Skopje. « L’État de droit est notre meilleur outil pour défendre ces libertés et protéger les plus vulnérables de notre Union. C’est pourquoi il ne peut y avoir de compromis en matière de respect de l’État de droit » – c’est ainsi que Mme Ursula von der Leyen, nouvelle présidente de la Commission européenne, a défendu les valeurs européennes dans sa déclaration d’ouverture lors de la session plénière du Parlement européen à Strasbourg, le 16 juillet 2019.

Retour en arrière : ancienne République de Macédoine, 2015. Après la crise politique dans le pays, sous l’influence et la pression des puissances internationales (USA et UE), les quatre plus grands partis politiques se sont assis autour d’une table et ont signé l’Accord de Przino1. La politique a pris les devants dans ce processus. L’accord a conduit à la création d’un bureau spécial du procureur général (connu sous le nom de SJO) chargé des infractions pénales liées à l’interception illégale de communications et de l’utilisation de leur contenu. Katica Janeva, jusqu’alors largement inconnue, a été nommée procureure spéciale, un choix qui a été, pour beaucoup, une surprise, étant donné le mystère qui l’entoure et le fait que de nombreux avocats/professeurs mieux connus et reconnus avaient été pressentis pour ce poste2. Il convient de mentionner que depuis l’adoption de la loi relative au SJO, sa constitutionnalité a fait l’objet de débats3.

Aujourd’hui, République de Macédoine du Nord, juillet/août 2019. Le procureur spécial Katica Janeva démissionne publiquement devant les médias, quelques heures seulement avant que le ministère public ne lance l’affaire « Reket ». Les images de l’affaire « Reket » (Racket)4, qui ont été remises au bureau du procureur du crime organisé, ont confirmé qu’une troisième personne était impliquée dans les pourparlers entre le racketteur et l’extorqueur pour influencer le fonctionnement du SJO dans le but de faire libérer un homme d’affaires détenu. Selon la déclaration exclusive du procureur Ruskovska pour KOD (Telma TV), la troisième personne était bien la procureure spéciale Katica Janeva elle-même5. L’affaire « Reket » s’est développée jour après jour, suivie de spéculations sur l’implication possible d’autres responsables du SJO ainsi que de hauts responsables du parti au pouvoir et du gouvernement de l’époque. Le déroulement de l’enquête montrera si le rôle de ce Parquet spécial est resté politique ou si son implication a pris d’autres formes.

Le scandale jette l’opprobre sur le nouveau gouvernement, dirigé par les Sociaux-démocrates de Zoran Zaev, fortement soutenus par les États-Unis et l’Union. L’affaire est d’autant plus grave que Zaev est arrivé au pouvoir avec le mandat de mettre en œuvre l’État de droit dans le pays, et dans le sillage d’enquêtes menées par le bureau de San José lui-même, qui ont miné la crédibilité du précédent gouvernement de droite dirigé par le VMRO-DPMNE.

En effet, il est supposé que les puissances internationales aient joué un rôle important au cours de ces dernières années. Le rôle des États-Unis n’est guère surprenant, car leur engagement dans les Balkans a souvent été comparable à celui d’un jeu d’échecs, dans lequel la préférence allait à la politique plutôt qu’au droit. Ce qui n’est pas clair ici, c’est le rôle de Bruxelles. Le projet de l’Union européenne est unique en son genre, précisément en raison des valeurs fondamentales qu’elle promeut, et qui représentent une part importante de ses politiques d’élargissement. Mais ces dernières années, il semblerait que, dans la pratique, la politique l’emporte sur le droit dans la tactique d’élargissement de l’Union6. Le scandale d’aujourd’hui, qui frappe un chouchou de la politique d’élargissement, créée sous les auspices de Bruxelles, peut être considéré comme un effet boomerang – les conséquences d’une politique vers les Balkans court-termiste.

Le rôle de la France dans ce processus doit être souligné : dans ses interventions, l’ambassadeur de France en République de la Macédoine du Nord, S.E. Christian Thimonier, souligne régulièrement la nécessité d’un État de droit et de résultats concrets sur le terrain, de passer des déclarations à une mise en œuvre pratique, dans le respect des critères de l’État de droit et au service des citoyens7. Des messages audacieux, clairs et indiscutables dans l’esprit européen en faveur du respect des principes et des valeurs, ont pu être entendus de la part de la France, mais pas aussi fortement chez les autres pays de l’Union. Reste à savoir si la nouvelle Commission européenne dirigée par Mme Ursula von der Leyen changera la manière dont l’Union règle les problématiques balkaniques et restera cohérente avec son engagement pour l’État de droit. Jusque-là, il semblerait que, en Macédoine du Nord, l’influence géopolitique des États-Unis soit la plus forte, et que l’Union soit contrainte à rester dans son ombre. Il est temps pour l’Union de défendre ses valeurs et, à travers elles, de jouer un rôle clé en Macédoine.

Perspectives :

  • Octobre 2019 : Sur la base des recommendations par la Commission européenne, le Conseil de l’Union devrait ouvrir officiellement les négociations d’adhésion pour la Macédoine du Nord et l’Albanie.