Mascate. Dans les pays du Golfe, la prise de conscience environnementale et écologique s’est souvent frayée une place dans le débat politique sous l’angle de la nécessité économique. La chute du prix du baril observée en 2014 a fragilisé les équilibres budgétaires de manière inédite, après des années de hausse des cours et des investissements. La plupart des pays du Golfe, à l’instar de l’Arabie Saoudite à travers son plan Vision 2030, ont réagi à cette crise en investissant dans la diversification de leur économie et dans la réduction de leur dépendance aux énergies fossiles, en tant que source d’énergie domestique comme en tant que rente nationale.

Une récente étude du Middle East Institute (1) donne à voir les dernières orientations stratégiques du sultanat d’Oman, pays producteur d’un peu moins d’1 million de barils par jour. Depuis 1995, et bien avant la plupart de ses voisins, Oman a développé une “Vision 2020”, document stratégique et prospectif qui a inspiré des démarches similaires en Arabie Saoudite et au Qatar. Les enjeux de croissance sont d’autant plus prégnants à Oman que les ressources pétrolières et gazières sont moins abondantes que dans certains pays voisins, à commencer par l’Arabie saoudite, premier producteur de la région et leader de l’OPEP.

La stratégie omanaise s’appuie avant tout sur le développement du secteur privé, le soutien au secteur industriel et les investissements dans les énergies décarbonées. Quelques-unes des cibles privilégiées par le gouvernement pour asseoir la croissance à long terme sont le secteur manufacturier, le tourisme, le transport, le secteur minier et la pêche. Plus particulièrement, l’État a formalisé et précisé ses ambitions dans le cadre du plan quinquennal de développement en vigueur (2016-2020), qui a permis la création du programme TANFEEDH (National Program for Enhancing Economic Diversification).

À l’intérieur de ce programme, le développement du port et de la Special Economic Zone de Duqm, dans le golfe de Masirah, incarne les moyens entrepris par Oman pour tirer profit de sa surface maritime et de son emplacement stratégique sur la route de la soie chinoise. En effet, la rencontre du projet Belt and Road initiative chinois et du Sultanat a d’ores et déjà donné lieu à plusieurs investissements d’envergure, dont plus de 10 milliards de dollars dans un parc industriel sino-omanais à Duqm, dont la première phase devrait être achevée en 2022. L’opérateur et exploitant du parc, Oman Wanfang, est un consortium de six entreprises chinoises, toutes basées dans la province à majorité musulmane de Ningxia – un argument mis en avant par les autorités régionales chinoises pour intensifier des relations économiques fondées en partie sur une certaine proximité culturelle (1).

Le développement des relations sino-omanaises est une opportunité majeure pour le Sultanat dans sa poursuite de diversification économique, plus particulièrement dans une perspective d’amenuisement de ses ressources pétrolières. Mais à l’heure actuelle, cette relation est avant tout fondée sur ce même secteur pétrolier : en effet, la Chine absorbe 85 pour cent des exportations pétrolières nationales. Ce partenariat économique et énergétique est donc fondamentalement une forme de rente financière et industrielle pour Oman, une forme de dépendance qui, en tout état de cause, se prolongera dans l’après-pétrole sous forme de dépendance capitalistique. L’intensification et la multiplication des relations entre États du Golfe et République de Chine posent des questions essentielles pour l’Europe : la capacité à mobiliser des capitaux et le maillage géographique des investissements consentis par la Chine peuvent-ils, à terme, relayer l’Europe au second plan du paysage économique au Moyen-Orient ?

À en croire les chiffres annoncés en avril dernier au 8e Annual Investment Meeting de Dubai par Ewa Synowiec, Chief Advisor à la Commission Européenne et au Directorat Général du Commerce, l’Union est devenu le premier partenaire économique du GCC (Gulf Cooperation Council), avec plus de 143 milliards de dollars de transactions bilatérales (2). Le secteur industriel représente 91 pour cent des exportations européennes, à travers des centrales électriques et des éléments d’infrastructure ferroviaire et aérienne. À l’inverse, l’Union importe en grande majorité des produits miniers et pétroliers et des métaux rares.

À l’heure où le Moyen-Orient pense à son avenir à long terme, et formalise des objectifs de développement ambitieux, la Chine s’engage déjà comme un partenaire privilégié.

Le leadership industriel européen au Moyen-Orient saura-t-il résister au développement de technologies chinoises compétitives, dans des secteurs aussi stratégiques et capital-intensive que l’infrastructure ?

Perspectives :

  • Observer l’impact du Belt and Road Initiative sur les relations économique UE-GCC.

Sources :

  1. CALABRESE John, Oman’s Transition to a Post-Oil Economy : Arching Toward Asia, Middle East Institute, 07 aout 2018.
  2. EU becomes largest trading partner of GCC with two-way trade exceeding €143 billion, Saudi Gazette, avril 2018.