\u00e9ducation doivent-elle \u00eatre au principe des processus de construction unitaire ou ne doivent-elles que compenser les difficult\u00e9s \u00e9conomiques et politiques ?<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"
Comment ? Voici comment.<\/p>\n","protected":false},"author":4,"featured_media":47339,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-interviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":true,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[2024],"tags":[],"geo":[1917],"class_list":["post-10598","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-histoire","staff-gilles-gressani","staff-matheo-malik","geo-europe"],"acf":[],"yoast_head":"\n
Enseigner l\u2019unit\u00e9 europ\u00e9enne, rencontre avec Gilles P\u00e9cout | Le Grand Continent<\/title>\n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n \n \n \n \n\t \n\t \n\t \n