{"id":102863,"date":"2021-03-17T23:23:48","date_gmt":"2021-03-17T22:23:48","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=102863"},"modified":"2021-03-22T08:56:01","modified_gmt":"2021-03-22T07:56:01","slug":"le-perimetre-adequat-de-la-gouvernance-mondiale","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/03\/17\/le-perimetre-adequat-de-la-gouvernance-mondiale\/","title":{"rendered":"Le p\u00e9rim\u00e8tre ad\u00e9quat de la gouvernance mondiale et le renforcement de la d\u00e9mocratie"},"content":{"rendered":"\n
Cette \u00e9tude est disponible en version anglaise<\/a> sur le site du Groupe d’\u00e9tudes g\u00e9opolitiques.<\/p>\n\n\n\n On consid\u00e8re souvent qu\u2019une plus grande interd\u00e9pendance exige plus de gouvernance globale, mais cette affirmation exige un examen minutieux. Les effets transnationaux n\u2019exigent pas toujours des r\u00e8gles internationales. Les arguments classiques en faveur de la gouvernance mondiale reposent sur deux \u00e9l\u00e9ments contradictoires : les biens communs mondiaux et les politiques protectionnistes ou \u00ab beggar-thy-neighbor \u00bb (BTN). L\u2019\u00e9conomie mondiale n\u2019est pas un bien commun mondial (en dehors du changement climatique), et la plupart de nos discussions actuelles portent sur des politiques qui ne sont pas de v\u00e9ritables BTN. Certaines de ces politiques sont des politiques d\u2019appauvrissement, d\u2019autres peuvent produire des b\u00e9n\u00e9fices internes, en s\u2019attaquant \u00e0 de r\u00e9elles distorsions du march\u00e9 ou \u00e0 des objectifs sociaux l\u00e9gitimes. Les arguments en faveur d\u2019une gouvernance mondiale pour de telles politiques sont, selon moi, tr\u00e8s friables, et peuvent-\u00eatre d\u00e9pass\u00e9s par le risque que la surveillance ou la r\u00e9glementation mondiale se retourne contre elle. Si ces domaines politiques sont certainement truff\u00e9s d\u2019\u00e9checs, ces derniers ne sont pas dus \u00e0 des faiblesses de la gouvernance mondiale, mais \u00e0 des d\u00e9faillances de la gouvernance nationale et ne peuvent \u00eatre corrig\u00e9s par des accords internationaux ou une coop\u00e9ration multilat\u00e9rale. Je d\u00e9fends un mode de gouvernance mondiale que j\u2019appelle \u00ab gouvernance mondiale favorisant la d\u00e9mocratie \u00bb, \u00e0 distinguer de la \u00ab gouvernance mondiale favorisant la mondialisation \u00bb<\/em> <\/span>1<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Dans une \u00e9conomie mondiale devenue tr\u00e8s int\u00e9gr\u00e9e, les probl\u00e8mes semblent toujours n\u00e9cessiter une plus grande coop\u00e9ration internationale et une meilleure gouvernance transnationale. La r\u00e9action populiste, ainsi que les politiques commerciales de l’ex-Pr\u00e9sident am\u00e9ricain Donald Trump, ont aliment\u00e9 les appels lanc\u00e9s par les \u00e9conomistes, les technocrates et les commentateurs en faveur d\u2019une plus grande internationalisation. \u00ab Tout probl\u00e8me qui d\u00e9stabilise le monde est un probl\u00e8me global et ne peut \u00eatre confront\u00e9 qu\u2019avec une coalition globale \u00bb a \u00e9crit r\u00e9cemment le chroniqueur du New York Times<\/em>, Thomas Friedman. Ou, comme l\u2019a dit Nemat Shafik, alors Directeur g\u00e9n\u00e9ral adjoint du Fonds mon\u00e9taire international, en 2013, \u00ab Ce qui se passe n\u2019importe o\u00f9 affecte tout le monde, et ce de plus en plus \u00bb <\/span>2<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Il est donc assez clair que le monde doit amplifier la coordination et la coop\u00e9ration internationales <\/span>3<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Lorsque le r\u00e9seau europ\u00e9en VoxEU a sollicit\u00e9 les conseils d\u2019\u00e9conomistes de renom sur la mani\u00e8re de rem\u00e9dier aux faiblesses du syst\u00e8me financier mondial au lendemain de la crise de 2008, les solutions propos\u00e9es ont souvent pris la forme de r\u00e8gles internationales plus strictes administr\u00e9es par une sorte de technocratie : un tribunal international des faillites, une organisation financi\u00e8re mondiale, une charte bancaire internationale ou un pr\u00eateur international de dernier recours <\/span>4<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Si le nationalisme semble s\u2019imposer en politique, la gouvernance mondiale r\u00e8gne en \u00e9conomie.<\/p>\n\n\n\n Il est tentant de penser qu\u2019une plus grande interd\u00e9pendance n\u00e9cessite une gouvernance mondiale accrue, mais cette affirmation exige un examen minutieux. D\u2019une part, l\u2019interd\u00e9pendance brouille la distinction entre ce qui est national et ce qui est international. D\u2019autre part, subsiste une diversit\u00e9 institutionnelle consid\u00e9rable entre les nations, enracin\u00e9e dans des trajectoires historiques, culturelles ou de d\u00e9veloppement diff\u00e9rentes. Cette diversit\u00e9 se refl\u00e8te \u00e0 la fois dans des pr\u00e9f\u00e9rences diff\u00e9rentes (\u00ab fonctions objectives \u00bb) et dans des perceptions diff\u00e9rentes du fonctionnement du monde. Il est donc difficile pour les pays de s\u2019entendre sur des politiques ou des r\u00e8gles communes. Le conflit commercial qui oppose aujourd\u2019hui les \u00c9tats-Unis et la Chine est l\u2019exemple paroxystique des tensions qui surgissent en l\u2019absence d\u2019une solution satisfaisante \u00e0 ce dilemme <\/span>5<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans quelles hypoth\u00e8ses les r\u00e8gles mondiales devraient-elles l\u2019emporter sur les diff\u00e9rences nationales et imposer des solutions communes ?<\/p>\n\n\n\n Dans quelles hypoth\u00e8ses les r\u00e8gles mondiales devraient-elles l\u2019emporter sur les diff\u00e9rences nationales et imposer des solutions communes ?<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Pensez aux politiques suivantes : politiques \u00e9ducatives, limitations de vitesse sur les autoroutes, taxes sur l\u2019essence, subventions agricoles, droits d\u2019importation sur les voitures, paradis fiscaux.<\/p>\n\n\n\n Dans un monde \u00e9conomiquement interd\u00e9pendant, chacune de ces politiques produit des externalit\u00e9s transfrontali\u00e8res sur d\u2019autres nations. Les trois derni\u00e8res politiques cit\u00e9es sont g\u00e9n\u00e9ralement consid\u00e9r\u00e9es internationales et soumises \u00e0 la gouvernance mondiale. Les trois premi\u00e8res sont g\u00e9n\u00e9ralement consid\u00e9r\u00e9es comme des politiques \u00ab int\u00e9rieures \u00bb, mais elles ont \u00e9galement des implications mondiales. Les politiques \u00e9ducatives peuvent fa\u00e7onner l\u2019avantage comparatif d\u2019un pays et influencer ainsi ses termes de l\u2019\u00e9change (et ceux d\u2019autres pays). Les limitations de vitesse sur les autoroutes et les taxes sur l\u2019essence affectent la demande int\u00e9rieure de p\u00e9trole et donc le prix du p\u00e9trole sur les march\u00e9s mondiaux. La pr\u00e9sence de retomb\u00e9es transfrontali\u00e8res ne semble pas \u00eatre une condition suffisante pour une gouvernance mondiale.<\/p>\n\n\n\n En fait, on ne sait pas du tout comment la ligne de d\u00e9marcation qui est trac\u00e9e de mani\u00e8re conventionnelle entre les deux ensembles de politiques se dessine vraiment. Devrions-nous nous concentrer sur l\u2019ampleur des cons\u00e9quences transfrontali\u00e8res ? Il s\u2019agit d\u2019une question empirique qui n\u00e9cessite une analyse au cas par cas. Par exemple, les taxes sur l\u2019essence aux \u00c9tats-Unis et en Europe ont probablement un impact bien plus important sur les march\u00e9s mondiaux que les tarifs automobiles dans les pays de petite ou moyenne taille. Devrions-nous plut\u00f4t nous demander s\u2019il y a un pr\u00e9judice pour les autres nations ? Mais les subventions \u00e0 l\u2019exportation des produits agricoles sont b\u00e9n\u00e9fiques en termes nets pour le reste du monde, car elles d\u00e9t\u00e9riorent les termes de l\u2019\u00e9change du pays qui les accorde et am\u00e9liorent les termes de l\u2019\u00e9change du reste du monde. Peut-\u00eatre devrions-nous nous concentrer sur l\u2019objectif d\u00e9clar\u00e9 de la politique : int\u00e9rieure ou internationale ? Pourtant, les investissements dans l\u2019\u00e9ducation sont souvent justifi\u00e9s par le souci d\u2019accro\u00eetre la comp\u00e9titivit\u00e9 internationale d\u2019un pays, ce qui les rend aussi internationaux, en ce sens, que les politiques commerciales. Aucun de ces crit\u00e8res n\u2019explique bien pourquoi la premi\u00e8re s\u00e9rie de politiques est \u00ab int\u00e9rieure \u00bb et la seconde \u00ab internationale \u00bb. Le probl\u00e8me de la gouvernance mondiale est que de nombreuses politiques se sont \u00ab internationalis\u00e9es \u00bb par hasard ou par l\u2019action de lobbies<\/em> politiques, plut\u00f4t qu\u2019en raison de distinctions fond\u00e9es sur des principes.<\/p>\n\n\n\n L\u2019argument classique en faveur de la gouvernance mondiale repose sur deux s\u00e9ries de circonstances <\/span>6<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La premi\u00e8re se produit lorsqu\u2019il existe un bien public mondial (BPM). Le cas classique est celui des politiques de contr\u00f4le du carbone en pr\u00e9sence d\u2019un changement climatique. Le second est repr\u00e9sent\u00e9 par les politiques protectionnistes ou \u00ab beggar-thy-neighbor <\/em> \u00bb (BTN). Une politique BTN est une politique qui produit un transfert de revenus du reste du monde vers l\u2019\u00e9conomie domestique tout en produisant par ricochet une inefficience globale. L\u2019exploitation d\u2019un pouvoir monopolistique s\u2019agissant d\u2019un m\u00e9tal rare sur les march\u00e9s mondiaux en limitant les ventes \u00e0 l\u2019\u00e9tranger en serait un exemple. Ces deux types de circonstances fournissent des arguments irr\u00e9futables en faveur d\u2019une gouvernance mondiale \u00e9tablissant et appliquant des lignes directrices sur ce que les pays peuvent faire par eux-m\u00eames. Toutefois, leur pertinence par rapport aux questions politiques contemporaines est beaucoup plus limit\u00e9e qu\u2019on ne le pense g\u00e9n\u00e9ralement. Comme je le montrerai ci-dessous, l\u2019\u00e9conomie mondiale n\u2019est pas un bien commun mondial, et pratiquement aucune politique \u00e9conomique n\u2019a la nature d\u2019un bien (ou d\u2019un mal) public mondial. Et s\u2019il existe quelques politiques importantes en mati\u00e8re de BTN, une grande partie de nos discussions actuelles portent sur des politiques qui ne sont pas de v\u00e9ritables BTN. Les subventions, les politiques industrielles, les tarifs douaniers qui prot\u00e8gent l\u2019emploi, les mesures non tarifaires qui ciblent la sant\u00e9 ou les pr\u00e9occupations sociales, les mauvaises r\u00e9glementations financi\u00e8res, les politiques fiscales inappropri\u00e9es (excessivement aust\u00e8res) ou le cloisonnement d\u2019Internet ne sont ni des BPM ni des BTN. Certaines de ces politiques sont des politiques d\u2019appauvrissement (ou de type \u00ab beggar-thyself <\/em> \u00bb) ; d\u2019autres peuvent produire des avantages nationaux, en s\u2019attaquant aux distorsions r\u00e9elles du march\u00e9 ou en poursuivant des objectifs sociaux l\u00e9gitimes. Les arguments en faveur d\u2019une gouvernance mondiale dans le cadre de ces politiques sont, selon moi, tr\u00e8s faibles, et peut-\u00eatre plus que contrebalanc\u00e9s par le risque que la surveillance ou la r\u00e9glementation mondiale pourrait empirer la situation.<\/p>\n\n\n\n Lorsque de grands pays commettent de graves erreurs politiques, d\u2019autres pays en paient \u00e9galement le prix. Ces \u00e9checs ne sont pas dus \u00e0 des faiblesses de la gouvernance mondiale, mais \u00e0 des d\u00e9faillances de la gouvernance nationale. Ces d\u00e9faillances ne peuvent pas \u00eatre corrig\u00e9es par des accords internationaux ou une coop\u00e9ration multilat\u00e9rale.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Tout cela ne veut pas dire que nous vivons dans un monde panglossien o\u00f9 toute politique est pour le mieux non efficiente et inefficace. Les domaines politiques que je viens de soulever sont certainement pleins d\u2019\u00e9checs. Lorsque de grands pays commettent de graves erreurs politiques, comme c\u2019est le cas des \u00c9tats-Unis avec leur r\u00e9glementation financi\u00e8re laxiste \u00e0 l\u2019approche de la crise financi\u00e8re mondiale de 2007-2008, d\u2019autres pays en paient \u00e9galement le prix. Mon argument est que ces \u00e9checs ne sont pas dus \u00e0 des faiblesses de la gouvernance mondiale, mais \u00e0 des d\u00e9faillances de la gouvernance nationale. Ces d\u00e9faillances ne peuvent pas \u00eatre corrig\u00e9es par des accords internationaux ou une coop\u00e9ration multilat\u00e9rale. Les contraintes ext\u00e9rieures peuvent en fait aggraver les \u00e9checs de la gouvernance nationale, dans la mesure o\u00f9 elles renforcent des groupes exigeant des distributions de ressources pr\u00e9f\u00e9rentielles au d\u00e9triment du grand public. \u00c0 la fin de cet article, je propose un mode de gouvernance mondiale que j\u2019appelle \u00ab gouvernance mondiale favorisant la d\u00e9mocratie \u00bb. Contrairement \u00e0 la \u00ab gouvernance mondiale favorisant la mondialisation \u00bb, la gouvernance mondiale favorisant la d\u00e9mocratie laisserait la plupart des domaines politiques \u00e0 la r\u00e9glementation nationale, la surveillance mondiale se limitant \u00e0 des garanties proc\u00e9durales \u2013\u202ftelles que la transparence, la responsabilit\u00e9, l\u2019utilisation de preuves scientifiques\/\u00e9conomiques \u2013 destin\u00e9es \u00e0 renforcer la d\u00e9lib\u00e9ration d\u00e9mocratique.<\/p>\n\n\n\n Il est utile de disposer d\u2019un cadre explicite pour analyser les questions qui se posent en pr\u00e9sence d\u2019externalit\u00e9s transfrontali\u00e8res et pour distinguer les diff\u00e9rents types de probl\u00e9matiques <\/span>7<\/sup><\/a><\/span><\/span>. En envisageant ces probl\u00e9matiques en mati\u00e8re de fonctions d\u2019utilit\u00e9 des pays concern\u00e9s, on ne peut pas n\u00e9gliger le fait que le bien-\u00eatre int\u00e9rieur et ext\u00e9rieur est affect\u00e9 non seulement par les politiques propres d\u2019un pays, mais aussi par les politiques BTN des pays \u00e9trangers. Les externalit\u00e9s peuvent \u00eatre n\u00e9gatives ou positives, selon la politique en question. Lorsque les pays agissent de mani\u00e8re ind\u00e9pendante, en maximisant leur propre utilit\u00e9 et en ignorant les effets de leurs choix sur les autres pays, un r\u00e9sultat standard montre que l\u2019\u00e9quilibre (de Nash) qui en r\u00e9sulte sera inefficient. Les politiques ayant des externalit\u00e9s n\u00e9gatives seront surabondantes, et les politiques ayant des retomb\u00e9es positives seront sous-abondantes. Les taxes et subventions pigouviennes qui permettent l\u2019internalisation de ces externalit\u00e9s transfrontali\u00e8res sont \u00e9videmment peu envisageables dans ce contexte.<\/p>\n\n\n\n En g\u00e9n\u00e9ral, l\u2019on soutien qu\u2019il existe deux types de situations dans lesquelles tous les pays pourraient \u00eatre mieux lotis gr\u00e2ce \u00e0 des r\u00e8gles mondiales qui disciplinent les politiques int\u00e9rieures et \u00e9trang\u00e8res. Je les analyse les unes apr\u00e8s les autres.<\/p>\n\n\n\n Supposons qu\u2019en plus de leurs effets directs, les politiques int\u00e9rieure et ext\u00e9rieure contribuent conjointement \u00e0 cr\u00e9er un b\u00e9n\u00e9fice (ou un pr\u00e9judice) global, qui est non-rival et dont les pays individuels ne peuvent \u00eatre exclus. Supposons \u00e9galement que, pour un ensemble identique de politiques, la contribution de chaque pays au b\u00e9n\u00e9fice (ou au pr\u00e9judice) global soit proportionnelle \u00e0 sa taille.<\/p>\n\n\n\n Dans ce cas, on peut montrer que lorsque les pays sont petits, ils n\u00e9gligent l\u2019effet de leurs politiques sur le b\u00e9n\u00e9fice (ou le pr\u00e9judice) global. \u00c9tant donn\u00e9 que ces effets sont syst\u00e9matiquement n\u00e9glig\u00e9s, les biens publics mondiaux seront sous-produits et les maux publics mondiaux, surproduits. L\u2019exemple le plus connu est celui des \u00e9missions de gaz \u00e0 effet de serre (GES), un mal public mondial au regard du changement climatique. La politique consiste ici \u00e0 contr\u00f4ler les GES. Comme ces contr\u00f4les sont co\u00fbteux au niveau national tout en n\u2019apportant que des avantages mondiaux, les pays seront incit\u00e9s \u00e0 les r\u00e9duire au minimum. Un accord mondial plafonnant les niveaux d\u2019\u00e9mission de GES au niveau national permettrait \u00e0 tous les pays d\u2019avoir une porte de sortie \u00e0 condition qu\u2019ils soient suffisamment similaires ou que les plafonds soient adapt\u00e9s \u00e0 la situation de chaque pays.<\/p>\n\n\n\n Lorsque les commentateurs d\u00e9crivent l\u2019\u00e9conomie mondiale comme un \u00ab bien commun mondial \u00bb ou le libre-\u00e9change comme un bien public mondial, ils ont un argument similaire \u00e0 l\u2019esprit. Mais cette analogie est trompeuse. Les politiques \u00e9conomiques qui sont b\u00e9n\u00e9fiques pour l\u2019\u00e9conomie mondiale ont \u00e9galement tendance \u00e0 \u00eatre b\u00e9n\u00e9fiques pour l\u2019\u00e9conomie nationale ; il s\u2019agit principalement de biens priv\u00e9s, plut\u00f4t que de biens publics.<\/p>\n\n\n\n Tout d\u2019abord, examinons la politique commerciale. Il se pourrait bien que des politiques commerciales ouvertes contribuent \u00e0 un bien public mondial : les avantages du commerce peuvent augmenter avec le nombre de pays qui pratiquent le libre-\u00e9change. Mais la question pertinente est de savoir si un pays qui ne tient pas compte de cet avantage ext\u00e9rieur serait incit\u00e9 \u00e0 poursuivre des politiques commerciales globalement sous-optimales. Pour un petit pays, la r\u00e9ponse est non. Le libre-\u00e9change est la politique optimale pour des raisons int\u00e9rieures, ind\u00e9pendamment des politiques des autres pays. En d\u2019autres termes, l\u2019utilit\u00e9 int\u00e9rieure est maximis\u00e9e lorsque les barri\u00e8res tarifaires et non tarifaires sont fix\u00e9es \u00e0 z\u00e9ro. (Je reviendrai plus tard sur le cas du tarif optimal pour un grand pays.) Ce cas est tr\u00e8s diff\u00e9rent de celui des GES, o\u00f9 les politiques sont co\u00fbteuses au niveau national et o\u00f9 le pays d\u2019origine souhaite fixer les contr\u00f4les des GES \u00e0 leur limite inf\u00e9rieure. Les pays font des \u00e9changes commerciaux non pas pour conf\u00e9rer des avantages \u00e0 leurs partenaires, mais pour r\u00e9colter les gains nationaux r\u00e9sultant de ces \u00e9changes. Et lorsqu\u2019ils renoncent \u00e0 ces b\u00e9n\u00e9fices, le probl\u00e8me n\u2019est pas li\u00e9 \u00e0 l\u2019absence de gouvernance mondiale ; l\u2019\u00e9chec le plus important se situe au niveau national, celui de la gouvernance int\u00e9rieure.<\/p>\n\n\n\n La m\u00eame logique s\u2019applique dans de nombreux autres domaines politiques o\u00f9 une politique \u00e9conomique efficiente apporte des b\u00e9n\u00e9fices \u00e0 elle seule. Prenons l\u2019exemple des march\u00e9s financiers. Une r\u00e9glementation prudentielle garantit que les interm\u00e9diaires financiers ne prennent pas trop de risques et que la stabilit\u00e9 financi\u00e8re est maintenue. Lorsque les centres financiers m\u00e8nent des politiques appropri\u00e9es, ils renforcent la stabilit\u00e9 et la solidit\u00e9 financi\u00e8res de l\u2019\u00e9conomie mondiale dans son ensemble. Mais ces centres ont toutes les raisons du monde d\u2019adopter de telles politiques puisqu\u2019ils seront les premiers \u00e0 supporter les co\u00fbts des crises financi\u00e8res. La crise financi\u00e8re mondiale de 2008 est peut-\u00eatre due au laxisme de la r\u00e9glementation financi\u00e8re aux \u00c9tats-Unis. Mais ces erreurs politiques ne sont pas dues au manque d\u2019int\u00e9r\u00eat du gouvernement am\u00e9ricain pour l\u2019\u00e9conomie mondiale. Elles \u00e9taient plut\u00f4t le r\u00e9sultat d\u2019une s\u00e9rie de mauvais jugements concernant les cons\u00e9quences int\u00e9rieures de la lib\u00e9ralisation financi\u00e8re. Les r\u00e9gulateurs am\u00e9ricains n\u2019avaient pas besoin d\u2019un plus grand cosmopolitisme ; ils avaient besoin d\u2019un meilleur sens de l\u2019int\u00e9r\u00eat national.<\/p>\n\n\n\n Les erreurs politiques de la crise financi\u00e8re mondiale de 2008 ne sont pas dues au manque d\u2019int\u00e9r\u00eat du gouvernement am\u00e9ricain pour l\u2019\u00e9conomie mondiale. Elles \u00e9taient plut\u00f4t le r\u00e9sultat d\u2019une s\u00e9rie de mauvais jugements concernant les cons\u00e9quences int\u00e9rieures de la lib\u00e9ralisation financi\u00e8re. Les r\u00e9gulateurs am\u00e9ricains n\u2019avaient pas besoin d\u2019un plus grand cosmopolitisme ; ils avaient besoin d\u2019un meilleur sens de l\u2019int\u00e9r\u00eat national.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Des arguments similaires peuvent \u00eatre avanc\u00e9s en ce qui concerne la politique fiscale, la politique de l\u2019imp\u00f4t et la r\u00e9glementation en g\u00e9n\u00e9ral. Une aust\u00e9rit\u00e9 excessive peut \u00eatre pr\u00e9judiciable \u00e0 l\u2019\u00e9conomie mondiale, mais les co\u00fbts sont avant tout support\u00e9s au niveau national. Des politiques fiscales inappropri\u00e9es ou des r\u00e9glementations mal con\u00e7ues nuisent beaucoup plus \u00e0 l\u2019\u00e9conomie nationale qu\u2019elles ne nuisent aux autres nations. Dans tous ces domaines, les politiques qui soutiennent une \u00e9conomie mondiale saine sont \u2013\u202fou devraient \u00eatre, avec une gouvernance nationale appropri\u00e9e\u202f\u2013 dans l\u2019int\u00e9r\u00eat de chaque pays. La mesure dans laquelle la gouvernance mondiale peut aider \u00e0 r\u00e9soudre les probl\u00e8mes de gouvernance nationale est une question diff\u00e9rente, sur laquelle je reviendrai plus tard. Pour l\u2019instant, le fait est que la plupart des politiques \u00e9conomiques standardis\u00e9es ne peuvent pas \u00eatre consid\u00e9r\u00e9es comme des BPM.<\/p>\n\n\n\n Les politiques protectionnistes ou BTN n\u2019apportent des avantages au pays qui les prend que dans la mesure o\u00f9 elles nuisent \u00e0 d\u2019autres pays. En outre, elles g\u00e9n\u00e8rent une inefficience globale, une pure perte. Un exemple bien connu d’une telle politique commerciale est le tarif dit optimal, par lequel un grand pays peut manipuler ses termes de l\u2019\u00e9change en limitant ses importations (ou exportations). \u00c9tant donn\u00e9 que d\u2019autres nations sont confront\u00e9es \u00e0 des incitations similaires, tous les pays (ou la plupart d\u2019entre eux) finissent par se retrouver dans une situation d\u00e9grad\u00e9e en s\u2019engageant dans des pratiques commerciales destructrices de valeur <\/span>8<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Ce type de probl\u00e8me fournit le deuxi\u00e8me argument typique en faveur de la gouvernance mondiale. Il peut \u00eatre utile, dans la pratique, de faire la distinction entre les politiques BTN et celles qui ne le sont pas, afin de d\u00e9terminer les limites des r\u00e8gles internationales souhaitables. Par exemple, mes coll\u00e8gues et moi-m\u00eame avons propos\u00e9 une approche des relations \u00e9conomiques entre les \u00c9tats-Unis et la Chine qui consiste \u00e0 isoler clairement les politiques BTN <\/span>9<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/em><\/p>\n\n\n\n Prenons l\u2019exemple de deux pays. Les fonctions d\u2019utilit\u00e9 des deux pays peuvent \u00eatre repr\u00e9sent\u00e9es comme la somme de deux composantes, une partie r\u00e9guli\u00e8re, qui ne d\u00e9pend que des politiques propres \u00e0 chaque pays, et une seconde partie qui refl\u00e8te seulement les transferts de valeur entre les deux pays. Notez que dans ce cas, le transfert de valeur est un jeu \u00e0 somme nulle : tout gain de l\u2019\u00c9tat d\u2019origine au titre de sa politique se fait au d\u00e9triment de l\u2019\u00c9tat \u00e9tranger, et vice versa<\/em>. Pour simplifier, supposons que les deux pays sont identiques. En \u00e9quilibre, aucun des deux pays n\u2019est en mesure d\u2019extraire des transferts de valeur de l\u2019autre. Mais en essayant de se mettre r\u00e9ciproquement en difficult\u00e9, ils sont tous les deux pouss\u00e9s \u00e0 prendre des mesures inefficientes. C\u2019est exactement ce qui se produit dans le cas du tarif optimal.<\/p>\n\n\n\n Un autre exemple serait l\u2019utilisation de politiques mon\u00e9taires mercantiles. Supposons que le ch\u00f4mage est \u00e9lev\u00e9 dans les deux pays, et que chacun profiterait s\u2019il pouvait enregistrer un exc\u00e9dent commercial. Chaque pays tente de sous-\u00e9valuer sa monnaie ou de suivre d\u2019autres politiques pour am\u00e9liorer sa balance commerciale. Mais l\u2019exc\u00e9dent commercial d\u2019un pays est le d\u00e9ficit commercial de l\u2019autre. En fin de compte, ces efforts se compensent mutuellement. Aucun des deux pays ne se retrouve avec un taux d\u2019emploi plus \u00e9lev\u00e9, mais tous deux subissent les co\u00fbts accessoires des politiques mercantiles.<\/p>\n\n\n\n Comme les BTN sont des politiques \u00e0 somme n\u00e9gative, il y a une forte pr\u00e9somption qu\u2019elles devraient \u00eatre restreintes en utilisant des r\u00e8gles mondiales. Notez que dans les deux exemples que j\u2019ai utilis\u00e9s ci-dessus, il est \u00e9galement vrai que les deux pays sont mieux lotis lorsque leur autonomie politique est limit\u00e9e (en plafonnant les actions unilat\u00e9rales possibles) que lorsqu\u2019ils disposent d\u2019une autonomie compl\u00e8te. Sous r\u00e9serve des commentaires habituels concernant les probl\u00e8mes d\u2019engagements, ce sont des arguments relativement faciles en faveur de la gouvernance mondiale <\/span>10<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Mais il y a d\u2019autres cas de politiques BTN o\u00f9 un ou plusieurs pays seraient moins bien lotis dans l\u2019\u00e9quilibre coop\u00e9ratif (les paiements subs\u00e9quents par les pays b\u00e9n\u00e9ficiaires aux pays perdants excluraient une telle possibilit\u00e9, mais ils sont difficiles \u00e0 mettre en \u0153uvre dans un contexte mondial). Dans le jeu de tarif optimal dont j\u2019ai parl\u00e9, en pr\u00e9sence d\u2019une asym\u00e9trie, il est possible que l\u2019un des pays pr\u00e9f\u00e8re l\u2019\u00e9quilibre de Nash \u00e0 l\u2019\u00e9quilibre coop\u00e9ratif : un grand pays gagne plus \u00e0 manipuler ses termes de l\u2019\u00e9change qu\u2019un petit, et a plus \u00e0 perdre des disciplines internationales. La possibilit\u00e9 d\u2019un cartel mondial, mentionn\u00e9 dans l\u2019introduction, est un autre exemple.<\/p>\n\n\n\n Supposons qu\u2019un certain nombre d\u2019exportateurs d\u2019un produit de base essentiel se soient organis\u00e9s en cartel et qu\u2019ils soient confront\u00e9s \u00e0 un grand nombre de petits importateurs. Un \u00e9quilibre coop\u00e9ratif qui les emp\u00eacherait d\u2019exercer un pouvoir monopolistique laisserait certainement les membres du cartel plus pauvres. Dans ce cas, il n\u2019y a aucune raison pour ces pays d\u2019adh\u00e9rer \u00e0 un quelconque syst\u00e8me de gouvernance mondiale.<\/p>\n\n\n\n Un deuxi\u00e8me exemple, similaire, est celui des paradis fiscaux. Un paradis fiscal est une juridiction qui applique un taux d\u2019imposition des soci\u00e9t\u00e9s tr\u00e8s bas dans le seul but de permettre aux soci\u00e9t\u00e9s internationales de se livrer \u00e0 l\u2019\u00e9vasion fiscale. Il s\u2019agit d\u2019une politique BTN car elle sape l\u2019assiette fiscale des pays et d\u00e9place la charge fiscale mondiale vers les employ\u00e9s, un groupe plus pauvre, sans stimuler l\u2019investissement dans l\u2019\u00e9conomie r\u00e9elle. Les paradis fiscaux d\u00e9placent les b\u00e9n\u00e9fices sur papier vers des juridictions \u00e0 faible imposition et non vers le capital physique <\/span>11<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Dans ce cas \u00e9galement, une gouvernance mondiale qui emp\u00eacherait la concurrence fiscale laisserait certains pays, \u00e0 savoir les paradis fiscaux, dans une situation plus difficile. Ils seraient priv\u00e9s des revenus qu\u2019ils g\u00e9n\u00e8rent en attirant une tr\u00e8s large base de profits sur papier \u00e0 des taux d\u2019imposition tr\u00e8s bas. Un argument analogue peut \u00eatre formul\u00e9 s\u2019agissant des paradis fiscaux pour l\u2019imposition des revenus des personnes physiques ou des fortunes. Un registre mondial qui identifierait les propri\u00e9taires ultimes des comptes bancaires dans toutes les juridictions financi\u00e8res aiderait l\u2019administration et le recouvrement des imp\u00f4ts et profiterait \u00e0 la plupart des pays du monde, mais les paradis fiscaux y perdraient.<\/p>\n\n\n\n Qu\u2019elles am\u00e9liorent ou non la situation de tous les pays, les exigences qui d\u00e9coulent de l\u2019existence des politiques BTN pour la gouvernance mondiale sont plut\u00f4t limit\u00e9es.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Qu\u2019elles am\u00e9liorent ou non la situation de tous les pays, les exigences qui d\u00e9coulent de l\u2019existence des politiques BTN pour la gouvernance mondiale sont plut\u00f4t limit\u00e9es. Cela s\u2019explique par le fait que relativement peu de politiques rel\u00e8vent de cette rubrique. En fait, j\u2019ai mentionn\u00e9 ici tous les exemples simples de politiques \u00e9conomiques BTN auxquels je peux penser : tarifs douaniers optimaux, monopoles ou cartels internationaux, politiques de commerce international mercantilistes et paradis fiscaux purs (pour les entreprises et les personnes physiques) <\/span>12<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La concurrence entre les \u00c9tats-Unis et la Chine dans le domaine des technologies num\u00e9riques ouvre peut-\u00eatre de nouveaux domaines de BTN, mais la grande majorit\u00e9 des politiques \u00e9conomiques qui sont controvers\u00e9es et font l\u2019objet d\u2019un examen international ne sont pas des BTN, m\u00eame si elles sont fr\u00e9quemment pr\u00e9sent\u00e9es comme telles \u2014 tout comme l\u2019\u00e9conomie mondiale est souvent consid\u00e9r\u00e9e \u00e0 tort comme un bien commun mondial.<\/p>\n\n\n\n Prenons les deux politiques suivantes : les subventions \u00e0 la R&D dans un pays qui importe des biens \u00e0 forte intensit\u00e9 technologique ; et l\u2019interdiction d\u2019importer des biens produits par une main-d\u2019\u0153uvre r\u00e9duite \u00e0 l\u2019esclavage. Ces deux politiques cr\u00e9ent des externalit\u00e9s transfrontali\u00e8res n\u00e9gatives. La premi\u00e8re am\u00e9liore les capacit\u00e9s technologiques de l\u2019\u00e9conomie nationale et devrait avoir un impact n\u00e9gatif sur les termes de l\u2019\u00e9change dans le reste du monde. En effet, \u00e0 mesure que le pays s\u2019am\u00e9liore dans la production de biens technologiquement avanc\u00e9s, sa demande d\u2019importation de ces biens diminue. La seconde politique a un impact \u00e9conomique n\u00e9gatif direct sur les exportateurs de biens produits par une main-d\u2019\u0153uvre r\u00e9duite \u00e0 l\u2019esclavage. Dans les deux cas, la pratique actuelle est que ces politiques ne sont pas r\u00e9glement\u00e9es au niveau international. Les pays sont libres de faire ce qu\u2019ils veulent dans les deux domaines.<\/p>\n\n\n\n Je pense que cela est conforme \u00e0 l\u2019intuition de la plupart des analystes en ce qui concerne la ligne de d\u00e9marcation appropri\u00e9e entre les sph\u00e8res de r\u00e9glementation nationales et internationales. Je ferai valoir dans cette section qu\u2019un grand nombre de politiques que les d\u00e9cideurs politiques mondiaux tentent de faire relever de la gouvernance mondiale sont pr\u00e9cis\u00e9ment de la m\u00eame nature que l\u2019un ou l\u2019autre des deux exemples que je viens de mentionner. Elles pr\u00e9sentent notamment les caract\u00e9ristiques suivantes : (a) soit elles ne cr\u00e9ent pas d\u2019inefficience mondiale ; (b) soit, lorsqu\u2019elles le font, c\u2019est l\u2019\u00e9conomie nationale qui en supporte les co\u00fbts \u00e9conomiques directs.<\/p>\n\n\n\n Les subventions en faveur de la technologie font partie de la cat\u00e9gorie (a), en supposant qu\u2019il y ait des retomb\u00e9es en mati\u00e8re de connaissances (m\u00eame si ces retomb\u00e9es sont purement nationales). La raison pour laquelle la gouvernance mondiale n\u2019est pas jug\u00e9e appropri\u00e9e dans ce cas est probablement qu\u2019il y a une justification \u00e9conomique \u00e0 la politique en question, et la pr\u00e9sence d\u2019externalit\u00e9s transfrontali\u00e8res n\u2019est pas en soi une raison pour limiter ce que chaque nation peut faire ind\u00e9pendamment. L\u2019interdiction d\u2019importation rel\u00e8ve de la cat\u00e9gorie (b). La raison pour laquelle une grande latitude est accord\u00e9e \u00e0 un pays dans ce cas est diff\u00e9rente : une interdiction d\u2019importation peut \u00eatre \u00e9conomiquement inefficiente, mais c\u2019est le pays d\u2019origine qui en paie le prix \u00e9conomique en premier lieu. En effet, le pays d\u2019origine \u00e9change le co\u00fbt \u00e9conomique contre la valeur du maintien d\u2019une norme morale contre l\u2019esclavage. Il ne semble pas appropri\u00e9 pour une organisation internationale ou un r\u00e9gime de gouvernance mondiale de remettre en question la pertinence de ce choix.<\/p>\n\n\n\n Pourtant, beaucoup d\u2019autres politiques qui sont couramment internationalis\u00e9es ne sont pas diff\u00e9rentes. Je vais les examiner ci-dessous.<\/p>\n\n\n\n Les politiques d\u2019enrichissement mutuel (\u00ab enrich-thy-neighbor<\/em> \u00bb) produisent des effets globaux positifs sur le reste du monde et sont pourtant controvers\u00e9es \u00e0 l\u2019\u00e9chelle mondiale. Cela semble paradoxal : c’est pourtant le cas. Il existe une cat\u00e9gorie importante de politiques qui correspondent \u00e0 cette description : les subventions sur les produits exportables. Qu\u2019il s\u2019agisse de produits agricoles ou de produits manufactur\u00e9s, les subventions \u00e0 l\u2019exportation sont rejet\u00e9es au niveau international. Cela est d\u00e9routant car les subventions \u00e0 l\u2019exportation sont un \u00ab cadeau \u00bb \u00e9conomique au reste du monde. Il est vrai que certains pays \u00e9trangers peuvent perdre, mais cela ne change rien au fait que l\u2019effet global sur le reste du monde est positif <\/span>13<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Imaginez un monde avec deux pays \u00e9trangers. Supposons qu\u2019une augmentation de certaines politiques du pays d\u2019origine ait des effets asym\u00e9triques \u00e0 l\u2019\u00e9tranger. Un pays \u00e9tranger en profite, tandis que l\u2019autre y perd. Lorsque la politique en question est une subvention \u00e0 l\u2019exportation, nous savons que la somme de ces deux effets de signe oppos\u00e9 doit \u00eatre positive. En effet, la subvention \u00e0 l\u2019exportation d\u00e9t\u00e9riore les termes de l\u2019\u00e9change du pays d\u2019origine et am\u00e9liore donc les termes de l\u2019\u00e9change du reste du monde dans son ensemble (les deux pays \u00e9trangers pris ensemble). Les effets asym\u00e9triques seraient \u00e0 leur tour dus aux avantages comparatifs de chacun des deux pays. Un pays \u00e9tranger peut avoir des avantages comparatifs similaires \u00e0 ceux du pays d\u2019origine, de sorte que ses termes de l\u2019\u00e9change et ceux du pays d\u2019origine \u00e9voluent ensemble. Ainsi, les subventions aux exportations agricoles, par exemple, aggraveront la situation des exportateurs nets de produits agricoles dans le reste du monde, tout en am\u00e9liorant celle des importateurs nets.<\/p>\n\n\n\n Trois arguments plaident en faveur d\u2019une discipline globale en mati\u00e8re de subventions \u00e0 l\u2019exportation, mais aucun d\u2019entre eux n\u2019est tr\u00e8s convaincant. Premi\u00e8rement, il est vrai que certains pays \u00e9trangers sont perdants. Les membres du groupe de Cairns des grands exportateurs agricoles ont fait valoir leur point de vue haut et fort au sein du r\u00e9gime GATT\/OMC dans le cas des subventions agricoles. Mais c\u2019est un argument curieux dans la mesure o\u00f9 il existe une multitude de politiques qui sont trait\u00e9es comme relevant de la pr\u00e9rogative nationale, mais qui produisent \u00e9galement des effets asym\u00e9triques \u00e0 l\u2019\u00e9tranger. Il s\u2019agit notamment de politiques que les \u00e9conomistes et les technocrates applaudissent sans r\u00e9serve comme \u00e9tant des politiques appropri\u00e9es. Consid\u00e9rons la lib\u00e9ralisation unilat\u00e9rale des importations comme un exemple topique. Lorsqu\u2019un grand pays r\u00e9duit unilat\u00e9ralement ses barri\u00e8res \u00e0 l\u2019importation, il subit normalement une d\u00e9gradation du point de vue des termes de l\u2019\u00e9change. Plus pr\u00e9cis\u00e9ment, les pays \u00e9trangers qui partagent les avantages comparatifs de ce pays subissent \u00e9galement une d\u00e9gradation des termes de l\u2019\u00e9change. (Lorsque j\u2019augmente mes importations de textiles et d\u2019automobiles, ce qui fait monter leurs prix relatifs sur les march\u00e9s mondiaux, tous les autres importateurs nets de textiles et d\u2019automobiles en souffrent \u00e9galement). Et dans leur cas, il n\u2019y a pas d\u2019augmentation compensatoire des gains commerciaux. Ainsi, certains pays \u00e9trangers se trouvent d\u00e9finitivement dans une situation plus d\u00e9favorable. \u00c0 ma connaissance, cela n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 utilis\u00e9 comme argument pour imposer des limites globales \u00e0 la capacit\u00e9 des pays \u00e0 lib\u00e9raliser unilat\u00e9ralement leurs r\u00e9gimes commerciaux.<\/p>\n\n\n\n Lorsqu\u2019un grand pays r\u00e9duit unilat\u00e9ralement ses barri\u00e8res \u00e0 l\u2019importation, il subit normalement une d\u00e9gradation du point de vue des termes de l\u2019\u00e9change. Plus pr\u00e9cis\u00e9ment, les pays \u00e9trangers qui partagent les avantages comparatifs de ce pays subissent \u00e9galement une d\u00e9gradation des termes de l\u2019\u00e9change.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Le deuxi\u00e8me argument est que les subventions, contrairement \u00e0 la lib\u00e9ralisation unilat\u00e9rale des importations, sont globalement inefficientes. Cette justification de la gouvernance mondiale est li\u00e9e \u00e0 la d\u00e9sirabilit\u00e9 \u00e9conomique des subventions en g\u00e9n\u00e9ral, et non \u00e0 l\u2019incidence de leurs effets externes. Le probl\u00e8me ici est qu\u2019il est difficile d\u2019adopter une position aussi cat\u00e9gorique contre l\u2019utilisation des subventions. Il peut y avoir de v\u00e9ritables externalit\u00e9s d\u2019apprentissage associ\u00e9es \u00e0 l\u2019exportation, que le pays subventionnaire vise \u00e0 r\u00e9colter. Il peut aussi y avoir des objectifs sociaux ou politiques qui sont tout aussi justifiables sur des bases plus larges, m\u00eame si ce n\u2019est pas strictement \u00e9conomique. Tout comme la position morale refl\u00e9t\u00e9e dans l\u2019interdiction d\u2019importation de marchandises produites par des esclaves ne peut \u00eatre remise en cause par d\u2019autres pays, il peut ne pas \u00eatre appropri\u00e9 pour les pays \u00e9trangers de se demander si un objectif social particulier est valable ou si la meilleure mani\u00e8re de l\u2019atteindre sont les subventions. J\u2019examinerai ces questions plus en d\u00e9tail dans la prochaine sous-section. Ce qui peut \u00eatre dit sans ambigu\u00eft\u00e9, c\u2019est que lorsque les subventions ne servent pas un v\u00e9ritable objectif \u00e9conomique, contrairement aux BTN, leurs co\u00fbts les plus imm\u00e9diats sont support\u00e9s par les contribuables et les consommateurs nationaux.<\/p>\n\n\n\n Le troisi\u00e8me argument est que les subventions (et les politiques similaires) sont \u00ab in\u00e9quitables \u00bb parce qu\u2019elles sapent l\u2019\u00e9galit\u00e9 des conditions de concurrence dans le commerce mondial. Cet argument repose sur l\u2019id\u00e9e que toutes les nations devraient se faire concurrence sur une base \u00e9gale <\/span>14<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Mais ce qui constitue des conditions de concurrence \u00e9gale, ou ce qui est \u00e9quitable, ne l\u2019est qu\u2019aux yeux de celui qui regarde. Par exemple, les pays en d\u00e9veloppement font valoir depuis longtemps, et non sans raison, que les subventions (comme les r\u00e8gles laxistes en mati\u00e8re de brevets) servent \u00e0 compenser les inconv\u00e9nients de leur retard \u00e9conomique, et qu\u2019il s\u2019agit en tout cas de pratiques que les pays avanc\u00e9s ont eux-m\u00eames suivies lorsqu\u2019ils \u00e9taient plus pauvres. En d\u2019autres termes, elles rendent le commerce plus \u00e9quitable plut\u00f4t que moins \u00e9quitable. Bien entendu, si un accord mondial peut \u00eatre conclu sur ce qui est \u00ab \u00e9quitable \u00bb, il est logique de rechercher des normes communes. Mais souvent, ce terrain d\u2019entente fera d\u00e9faut. Dans ces cas-l\u00e0, il serait inappropri\u00e9 de chercher \u00e0 cr\u00e9er une discipline mondiale.<\/p>\n\n\n\n Cela ne veut pas dire que le \u00ab commerce d\u00e9loyal \u00bb est un concept vide et inutile. Lorsque les nations sont confront\u00e9es \u00e0 des transactions commerciales dont elles pensent qu\u2019elles portent atteinte aux codes moraux ou aux normes d\u2019\u00e9quit\u00e9 nationales, elles devraient \u00eatre libres de les r\u00e9glementer en cons\u00e9quence <\/span>15<\/sup><\/a><\/span><\/span>. La diff\u00e9rence est entre vivre selon ses propres normes morales et les imposer aux autres <\/span>16<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Enfin, nous consid\u00e9rons les politiques qui produisent des retomb\u00e9es n\u00e9gatives sur d\u2019autres pays mais qui sont utilis\u00e9es pour des raisons int\u00e9rieures plut\u00f4t qu\u2019en tant que BTN. Ces raisons nationales peuvent \u00eatre \u00e9conomiques ou non \u00e9conomiques, bien fond\u00e9es ou non. Il existe une tr\u00e8s grande vari\u00e9t\u00e9 de ces politiques qui sont soit d\u00e9j\u00e0 r\u00e9glement\u00e9es au niveau international, soit font fr\u00e9quemment l\u2019objet d\u2019un examen international. En voici une liste partielle :<\/p>\n\n\n\n Les effets \u00e9conomiques int\u00e9rieurs de toutes ces politiques ex ante<\/em> sont soit n\u00e9gatifs, soit ambigus. Et ils g\u00e9n\u00e8rent g\u00e9n\u00e9ralement des externalit\u00e9s n\u00e9gatives pour les autres pays. Tout cela pourrait sugg\u00e9rer une justification de la gouvernance mondiale dans ces domaines. La difficult\u00e9 est que, comme dans le cas des subventions \u00e0 l\u2019exportation, il existe de solides arguments compensatoires qui ne peuvent \u00eatre rejet\u00e9s.<\/p>\n\n\n\n Premi\u00e8rement, si les \u00e9checs des politiques sont \u00e9vidents ex post<\/em>, ils peuvent ne pas \u00eatre aussi clairs ex ante<\/em>. Pour prendre un exemple \u00e9loquent, il est maintenant largement admis que les r\u00e9gulateurs financiers aux \u00c9tats-Unis ont mal r\u00e9ussi \u00e0 limiter la prise de risques dans le domaine du cr\u00e9dit hypoth\u00e9caire et dans le shadow banking<\/em> avant 2007. Mais les avis sur la pertinence des pratiques r\u00e9glementaires en vigueur divergeaient consid\u00e9rablement \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Il n\u2019est pas du tout \u00e9vident qu\u2019une plus grande coordination internationale en mati\u00e8re de r\u00e9glementation financi\u00e8re e\u00fbt produit de meilleurs r\u00e9sultats. En fait, \u00e9tant donn\u00e9 l\u2019influence que le secteur financier am\u00e9ricain a exerc\u00e9e sur la d\u00e9termination des r\u00e8gles de B\u00e2le, le contraire \u00e9tait tout aussi probable.<\/p>\n\n\n\n Les subventions (et les politiques similaires) rendent le commerce plus \u00e9quitable plut\u00f4t que moins \u00e9quitable. Bien entendu, si un accord mondial peut \u00eatre conclu sur ce qui est \u00ab \u00e9quitable \u00bb, il est logique de rechercher des normes communes. Mais souvent, ce terrain d\u2019entente fera d\u00e9faut. Dans ces cas-l\u00e0, il serait inappropri\u00e9 de chercher \u00e0 cr\u00e9er une discipline mondiale.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Deuxi\u00e8mement, il peut effectivement y avoir des d\u00e9faillances du march\u00e9 ou des distorsions au niveau national qui justifient l\u2019utilisation de telles politiques, comme rem\u00e8des subsidiaires m\u00eame si ce n\u2019est pas le premier choix. Il n\u2019est pas \u00e9vident que les n\u00e9gociateurs commerciaux ou les bureaucrates internationaux soient mieux plac\u00e9s que les l\u00e9gislateurs et les d\u00e9cideurs politiques nationaux pour prendre la bonne d\u00e9cision dans les cas complexes.<\/p>\n\n\n\n Troisi\u00e8mement, il peut y avoir des consid\u00e9rations non \u00e9conomiques \u00e9crasantes \u2013 sociales, environnementales, sanitaires, de s\u00e9curit\u00e9 nationale ou morales \u2013 qui l\u2019emportent sur les co\u00fbts et les avantages \u00e9conomiques. Une fois encore, les pond\u00e9rations pertinentes sont mieux \u00e9valu\u00e9s au niveau national, au sein d\u2019organes d\u00e9cisionnels d\u00e9mocratiques pr\u00e9existants, que par une d\u00e9l\u00e9gation \u00e0 des agences internationales.<\/p>\n\n\n\n Le principal argument en faveur de la gouvernance mondiale dans ces cas, que les \u00e9conomistes aiment particuli\u00e8rement faire entendre, est que les r\u00e8gles mondiales peuvent emp\u00eacher les pays d\u2019utiliser des politiques d\u2019appauvrissement (ou de type \u00ab beggar-thyself <\/em> \u00bb) en corrigeant les \u00e9checs politiques internes. Keohane, Macedo et Moravcsik fournissent une version plus sophistiqu\u00e9e en sciences politiques <\/span>17<\/sup><\/a><\/span><\/span> ; il s\u2019agit d\u2019une version de l\u2019argument classique sur la d\u00e9l\u00e9gation de pouvoirs. Essentiellement, ils consid\u00e8rent les contraintes ext\u00e9rieures comme un contrepoids aux int\u00e9r\u00eats particuliers ou aux lobbies<\/em> en qu\u00eate de rentes.<\/p>\n\n\n\n Les accords commerciaux, par exemple, permettent aux gouvernements de dire \u00ab non \u00bb \u00e0 leurs lobbies<\/em> protectionnistes nationaux en adh\u00e9rant \u00e0 la logique suivante : \u00ab nous aimerions bien augmenter les droits de douane sur ce produit, mais les r\u00e8gles de l\u2019OMC ne nous permettent pas de le faire \u00bb.<\/p>\n\n\n\n Il y a trois contre-arguments. Premi\u00e8rement, les politiques non standards et h\u00e9t\u00e9rodoxes peuvent avoir une justification \u00e9conomique dans des contextes non-id\u00e9aux <\/span>18<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Les r\u00e8gles ou les bureaucraties mondiales ne peuvent pas faire de distinction fiable entre les politiques d\u2019appauvrissement (ou de type \u00ab beggar-thyself<\/em> \u00bb) et les politiques \u00e9conomiquement justifi\u00e9es. Cela est particuli\u00e8rement vrai dans les domaines de gouvernance qui requi\u00e8rent des connaissances locales importantes, comme c\u2019est le cas des politiques industrielles ou des r\u00e9glementations financi\u00e8res. Deuxi\u00e8mement, m\u00eame lorsqu\u2019il existe de bonnes raisons de consid\u00e9rer que les pays sont engag\u00e9s dans des politiques d\u2019appauvrissement (ou de type \u00ab beggar-thyself<\/em> \u00bb), les d\u00e9mocraties devraient \u00eatre autoris\u00e9es \u00e0 faire leurs propres \u00ab erreurs \u00bb. Par exemple, l\u2019Union europ\u00e9enne peut se bercer d\u2019illusions en interdisant les OGM ou le b\u0153uf aux hormones, mais permettre \u00e0 des organismes supranationaux de porter un jugement sur ces questions sape \u00e0 la fois la d\u00e9mocratie et la l\u00e9gitimit\u00e9 des dispositifs de gouvernance mondiale. Troisi\u00e8mement, et c\u2019est peut-\u00eatre le plus important, il ne peut \u00eatre pr\u00e9sum\u00e9 que les institutions de gouvernance mondiale soient plus \u00e0 l\u2019abri de la capture par des int\u00e9r\u00eats particuliers que celles qui \u00e9laborent les politiques nationales. En effet, les grandes entreprises, les banques internationales et les grandes soci\u00e9t\u00e9s pharmaceutiques exercent une influence disproportionn\u00e9e sur la gouvernance \u00e9conomique mondiale. Il serait na\u00eff de pr\u00e9sumer qu\u2019elles font passer l\u2019int\u00e9r\u00eat public avant leur int\u00e9r\u00eat particulier en fa\u00e7onnant des accords mondiaux en fonction de leurs besoins.<\/p>\n\n\n\n J\u2019ai d\u00e9velopp\u00e9 ce dernier point dans une pr\u00e9c\u00e9dente publication sur les accords commerciaux <\/span>19<\/sup><\/a><\/span><\/span>. L\u2019opinion conventionnelle sur les accords commerciaux est qu\u2019ils offrent un soulagement bienvenu contre les int\u00e9r\u00eats protectionnistes nationaux, c\u2019est-\u00e0-dire les entreprises et les syndicats qui nuisent \u00e0 la concurrence avec les importations. Lorsque les accords commerciaux portaient essentiellement sur les tarifs et les quotas d\u2019importation \u2013 c\u2019est-\u00e0-dire avant les ann\u00e9es 1980 \u2013 cela avait beaucoup de sens. Les n\u00e9gociations commerciales multilat\u00e9rales visaient \u00e0 abaisser ces barri\u00e8res, ce qui signifiait aller \u00e0 l\u2019encontre des int\u00e9r\u00eats protectionnistes nationaux. Mais apr\u00e8s la cr\u00e9ation de l\u2019OMC en 1995, et surtout avec la multiplication des accords commerciaux r\u00e9gionaux apr\u00e8s les ann\u00e9es 1990, l\u2019\u00e9conomie politique des accords commerciaux a commenc\u00e9 \u00e0 \u00eatre tr\u00e8s diff\u00e9rente. Les accords du nouveau style se sont de plus en plus concentr\u00e9s sur les r\u00e8gles et r\u00e9glementations nationales, telles que les droits de propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle, les droits des investisseurs, les r\u00e9glementations sanitaires et de sant\u00e9, les subventions, etc.<\/p>\n\n\n\n Contrairement aux tarifs et aux quotas, il n\u2019existe pas de r\u00e9f\u00e9rence naturelle qui nous permette de juger facilement si une norme r\u00e9glementaire est excessive ou protectionniste. Les diff\u00e9rentes \u00e9valuations nationales des risques \u2013 s\u00e9curit\u00e9, environnement, sant\u00e9 \u2013 et les diff\u00e9rentes conceptions de la mani\u00e8re dont les entreprises doivent se comporter avec leurs parties prenantes \u2013 employ\u00e9s, fournisseurs, consommateurs, communaut\u00e9s locales \u2013 produisent des normes diff\u00e9rentes, dont aucune n\u2019est manifestement sup\u00e9rieure aux autres. En d\u2019autres termes, les normes r\u00e9glementaires sont des biens publics sur lesquels les diff\u00e9rentes nations ont des pr\u00e9f\u00e9rences diff\u00e9rentes. Un syst\u00e8me optimal de gouvernance mondiale permettrait de compenser les avantages d\u2019une int\u00e9gration accrue des march\u00e9s (en r\u00e9duisant la diversit\u00e9 r\u00e9glementaire) par les co\u00fbts d\u2019une harmonisation excessive. Mais il est difficile de savoir o\u00f9 se situe ce point optimal. Il semble irr\u00e9aliste de demander aux n\u00e9gociateurs commerciaux d\u2019accomplir cette t\u00e2che de mani\u00e8re ad\u00e9quate dans un large \u00e9ventail de domaines politiques.<\/p>\n\n\n\n Contrairement aux tarifs et aux quotas, il n\u2019existe pas de r\u00e9f\u00e9rence naturelle qui nous permette de juger facilement si une norme r\u00e9glementaire est excessive ou protectionniste. Les diff\u00e9rentes \u00e9valuations nationales des risques \u2013 s\u00e9curit\u00e9, environnement, sant\u00e9 \u2013 et les diff\u00e9rentes conceptions de la mani\u00e8re dont les entreprises doivent se comporter avec leurs parties prenantes produisent des normes diff\u00e9rentes, dont aucune n\u2019est manifestement sup\u00e9rieure aux autres.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Et ce, avant de consid\u00e9rer l\u2019influence politique des lobbies d\u2019int\u00e9r\u00eats sp\u00e9ciaux \u00e0 vocation internationale, qui ont jou\u00e9 un r\u00f4le essentiel dans ces nouveaux domaines, en fa\u00e7onnant la formulation des r\u00e9glementations mondiales en mati\u00e8re de propri\u00e9t\u00e9 intellectuelle, des clauses d\u2019arbitrage des investisseurs, des normes bancaires et en bien d\u2019autres mati\u00e8res encore. L\u2019information publique aux \u00c9tats-Unis sur le lobbying<\/em> pour les questions commerciales montre que les entreprises pharmaceutiques et la PhRMA (l\u2019association de l\u2019industrie) sont de loin en t\u00eate de liste. Les autres contributeurs importants sont les constructeurs automobiles, les producteurs de lait et de produits laitiers, les entreprises de textiles et de tissus, les entreprises de technologies de l\u2019information et l\u2019industrie du divertissement. Les syndicats tels que l\u2019United Steelworkers<\/em> et l\u2019AFL-CIO, qui sont traditionnellement associ\u00e9s \u00e0 des mesures protectionnistes, ont tendance \u00e0 accuser un retard consid\u00e9rable par rapport \u00e0 ces groupes sectoriels.<\/p>\n\n\n\n Ces consid\u00e9rations sugg\u00e8rent un mod\u00e8le d\u2019\u00e9conomie politique diff\u00e9rent de celui auquel les \u00e9conomistes ont longtemps \u00e9t\u00e9 favorables. Le jeu \u00e0 l\u2019\u0153uvre dans la politique nationale n\u2019est pas celui entre un gouvernement libre-\u00e9changiste et des int\u00e9r\u00eats protectionnistes, les engagements internationaux servant \u00e0 lier la main du gouvernement contre le protectionnisme. Il s\u2019agit plut\u00f4t d\u2019un jeu dans lequel les grandes entreprises internationales s\u2019emparent du processus d\u2019\u00e9laboration des politiques internationales pour concevoir des r\u00e9gimes de gouvernance mondiale en mati\u00e8re de DPI, de r\u00e8gles bancaires, d\u2019investissement, etc. qui sont tr\u00e8s favorables \u00e0 leurs propres int\u00e9r\u00eats. Contrairement au mod\u00e8le conventionnel, les rentiers ne sont pas ici les protectionnistes traditionnels. Il s\u2019agit plut\u00f4t de soci\u00e9t\u00e9s pharmaceutiques qui cherchent \u00e0 resserrer les r\u00e8gles en mati\u00e8re de brevets, d\u2019institutions financi\u00e8res qui veulent limiter la capacit\u00e9 des pays \u00e0 g\u00e9rer les flux de capitaux, ou de multinationales qui cherchent \u00e0 obtenir des tribunaux sp\u00e9ciaux pour faire valoir leurs droits contre les gouvernements des pays d\u2019accueil. Dans ce contexte, les accords commerciaux servent \u00e0 renforcer les int\u00e9r\u00eats particuliers, plut\u00f4t qu\u2019\u00e0 les restreindre.<\/p>\n\n\n\n La question de savoir si les accords internationaux peuvent syst\u00e9matiquement modifier les \u00e9quilibres politiques internes dans une direction souhaitable est une question \u00e0 laquelle il n\u2019y a pas de r\u00e9ponse claire en th\u00e9orie. Les preuves r\u00e9centes fond\u00e9es sur l\u2019analyse des accords commerciaux, bri\u00e8vement pass\u00e9es en revue dans la section pr\u00e9c\u00e9dente, ne sont pas encourageantes. En outre, l\u2019utilisation de contraintes ext\u00e9rieures pour fa\u00e7onner la politique int\u00e9rieure a un certain co\u00fbt en termes de l\u00e9gitimit\u00e9 d\u00e9mocratique : elle renforce le message des populistes nativistes selon lequel la souverainet\u00e9 est c\u00e9d\u00e9e aux technocrates cosmopolites. Il ne devrait pas appartenir \u00e0 la \u00ab communaut\u00e9 mondiale \u00bb de dire aux nations individuelles comment elles doivent pond\u00e9rer les priorit\u00e9s et les objectifs int\u00e9rieurs concurrents.<\/p>\n\n\n\n Cela n\u2019emp\u00eache pas une conversation globale sur la nature des divers avantages et inconv\u00e9nients pour les parties. De telles conversations peuvent \u00eatre utiles pour r\u00e9duire les malentendus internationaux sur les objectifs politiques, et parfois pour \u00e9tablir de nouvelles normes comportementales. Lorsque les retomb\u00e9es \u00e9conomiques n\u00e9gatives sont importantes, d\u2019autres pays peuvent \u00eatre en mesure de convaincre les gouvernements qui sont \u00e0 l\u2019origine de ces retomb\u00e9es de s\u2019engager dans de meilleures politiques. Le dialogue international peut permettre de conclure des accords coasiens lorsque les pertes subies par d\u2019autres pays d\u00e9passent les b\u00e9n\u00e9fices nationaux.<\/p>\n\n\n\n La question \u00e0 laquelle j\u2019ai tent\u00e9 de r\u00e9pondre dans cet article est la suivante : dans quelles circonstances les pays doivent-ils conclure des accords internationaux contraignants ? Une autre question, diff\u00e9rente, concerne la forme que ces accords devraient prendre : non seulement les politiques qui devraient \u00eatre couvertes, mais aussi les types de processus de politique int\u00e9rieure qui devraient \u00eatre encourag\u00e9s ou d\u00e9courag\u00e9s. L\u2019article de MM. Keohane, Macedo et Moravcsik que j\u2019ai mentionn\u00e9 plus haut <\/span>20<\/sup><\/a><\/span><\/span> soutient que les accords multilat\u00e9raux aident les d\u00e9mocraties \u00e0 mieux fonctionner <\/span>21<\/sup><\/a><\/span><\/span>. Bien que je ne sois pas d\u2019accord avec cette conclusion en r\u00e8gle g\u00e9n\u00e9rale <\/span>22<\/sup><\/a><\/span><\/span>, il est possible de retourner leur argument et de l\u2019utiliser comme une proposition normative (sur la fa\u00e7on dont les choses devraient \u00eatre) plut\u00f4t que positive (sur la fa\u00e7on dont les choses sont). En cons\u00e9quence, nous pouvons envisager une autre conception de la gouvernance mondiale \u00e9cologique qui cible directement les \u00e9checs potentiels de la gouvernance nationale, sans pr\u00e9sumer que les politiques nationales appropri\u00e9es sont connues ex ante<\/em> ou que la gouvernance mondiale peut avoir un impact significatif. C\u2019est ce que j\u2019appelle la gouvernance mondiale favorisant la d\u00e9mocratie (GMFD), d\u2019apr\u00e8s Keohane, Macedo et Moravcsik <\/span>23<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n Nous pouvons envisager une autre conception de la gouvernance mondiale \u00e9cologique qui cible directement les \u00e9checs potentiels de la gouvernance nationale, sans pr\u00e9sumer que les politiques nationales appropri\u00e9es sont connues ex ante<\/em> ou que la gouvernance mondiale peut avoir un impact significatif. C\u2019est ce que j\u2019appelle la gouvernance mondiale favorisant la d\u00e9mocratie (GMFD).<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Nous pouvons utilement distinguer la GMFD de la \u00ab gouvernance mondiale favorisant la mondialisation \u00bb (GMFM), qui se rapproche de l\u2019esprit de la pratique qui pr\u00e9vaut dans l\u2019\u00e9conomie mondiale aujourd\u2019hui. Dans le cadre de la GMFM, nous pouvons justifier toutes les r\u00e8gles ext\u00e9rieures qui limitent l\u2019autonomie de la politique int\u00e9rieure si le r\u00e9sultat est de minimiser les co\u00fbts transactionnels associ\u00e9s aux fronti\u00e8res nationales. Dans le cadre de la GMFD, nous n\u2019imposons que des obligations (essentiellement proc\u00e9durales) qui renforcent la d\u00e9lib\u00e9ration nationale ou sont compatibles avec la d\u00e9l\u00e9gation d\u00e9mocratique.<\/p>\n\n\n\n Je pense aux exigences proc\u00e9durales destin\u00e9es \u00e0 am\u00e9liorer la qualit\u00e9 de l\u2019\u00e9laboration des politiques int\u00e9rieures. Il s\u2019agirait par exemple de disciplines globales relatives \u00e0 la transparence, \u00e0 une large repr\u00e9sentation des parties prenantes, \u00e0 la responsabilit\u00e9 et \u00e0 l\u2019utilisation de preuves scientifiques\u202f\/\u202f\u00e9conomiques dans les proc\u00e9dures nationales. Ces exigences proc\u00e9durales ne pr\u00e9jugeraient pas du r\u00e9sultat final, \u00e0 savoir si un pays peut imposer une politique tarifaire, de subvention ou toute autre politique d\u2019appauvrissement (ou \u00ab beggar thyself<\/em> \u00bb).<\/p>\n\n\n\n Des disciplines collectives de ce type sont d\u00e9j\u00e0 utilis\u00e9es dans une certaine mesure \u00e0 l\u2019OMC. Les Accords sur l\u2019antidumping pr\u00e9cisent les proc\u00e9dures nationales qui doivent \u00eatre suivies lorsqu\u2019un gouvernement envisage de restreindre les importations en provenance de partenaires commerciaux. De m\u00eame, l\u2019Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires exige explicitement l\u2019utilisation de preuves scientifiques lorsque des pr\u00e9occupations sanitaires sont en jeu. Les r\u00e8gles de proc\u00e9dure de ce type peuvent \u00eatre utilis\u00e9es beaucoup plus largement et avec plus d\u2019efficience pour am\u00e9liorer la qualit\u00e9 des d\u00e9cisions nationales. Par exemple, les r\u00e8gles antidumping peuvent \u00eatre am\u00e9lior\u00e9es en exigeant que les int\u00e9r\u00eats des consommateurs et des producteurs qui seraient affect\u00e9s par l\u2019imposition de droits \u00e0 l\u2019importation prennent part aux proc\u00e9dures nationales. Les r\u00e8gles en mati\u00e8re de subventions peuvent \u00eatre am\u00e9lior\u00e9es en exigeant des analyses \u00e9conomiques co\u00fbts-avantages.<\/p>\n\n\n\n Nous ne devons pas exag\u00e9rer la contribution positive que de telles exigences peuvent apporter \u00e0 la prise de d\u00e9cision au niveau national. Prenons, par exemple, l\u2019argument de s\u00e9curit\u00e9 nationale de M. Trump en faveur d\u2019une augmentation des droits de douane sur l\u2019acier et les autres importations. Il s\u2019agissait d\u2019une politique classique d\u2019appauvrissement (ou \u00ab beggar thyself<\/em> \u00bb). Les principes de l\u2019OMC dans ce domaine sont vagues et restent largement non test\u00e9s dans la pratique. D\u2019une part, le texte pertinent semble ouvrir la porte tr\u00e8s largement en disant \u00ab Aucune disposition du pr\u00e9sent accord ne sera interpr\u00e9t\u00e9e comme emp\u00eachant une partie contractante de prendre toutes mesures qu\u2019elle jugera n\u00e9cessaires \u00e0 la protection des int\u00e9r\u00eats essentiels de sa s\u00e9curit\u00e9 \u00bb. (Article XXI de l\u2019Accord de Marrakech). D\u2019autre part, dans une d\u00e9cision r\u00e9cente dans une affaire n\u2019impliquant pas les \u00c9tats-Unis, l\u2019OMC a adopt\u00e9 la position selon laquelle elle peut examiner les d\u00e9cisions nationales dans ce domaine et juger de leur opportunit\u00e9. Comme on pouvait s\u2019y attendre, les \u00c9tats-Unis ont critiqu\u00e9 cette d\u00e9cision <\/span>24<\/sup><\/a><\/span><\/span>.<\/p>\n\n\n\n On peut imaginer des r\u00e8gles plus explicites sur le processus que les \u00c9tats-Unis (ou tout autre pays) doivent suivre avant qu\u2019il puisse \u00eatre argu\u00e9 que les conditions d\u2019une mesure de s\u00e9curit\u00e9 nationale sont remplies. Par exemple, le gouvernement a-t-il pr\u00e9par\u00e9 un rapport public, avec la participation d\u2019\u00e9conomistes et d\u2019experts en mati\u00e8re de s\u00e9curit\u00e9 nationale, qui expose les arguments en faveur des mesures envisag\u00e9es ? Les opposants nationaux \u00e0 la politique ont-ils eu la possibilit\u00e9 de pr\u00e9senter des arguments contre ? N\u00e9anmoins, il est douteux qu\u2019une quelconque politique de l\u2019OMC e\u00fbt pu avoir un impact sur les folies commerciales de Trump. Mais elle aurait pu au moins pu priver Trump (et d\u2019autres politiciens nativistes) des ses arguments habituels selon lesquels l\u2019OMC et d\u2019autres organismes internationaux foulent aux pieds la souverainet\u00e9 nationale.<\/p>\n\n\n\n Il est douteux qu\u2019une quelconque politique de l\u2019OMC e\u00fbt pu avoir un impact sur les folies commerciales de Trump. Mais elle aurait pu au moins pu priver Trump (et d\u2019autres politiciens nativistes) des ses arguments habituels selon lesquels l\u2019OMC et d\u2019autres organismes internationaux foulent aux pieds la souverainet\u00e9 nationale.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n Au mieux, les r\u00e8gles de gouvernance l\u00e9g\u00e8res de la GMFD que je propose ici peuvent aider quelque peu. Au pire, elles ne font pas de mal. Ces r\u00e8gles impliquent un contr\u00f4le l\u00e9ger pour les pays qui respectent d\u00e9j\u00e0 les normes d\u00e9mocratiques chez eux et qui b\u00e9n\u00e9ficieraient d\u2019un renforcement suppl\u00e9mentaire provenant des forums internationaux. Mais il est \u00e9galement possible d\u2019envisager des contr\u00f4les plus s\u00e9v\u00e8res, o\u00f9 les pays ne tirent pleinement parti des accords commerciaux que dans la mesure o\u00f9 ils respectent les engagements d\u00e9mocratiques. De telles exigences existent d\u00e9j\u00e0 dans certains accords commerciaux (par exemple, le syst\u00e8me am\u00e9ricain de pr\u00e9f\u00e9rences commerciales pour les pays \u00e0 faible revenu).<\/p>\n\n\n\n Les accords internationaux sont des contrats que les nations concluent librement. Et puisqu\u2019il s\u2019agit de contrats volontaires, il ne semble gu\u00e8re justifi\u00e9 de les remettre en cause sur la base d\u2019une perte d\u2019autonomie nationale ou de l\u00e9gitimit\u00e9 d\u00e9mocratique. Mais cette approche soul\u00e8ve en premier lieu la question de savoir pourquoi les \u00c9tats concluent de tels contrats. Pour avoir une l\u00e9gitimit\u00e9 d\u00e9mocratique, les accords internationaux doivent satisfaire \u00e0 des crit\u00e8res politiques et \u00e9conomiques : ils doivent produire de larges b\u00e9n\u00e9fices et \u00eatre coh\u00e9rents avec la d\u00e9l\u00e9gation d\u00e9mocratique (imposer des contraintes qui am\u00e9liorent le fonctionnement d\u00e9mocratique). En d\u00e9veloppant des arguments de principe en faveur d\u2019une gouvernance \u00e9conomique mondiale, nous pouvons clarifier l\u2019ensemble des circonstances dans lesquelles de tels contrats sont largement souhaitables \u2013 et distinguer ces circonstances des cas o\u00f9 la nature contractuelle d\u2019un accord international est utilis\u00e9e comme un voile pour cacher le fait de privil\u00e9gier des int\u00e9r\u00eats particuliers.<\/p>\n\n\n\n Lorsque, par exemple, les n\u00e9gociateurs commerciaux am\u00e9ricains obtiennent des concessions ADPIC d\u2019un autre pays en \u00e9change de l\u2019ouverture du march\u00e9 am\u00e9ricain aux exportations de v\u00eatements de ce pays, ils compensent effectivement les gains des grandes entreprises pharmaceutiques par des pertes concentr\u00e9es sur certains segments du march\u00e9 du travail int\u00e9rieur. Comment r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 la pertinence d\u2019un tel contrat ? Les arguments \u00e9conomiques fondamentaux du type de ceux que j\u2019ai examin\u00e9s ici sont essentiels pour fournir des justifications appropri\u00e9es. En pr\u00e9sence de consid\u00e9rations li\u00e9es aux BTN\u202f\/\u202fGPG, le contrat pourrait \u00eatre gagnant-gagnant. En leur absence, ce qui semble superficiellement \u00eatre gagnant-gagnant \u2013 un \u00e9change mutuel d\u2019acc\u00e8s au march\u00e9\u202f\u2013 est essentiellement une politique qui induit une redistribution de premier ordre au niveau national. Les accords internationaux auraient une plus grande l\u00e9gitimit\u00e9 d\u00e9mocratique dans le pays dans le premier cas que dans le second.<\/p>\n\n\n\n Comment r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 la pertinence d\u2019un tel contrat ? Bien s\u00fbr, m\u00eame dans les cas de BTN\u202f\/\u202fBPM, il n\u2019y a aucune garantie que les d\u00e9mocraties r\u00e9soudront leurs probl\u00e8mes politiques internes et concluront des accords internationaux appropri\u00e9s. Le retrait des \u00c9tats-Unis de l\u2019accord de Paris sur le climat en est un exemple notable. Ces probl\u00e8mes sont un autre reflet de l\u2019un des arguments cl\u00e9s de cet article : la plupart des m\u00e9saventures politiques dans l\u2019\u00e9conomie mondiale actuelle sont dues \u00e0 des d\u00e9faillances de la gouvernance nationale, et non \u00e0 un manque de coop\u00e9ration internationale. Pour prendre un autre exemple am\u00e9ricain, les tarifs de s\u00e9curit\u00e9 nationale de Trump \u00e9taient une mauvaise politique, non pas parce qu\u2019ils nuisent \u00e0 certaines autres nations, mais parce qu\u2019ils imposent des co\u00fbts substantiels directement \u00e0 l\u2019\u00e9conomie am\u00e9ricaine.<\/p>\n\n\n\n La sagesse conventionnelle en mati\u00e8re de gouvernance mondiale repose sur les \u00e9checs de la coordination internationale d\u00e9coulant de l\u2019existence des biens publics mondiaux ou des politiques de BTN. Lorsque les probl\u00e8mes proviennent plut\u00f4t de politiques d\u2019appauvrissement (ou de type \u00ab beggar-thyself<\/em> \u00bb) ou de motifs l\u00e9gitimes de diversit\u00e9 dans les politiques \u00e9conomiques, cette perspective n\u2019est plus utile. Pour de telles situations, nous devons r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 nouveau. Nous devons adopter une approche diff\u00e9rente de la coop\u00e9ration mondiale, qui respecte l\u2019espace politique des nations et cible les normes d\u00e9mocratiques de prise de d\u00e9cision au lieu de mettre l\u2019accent sur l\u2019harmonisation des politiques ou la suppression des barri\u00e8res commerciales (r\u00e9elles ou per\u00e7ues). <\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Dans cette \u00e9tude, instruite par le contexte de guerre commerciale qui a marqu\u00e9 les ann\u00e9es Trump, Dani Rodrik propose un mod\u00e8le pour penser une autre gouvernance mondiale, non pas au service de la mondialisation mais au service de la d\u00e9mocratie, qui soit \u00e9cologique, et qui cible directement les \u00e9checs potentiels de la gouvernance nationale.<\/p>\n","protected":false},"author":620,"featured_media":103210,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-studies.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1727,2321],"tags":[],"geo":[2163],"class_list":["post-102863","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-economie","category-red","staff-dani-rodrik","geo-monde"],"acf":[],"yoast_head":"\n
<\/a>T\u00e9l\u00e9charger<\/a><\/div>\n\n\n\nIntroduction<\/h2>\n\n\n\n
1.\u202fL\u2019analyse de l\u2019interd\u00e9pendance \u00e9conomique : les arguments en faveur de la gouvernance mondiale<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
1.\u202fA.\u202fBiens publics mondiaux (BPM)<\/h3>\n\n\n\n
1.\u202fB.\u202fPolitiques protectionnistes ou \u00ab beggar-thy-neighbor<\/em> \u00bb (BTN)<\/h3>\n\n\n\n
2.\u202fL\u2019argument faible en faveur de la gouvernance mondiale : des politiques qui ne sont ni des BPM ni des BTN<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
2. A.\u202fPolitiques non-BTN : les politiques d\u2019enrichissement mutuel (\u00ab enrich-thy-neighbor<\/em> \u00bb)<\/h3>\n\n\n\n
2.\u202fC.\u202fLes retomb\u00e9es non-BTN : les politiques ayant des r\u00e9percussions ambigu\u00ebs sur l\u2019efficience int\u00e9rieure<\/h3>\n\n\n\n
3.\u202fUne gouvernance \u00e9conomique mondiale visant \u00e0 renforcer la d\u00e9mocratie<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
Remarques finales<\/strong><\/h2>\n\n\n\n
En pr\u00e9sence de consid\u00e9rations li\u00e9es aux BTN\u202f\/\u202fGPG, le contrat pourrait \u00eatre gagnant-gagnant. En leur absence, ce qui semble superficiellement \u00eatre gagnant-gagnant \u2013 un \u00e9change mutuel d\u2019acc\u00e8s au march\u00e9\u202f\u2013 est essentiellement une politique qui induit une redistribution de premier ordre au niveau national. Les accords internationaux auraient une plus grande l\u00e9gitimit\u00e9 d\u00e9mocratique dans le pays dans le premier cas que dans le second.<\/p>dani rodrik<\/cite><\/blockquote><\/figure>\n\n\n\n