Santiago du Chili. Le 8 mars est une date consacrée à la défense des droits des femmes dans le monde. Instaurée en 1975 par l’Organisation des Nations-Unies, la première conférence sur les femmes s’est tenue à cette date au Mexique. Cependant, malgré des progrès notables pour la condition de la femme dans la société, les inégalités, le manque d’opportunités et la violence à l’égard de celles-ci persistent, surtout en Amérique latine, une région particulièrement violente. Depuis quelques années déjà, pour plus de 300 millions de femmes en Amérique latine, le 8 mars n’est plus un jour de célébration, mais de commémoration et de manifestations. En 2015, en Argentine, berceau du féminisme sud-américain, les femmes ont manifesté de manière inédite en scandant « Ni Una Menos » (“Plus une seule”) et ont ouvert la voie aux revendications et au développement du féminisme latino-américain.

Vendredi 8 mars 2019, des manifestations ont eu lieu non seulement dans les capitales des différents pays de la région mais, aussi bien, dans d’autres villes secondaires. Au Chili, plus de cinquantes villes ont confirmé l’organisation de manifestations, tandis qu’à Santiago du Chili, la Police Nationale a compté 190 000 personnes : il s’agit de l’une des manifestations les plus importantes de ces dernières années. Une mobilisation de plus en plus importante car l’Amérique latine est l’une des régions où il y a eu le plus de féminicides ces dernières années. D’après la Commission Économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), en 2017, il y a eu 2 795 cas jugés pour féminicides, commis majoritairement par les compagnons des victimes. Au Mexique, 3 580 meurtres ont été commis en 2018 : une femme est assassinée toutes les 160 minutes dans ce pays.

Certains pays de la région ont déjà mis en place des réformes juridiques pour endiguer ce type d’agression. Le Costa Rica est le premier pays à avoir prêté attention à ce phénomène grâce aux politiques publiques qui sanctionnent le féminicide depuis 2007. Au Mexique, le Sénat a approuvé en 2012 l’augmentation de la peine de 40 à 60 ans de prison pour quiconque commettrait un féminicide. Le Guatemala (2008), le Chili et le Salvador (2010), l’Argentine et le Nicaragua (2012), la Bolivie, le Honduras, le Panama et le Pérou (2013), l’Équateur, la République dominicaine et le Venezuela (2014), le Brésil et la Colombie (2015), le Paraguay (2016) et l’Uruguay (2017) sont déjà dotés d’une législation sur les féminicides. Toutefois, ni la criminalisation ni la visibilité statistique ont été suffisantes pour éradiquer ces crimes.

De plus, les disparités dans les domaines de l’éducation, du travail et de la famille sont le talon d’Achille de la région. D’après la Banque Mondiale, seuls les trois quarts des droits reconnus aux hommes sont reconnus aux femmes dans le monde, ce qui limite leur capacité à trouver un emploi, à créer une entreprise ou à prendre des décisions économiques plus bénéfiques pour elles et leurs familles. Selon la CEPAL, bien que l’écart salarial ait diminué depuis les années 1990, les femmes latino-américaines gagnent en moyenne 16,1 % de moins que les hommes, alors que le nombre d’années d’études de la population active féminine (9,6 en moyenne) est supérieur à celui de la population masculine. Paradoxalement, plus le niveau d’éducation des femmes en Amérique latine est élevé, plus leurs salaires sont inférieurs à ceux des hommes. En 2017, l’écart salarial entre les femmes et les hommes ayant 13 ans ou plus d’études est de 21,2 %. Dans le cas des femmes ayant jusqu’à 5 années d’études, cet écart n’est “que” de 6,9 %. De plus, selon la Banque de Développement d’Amérique latine (CAF), sur 10 travailleurs âgés de 25 à 54 ans, seulement 4 sont des femmes. Celles-ci travaillent en moyenne quarante heures par semaine, soit huit de moins que les hommes, sans compter les heures de travail non rémunérées.

Concernant leur participation à la vie politique, les données les plus récentes montrent que les femmes ne représentent qu’un quart des ministres d’État et que leur participation est plutôt concentrée dans des portefeuilles de nature sociale et culturelle, et non pas au sujet des questions économiques. Au Brésil, seulement deux des vingt-deux ministères sont dirigés par des femmes, ce qui est considéré comme « équilibré » par le président Jair Bolsonaro, puisque « chacune d’elles valent dix hommes » (3).

Les inégalités s’étendent également au secteur de la santé, où les femmes payent plus, et aux pensions, où les retraites perçues sont moins élevées. Selon les données de la CEPAL, la persistance de la division sexuelle du travail explique que les taux d’activité économique des femmes dans la région ont stagnés aux alentours de 50 %. Parmi celles qui parviennent à accéder au marché du travail, la moitié occupe des emplois à faible productivité et seulement 18,6 % d’entre elles sont affiliées à un système de sécurité sociale et de retraites.

Enfin, mis à part en Uruguay et à Cuba, pionniers de la région, le débat sur l’avortement était tabou jusqu’à récemment. L’épicentre de la revendication féministe s’est déroulé en 2018 en Argentine, où la question a été soumise au Congrès pour la première fois (2), ce qui a massivement mobilisé l’opinion publique où le pour comme le contre se sont largement exprimés. Après le rejet du projet par le Sénat, le pays a maintenu une loi de 1921 qui permet l’IVG en cas de viol ou de risque pour la mère, des disposition qui ont été plus récemment mises en place dans des pays comme le Chili. Au contraire, le Salvador maintient l’interdiction absolue d’avorter, toute changement de législation étant refusé par les milieux conservateurs.

Perspectives :

  • Pour inverser la situation, il est nécessaire de reconnaître la contribution apportée par les femmes aux économies nationales et de mettre en place des politiques et des mesures gouvernementales nécessaires pour garantir l’égalité d’opportunités et l’égalité salariale, tout en évitant que ce soient les femmes cqui occupent majoritairement les postes des secteurs à faibles salaires.
  • Il est également primordial d’intégrer une perspective de genre dans l’analyse des systèmes de retraite, et de réconcilier les principes d’universalité, d’égalité et de non discrimination avec celui de viabilité financière, de sorte qu’aucune d’entre eux ne soit subordonnée à ce dernier.
  • En plus de renforcer la lutte contre les féminicides et la violence à l’égard des femmes, il est nécessaire de comprendre que toutes les formes de violence qui affectent les femmes sont déterminées par des différences économiques, d’âge, raciales, culturelles et religieuses. Cela permettrait d’avancer dans des politiques publiques d’éradication qui tiendraient compte de la diversité des femmes et des divers contextes dans lesquelles la violence à leur égard s’exprime.

Sources :

  1. COSTA Camila, TOMBESI Cecilia, Día de la Mujer : 6 gráficos que muestran cómo avanzaron (o no) las mujeres en América Latina, BBC News Mundo, 8 mars 2019.
  2. DE IPOLA, Julia, De l’éthique à la santé publique, Le Grand Continent, 12 juin 2018.
  3. GULLINO Daniel, Bolsonaro minimiza baixo número de ministras : ‘valem por 10 homens’, O Globo, 08 mars 2019.
  4. JARA Alejandra, Tres expertas desmenuzan las discriminaciones legales que persisten contra las mujeres en Chile, La Tercera, 8 mars 2019.
  5. RIVAS Federico, Buenos Aires, epicentro del 8M en América Latina, El País, 9 mars 2019.
  6. SÉPULVEDA et al, Cómo entender la actual ola de demanda femenina, La Tercera, 9 mars 2019.
  7. SILVA Daniela, BASOALTO Héctor, Hitos del Día Internacional de la Mujer : Las historias detrás de la conmemoración, La Tercera, 8 mars 2019.

Francisca CORONA RAVEST