{"id":101668,"date":"2021-03-11T03:19:00","date_gmt":"2021-03-11T02:19:00","guid":{"rendered":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/?p=101668"},"modified":"2022-03-17T13:07:32","modified_gmt":"2022-03-17T12:07:32","slug":"la-transition-ecologique-en-chine-a-quel-cout","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/legrandcontinent.eu\/fr\/2021\/03\/11\/la-transition-ecologique-en-chine-a-quel-cout\/","title":{"rendered":"La transition \u00e9cologique en Chine : \u00e0 quel co\u00fbt ?"},"content":{"rendered":"\n
Yifei Li<\/strong> : Nous avions entrepris une recherche sur l’\u00e9cologie autoritaire, mais notre enqu\u00eate nous a men\u00e9s vers des terres impr\u00e9vues. Les gens sont frustr\u00e9s par le fait que les d\u00e9mocraties semblent incapables de produire des r\u00e9ponses solides et efficaces aux d\u00e9fis \u00e9cologiques. Nous pourrions m\u00eame aller jusqu’\u00e0 dire qu’il y une admiration occidentale pour les approches autoritaires et r\u00e9solues de la Chine en mati\u00e8re d’environnement. En d’autres termes, si la fin que constitue la durabilit\u00e9 de l’environnement est assez noble, elle peut justifier les moyens, c\u2019est-\u00e0-dire des attitudes autoritaires dans le chef de l\u2019\u00c9tat. Toutefois, \u00e0 l’issue d’un examen syst\u00e9matique du pouvoir \u00e9cologique chinois sur le terrain, nous avons d\u00e9couvert que la protection de l’environnement, plut\u00f4t que d’\u00eatre la fin, devient peu \u00e0 peu un pr\u00e9texte \u00e0 l’intensification du contr\u00f4le autoritaire sur le plan int\u00e9rieur, \u00e0 l’exercice d’une puissance g\u00e9opolitique et \u00e0 toutes sortes de jeux d’influence internationaux.<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : Pour ma part, je crois que l’admiration occidentale pour la d\u00e9termination chinoise en mati\u00e8re d’environnement prend en quelque sorte ses d\u00e9sirs pour des r\u00e9alit\u00e9s, et provient du sentiment que la plan\u00e8te est \u00e0 court de temps. Nous sommes tomb\u00e9s sous le charme de la notion de \u00ab civilisation \u00e9cologique \u00bb parce qu’elle convoque des images avant-gardistes.<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : D’une part, comment ne pas admirer l’\u00c9tat chinois qui investit des fonds consid\u00e9rables et accorde un soutien institutionnel sans faille \u00e0 l’innovation technologique et \u00e0 d’autres sujets de pr\u00e9occupation \u00e9cologique, que ce soit sous la forme de groupes de r\u00e9flexion ou de lieux tels que l’universit\u00e9 de Tsinghua. Les \u00c9tats-Unis ne peuvent qu’applaudir. Il n’existe pas de financement de la US National Science Foundation pouss\u00e9 \u00e0 un tel degr\u00e9. D’autre part, au-del\u00e0 de l’int\u00e9r\u00eat \u00e9vident suscit\u00e9 par cette attitude, elle refl\u00e8te aussi une sorte d’approche technocratique des politiques \u00e9cologiques o\u00f9 les ing\u00e9nieurs m\u00e8nent le processus tandis que les citoyens n’ont rien \u00e0 dire. De temps \u00e0 autres, ces ing\u00e9nieurs inventent quelque chose, comme ces chambres \u00e0 combustible capables d’envoyer de l’iodure d’argent dans la mousson en provenance d’Inde pour cr\u00e9er une \u00ab rivi\u00e8re d\u2019argent \u00bb sur le plateau tib\u00e9tain<\/a>. Puis, tout \u00e0 coup, ils veulent installer 10.000 de ces machines. Mais qu’en est-il des Indiens, qui ont aussi besoin de cette eau, ou des Tib\u00e9tains, dont les convictions n’autorisent pas ce type d’intervention ? Il existe ici l’impression que la race humaine peut conqu\u00e9rir la nature. Il y a des ann\u00e9es, j’ai travaill\u00e9 sur \u00ab La Guerre du Pr\u00e9sident Mao contre la nature \u00bb<\/a>, qui tourne enti\u00e8rement autour de cette th\u00e9matique \u2013 et qui repose sur le m\u00eame engouement pour le modernisme que celui d\u00e9crit par le politologue \u00e9tats-unien James Scott en 1999 dans Seeing Like a State<\/em><\/a>.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : Quand la capacit\u00e9 d’innovation, le pouvoir \u00e9pist\u00e9mique ou le savoir sont aussi centralis\u00e9s, la cons\u00e9quence est souvent que les fonctionnaires de l’\u00c9tat chinois, aussi bien intentionn\u00e9s soient-ils, n’ont tout simplement pas connaissance de ce qui se passe sur le terrain. Au point d’ignorer les apports des groupes ethniques minoritaires et des scientifiques ind\u00e9pendants. Dans ce cas, la centralisation rend un mauvais service \u00e0 l’\u00c9tat chinois. La fa\u00e7on dont ils envisagent ce qu’est la Chine d’aujourd’hui et ce que pourrait \u00eatre la Chine du futur est unidimensionnelle. En se montrant totalement insensibles \u00e0 la complexit\u00e9 de la nation comme \u00e0 la diversit\u00e9 de la soci\u00e9t\u00e9, les acteurs de l’\u00c9tat chinois sapent sa capacit\u00e9 \u00e0 bien gouverner.<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : D’une certaine fa\u00e7on, cette id\u00e9e que le parti repr\u00e9sente le peuple mais qu\u2019en m\u00eame temps il sait mieux que le peuple est pr\u00e9sente dans le syst\u00e8me de gouvernance du Parti communiste chinois (PCC) depuis les premiers jours.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : La civilisation \u00e9cologique est une strat\u00e9gie gouvernementale globale. De nombreux observateurs \u2013 tant en Chine qu’\u00e0 l’ext\u00e9rieur du pays \u2013 s’empressent de ne rien y voir d’autre que de la propagande. En r\u00e9alit\u00e9, la civilisation \u00e9cologique constitue la seule \u00ab innovation \u00bb apport\u00e9e par le marxisme chinois \u00e0 la formulation marxiste classique des \u00e9tapes de d\u00e9veloppement par lesquelles passent les soci\u00e9t\u00e9s : de l’agriculture \u00e0 l’imp\u00e9rialisme, de l\u2019imp\u00e9rialisme au capitalisme, puis au socialisme et, enfin, au communisme. Les marxistes parrain\u00e9s par l’\u00c9tat chinois sugg\u00e8rent en substance que la civilisation \u00e9cologique est l’\u00e9tape transitoire entre le socialisme et le communisme. En d’autres termes, ils soutiennent que la Chine vit une exp\u00e9rience de nature marxiste mais que Karl Marx lui-m\u00eame n’a pas connu. En ce sens, la civilisation \u00e9cologique constitue une contribution intellectuelle unique.<\/p>\n\n\n\n La Chine affirme par ailleurs qu’avant les guerres de l’opium, vers le milieu du XIXe<\/sup> si\u00e8cle, elle figurait parmi les civilisations les plus avanc\u00e9es de la plan\u00e8te, mais qu’elle a v\u00e9cu par la suite un si\u00e8cle d’humiliation. Le PCC se per\u00e7oit comme une organisation qui d\u00e9poussi\u00e8re la \u00ab nation chinoise \u00bb et la r\u00e9tablit dans sa gloire pass\u00e9e : il ne construit pas un type quelconque de civilisation, il construit un type de civilisation unique en son genre, une civilisation \u00e9cologique. Telle est en quelque sorte ce que devient actuellement la marque de fabrique du PCC en Chine. Il est essentiel de reconna\u00eetre la centralit\u00e9 de la civilisation \u00e9cologique dans la fa\u00e7on dont l’\u00c9tat chinois se con\u00e7oit. A l’avenir, la protection de l’environnement continuera d’occuper une place tr\u00e8s importante dans les politiques \u00e9tatiques chinoises.<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : Il faut rappeler que cette notion a \u00e9t\u00e9 incluse dans la Constitution de l’\u00c9tat chinois ainsi que dans les plans quinquennaux : ils auraient tr\u00e8s bien pu utiliser l’expression \u00ab d\u00e9veloppement durable \u00bb, mais ont pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 l’\u00e9viter parce que c\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 une importation de l’Occident.<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : <\/strong>Dans ses divers programmes environnementaux, l’\u00c9tat chinois s’efforce d’atteindre ses objectifs vis-\u00e0-vis des institutions et des citoyens ordinaires. Par exemple, la Chine construit des barrages depuis longtemps. Et ces barrages servent souvent les int\u00e9r\u00eats des fonctionnaires locaux qui profitent de la vente de l’\u00e9lectricit\u00e9. Mais aujourd’hui, vu l’engagement pour la neutralit\u00e9 carbone d’ici 2060, il est devenu beaucoup plus facile pour l’\u00c9tat de justifier la construction de ces barrages dans le cadre d’un portefeuille d’\u00e9nergies renouvelables. Les barrages hydro\u00e9lectriques sont d\u00e9j\u00e0 terriblement controvers\u00e9s, tant en Chine qu’\u00e0 l’\u00e9tranger. Les communaut\u00e9s qu’ils d\u00e9racinent leurs r\u00e9sistent. Les pays situ\u00e9s en aval du M\u00e9kong, comme le Vietnam, ont \u00e9t\u00e9 fortement impact\u00e9s par les constructions de barrages en Chine. L’Inde est \u00e9galement tr\u00e8s pr\u00e9occup\u00e9e par les projets de barrage de la Chine sur le Brahmapoutre.<\/p>\n\n\n\n En \u00e9coutant les voix de celles et ceux qui s’opposent aux barrages, l’\u00c9tat peut \u00e9viter de commettre de graves erreurs. Par exemple, le barrage pr\u00e9vu pour les gorges du Saut du tigre, dans la province du Yunnan, aurait caus\u00e9 des pr\u00e9judices catastrophiques au patrimoine immat\u00e9riel de la Chine. Il a \u00e9t\u00e9 abandonn\u00e9 en 2007<\/a> \u00e0 la suite d’une campagne massive, mais certains projets sont de nouveau sortis des cartons<\/a> et nous devons garder un \u0153il sur ces nouveaux pr\u00e9textes brandis pour d\u00e9velopper l’\u00e9nergie hydro\u00e9lectrique, qui est tr\u00e8s mauvaise pour la diversit\u00e9, le droit du paysage, et les droits de l’homme.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : L’admiration internationale pour l’\u00e9cologie chinoise provient en grande partie de la promotion des \u00e9nergies renouvelables par le gouvernement. Une certaine prudence devrait plut\u00f4t s’imposer \u00e0 cet \u00e9gard. Si l’hydro\u00e9lectricit\u00e9 est effectivement renouvelable sur le plan \u00e9nerg\u00e9tique, les barrages ont surtout pour cons\u00e9quence de d\u00e9truire les \u00e9cosyst\u00e8mes fluviaux et de g\u00e9n\u00e9rer de terribles impacts sociaux et \u00e9conomiques \u00e0 long terme sur les communaut\u00e9s locales. La question que nous devons nous poser est : quel est le prix que la Chine paie pour la mise en \u0153uvre de ses politiques en mati\u00e8re d’\u00e9nergies renouvelables ?<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : Le d\u00e9placement environnemental est un aspect crucial de la justice climatique. Des barrages sont construits par-del\u00e0 les fronti\u00e8res sur le M\u00e9kong pour r\u00e9pondre aux besoins \u00e9nerg\u00e9tiques de la Chine. M\u00eame le long de la nouvelle route de la soie, son programme d’infrastructures visant \u00e0 relier l’Asie \u00e0 l’Afrique et \u00e0 l’Europe par des r\u00e9seaux terrestres et maritimes, la Chine exporte des centrales \u00e9lectriques au charbon et recherche et extrait des mati\u00e8res premi\u00e8res, ce qui a de graves r\u00e9percussions sur l’environnement. Les d\u00e9placements environnementaux sont de plus en plus repouss\u00e9s vers l’\u00e9tranger, vers des communaut\u00e9s plus pauvres, dont la position est trop faible pour r\u00e9sister, que ce soit en Afrique, en Am\u00e9rique latine ou m\u00eame le long de la nouvelle route de la soie. Aujourd’hui, la nouvelle route de la soie est pr\u00e9sent\u00e9e comme une solution gagnante pour la Chine et pour ses partenaires. Elle fait \u00e9cho \u00e0 la th\u00e9orie selon laquelle le capitalisme, au stade avanc\u00e9, doit constamment rechercher de nouveaux march\u00e9s et de nouvelles mati\u00e8res premi\u00e8res.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : La politique de recyclage de la ville de Shanghai est un bon exemple d’in\u00e9galit\u00e9 entre villes et campagnes. Le recyclage existe dans cette ville depuis des d\u00e9cennies et il constitue une source de revenus principale pour de nombreux travailleurs migrants. Le gouvernement tente d\u00e9sormais de mettre en place dans la ville un syst\u00e8me de recyclage plus formalis\u00e9 en chassant les migrants et en les rempla\u00e7ant par des travailleurs locaux. En parall\u00e8le, cette politique gentrifie la ville et restreint l’espace \u00e9conomique des travailleurs migrants, au point qu’il ne leur est plus possible de prosp\u00e9rer dans les grands centres m\u00e9tropolitains que sont Shanghai et P\u00e9kin. Nous observons cette tendance dans d’autres endroits \u00e9galement.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : La Chine se sert de l’initiative de la nouvelle route de la soie comme d’un m\u00e9canisme destin\u00e9 \u00e0 absorber ses exc\u00e9dents \u00e9conomiques. Elle exporte des technologies ferroviaires \u00e0 grande vitesse \u00e0 ses partenaires de la nouvelle route de la soie alors que son march\u00e9 int\u00e9rieur est satur\u00e9. La nouvelle route de la soie est en train de devenir une strat\u00e9gie de croissance \u00e9conomique. C\u2019est assez ahurissant de voir comment les acteurs \u00e9tatiques chinois continuent, malgr\u00e9 la destruction de l’environnement caus\u00e9e par la nouvelle route de la soie, de la qualifier de \u00ab verte, intelligente, win-win \u00bb. Il existe de nombreuses preuves attestant de la destruction des habitats \u00e9cologiques, des dommages que les ports en eau profonde infligent aux syst\u00e8mes marins et des \u00e9missions de carbone dans l’atmosph\u00e8re caus\u00e9es par les centrales \u00e9lectriques au charbon.<\/p>\n\n\n\n La Chine a annonc\u00e9 un plan visant \u00e0 atteindre un pic de ses \u00e9missions de carbone au plus tard en 2030, puis la neutralit\u00e9 carbone d’ici 2060. La v\u00e9ritable question est : comment vont-ils y parvenir ? Diverses exp\u00e9riences locales cherchent \u00e0 rendre compte de la neutralit\u00e9 carbone. \u00c0 P\u00e9kin, par exemple, toute organisation ou personne souhaitant organiser un \u00e9v\u00e9nement sportif doit faire un \u00ab inventaire carbone complet \u00bb et calculer les quantit\u00e9s d’\u00e9nergie, de carburant, d’eau, etc. requises par l’\u00e9v\u00e9nement. Le total sera ensuite compar\u00e9 au quota de carbone attribu\u00e9 par le gouvernement. Quiconque d\u00e9passe son quota doit se tourner vers le m\u00e9canisme de plafonnement et d’\u00e9change de droits d’\u00e9mission de carbone de P\u00e9kin pour acheter plus de cr\u00e9dits carbone. Cette exp\u00e9rience me semble tr\u00e8s risqu\u00e9e. Elle donne aux acteurs du gouvernement chinois une autorit\u00e9 consid\u00e9rable dans la d\u00e9termination de la quantit\u00e9 de carbone que tout \u00e9v\u00e9nement est habilit\u00e9 \u00e0 \u00e9mettre. Il n’est pas si exag\u00e9r\u00e9 que cela d’imaginer un sc\u00e9nario o\u00f9 les \u00e9v\u00e9nements qui sont mieux align\u00e9s sur les ambitions de l’\u00c9tat obtiennent davantage de cr\u00e9dits. Si l’engagement de la neutralit\u00e9 carbone d’ici 2060 devait \u00eatre concr\u00e9tis\u00e9 de cette mani\u00e8re, ce serait tr\u00e8s inqui\u00e9tant.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : Les diplomates chinois sont largement mus par l’id\u00e9e que l’approche \u00e9conomique chinoise puisse \u00eatre r\u00e9pliqu\u00e9e avec succ\u00e8s dans d’autres r\u00e9gions du monde comme l’Afrique et l’Am\u00e9rique du Sud. L’\u00c9tat chinois veut \u00eatre un chef de file mondial en mati\u00e8re de protection de l’environnement. Sous Trump, les \u00c9tats-Unis ont d\u00e9mantel\u00e9 une grande partie de leur appareil environnemental. La Chine semble tr\u00e8s d\u00e9sireuse de combler ce vide. Par contre, si elle veut \u00eatre \u00e0 la hauteur de son potentiel de leader mondial, la Chine devra apprendre \u00e0 \u00e9couter les acteurs non \u00e9tatiques. ll lui faudra apprendre \u00e0 \u00eatre sensible aux autres conceptions du d\u00e9veloppement et aux pr\u00e9occupations qui peuvent ou non s’aligner sur sa vision du d\u00e9veloppement centr\u00e9e sur les villes, qui semble \u00eatre si profond\u00e9ment ancr\u00e9e dans l’\u00c9tat chinois. <\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro <\/strong> : Quand on n’examine que le carbone, on n\u00e9glige de nombreux autres types d’impacts \u00e9cologiques. Les m\u00e9gabarrages chinois, par exemple, ont des r\u00e9percussions gigantesques sur toutes sortes d’\u00e9cosyst\u00e8mes. Avec l’urgence de la crise climatique, il nous arrive parfois d’oublier qu’il y a d’autres enjeux \u00e9cologiques.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : Une des conclusions les plus importantes des \u00e9tudes sur l’environnement est l’interconnexion entre tout ce qui existe. Nous ne pouvons pas isoler des activit\u00e9s telles que les monocultures de ma\u00efs ou de soja du syst\u00e8me plus large qui les g\u00e9n\u00e8re, ni des dommages qu’elles infligent \u00e0 d’autres partie de l’\u00e9cosyst\u00e8me. Que l’on consid\u00e8re une for\u00eat, un \u00e9cosyst\u00e8me marin ou m\u00eame un \u00e9cosyst\u00e8me urbain, tout projet doit \u00eatre sensible non seulement aux impacts \u00e9cologiques \u00e0 long terme, mais \u00e9galement aux impacts qui ne sont peut-\u00eatre pas imm\u00e9diatement apparents. Prenez le cas du barrage des Trois-Gorges : des inqui\u00e9tudes s’\u00e9taient d\u00e9j\u00e0 fait entendre avant m\u00eame sa construction, avant que ne se produisent un grand nombre des cons\u00e9quences \u00e9cologiques qui avaient \u00e9t\u00e9 pr\u00e9vues. Ce n’est qu’apr\u00e8s dix ou vingt ans que nous commen\u00e7ons \u00e0 observer la disparition de la s\u00e9dimentation \u00e0 long terme, avec ses cons\u00e9quences sur les communaut\u00e9s vivant en aval. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne \u00e9tait jusque-l\u00e0 inconnu, tout simplement parce que les humains n’avaient jamais exp\u00e9riment\u00e9 un impact similaire \u00e0 une telle \u00e9chelle. D\u00e9sormais, nous savons pertinemment qu’\u00e0 cause du barrage des Trois-Gorges la ville de Shanghai ne re\u00e7oit pas assez de s\u00e9diments, si bien que ceux-ci sont peu \u00e0 peu emport\u00e9s dans la mer de Chine orientale parce que les eaux oc\u00e9aniques sont sal\u00e9es et \u00e9rosives. Les cons\u00e9quences \u00e9cologiques mettront tr\u00e8s longtemps \u00e0 se manifester. Si nous ne sommes pas attentifs maintenant, les cons\u00e9quences peuvent se r\u00e9v\u00e9ler tr\u00e8s co\u00fbteuses plus tard.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : C’est une priorit\u00e9 absolue. La ville de Shanghai, o\u00f9 je suis n\u00e9 et o\u00f9 j’ai grandi, risque de subir de graves perturbations climatiques si le niveau de la mer continue \u00e0 monter. Les hauts dirigeants en sont pleinement conscients et investissent dans une digue comparable \u00e0 celle de Venise. Dans le m\u00eame temps, Shanghai a investi dans plus de 600 pompes install\u00e9es sur ses voies navigables afin de pomper l’eau et de limiter les impacts sur les \u00e9tablissements humains en cas de temp\u00eate. La ville investit aussi dans des projets de renforcement de ses berges tout au long de l’ann\u00e9e. Cette lutte est permanente : Shanghai est le centre m\u00e9tropolitain le plus important pour l’\u00e9conomie chinoise. Le pays ne peut tout simplement pas se permettre de le perdre en raison du changement climatique. Il est cependant frappant de constater qu’\u00e0 c\u00f4t\u00e9 de ces efforts consid\u00e9rables pour rendre Shanghai climatiquement r\u00e9siliente, l’\u00e9conomie chinoise continue d’\u00e9mettre du carbone et toutes sortes de gaz \u00e0 effet de serre qui assombrissent toujours davantage les perspectives climatiques \u00e0 long terme.<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : Dans l’ensemble, l’\u00c9tat chinois est beaucoup plus conscient du changement climatique que le grand public. D’une fa\u00e7on g\u00e9n\u00e9rale, les Chinois se pr\u00e9occupent beaucoup plus de l’impact de la pollution de l’air ou de l’eau sur leur sant\u00e9 publique. M\u00eame au sein des couches les plus instruites, le changement climatique semble n’\u00eatre qu\u2019un concept abstrait. Quelques jeunes gens suivent l’exemple de militantes telles que Greta Thunberg, mais la pollution atmosph\u00e9rique au niveau du sol a un caract\u00e8re beaucoup plus urgent quand tout le monde tousse et que les enfants ne peuvent pas sortir pour jouer.<\/p>\n\n\n\n Yifei Li<\/strong> : L’ environnement, et le climat en particulier, est un domaine qui offre un vrai potentiel en termes de partenariat entre la Chine et l’Europe, mais aussi entre la Chine et les \u00c9tats-Unis. L’Europe poss\u00e8de une telle exp\u00e9rience dans le plafonnement et l’\u00e9change d’\u00e9missions de carbone, par exemple, et la Chine semble d\u00e9sireuse d’acqu\u00e9rir ces connaissances et de s’en servir. En outre, \u00e0 la diff\u00e9rence de nombreux partenaires de la Chine dans le projet de la nouvelle route de la soie en Afrique et en Asie centrale, l’Europe dispose de nombreuses institutions juridiques solides. Les directions g\u00e9n\u00e9rales de l’\u00c9nergie et de l’Environnement de la Commission europ\u00e9enne disposent toutes deux de r\u00e8gles en vigueur qui ont largement fait leurs preuves. A mesure que la nouvelle route de la soie continue de s’enraciner dans des pays tels que l’Italie ou l’Allemagne, il sera int\u00e9ressant de voir si les fonctionnaires de l’UE parviennent \u00e0 tenir les investisseurs publics chinois responsables devant la l\u00e9gislation europ\u00e9enne et non devant la l\u00e9gislation chinoise. La Chine et ses partenaires \u00e9trangers ne disposent pas d’institutions juridiques globales capables de chapeauter les projets de la nouvelle route de la soie : la Chine se contente de se conformer aux dispositions juridiques locales et aux codes r\u00e9glementaires locaux. Le vrai sc\u00e9nario gagnant-gagnant qui pourrait se concr\u00e9tiser serait que les projets de la nouvelle route de la soie s’av\u00e8rent b\u00e9n\u00e9fiques pour les Europ\u00e9ens tout en ayant un sens pour les investisseurs \u00e9conomiques publics chinois. Pour l’instant, nous pouvons tout au plus constater que la Chine noue des partenariats avec des pays tels que le Sri Lanka, Djibouti et la Tanzanie, dans des contextes politiques o\u00f9 le r\u00e9gime r\u00e9glementaire local peut \u00eatre corrompu, minimal ou simplement inefficace. L’UE sera donc un test crucial pour la nouvelle route de la soie.<\/p>\n\n\n\n Judith Shapiro<\/strong> : Les commentateurs ont sugg\u00e9r\u00e9 que les relations entre les \u00c9tats-Unis et la Chine ont \u00e9t\u00e9 tellement endommag\u00e9es par la guerre commerciale de Trump que la politique climatique sera ax\u00e9e sur la concurrence plut\u00f4t que sur la coop\u00e9ration. Je ne pense pas qu’il en sera forc\u00e9ment ainsi. Lors du sommet de l’APEC de 2014, Barack Obama et Xi Jinping s\u2019\u00e9taient engag\u00e9s \u00e0 travailler ensemble sur le climat. Ces enjeux peuvent faire office de points d’ancrage afin de renouveler un partenariat lus \u00e0 rude \u00e9preuve. Ayant consacr\u00e9 ma vie aux relations entre les \u00c9tats-Unis et la Chine, j’aimerais savoir si nous pouvons nous accrocher \u00e0 la possibilit\u00e9 que les \u00c9tats-Unis et la Chine travaillent en \u00e9troite collaboration sur cette question. Ce qui ne signifie pas que la Chine doit \u00eatre excus\u00e9e pour ses violations des droits de l’homme au Xinjiang et au Tibet, par exemple, ou pour la situation en mer de Chine m\u00e9ridionale \u2013 mais sur le seul plan climatique, les \u00c9tats-Unis et la Chine ont largement mati\u00e8re \u00e0 collaborer.Yifei Li<\/strong> : Il ne s’agit pas de savoir si la Chine et l’UE ou les \u00c9tats-Unis choisissent de travailler main dans la main. Nous sommes dans une crise plan\u00e9taire qui est tout simplement trop urgente. Si nous voulons vraiment faire en sorte que cette plan\u00e8te soit habitable, la seule option est de travailler ensemble.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" Dans cette interview, les auteurs de China Goes Green<\/em> (Polity, 2020) nous livrent leur interpr\u00e9tation de l’approche de l’\u00e9cologie par l’\u00c9tat chinois, qui en fait un instrument de renforcement du contr\u00f4le autoritaire, avec le danger que le climat ne finisse par \u00e9clipser d’autres enjeux sociaux et \u00e9cologiques fondamentaux.<\/p>\n","protected":false},"author":10,"featured_media":101670,"comment_status":"closed","ping_status":"closed","sticky":false,"template":"templates\/post-reviews.php","format":"standard","meta":{"_acf_changed":false,"_trash_the_other_posts":false,"footnotes":""},"categories":[1730],"tags":[],"geo":[531],"class_list":["post-101668","post","type-post","status-publish","format-standard","hentry","category-energie-et-environnement","staff-clemence-pelegrin","geo-chine"],"acf":[],"yoast_head":"\nVous avez d\u00e9crit l’approche tr\u00e8s centralis\u00e9e de la Chine en mati\u00e8re de politique \u00e9cologique. Dans quelle mesure ce choix peut-il \u00eatre probl\u00e9matique pour une \u00e9laboration efficace des politiques ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Comment interagit cet \u00e9comodernisme avec la notion de civilisation \u00e9cologique ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Pouvez-vous dire un mot du ph\u00e9nom\u00e8ne de \u00ab l’accaparement vert \u00bb et de ce qu’il r\u00e9v\u00e8le de l’attitude du gouvernement chinois par apport \u00e0 la transition \u00e9nerg\u00e9tique sur le terrain ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Dans quelle mesure la transition chinoise aggrave-t-elle les in\u00e9galit\u00e9s sociales, tant dans le pays qu’\u00e0 l’\u00e9tranger ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Quelles sont vos r\u00e9flexions sur la logique \u00e9conomique de l’\u00e9quilibre co\u00fbt-b\u00e9n\u00e9fice qui sous-tend les ambitions \u00e9cologiques du gouvernement chinois ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
La Chine a-t-elle l’intention d’acqu\u00e9rir un leadership intellectuel mondial sur la mani\u00e8re dont les \u00c9tats peuvent concilier d\u00e9veloppement \u00e9conomique et transition \u00e9cologique ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Pourriez-vous nous en dire davantage sur les impacts environnementaux non climatiques en Chine ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Est-ce que la Chine investit dans son adaptation aux effets actuels du changement climatique ? Dans quelle mesure cette priorit\u00e9 est-elle importante pour le gouvernement chinois ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n
Comment voyez-vous la coop\u00e9ration internationale entre l’Europe et la Chine en mati\u00e8re d\u2019environnement, de priorit\u00e9s et de projets communs ?<\/strong><\/h3>\n\n\n\n