Bruxelles. Treize ministres de l’environnement européens, dont les ministres français, allemand et italien, ont appelé le 9 avril à mettre le Green Deal au cœur de la relance économique européenne1. Alors que l’Europe est confinée et que plusieurs pays n’ont pas encore passé leur pic épidémique, l’Union européenne prépare déjà l’après. Après avoir reçu des critiques au début de la pandémie, l’Union s’attelle à organiser la solidarité européenne dans la réponse sanitaire (équipement médical, tests, traitements et recherche d’un vaccin). L’UE doit également organiser avec les États membres le soutien de l’économie et le sauvetage de certains secteurs durement touchés par la crise (aviation, automobile, tourisme, restauration). Se pose alors la question des mesures de relance adéquates à mettre en oeuvre et de leur impact sur le climat et la biodiversité.

Cinq jours après la tribune des ministres de l’environnement, un collectif de 180 personnalités politiques, dirigeants d’ONG et chefs d’entreprise (avec quelques invités surprise : Unilever, H&M, Coca-Cola…) a lancé un appel pour créer une alliance européenne pour une relance verte2. Il est transpartisan (des députés européens socialistes, libéraux et verts de premier plan en font partie) et est mené par le président de la commission environnement au Parlement européen Pascal Canfin. Ce collectif demande de « construire les plans de relance nationaux et européens en inscrivant la lutte contre le changement climatique au cœur du moteur économique ». Le Parlement européen prépare en parallèle une résolution qui souligne que le Green Deal doit être au centre de la reconstruction de l’économie, pour la rendre plus résiliente et créer des emplois.

Est-ce qu’une relance verte est envisageable ?

Ces initiatives s’ajoutent aux appels à bâtir un « monde d’après » plus juste et plus résilient qui émanent de toutes parts et à toutes échelles : associations sociales et environnementales (WWF, Croix-Rouge, Greenpeace), députés nationaux (en France, voir la plateforme Le jour d’après) ou encore acteurs du monde économique (plateforme reCOVery). Ces vœux vont-ils rester pieux ou la transition écologique va-t-elle effectivement avoir une place majeure dans la relance économique ? 

Jusqu’à présent, nombre d’entreprises et de lobbies se sont fait remarquer en demandant un assouplissement des règles environnementales (limites d’émissions critiquées par le lobby automobile, offensive des lobbys de la plasturgie pour vanter les mérites sanitaires du plastique à usage unique). De nombreuses grandes entreprises ont rejoint l’alliance pour une relance verte de Pascal Canfin, synonyme d’investissements verts, mais font du lobbying en coulisse pour repousser les autres mesures du Green Deal, via BusinessEurope et l’AFEP par exemple3.

Les principales mesures d’urgence mises en place, les garanties de prêt et les reports de charge, sont proposés sans distinction à toutes les entreprises affectées. L’Italie a ainsi nationalisé la compagnie aérienne Alitalia, en grande difficulté financière suite au confinement. Le secteur aérien étant massivement touché, d’autres compagnies européennes devront probablement être sauvées. La Suède va par exemple accorder près d’un demi-milliard d’euros de garanties de prêts aux compagnies opérant dans son espace aérien4, en bénéficiant d’un allègement des règles européennes d’aides d’Etat. Or, le secteur aérien a des émissions en forte croissance et est faiblement taxé par rapport aux autres moyens de transport, comme le montre une étude de la Commission sortie en 20195. La question des contreparties à ces sauvetages (qui apparaissent nécessaire en termes d’emplois) va donc se poser. A l’instar de l’économiste Dirk Schoenmaker, de nombreuses voix appellent à assortir ces aides d’Etat ou garanties octroyées dans le cadre de la relance post-COVID de conditions environnementales, afin d’accélérer la mise en oeuvre du Green Deal6.

Selon les orientations du Conseil européen du 26 mars7, la relance économique devrait en outre favoriser les industries de la transition énergétique comme les transports bas-carbone ou l’efficacité énergétique. La Commission européenne entend ainsi faire de sa « Vague de rénovation énergétique » un pilier de la relance post-COVID. L’Institut pour l’économie du climat (I4CE) a proposé un plan de relance pour la France de 7 milliards d’euros par an, qui comprend des investissements publics dans les bâtiments publics et le transport, l’obligation de travaux de rénovation énergétique et un certain nombre d’outils financiers8. Un financement de taille critique sera toutefois nécessaire pour assurer le renforcement de l’ économie. Les investissements européens dépendront de la capacité des pays à se mettre d’accord sur un budget ambitieux pour la relance. 

Les pays européens, bon indice de performance environnementale

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a remis au centre du débat le Cadre financier pluriannuel, qui doit fixer le budget de l’UE de 2021 à 2027, et devrait en faire une nouvelle proposition le 29 avril. Le 22 février dernier, les chefs d’Etats européens réunis au Conseil n’avaient en effet pas réussi à se mettre d’accord sur celui-ci. Les quatre États dits « frugaux » (Autriche, Pays-Bas, Suède et Danemark), appuyés par l’Allemagne, avaient alors refusé de combler le trou laissé par la sortie du Royaume-Uni et demandaient à restreindre le budget en-dessous de 1 % du PIB. A l’inverse, les Etats du Sud et de l’Est et le Parlement européen soutenaient un budget plus ambitieux, à hauteur de 1,3 % du PIB. Un mois et demi après, en pleine pandémie du COVID-19, l’urgence de la crise rebat les cartes. Le budget sera plus important et il contiendra probablement un fond dédié à la préservation et à la relance de l’économie.

Certaines initiatives en cours au niveau européen pourront être renforcées pour participer à la relance d’après-crise. Parmi les pistes considérées, la Banque européenne d’investissement, qui s’est muée en “Banque du climat”, pourrait par exemple participer au financement des projets de transition énergétique. Les projets importants d’intérêt européen commun (Alliance pour les batteries, pour l’hydrogène vert) devraient aussi être favorisés. De même, plusieurs révisions en cours de la législation européenne pourraient être adaptées au contexte de relance verte. Tout d’abord, la révision du cadre des aides d’État pourrait introduire des conditions environnementales, comme proposé précédemment. La révision de la régulation des Réseaux transeuropéens d’énergie devrait restreindre les investissements dans les infrastructures gazières. Enfin, la révision du marché de quotas d’émissions de CO2, qui devait accélérer la réduction du plafond d’émission en accord avec les futurs objectifs climatiques pour 2030, pourrait inclure un prix plancher ou une réforme de la réserve de stabilité du marché, pour faire face à la diminution actuelle du prix du carbone.

Une relance verte est-elle une bonne nouvelle pour le climat ?

En plus des appels à faire de la relance verte une source de croissance, le modèle économique européen, fondé sur la libéralisation des marchés et la mondialisation, est questionné en profondeur. Un découplage relatif entre émissions de CO2 et croissance étant insuffisant, l’impact écologique de la relance « verte » sera remis en cause si celle-ci n’est pas accompagnée d’un effort de sobriété. Emmanuel Macron, dans son allocution du 13 mars, nous enjoint d’ailleurs peu ou prou de questionner le modèle dit néo-libéral en vigueur depuis plus de trente ans : « Il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seuls peuvent permettre de faire face aux crises à venir. »9 

En effet, une économie planifiée, de long-terme, renvoie plutôt aux grandes entreprises publiques créatrices d’industrie (EDF et le nucléaire en France, la Deutsche Bahn et le train en Allemagne) qu’à la libéralisation des marchés de l’électricité et du transport ferroviaire engagée en Europe depuis les années 90. De même, la sobriété carbone implique un changement du paradigme de la consommation de masse, ce qui créera des tensions inévitables avec l’impératif de croissance qui demeure le référentiel central des gouvernants. Enfin, la résilience du système alimentaire et des chaînes de valeur industrielles suggère d’envisager une reconfiguration de certaines productions. Cela pourrait passer par une relocalisation ou une diversification de certaines industries et de la production agricole, à l’inverse des délocalisations et des regroupements de production dans certaines zones géographiques qui se sont produits jusqu’à aujourd’hui.

« A la demande de bon sens : ‘Relançons le plus rapidement possible la production’, il faut répondre par un cri : ‘Surtout pas !’. La dernière des choses à faire serait de reprendre à l’identique tout ce que nous faisions avant. »,  nous conseille le philosophe et sociologue Bruno Latour10. Une relance économique qui reproduirait la situation antérieure n’est pas envisageable et une relance économique verte dont la transition écologique serait l’un des piliers pourrait être insuffisante. Mais une planification d’une industrie sobre et bas-carbone et de la réduction progressive des activités carbonées est-elle possible dans un contexte d’Europe à 27 ?

Sources
  1. Ministres de l’environnement d’Autriche, Danemark, Finlande, Italie, Lettonie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Espagne, Suède, France, Allemagne, Grèce, European Green Deal must be central to a resilient recovery after Covid-19, 9 avril 2020
  2. Collectif,  « En Europe, il nous faudra inventer un modèle de prospérité nouveau », 14 avril 2020
  3. Coronavirus : les grandes entreprises françaises profitent de la crise pour demander le report des mesures du Green Deal, Contexte, 14 avril 2020
  4. Coronavirus : 455 M€ pour les compagnies aériennes, Air&Cosmos, 13 avril 2020
  5. Leaked European Commission study on aviation taxes, Transport & Environment, 13 mai 2019
  6. SCHOENMAKER Dirk,  A green recovery, Bruegel, 6 avril 2020
  7. Déclaration commune des membres du Conseil européen, 26 avril 2020
  8. HAINAUT Hadrien, LEDEZ Maxime, PERRIER Quentin, LEGUET Benoît, Investir en faveur du climat contribuera à la sortie de crise, I4CE, 1 avril 2020
  9. MACRON Emmanuel, Adresse aux Français, 13 avril 2020
  10. LATOUR Bruno, Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise, AOC, 30 mars 2020