Bruxelles. Dans le cadre post-Brexit, la France est le seul État doté d’armes nucléaires dans l’Union Européenne. Ce constat doit être nuancé du fait d’une part de la dissémination à travers l’Europe d’armes répondant au principe de double clef (dont l’emploi nécessite à la fois l’accord du pays concerné et des États-Unis) et d’autre part du traité de Lancaster House qui lie les dissuasions française et britannique indépendamment du cadre européen. On dira donc que la France est le seul État dans l’Europe post-Brexit disposant du feu nucléaire de façon autonome.

À l’occasion de la signature du FNI (4), la Russie (alors soviétique) était au cœur des préoccupations occidentales, et l’équilibre entre capacités conventionnelles et de dissuasion dans l’Est de l’Europe était au centre des débats. En plus du développement des capacités des pays non-signataires de ce traité (2), l’irruption des problématiques cyber et spatiales a contribué à une évolution de la pensée stratégique. Ainsi, les acteurs concernés vont bien au delà du milieu de la Défense (il s’agit de garantir le bon fonctionnement de l’ensemble des Opérateurs d’Importance Vitale, c’est à dire des transports, des banques,…). Ceci oblige les États européens se reposant sur le parapluie américain à redéfinir leur posture, d’autant que les États-Unis regardent de plus en plus vers l’Ouest.

L’Europe a ainsi l’occasion de renforcer sa position au sein de l’OTAN, en développant des capacités propres plutôt que de se reposer sur la garantie américaine ou de se positionner comme extension de celle-ci, comme le fait la Belgique en achetant des F-35. L’Allemagne a ainsi franchi un cap significatif en excluant le F-35 américain de la compétition relative au renouvellement de ses avions Tornado : il s’agit de ne pas menacer la coopération sur le futur programme SCAF.

Ce coup porté à la maîtrise des armements est au centre de la conférence de Munich sur la Sécurité (qui a eu lieu du 16 au 18 février dans la ville allemande), comme en atteste une interview récente, dans le journal Ouest-France, de son président qui a tourné presque exclusivement autour de cette question. Il convient de penser ces questions en lien avec la course à l’espace qui bat son plein (la Chine a dépassé les États-Unis en nombre de lancements, de nouveaux acteurs comme SpaceX changent la donne, et la Ministre française des Armées a récemment dénoncé le comportement hostile de satellites russes) : il s’agit dans les deux cas de disposer d’une autonomie stratégique, ce qui pour ce qui concerne l’espace recouvre les problématiques d’autonomie d’appréciation (satellites d’observations, qui permettent par exemple de suivre l’évolution des infrastructures des grandes puissances (3)) et d’action (satellites de communications ou systèmes de positionnement, pour lesquels l’Europe déploie le programme Galileo en face du GPS américain, du Glonass russe ou du Beidou chinois).

L’Europe a récemment lancé plusieurs dispositifs (CSP, FED) visant à accompagner le développement de systèmes de défense, selon une approche capacitaire et partagée (1). Il s’agit d’une évolution majeure, les questions de défense étant jusqu’à récemment considérées comme exclues des compétences des institutions communautaires. Ces dispositifs sont l’application, plus de 10 ans après sa signature, de dispositions du Traité de Lisbonne qui étaient jusqu’alors restées lettre morte. Mais la guerre économique est féroce : l’eurodéputé Arnaud Danjean (PPE) a ainsi expliqué, le 11 janvier lors d’une conférence à l’École militaire, que les Américains tentaient par tous les moyens de rendre leur industrie de défense éligible à ces fonds européens, et que certains pays européens étaient tout à fait réceptifs à leurs arguments alors que cela serait susceptible de saper les efforts en cours de lancement, qui visent à doter l’Europe de capacités indépendantes.

Dans ce contexte, où on voit que l’actualité immédiate est à l’Est mais que les enjeux de fond sont bien plus larges, la place des questions de dissuasion est majeure. Ainsi, si cette question peut être vue comme une des plus complexes, et un des plus gros obstacles à la construction d’une défense européenne du fait de son intrication avec les autres questions de sécurité, des publications récentes (5) essaient d’en faire, au contraire, un moteur de l’Europe de la Défense, dans ce qui ressemble à une offre de services de la France vers ses partenaires européens.

Perspectives :

  • 23-26 mai 2019 : Élection du Parlement européen.
  • Débouchés des recherches financées par le programme européen H2020.
  • Orientations définies pour la CSP et le FED.

Sources :

  1. GIULIANI Jean-Dominique, Défense, le réveil de l’Europe, Compte rendu du petit-déjeuner débat d’Eurodéfense-France, 30 mai 2018.
  2. MAITRE Emmanuel, Bulletin mensuel de l’observatoire de la dissuasion, Fondation pour la Recherche Stratégique, janvier 2019.
  3. NILSEN Thomas, Satellite images reveal Russian navy’s massive rearmament on Kola Peninsula, The Barents Observer, 16 septembre 2018.
  4. PARISI Ilaria, Fais confiance mais vérifie, Le Grand Continent, 11 février 201.
  5. WOLF Fabrice, Penser autrement : peut-on construire l’Europe de la dissuasion ?, Analyse Défense, 11 février 2019.

Benoît de Laitre