Jérusalem. Le 25 mars, l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem a été fermée en raison du coronavirus. Au départ, la fermeture ne devait durer qu’une semaine, mais les responsables religieux et gouvernementaux israéliens ont convenu qu’en raison de la pandémie actuelle de COVID-19, cette destination de pèlerinage mondiale ne devait pas rouvrir. Le saint-Sépulcre a été fermé à plusieurs reprises, pendant de très courtes périodes : récemment encore, à l’occasion de différends ou de protestations en 1990, 1999 et 2005. Elle a été fermée pendant la guerre de 1967 et un conflit fiscal avec le gouvernement israélien en 2018 a provoqué un «  lock-in  ».2

Mais ce qui rend historique le verrouillage actuel causé par le coronavirus, c’est qu’il est mis en place « pour une période indéfinie ». La dernière fois qu’un événement similaire s’est produit, c’était en 1349, lors de la peste noire, une pandémie de peste bubonique.3

Ce qui est fascinant dans ce fait, c’est l’identité du Portier de l’Église, que l’on peut voir fermer la porte dans cette vidéo du vidéaste israélien Hananya Naftali. Cette histoire en dit long sur la situation sur le terrain – et sur le délicat équilibre entre les communautés religieuses – dans la ville, considérée comme sainte par trois religions. 

L’église se trouve dans le quartier chrétien de la vieille ville de Jérusalem. Au sein de son complexe seraient contenus les deux lieux les plus saints du christianisme : le site où Jésus a été crucifié et le tombeau vide, où il aurait été enterré puis aurait ressuscité.

L’église du Saint-Sépulcre, qui existe sous une forme ou une autre depuis l’an 335, a un statut unique parmi les sites religieux, puisqu’elle est partiellement contrôlée par plusieurs confessions chrétiennes différentes. L’Église catholique romaine, l’Église grecque orthodoxe et l’Église apostolique arménienne se partagent ainsi le contrôle du bâtiment, et d’autres Églises orthodoxes célèbrent également la liturgie divine sur le site. Ces confessions sont pourtant souvent en désaccord les unes avec les autres et les conflits ont été un élément récurrent de leur histoire.

Les conflits se poursuivent même dans les temps récents. En 2002, un moine copte a déplacé sa chaise de l’endroit convenu à l’ombre. Cela a été interprété comme un geste hostile par les Chrétiens éthiopiens, ce qui a conduit à l’hospitalisation de onze personnes4. En 2004, lors des célébrations orthodoxes de l’Exaltation de la Sainte-Croix, une porte de la chapelle franciscaine a été laissée ouverte. Les différentes entités coexistent, à peu près, dans le complexe, selon des arrangements mis en place par les Ottomans, ce qui préserve un statu quo de coexistence et de partage5

Il est évident que dans une telle situation, la fermeture de l’église et la personne chargée de détenir les clés pour ce faire devaient être une chose importante. Et c’est là que réside la partie fascinante. 

Les Nusseibehs, une famille musulmane sunnite, ont eu la responsabilité de superviser l’ouverture et la fermeture de l’église du Saint-Sépulcre depuis des siècles. Et c’est encore le cas aujourd’hui, dans l’espoir d’éviter les affrontements entre les sectes chrétiennes rivales pour le contrôle de l’église : chaque jour, Wajeeh Nusseibeh, un descendant de la famille, ouvre et ferme la lourde porte métallique de l’église6. La clé elle-même, qui mesure 30 centimètres de long et pèse 250 grammes, datant d’il y a 800 ans, a été confiée pendant des siècles à une autre ancienne famille musulmane, les Joudehs7.

Cette responsabilité remonte au moins à 1187, lorsque les musulmans dirigés par Saladin ont pris le contrôle de Jérusalem. Comme le souligne Reuters8, les motivations de l’accord sont incertaines : selon certains chercheurs, Saladin aurait accordé la tutelle aux deux familles afin d’affirmer la domination musulmane sur le christianisme dans la ville. Cet accord avait également une certaine importance financière, puisqu’il impliquait la perception d’une taxe sur les visiteurs, perçue à la porte.

Quelle que soit la raison à l’origine de cette tradition, le fait d’avoir des familles musulmanes chargées de la clé et des portes contribue quelque peu à maintenir la paix entre les confessions chrétiennes. Il est assez rare d’entendre dans les médias des histoires sur le fait que les musulmans maintiennent la paix entre les chrétiens rivaux. Le fait que cela n’arrive nulle part ailleurs qu’à Jérusalem, l’un des lieux chrétiens les plus saints du monde, est un fait intéressant, autant que relativement peu connu, qui mérite l’attention.

Sources
  1. 1COEX Thomas, When the Church of the Holy Sepulchre closed, AFP, 26 mars 2018.
  2. Catholic News Agency, Church of the Holy Sepulchre closed indefinitely , Catholic Herald, 31 mars 2020.
  3. SHELEG Yair, A moved chair and an allegedly bawdy nun set off a holy riot, Haaretz, 29 juillet 2002.
  4. FISCHER-ILAN Allyn, Punch-up at tomb of Jesus, The Gardian, 28 septembre 2004.
  5. Site de la famille Nuseibeh.
  6. GLOR Jeff, The same Muslim family has protected the key to one of Christianity’s holiest sites for 850 years, CBS News, 14 mai 2018.
  7. HARASH Rinath, Muslim holds ancient key to Jesus tomb site in Jerusalem , Reuters, 30 novembre 2017.
Crédits
Une première version de cet article a été publiée sur le compte Twitter de David Vicedette (@DavidVicedette)