Tripoli. Tandis que le monde entier est paralysé par les événements inhérents au COVID-19, la guerre civile libyenne ne bénéficie quant à elle d’aucun répit sanitaire, et ce en dépit des sommations des Etats européens, de la Ligue arabe et de l’USNMIL1.

Dans la nouvelle bataille pour Tripoli, engagée au début du mois d’avril 2019, les troupes de l’autoproclamée Armée de Libération Nationale (ALN) ont connu des revers conséquents, perdant le contrôle de plusieurs villes de l’ouest de Tripoli, notamment Surman, Sabratha, Al Ajaylat, Al-Jameel, Rikdalin et Zalata2. Le Gouvernement d’union nationale (GUN) se trouve à présent renforcé, s’étendant désormais sur toute la côte libyenne à l’ouest de Tripoli jusques Ras Ajdir, près de la frontière tunisienne.

En effet, peu après la déclaration du Centre national de contrôle des maladies libyen le 24 mars dernier3 annonçant le premier cas d’infection au COVID-19 sur le territoire libyen, des affrontements étaient enregistrés dans les quartiers sud de Tripoli lors d’une opération de l’Armée nationale libyenne, notamment près des prisons d’Ain Zara et d’Al-Baraka (appelée également Al-Ruwaimi).

Ce faisant, la contre-offensive des forces armées du GUN fut en conséquence prompte puisque les forces armées alliées au GUN ont ourdi le 25 mars à leur tour une offensive contre la base aérienne d’Al-Watiyah, située à 150 Km de l’ouest de la capitale et maintenue sous le joug de l’ANL. La base aérienne Al-Watiya est considérée comme l’une des bases aériennes les plus stratégiques du pays, derrière l’aéroport de Mitliga. Capturée en août 2014 par l’ALN, Al-Watiya permet d’assurer un appui logistique aux opérations dans les zones contrôlées par les groupes armées pro-ANL en Tripolitaine.

Le 14 avril dernier, les forces de Tripoli ont repris trois villes hautement stratégiques à l’ALN, à savoir Sabratha, Surman et al-Ajaylat. Or, pour le maréchal Haftar, pays ruiné vaut mieux que pays perdu. A la suite de la perte de ces territoires de l’ouest libyen, plusieurs dizaines de roquettes se sont abattues en représailles sur Tripoli4. Ces revers de l’ALN constituent néanmoins des victoires notables et inédites pour le GUN qui, depuis la prise de Syrte le 6 janvier dernier, a enregistré plusieurs semaines de progression. En effet, la décision stratégique turque d’intervenir militairement afin de soutenir le GUN en décembre 2019 a été décisive5, induisant une reconfiguration du conflit. La campagne d’attaques aux drones initiée en mars a été à cet effet lourde de conséquences pour l’armement de l’ALN, détruisant des dizaines de blindés et causant la mort de plusieurs officiers.

Pour le maréchal Haftar, la stratégie diplomatico-militaire doit nécessairement s’appuyer sur la célèbre maxime les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Par conséquent, le récent rapprochement entre Damas et Abu Dhabi vraisemblablement soutenu par Moscou pourrait alimenter l’escalade d’ingérences étrangères dans la bataille de Tripoli6. A son tour, le maréchal Haftar a entrepris ces dernières semaines un rapprochement avec le gouvernement syrien, notamment lors de sa visite secrète le mois dernier à Damas7.

Réponse politico-diplomatique à l’axe Ankara-Doha-Tripoli, ce nouvel axe Damas-Abu-Dhabi-Benghazi témoigne de l’imbrication progressive des conflits syrien et libyen. Afin de contrebalancer le soutien quantitatif et qualitatif d’Ankara au GUN, Moscou et Damas ont convenu d’un accord avec d’anciennes troupes rebelles de la région de Qunaitra. Soutenus financièrement par la Russie, plusieurs centaines de combattants syriens seront envoyés combattre le GUN et ses mercenaires syriens auprès du maréchal Haftar8.

Pourtant, tous ces récents événements interviennent au lendemain d’un accord entre le GUN et l’ANL faisant suite aux appels des Etats européens et de l’UNSMIL à une trêve humanitaire compte tenu de la progression du COVID-19 dans le pays9. Alors que le chef de la Ligue arabe a enjoint les belligérants à mettre en place un cessez-le-feu en Libye10, en particulier à Tripoli, où les différents partis du conflit semblent faire fi des désidératas de la communauté européenne et semblent vouloir profiter de l’instabilité politico-sanitaire afin de renverser le rapport de force.

Bien que le GUN et le gouvernement du Cyrénaïque aient adopté une série de mesures afin d’endiguer la menace sanitaire11, la Libye constitue toujours un terreau fertile à la propagation du virus. En effet, l’instabilité politique chronique, les carences en matière de coordination nationale, la poursuite des combats ainsi que les faibles moyens matériels et financiers de certaines villes du pays pourraient avoir des effets sensiblement négatifs sur les efforts humanitaires d’ores et déjà engagés.

Impuissante comme à son habitude, la Ligue arabe ne dispose pas d’une marge de manœuvre suffisante qui permettrait des prises de décisions concrètes et effectives face non seulement à la crise sanitaire, en particulier dans les pays en conflit, mais également aux ingérences étrangères. Compte tenu de l’évolution actuelle de la situation politique et sanitaire, la Libye fait face au risque élevé de ne pas être en capacité de contenir la pandémie sur son territoire, induisant des effets dévastateurs à la fois pour la population libyenne, sur le plan humanitaire, sociétal et économique, mais aussi pour les pays frontaliers, à l’instar des voisins méditerranéens, arabes et africains. C’est pourquoi une période de calme durable assurée par un cessez-le-feu d’envergure nationale s’avère nécessaire afin de permettre l’établissement d’une coopération effective entre les différentes lignes de front.