Téhéran. Alors que la crise entre les États-Unis et l’Iran, dont le début peut être daté soit à la désignation des Gardiens de la révolution comme entité terroriste, le 8 avril, soit à la sortie unilatérale du JCPOA le 8 mai 2018, soit à l’élection de Donald Trump, ne cesse de s’intensifier, malgré l’affirmation, de la part du président américain ainsi que du Guide iranien, qu’il n’y aurait pas de guerre, Mohammed Javad Zarif a décidé d’entamer une tournée asiatique pour essayer de trouver du soutien, économique, politique, et symbolique, auprès des grandes puissances de la région, dans un geste qui rappelle la doctrine géopolitique du « regard vers l’Est »1.

La première étape du tour de Javad Zarif l’a amené à New Delhi, où il a rencontré le 15 mai son homologue indien Sushma Swaraj, alors que l’Inde, second importateur de pétrole iranien après la Chine, a coupé court à toute importation avec la levée des exemptions américaines le 2 mai. New Delhi, qui trouvait par le passé que Téhéran était un interlocuteur assez difficile, pourrait profiter de la situation de faiblesse iranienne pour avancer des pions sur le port de Chabahar, l’accès via le territoire iranien à l’Afghanistan et à l’Asie centrale et l’International North-South Transport Corridor, censé relier à terme Bombay à la Russie2. Cependant, si Zarif a présenté la visite comme « excellente », New Delhi a également de très forts liens avec les États-Unis (1er marché, 15 % des exportations, 2e importateur, 5 %) avec les Émirats Arabes Unis (2e marché, 10 % des exportations ; 3e importateur, 5 %) et l’Arabie saoudite (4e importateur, 5 %)3.

Javad Zarif s’est ensuite rendu le 16 mai au Japon pour rencontrer rapidement Shinzo Abe, puis son homologue Taro Kono. Cependant, la réaction diplomatique nippone s’est limitée à des paroles diplomatiques de circonstances, exprimant des « inquiétudes » face aux tensions au Moyen-Orient et garantissant de faire « tous leurs efforts » pour les apaiser, tandis que le Japon a également cessé d’importer du pétrole iranien4.

Enfin, la dernière étape du voyage fut probablement la plus victorieuse, puisqu’au moment où Zarif atterrissait à Pékin, la Chine a annoncé que le oil tanker Pacific Bravo venait de quitter l’Iran où il avait chargé deux millions de barils, depuis les terminaux Soroosh et Kharg. Le pétrolier est possédé par la Banque de Kunlun, une institution financière du géant CNPC, propriété de l’État chinois. Il s’agit du premier pétrolier important à transporter du pétrole iranien depuis la levée des dernières exemptions et, surtout, il s’agit du premier geste concret fait par la Chine contre les États-Unis et pour l’Iran, alors que la RPC avait jusque-là considérablement réduit ses échanges commerciaux avec l’Iran5. Selon certains analystes, la réaction chinoise aurait été provoquée par des menaces de sanctions contre les activités métallurgiques chinoises en Iran, qui lient la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine avec la crise actuelle avec l’Iran6.

Le bilan mitigé du tour asiatique de Zarif se trouve fortement renforcé par cette petite victoire symbolique, qui pourrait être un simple signe envoyé aux États-Unis par la Chine, ou bien la première étape d’un changement d’attitude et, potentiellement, de sortie de crise. Il semblerait que l’action chinoise, si elle faisait l’objet d’une attaque par le Trésor américain, pourrait être l’occasion pour les européens de sortir de l’attitude passive qu’ils ont observée jusqu’ici.

GEG | Cartographie pour Le Grand Continent

Perspectives :

  • Toute importation de pétrole iranien dans les jours et semaines à venir sera un indicateur de la position que va prendre la Chine.
  • L’évolution de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis sera déterminante.